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03/06/2022 | FRANCE | N°19/04793

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale b, 03 juin 2022, 19/04793


AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE







N° RG 19/04793 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MPAT





Société KS SERVICES



C/



[N]







APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de LYON

du 25 Juin 2019

RG : 17/00646

COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE B



ARRÊT DU 03 JUIN 2022





APPELANTE :



Société KS SERVICES

[Adresse 4]

[Localité 1]



représentée

par Me Laurent LIGIER de la SCP ELISABETH LIGIER DE MAUROY & LAURENT LIGIER AVOUÉS ASSOCIÉS, avocat au barreau de LYON

Ayant pour avocat plaidant Me Sandrine ROLLIN, avocat au barreau de PARIS





INTIMÉ :



[E] [N]

né le 02 Juin 1980 à [Localité 6...

AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE

N° RG 19/04793 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MPAT

Société KS SERVICES

C/

[N]

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de LYON

du 25 Juin 2019

RG : 17/00646

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE B

ARRÊT DU 03 JUIN 2022

APPELANTE :

Société KS SERVICES

[Adresse 4]

[Localité 1]

représentée par Me Laurent LIGIER de la SCP ELISABETH LIGIER DE MAUROY & LAURENT LIGIER AVOUÉS ASSOCIÉS, avocat au barreau de LYON

Ayant pour avocat plaidant Me Sandrine ROLLIN, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉ :

[E] [N]

né le 02 Juin 1980 à [Localité 6]

[Adresse 3]

[Localité 2]

représenté par Me Christophe KOLE, avocat au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 17 Mars 2022

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Patricia GONZALEZ, Présidente

Sophie NOIR, Conseiller

Françoise CARRIER, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

Assistées pendant les débats de Gaétan PILLIE, Greffier.

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 03 Juin 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Patricia GONZALEZ, Présidente, et par Gaétan PILLIE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*************

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

M. [E] [N] a été embauché en qualité de conditionneur par la SAS KS Services, spécialisée dans la fourniture de prestations de services externalisés notamment en logistique industrielle et services généraux, suivant contrat à durée indéterminée et à temps plein en date du 17 janvier 2004, moyennant une rémunération mensuelle brute de 1 219 €. Il a été mis à disposition de la société Solvay sur le site de [Localité 5].

Par courrier du 3 juillet 2015, la société KS Services l'a convoqué à un entretien préalable pouvant aller jusqu'au licenciement fixé au 15 juillet en raison d'une grave imprudence lors de la conduite d'un chariot ayant causé des blessures à l'un de ses collègues.

Par courrier du 24 juillet 2015, la société KS Services à notifié à M. [N] sa mutation disciplinaire sur le site Solvay Belle Etoile à [Localité 7].

A compter d'avril 2016, M. [N] a été affecté à l'atelier HMD (Hexaméthylène Diamine) du site de Belle Etoile.

Par courrier du 30 septembre 2016, la Société KS Services a notifié à M. [N] une mise à pied disciplinaire de cinq jours, du 10 au 14 octobre 2016, pour « non respect des procédures sécurité et métier ayant causé 3 incidents sécurité majeurs sur le site » à savoir :

- Le 29/07/2076 : chute d'un container de 900 litres (IBC) lors d'une opération de chargement

d'une remorque ce qui a entraîné la fuite du produit HMD au sol.

Vous deviez rapatrier les containers produits par l'atelier d'enfutage HMD à l'aide de la remorque pour les ranger en zone de stockage, conformément aux modes opératoires MO EP08-EP07 et MO-3LP "0902/3.

- Le 7 0/08/2076 : erreur de sélection du contenant sur le poste HMD

- Le 24/08/2016 : chute d'un nouveau container de 900 litres (IBC) de la remorque lors d'une opération de traction.

Vous deviez déposer sur la remorque 5 containers contenant du HMD 60 % (la remorque pouvant en supporter jusqu'à 8). A l'aide de votre chariot élévateur, vous avez tracté la remorque mais en la tractant un container est tombé dans le virage sans que vous vous en aperceviez et vous avez continué votre transfert.

Vers 13h30, un personnel Client a déclenché un appel du 18 car le produit contenu dans le container tombé était en train de se répandre au sol (produit corrosif).

Une perte de produit a été estimée à 100 litres (un container contenant 900 litres).

Vous êtes à l'origine de ces 3 événements securité majeurs, ce qui est inadmissible compte tenu :

- Que vous êtes parfaitement formé à votre poste de travail,

- Que vous intervenez sur un site et dans un environnement a risque qui nécessite une vigilance à tout instant et un respect minutieux des process,

- Que vous auriez pu causer un grave accident sur le site lors de la chute des containers d'une capacité de 900 litres chacun,

- Que ces incidents interviennent à moins d'un mois d'intervalle,

- Que notre client en est le témoin direct.

Ces incidents répétés auraient pu avoir des conséquences gravissimes liées à la chute des containers et au caractère corrosif de l'HMD et ont nécessité l'intervention des pompiers les 29 juillet et 24 août pour circonscire le sinistre et éviter une pollution accidentelle.

Le caractère répétitif et grave de ces incidents remet ainsi en cause la qualité de nos prestations et donc la satisfaction de notre Client, lequel a fait part de son mécontentement à la Direction de KS services par écrit [...]

Votre comportement est d'autant plus inexcusable qu'il y a tout juste 1 an, suite à des fais gravissimes pour lesquels votre licenciement était envisagé, nous avons décidé de vous laisser une nouvelle chance au sein de KS Services et de vous faire à nouveau confiance en continuant à vous faire travailler pour ce client en comptant sur votre implication et votre professionnalisme [...]. »

Par courrier de son conseil en date du 11 octobre 2016, M. [N] a contesté cette sanction.

Par requête enregistrée au greffe le 15 mars 2017, M. [E] [N] a saisi le conseil de prud'hommes de Lyon, aux fins de voir :

- annuler les mises à pied de juillet 2015 et d'octobre 2016,

- prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de la société KS Services,

- et obtenir le paiement des salaires correspondant aux périodes de mise à pied, des indemnités de rupture et des dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.

Par jugement de départage en date du 25 juin 2019, le conseil de prud'hommes a :

- annulé la mise à pied disciplinaire du 10 au 14 octobre 2016,

- prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail entre la SAS KS Services et M. [E] [N] et dit qu'elle produisait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- condamné la SAS KS Services à verser à M. [E] [N] les sommes suivantes :

' 2 520 € au titre de rappel de prime incitative pour la période d'août 2015 à novembre 2017, outre celle de 252 € au titre des congés payés y afférents,

' 3 276 € au titre de rappel de prime variable personnalisée pour la période d'août 2015 à novembre 2017, outre celle de 327,60 € au titre des congés payés y afférents,

' 357 € à titre de rappel de salaire pour la mise à pied disciplinaire du 10 au 14 octobre 2016, outre celle de 35,70 € au titre des congés payés y afférents,

' 3 53 0,58 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre celle de 353,05 € au titre des congés payés y afférents,

' 5 789,26 € à titre d'indemnité de licenciement,

' 120,42 € au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés,

sommes assorties des intérêts au taux légal à compter du 1 7 mars 201 7, date de réception de la convocation par l'employeur devant le bureau de conciliation valant mise en demeure ,

' 21 200 € € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

' 4 000 € à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

sommes assorties des intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement,

- ordonné à la SAS KS Services de délivrer à M. [E] [N] l'ensemble des documents de travail et de rupture rectifiés conformes à la présente décision, dans un délai de deux mois suivant la notification de la présente,

- condamné la société KS Services à verser à M. [E] [N] la somme de 1 800 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- fixé la moyenne des trois derniers mois de salaire à la somme de 1 765,29 €,

- débouté les parties de plus amples demandes contraires au présent dispositif,

- condamné la société KS Sercices aux dépens.

La société KS Services a interjeté appel.

Au terme de conclusions notifiées le 4 octobre 2019, elle demande à la cour de :

- infirmer le jugement en ce qu'il a prononcé la résiliation judiciaire du contrat et l'a condamnée au paiement des sommes suivantes :

' 2 520 € au titre de rappel de prime incitative pour la période d'août 2015 à novembre 2017, outre celle de 252 € au titre des congés payés y afférents,

' 3 276 € au titre de rappel de prime variable personnalisée pour la période d'août 2015 à novembre 2017, outre celle de 327,60 € au titre des congés payés y afférents,

' 357 € à titre de rappel de salaire pour la mise à pied disciplinaire du 10 au 14 octobre 2016, outre celle de 35,70 € au titre des congés payés y afférents,

' 3 53 0,58 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre celle de 353,05 € au titre des congés payés y afférents,

' 5 789,26 € à titre d'indemnité de licenciement,

' 120,42 € au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés,

sommes assorties des intérêts au taux légal à compter du 1 7 mars 201 7, date de réception de la convocation par l'employeur devant le bureau de conciliation valant mise en demeure ,

' 21 200 € € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

' 4 000 € à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

' 1 800 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- débouter M. [N] de ses demandes :

' de résiliation judiciaire du contrat de travail, et de ses demandes indemnitaires afférentes,

' d'annulation de la mise à pied à titre disciplinaire de 5 jours notifiée le 30 septembre 2016, de ses demandes de rappels de prime variable personnalisée et de prime incitative,

' de dommages et intérêts au titre de l'exécution déloyale requalifiée par le conseil de prud'hommes en dommages et intérêts pour manquement à la sécurité,

- condamner M. [N] à restituer les sommes perçues au titre de l'exécution provisoire de droit (sic),

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [N] de sa demande d'annulation de la mutation disciplinaire, de ses demandes de rappel de la prime de responsabilité, de la prime de bonus/malus, de la prime de nuit et du salaire de la période de mise a pied conservatoire du 13 au 31 juillet 2015,

- condamner M. [N] :

' à lui restituer la somme de de 1626 € buts et 162,60 € bruts de congés payés afférents au titre de la prime variable personnalisée indûment perçue sur la période d'août 2015 à novembre 2017,

' la somme de 3000 € sur le fondement de Particle 700 du code de procédure civile.

Au terme de conclusions notifiées le 27 décembre 2019, M. [N] demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions et de condamner la société KS Services à lui payer la somme supplémentaire de 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

MOTIFS DE LA DECISION

A titre liminaire, il sera rappelé que les demandes tendant à voir "constater" ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile et ne saisissent pas la cour ; qu'il en est de même des demandes tendant à voir 'dire et juger" lorsque celles-ci développent en réalité des moyens.

Sur le rappel de prime variable personnalisée et de prime incitative pour la période d'août 2015 à novembre 2017

Dans le cadre de l'exercice de ses fonctions sur le site de Solvay, M. [N] percevait mensuellement une prime incitative de 90 € et une prime variable de 117 €. A compter de sa mutation sur le site de Belle Etoile au mois d'août 2015, il a bénéficié d'une prime qualité et d'une prime de sécurité de 75 € chacune.

L'employeur fait valoir :

- que les primes versées respectivement sur les sites Solvay de [Localité 5] et de [Localité 7] sont différentes, le rythme de travail et la pénibilité n'étant pas comparables,

- que la prime variable personnalisée n'était pas générale comme ne s'appliquant pas aux 650 salariés de l'entreprise ni constante, le salarié ne l'ayant perçue qu'à compter du mois de septembre 2014, qu'en outre elle a continué d'être versée après la mutation de M. [N] sur le site de [Localité 7], non plus de façon mensuelle comme précédemment, mais en deux fois en fin d'année, le salarié ayant perçu à ce titre la somme totale de 1 650 € bruts de sorte qu'il est tenu à tout le moins de restituer la somme de 1 626 € outre 162,60 € au titre des congés payés afférents,

- que la prime incitative était fixée en fonction du site d'affectation de sorte qu'elle n'était pas générale et que M. [N] ne pouvait y prétendre suite à sa mutation sur le site de [Localité 7].

Le salarié fait valoir que sa mutation sur le site de [Localité 7] ne pouvait entraîner une baisse de sa rémunération et que l'employeur ne pouvait se soustraire au paiement des primes litigieuses faute de révocation régulière de l'usage qu'elles constituaient.

Le Règlement intérieur de la société KS Services prévoit en son article 5.1 que la mutation disciplinaire, qui consiste en une affectation à un autre poste de qualification équivalente à titre temporaire ou définitif, n'affecte pas la classificatíon ni la rémunération correspondante.

Une prime constitue un usage lorsqu'elle est générale, c'est à dire accordée à tout le personnel ou à tout une catégorie de personnel, constante c'est à dire versée de façon répétée et périodique, et qu'elle présente un caractère de fixité dans son montant ou dans son mode de détermination.

L'employeur a la charge de la preuve du fait que les primes perçues par le salarié de façon fixe et constante ne présentent pas de caractère de généralité.

S'il est loisible à l'employeur de modifier ou de supprimer un usage, sa révocation doit être formalisée par écrite par une information individuelle du salarié, des institutions représentatives et en respectant un délai de prévenance suffisant.

En l'espèce, l'employeur ne discute pas le caractère général des primes litigieuses sur le site de [Localité 5], se contentant de soutenir qu'elles n'étaient pas en vigueur sur le site de [Localité 7] ou pour l'ensemble des salariés de la société.

S'agissant de la prime variable personnalisée, M. [N] l'a perçue de façon constante et régulière à compter du mois de février 2014 et jusqu'à sa mutation sur le site de Belle Etoile. S'agissant de la prime incitative, M. [N] l'a perçue de façon constante et régulière à compter de novembre 2013 de sorte que le premier juge a justement retenu que ces primes présentaient les caractères de constance et de fixité requis pour constituer un usage.

La mutation de M. [N] sur le site de [Localité 7] s'étant faite sans baisse de rémunération, celui-ci était fondé à obtenir le maintien desdites primes à concurrence de la différence avec les primes générales du site de Belle Etoile, - prime qualité et prime de sécurité -, dont le montant mensuel était inférieur de 57 € ( [90 + 117] - [75 + 75]) soit pour la période de août 2015 à juin 2019 : 57 x 46 = 2 622 €.

Les bulletins de paie versés aux débats par l'employeur font toutefois apparaître que M. [N] a perçu la prime variable personnalisée à hauteur de 450 € aux mois de novembre et décembre 2016 et de 600 € aux mois de novembre et de décembre 2017 de sorte que le solde dû au titre du maintien du salaire s'établit à 2 622 € - 2 100 € = 522 € outre 52,20 € au titre des congés payés afférents et que le jugement doit être réformé en ce sens.

Sur la demande d'annulation de la mise à pied du 10 au 14 octobre 2016

La lettre de notification qui fixe les limites du litige retient trois griefs à l'encontre de M. [N]

- Le 29 juillet 2016 : chute d'un container de 900 litres (IBC) lors d'une opération de chargement d'une remorque ce qui a entraîné la fuite du produit HMD au sol

- Le 10 août 2016 : erreur de sélection du contenant sur le poste HMD

- Le 24 août 2016 : chute d'un container de 900 litres (IBC) d'H1\/ID, produit corrosif, de la remorque lors d'une opération de traction ; en tractant la remorque, un container est tombé dans le virage.

La société KS Services fait valoir que les manquements imputés à M. [N] sont avérés et que la sanction prononcée est proportionnée à la gravité des faits.

Le salarié fait valoir :

- qu'il n'a aucune responsabilité dans l'incident du 24 août 2016 qui est consécutif aux carences de l'employeur en matière de sécurité,

- que la société KS Services a fait preuve de négligence en lui demandant de tracter cette remorque qui était de surcroît en mauvais état, qu'en effet, le manuel d'utilisation du chariot automoteur de manutention précise qu'il est interdit de tirer ou de pousser un véhicule,

- qu'il n'était titulaire que du CACES 3 et non du CACES 2 nécessaire pour tracter une remorque, qu'il n'a bénéficié d'une formation au CACES 2 qu'après l'incident,

- que les incidents de 29 juillet et du 10 août n'ont donné lieu à aucun arbre des causes.

Le règlement intérieur de l'entreprise prévoit la mise à pied disciplinaire pour une durée pouvant aller à un maximum de 5 jours, la mise à pied disciplinaire constituant une exclusion temporaire de l'Entreprise entraînantprivation de la rémunération correspondante.

Selon l'article L.1333-2 du code du travail, le conseil de prud'hommes peut annuler la sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise.

Sur le premier incident

Il ressort des échanges de courriels produits par l'employeur que le 29 juillet 2016, « un appel au 18 a été faitpour endiguer la fuite d'HMD de l'IBC Je me suis rendu sur place et j'ai constaté que l'IBC a été éventré dans sa chute. Une partie du produit (100 litres ') a été répandue sur la chaussée devant la SG 129. Le reste du produit a été vidé dans la fosse de rétention.

L'incident s'est produit lors de la mise sur la remorque de l'IBCpar l'opérateur KS Services. Je suggère que nous collections les faits pour analyse de l'incident lundi. »

L'arbre des causes réalisé à la suite de l'incident ultérieur du 24 août 2016 fait mention de cet incident dans les termes suivants :« Est-ce la première fois quiun tel évenement se produit . Non, le 29/07/2016 sous le numéro FA 16/0187 un incident sécurité a été enregistré « Chute d'un IBC de HMD dans l'enceinte du magasin SG 129 avec épandage de produit (environ 100 litres) au sol lors du chargement de la remorque. »

La matérialité de cet incident est par conséquent établie. Son imputabilité à M. [N] est suffisamment établie par le courriel adressé par M. [K], responsable logistique de la plateforme industrielle de Belle Etoile (Solvay) à l'employeur le 7 septembre 2016, ce dernier le désignant expressément.

Le fait qu'il n'y ait pas eu de recherche des causes est sans incidence sur l'imputabilité, M. [N] n'ayant jamais invoqué une défaillance du matériel de levage, étant relevé en outre que, s'agissant d'un incident survenu au moment du chargement, la remorque était par hypothèse immobile de sorte que son état et l'absence d'arrimage n'ont pu avoir de rôle causal dans la chute.

Sur le deuxième incident

Par un courriel du 12 août 2016, M. [P], responsable logistique HMD, salarié de la société Solvay, a fait part à la société KS Services d'un autre incident dont il avait été témoin, exposant que le 10 août 2016 vers 8h30 il était passé devant le SG 129 et avait constaté un dégagement anormal de fumée en provenance de la fosse de rétention de SG 129, consécutif à une erreur de sélection sur le poste d'enfutage mis en route par M. [N] et que, présent dans le local, ce dernier continuait néanmoins ses tâches sans aucune réaction malgré la fumée.

Il déplorait l'inaction de M. [N] en la circonstance dans les termes suivants « Pourquoi [E] n'a pas réagi face a ce dégagement qui a rendu le local totalement irrespirable en appuyant simplement sur un Arrêt d'urgence par exemple ' je ne suis pas satisfait de cet évenement qui a entrainé une perte de 450 litres d'HMD pure dans la fosse de rétention alors qu'une réactivité plus importante aurait pu limiter ces rejets et de ce fait l'impact environnemental. »

La matérialité de cet incident et l'absence de réactivité de M. [N] pour mettre le système à l'arrêt sont ainsi établies. L'employeur justifie que le salarié avait reçu une formation à la préparation du conditionnement et au conditionnement des fûts lors de son affectation à l'atelier HMD.

Sur le troisième incident

S'agissant de cet incident, l'employeur reproche à M. [N] de ne pas s'en être aperçu de la chute du container, de ne pas s'être arrêté et de n'avoir pas déclenché l'alerte.

Or le seul grief formulé à l'encontre du salarié par la lettre de notification de la sanction est d'avoir été à l'origine de la chute du container sans autre précision sur la causalité entre le comportement du cariste et la chute, mais qui laisse supposer soit un imprudence de conduite soit une imprudence de chargement, de sorte que le litige est circonscrit à ce seul grief et que la cour n'a pas à se prononcer sur les nouveaux griefs formulés par l'employeur dans le cadre de la présente procédure.

L'analyse des causes retient que le sol de la chaussée étant irrégulier et que le plancher métallique de la remorque étant rendu glissant par l'eau s'égouttant des conteneurs, rincés avant leur chargement, il était nécessaire d'équiper la remorque de sangles de retenue et de sensibiliser le personnel à la répartition des charges sur la remorque, ce qui fait apparaître que la chute du conteneur en elle-même n'est pas imputable à faute au salarié.

En outre, M. [N] n'était, à la date de l'incident, titulaire que du CACES 3 ainsi que l'indique l'employeur lui-même dans son courrier de sanction du 24 juillet 2015. Or ce niveau de connaissance, s'il permet l'utilisation d'un chariot élévateur pour le levage et le transport de charges ne permet pas la traction d'une remorque avec un tel chariot, qui nécessite un niveau CACES 2.

L'employeur ne produit pas l'autorsation de conduite délivrée au salarié en application des articles R.4323-55 à 57. Or la délivrance de l'autorisation de conduire des engins de catégorie 3, chariots automoteurs de manutention à conducteur porté, au vu d'une formation de niveau CACES 3, ne fait pas présumer la capacité du salarié à tracter une remorque qui n'est a priori pas requise pour l'utilisation de ce type d'équipement.

Il apparaît ainsi qu'à la date de l'accident, le salarié n'était pas titulaire d'une autorisation couvrant l'utilisation du chariot pour tracter une remorque et qu'il n'avait pas les compétences requises pour le faire, ce que confirme le fait que l'employeur ait estimé devoir, postérieurement à l'accident, lui faire suivre une formation de niveau CACES 2.

En outre, l'article R.4321-1 du code du travail impose à l'employeur de mettre à la disposition des travailleurs les équipements de travail nécessaires, appropriés au travail à réaliser ou convenablement adaptés à cet effet, en vue de préserver leur santé et leur sécurité.

Or la société KS Services, qui a la charge de la preuve, ne produit aucun élément justifiant que les données du constructeur, qui seules déterminent les capacités d'un équipement, permettaient d'utiliser le chariot employé le 24 août 2016, dont ce n'est a priori pas la vocation, pour tracter une remorque.

Les manquements de l'employeur ainsi caractérisés exonèrent le salarié de toute responsabilité dans la chute du conteneur le 24 août 2016.

La sanction de mise à pied de cinq jours est dès lors disproportionnée au regard de la gravité relative des deux autres incidents de sorte qu'il convient de confirmer le jugement en ce qu'il l'a annulée et en ce qu'il a fait droit à la demande de rappel de salaire et de congés payés correspondant à la période de mise à pied.

Sur la demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail

Selon l'article L.1221-1 du code du travail, le contrat de travail est exécuté de bonne foi.

M. [N] reproche à l'employeur les manquements suivants :

- le non-respect des règles élémentaires en matière de sécurité,

- l'absence de formation adéquate à la conduite de chariot automoteurs à conducteur porté,

- la tentative de la société de faire reposer sur lui la responsabilité de ces manquements,

- l'absence de fourniture d'un matériel adéquat au travail sur un site classé SEVESO 'seuil haut',

- la suppression de primes à la suite de sa mutation du 24 juillet 2015.

La société KS Services fait valoir :

- que l'utilisation du chariot élévateur afin de tracter les fûts d'HMD était marginale, la traction étant principalement réalisée à l'aide d'un tracteur et d'une semi remorque,

- qu'aucun précédent ne lui avait fait prendre conscience du risque que le poids d'un IBC et la vitesse limitée à 15km sur les voies de l'usine permettaient a priori d'écarter,

- qu'elle a acquis un Tracma qui est un engin dédié à la traction en plus du système de traction en place dans la société,

- que la tractation avec un chariot élévateur n'est pas strictement interdite,

- que le matériel mis à la disposition du salarié n'était pas défectueux,

- que le CACES n'est pas une formation obligatoire et que le salarié disposait d'une autorisation de conduite pour les engins de catégorie 3,

- qu'elle a fourni au salarié des formations à la sécurité et mis en place des mesures de prévention.

La réparation d'un préjudice résultant d'un manquement de l'employeur suppose que le salarié qui s'en prétend victime produise en justice les éléments de nature à établir d'une part la réalité du manquement et d'autre part l'existence et l'étendue du préjudice en résultant.

S'il résulte des développements précédents que l'employeur a manqué aux règles de sécurité en laissant le salarié qui n'était titulaire que d'un CACES 3 utiliser un chariot pour tracter une remorque, le salarié ne démontre pas avoir subi un quelconque préjudice de ce fait, en l'absence de tout accident survenu en lien avec ce manquement, l'employeur justifiant en outre n'avoir eu recours à ce mode de transport que de façon secondaire, en l'absence de tracteur disponible.

Il n'est pas non plus établi que l'employeur ait tenté de faire supporter au seul salarié la responsabilité de l'incident du 24 août 2016 ni qu'il ait reconnu que celui-ci n'avait aucune responsabilité dans sa survenue. En effet, la sanction de mise à pied était motivée par trois incidents de sécurité successifs dans lesquels M. [N] était impliqué alors qu'un précédent avait justifié sa mutation disciplinaire. Et, si l'arbre des causes retient l'absence de sangles d'arrimage sur la remorque et la nécessité de former le personnel à l'équilibrage des charges, la fiche action relative à l'incident relève que le magasinier n'a eu aucune réaction consécutivement à la chute de l'IBC et que c'est un tiers qui a déclenché les secours.

Ainsi est établie l'existence de motifs objectifs pouvant justifier une sanction disciplinaire de sorte que l'employeur ne saurait être considéré comme ayant abusé de son pouvoir disciplinaire ou comme l'ayant exercé de façon déloyale, peu important à cet égard que la sanction ait été annulée judiciairement.

D'autre part, l'employeur justifie qu'il a fait l'acquisition d'un chariot TRACMA, spécialement adapté pour la traction, que M. [N] a été formé à sa conduite dès le mois de novembre 2016 et qu'il a passé le CACES 2 à la même période.

Il justifie également avoir fait procéder au remplacement des pneus de la remorque, étant relevé que le fait que le plancher de cet équipement soit constitué d'une structure métallique lisse ne constitue pas une défectuosité mais une donnée constructeur.

S'agissant du non paiement des primes, l'article 1231-6 du code civil dispose : 'les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d'une obligation de somme d'argent consistent dans l'intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure. Ces dommages et intérêts sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d'aucune perte.

Le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts de l'intérêt moratoire.'

M. [N] ne rapporte pas la preuve que la société KS Services ait agi au delà de ce que commandait la défense de ses intérêts ni de ce qu'il a souffert d'un préjudice indépendant du retard réparé par les intérêts de droit.

En l'absence de préjudice justifié, il convient de débouter M. [N] de sa demande de dommages et intérêts.

Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail

Selon l'article 1224 du code civil, l'une ou l'autre des parties à un contrat synallagmatique peut demander la résiliation judiciaire en cas d'inexécution des obligations découlant de ce contrat. Il en résulte que le juge peut, à la demande du salarié, prononcer la résolution du contrat de travail en cas d'inexécution suffisamment grave par l'employeur de tout ou partie des obligations en découlant.

Il appartient à la juridiction prud'homale de rechercher si les manquements invoqués par le salarié à l'appui de sa demande de résiliation judiciaire sont ou non d'une gravité suffisante pour justifier la rupture du contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur en empêchant la poursuite du contrat de travail.

M. [N] fait valoir :

- que les manquements de la société KS Services en matière de sécurité, qui se sont poursuivis dans le temps, sont d'une gravité suffisante pour justifier la résiliation du contrat de travail,

- qu'il a été sanctionné à tort d'une mise à pied disciplinaire,

- que des primes à caractère alimentaire lui ont été indument supprimées.

L'employeur fait valoir :

- que les manquements qui lui sont imputés n'existaient pas au 15 mars 2017, date de la saisine du conseil de prud'hommes,

- que, suite à l'incident du 24 août 2016, M. [N] n'a plus été affecté à l'atelier conditionnement HMD mais sur d'autres ateliers dont l'atelier Polaris transportant des 'octobins' et 'big bags' en carton qui ne contiennent pas de produit corrosif et ne justifient pas d'un dispositif de sécurité spécifique,

- que le salarié ne l'a jamais informé de ce qu'il aurait été indispensable de sangler les produits dont il a assuré le transport postérieurement au 24 août 2016,

- que le non paiement des primes perçues sur le site de [Localité 5] ne pouvait justifier la résiliation du contrat de travail dès lors que le salarié percevait régulièrement les primes en vigueur sur le site de Belle Etoile,

- qu'il n'a commis ni abus de droit ni déloyauté en prononçant la sanction disciplinaire de mise à pied.

Il a été précédemment constaté que l'employeur avait remédié aux divers manquements de sécurité à l'origine de l'incident du 24 août 2016 dès l'automne 2016 de sorte que ceux-ci n'existaient plus à la date de l'introduction de l'instance en résiliation du contrat de travail.

Les photographies de remorques produites par le salarié ne sont pas datées d'une part. D'autre part, elles ne permettent pas d'identifier les produits transportés et de déterminer si ce sont des produits dangereux ni le salarié en charge de l'opération. Il en résulte qu'elles ne sauraient faire la preuve que les manquements reprochés à l'employeur aient perduré ainsi que le soutient le salarié.

Enfin, M. [N] ne produit aucun élément démontrant qu'à la date de la saisine du conseil de prud'hommes il entrait dans ses attributions de tracter une remorque transportant des fûts HMD alors qu'il ne discute pas n'avoir plus été affecté à l'atelier HMD à cette date et ce depuis plusieurs mois.

Il ne justifie pas plus avoir fait part à l'employeur de ce que ses fonctions dans sa nouvelle affectation nécessitaient la mise à disposition de sangles.

La cour a précédemment retenu que l'employeur n'avait pas abusé de son pouvoir disciplinaire en prononçant la sanction de mise à pied.

Le versement des seules primes en usage sur le site de Belle Etoile, d'un montant inférieur à celles en usage sur le site de [Localité 5], ne saurait constituer un manquement grave rendant impossible la poursuite du contrat de travail, au regard de la modicité de la somme en cause, la diminution de salaire subie par le salarié sur 46 mois s'établissant à 11 € par mois.

Il en résulte que la preuve de manquements graves de l'employeur rendant impossible la poursuite du contrat de travail n'est pas établie de sorte que le jugement est réformé et le salarié débouté de sa demande de résiliation du contrat de travail et de paiement des indemnités de rupture et de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur les demandes accessoires

Le présent arrêt valant titre de restitution, il n'y a pas lieu de statuer sur les demandes de remboursement des sommes acquittées au titre de l'exécution provisoire du jugement.

La société KS Services qui succombe à titre principal supporte les dépens et une indemnité de procédure.

PAR CES MOTIFS,

La Cour,

Statuant dans les limites de l'appel,

Réforme le jugement déféré en ce qu'il a :

- prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail et dit qu'elle produisait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- condamné la SAS KS Services à verser à M. [E] [N] les sommes suivantes :

' 2 520 € au titre de rappel de prime incitative pour la période d'août 2015 à novembre 2017, outre celle de 252 € au titre des congés payés y afférents,

' 3 276 € au titre de rappel de prime variable personnalisée pour la période d'août 2015 à novembre 2017, outre celle de 327,60 € au titre des congés payés y afférents,

' 3 53 0,58 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre celle de 353,05 € au titre des congés payés y afférents,

' 5 789,26 € à titre d'indemnité de licenciement,

' 120,42 € au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés,

' 21 200 € € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

' 4 000 € à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

- ordonné à la SAS KS Services de délivrer à M. [E] [N] l'ensemble des documents de travail et de rupture rectifiés conformes à la décision, dans un délai de deux mois suivant la notification,

- condamné la société KS Services à verser à M. [E] [N] la somme de 1 800 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau,

Condamne la société KS Services à payer à M. [E] [N] un solde 522 € à titre de rappel de primes outre 52,20 € au titre des congés payés afférents ;

Déboute M. [E] [N] du surplus de sa demande de ce chef ;

Le déboute de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail et de ses demandes en paiement des indemnités de rupture, d'indemnité compensatrice de congés payés et de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour exécution déloyale du contrat de travail ;

Confirme le jugement déféré en toutes ses autres dispositions ;

Condamne la société KS Services à payer à M. [E] [N] la somme de 1 800 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

La condamne aux dépens.

Le GreffierLa Présidente

Gaétan PILLIEPatricia GONZALEZ


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale b
Numéro d'arrêt : 19/04793
Date de la décision : 03/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-03;19.04793 ?
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