N° RG 19/04459
N° Portalis DBVX-V-B7D-MOHI
Décision du Tribunal de Commerce de LYON
Au fond
du 20 mai 2019
RG : 2018j00302
Société GESTION FF
C/
[X]
SARL LYON 7 FITNESS
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
3ème chambre A
ARRÊT DU 02 Juin 2022
APPELANTE :
S.A.S.U GESTION FF, anciennement dénommée MOUNTASSIR GROUP INVESTMENT venant aux droits de la SASU E.M.S EUROPEAN MARKETING SYSTEMS
[Adresse 4]
[Localité 7]
Représentée par Me Nathalie ROSE, avocat au barreau de LYON, toque : 1106 et ayant pour avocat plaidant, Me Thomas KLIBANER, avocat au barreau de PARIS, substitué par Me Bernard DEMEY, avocat au barreau de PARIS
INTIMEES :
Mme [M] [X]
née le [Date naissance 1] 1967 à [Localité 9]
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée par Me Vincent DURAND de la SELARL ACTIVE AVOCATS, avocat au barreau de LYON, toque : 896
SARL LYON 7 FITNESS
[Adresse 8]
[Localité 6]
Représentée par Me Vincent DURAND de la SELARL ACTIVE AVOCATS, avocat au barreau de LYON, toque : 896
******
Date de clôture de l'instruction : 27 Novembre 2020
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 06 Avril 2022
Date de mise à disposition : 02 Juin 2022
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Catherine CLERC, conseiller faisant fonction de président
- Raphaële FAIVRE, vice-présidente placée
- Marie CHATELAIN, vice-présidente placée
assistées pendant les débats de Jessica LICTEVOUT, greffier
A l'audience, Marie CHATELAIN a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.
Arrêt Contradictoire rendu par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Catherine CLERC, conseiller faisant fonction de président, et par Jessica LICTEVOUT, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
****
EXPOSÉ DU LITIGE
Le 2 juillet 2014, la SASU EMS European Marketing Systems (la société EMS), devenue la société Mountassir Group Investment, Mme [M] [X] et la SARL Open Développement ont créé la SARL Lyon 7 Fitness ayant pour activité l'exploitation par tous moyens de tous centres de remise en forme et qui a ainsi ouvert une salle de sport sis [Adresse 3].
Le capital social de la société Lyon 7 Fitness était détenu par les sociétés EMS et Open Développement à hauteur de 24,50'% chacune, Mme [X] en détenant les 51'% restant.
Mme [P] [T], gérante de la société Open Développement, a été désignée gérante de la société Lyon 7 Fitness. A la suite de sa démission, Mme [X] a été désignée gérante lors de l'assemblée générale extraordinaire en date du 5 décembre 2014.
Après avoir fait parvenir un rapport de gérance aux associés, Madame [X] a convoqué une assemblée générale ordinaire le 10 février 2015, afin que les associés se prononcent sur la cession du fonds de commerce de la société Lyon 7 Fitness à la SARL GD FORME, au prix de 60'000€.
Les sociétés EMS et Open Développement se sont opposées à cette cession qui a néanmoins été adoptée, Mme [X], associée majoritaire, ayant voté en faveur de cette résolution.
Par courrier du 28 juin 2015, la société EMS a informé Mme [X] qu'elle considérait la cession du fonds de commerce irrégulière et l'a mise en demeure de lui régler une somme de 250'000€ à titre de dommages et intérêts.
A l'assemblée générale du 10 novembre 2017 convoquée par Mme [X], les associés de Lyon 7 Fitness ont refusé d'approuver les comptes de la société et de voter sa dissolution anticipée.
La société EMS a, par acte d'huissier de justice du 6 février 2018, fait assigner Mme [X] devant le tribunal de commerce de Lyon en responsabilité pour faute de gestion, estimant que cette dernière a organisé frauduleusement la cession du fonds de commerce de LYON 7 Fitness au profit de la société GD Forme. Elle sollicitait la condamnation de Mme [X] au paiement de la somme de 190'000€ à la société Lyon 7 Fitness à titre de dommages et intérêts, outre une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 20 mai 2019, ce tribunal a :
débouté la société EMS de l'ensemble de ses demandes,
rejeté la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive de Mme [X],
condamné la société EMS à payer à Mme [X] la somme de 2'500€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
condamné la société EMS aux entiers dépens de l'instance.
La société EMS a interjeté appel par acte du 25 juin 2019.
Par conclusions du 22 octobre 2020, fondées sur les articles L.223-22 et L.223-30 du code de commerce, la société EMS demande à la cour de :
déclarer recevable et bien fondé son appel à l'encontre du jugement déféré en ce qu'il :
l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes,
l'a condamnée à payer à Mme [X] la somme de 2'500€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
l'a condamnée aux entiers dépens de l'instance,
l'infirmer de ces chefs,
statuant à nouveau :
juger que Mme [X] a commis une faute de gestion dans le cadre de la cession du fonds de commerce de la société Lyon 7 Fitness au profit de la société GD Forme,
juger que Mme [X] a organisé frauduleusement la cession du fonds de commerce de la société Lyon 7 Fitness au profit de la société GD Forme,
juger que le préjudice subi par la société Lyon 7 Fitness est fixé à la somme de 190'000'€,
condamner Mme [X] à régler à la société Lyon 7 Fitness la somme de 190'000'€ à titre de dommages et intérêts,
débouter Mme [X] de l'intégralité de ses demandes et de son appel incident,
condamner Mme [X] à lui régler la somme de 10'000'€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions du 11 mai 2020, fondées sur les articles L.223-22 et suivants du code de commerce, Mme [X] et la société Lyon 7 Fitness demandent à la cour de':
confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré, hormis en ce qu'il a débouté Mme [X] de sa demande reconventionnelle tendant à la condamnation de la société EMS à lui payer la somme de 10'000'€,
statuant à nouveau,
condamner la société EMS à lui payer la somme de 10'000€à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
condamner la société EMS à lui payer la somme de 10'000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais de justice en cause d'appel,
condamner la société EMS aux entiers dépens, dont distraction au profit de SELARL Active Avocats, avocat sur son affirmation de droit.
La SASU GESTION FF, anciennement dénommée MOUNTASSIR GROUP INVESTMENT (SASU) venant aux droits de la SASU E.M.S. EUROPEAN MARKETING SYSTEMS, a déposé des conclusions en régularisation de dénomination et de siège social le 5 avril 2022.
MOTIFS
Les articles visés ci-après sont, sauf indication contraire, issus du code de commerce.
Sur les fautes de gestion
La société EMS critique le jugement déféré en ce qu'il n'a pas retenu l'existence de faute de gestion à l'encontre de Mme [X], alors que cette dernière, gérante de fait de Lyon 7 Fitness dès la constitution de la société, aurait commis une double faute en cédant le fonds de commerce à vil prix et sans l'accord des associés à la majorité requise en assemblée générale extraordinaire.
L'article L.223-22 dispose que « les gérants sont responsables, individuellement ou solidairement, selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés à responsabilité limitée, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion.
(...)
Outre l'action en réparation du préjudice subi personnellement, les associés peuvent, soit individuellement, soit en se groupant dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, intenter l'action sociale en responsabilité contre les gérants. Les demandeurs sont habilités à poursuivre la réparation de l'entier préjudice subi par la société à laquelle, le cas échéant, les dommages-intérêts sont alloués. »
Il résulte de l'article L.222-30 que «'les associés ne peuvent, si ce n'est à l'unanimité, changer la nationalité de la société. Sous réserve du huitième alinéa de l'article L. 223-18, le déplacement de siège social est décidé par un ou plusieurs associés représentant plus de la moitié des parts sociales.
Toutes autres modifications des statuts sont décidés par les associés représentant au moins les trois quarts des parts sociales. Toute clause exigeant une majorité plus élevée est réputée non écrite.'»
Les statuts de la société Lyon 7 Fitness stipulent, dans l'article 12 relatif à la gérance: « A titre de règlement intérieur, les emprunts, à l'exception des crédits en banque et des prêts ou dépôts consentis par des associés, les achats, échanges et ventes d'établissements commerciaux, d'immeuble ou de fonds de commerce, toute constitution d'hypothèque et nantissement, la fondation des sociétés et tout apport à des sociétés constituées ou à constituer, ainsi que toute prise d'intérêt dans ces sociétés ne peuvent être fait ou consenti qu'avec l'autorisation préalable des associés aux conditions de majorité ordinaire, sans toutefois que cette limitation de pouvoir, qui ne concerne que les rapports des associés entre eux, puisse être opposé aux tiers.'»
L'article 15 des mêmes statuts prévoit cependant, conformément à l'article L.222-30 précité, que les décisions collectives sont qualifiées d'extraordinaires lorsqu'elles ont pour objet la modification des statuts et qu'elles doivent alors être adoptées par des associés représentant au moins les trois quarts des parts sociales.
Mme [X] soutient qu'elle a pu valablement convoquer une assemblée générale ordinaire de la société Lyon 7 Fitness aux fins de cession de son fond de commerce, et faire adopter une résolution en ce sens selon les règles de la majorité ordinaire, en application de l'article 12 des statuts de la société dès lors que cette cession n'entraine pas une modification des statuts, l'exploitation de ce fond de commerce n'étant pas le seul objet social.
L'article 2 des statuts de la société définit comme suit l'objet social :'
«l'exploitation par tous moyens de tous centres de remise en forme et amincissement, coaching minceur et sportif, consultations diététiques
la vente de produits diététiques, compléments alimentaires et accessoires forme et bien être.'»
Il n'est ni démontré, ni soutenu par les parties que la société Lyon 7 Fitness a développé l'activité de vente de produits diététiques, compléments alimentaires et accessoires forme et bien être de manière autonome par rapport à l'exploitation de centres de remise en forme et amincissement. La vente de produits diététique apparaît d'ailleurs directement liée à l'activité de coaching minceur et sportif, et de consultations diététiques incluses dans l'exploitation des dits centres.
L'exploitation par tous moyens de tous centres de remise en forme et amincissement, coaching minceur et sportif, consultations diététiques constitue donc l'activité principale de la société Lyon 7 Fitness, la vente de produits en lien avec les activités pratiquées dans ces centres en étant l'accessoire.
La cour relève à cet égard que le rapport de gérance établi par Mme [X] au titre des exercices 2015 et 2016 précise «'nous vous rappelons que la société a cessé son activité à compter du 13 février 2015, date à laquelle elle a cédé son fonds de commerce moyennant un prix de 60'000€'», confirmant ainsi que la société n'avait d'autre activité que celle cédée avec le fonds de commerce.
La cession du fonds de commerce exploitant le centre de remise en forme revient donc à priver la société Lyon Fitness 7 de son objet social, entrainant nécessairement une modification de ses statuts, la décision de cette cession relevant dès lors des règles de la majorité des trois quarts de l'assemblée générale extraordinaire telle que prévue à l'article 15 des statuts.
Mme [X] a ainsi commis une faute de gestion en convoquant les associés en assemblée générale ordinaire pour faire adopter la résolution visant à céder le fonds selon les règles de la majorité ordinaire.
La société EMS prétend que Mme [X] aurait commis une seconde faute de gestion en vendant le fonds de commerce à vil prix, la somme de 60'000 € à laquelle il a été cédé étant dérisoire par rapport à sa valeur réelle de 250'000 €.
L'appelante ne verse toutefois aucun élément de preuve venant corroborer le montant de cette évaluation. Elle affirme ainsi que la salle de sport comptait lors de sa cession 500 adhérents, sans justifier ce chiffre, les seules factures émises par la société EMS pour les mois de septembre, octobre et novembre 2014 correspondant à des captations de clients venant objectiver 150 adhésions pour cette période. Le nombre total d'adhérents ne peut être déterminé en l'absence de toute autre pièce faisant état d'autres inscriptions.
De même, il ne peut être tiré argument du bilan de l'exploitation de la salle de sport par la société GD Forme entre le 13 février 2015 et le 28 février 2016, celle-ci étant postérieure à la cession litigieuse et les modalités d'exploitation n'étant pas connues, de sorte qu'aucune comparaison avec l'activité de la société Lyon 7 Fitness ne peut être sérieusement effectuée.
La cour remarque au demeurant que si le chiffre d'affaires mentionné au bilan de la société GD Forme s'élève pour cette période à 143 854 €, l'exercice présente une perte de 55 031,40€. Au surplus, le chiffre d'affaires de la société GD Forme correspond à une année d'exploitation, alors que le fonds de commerce de la société Lyon 7 Fitness n'a fait l'objet d'une exploitation que durant huit mois, du 2 juillet 2014 au 10 février 2015, rendant ainsi d'autant plus inadéquate toute comparaison de valeur.
Dès lors, seul le chiffre d'affaires hors taxe de 80'995 € mentionné dans l'acte de cession du fonds de commerce de la société LYON 7 Fitness constitue un élément objectivant la valeur du fonds de commerce à la date de sa cession.
Bien qu'inférieure à ce montant, le prix de vente de 60 000€ n'est pas dérisoire, et le moyen tiré de la vileté alléguée de ce prix sera donc écarté.
Seule la faute relative à la convocation d'une assemblée générale ordinaire aux fins de faire adopter par celle-ci la cession du fonds de commerce est caractérisée et le jugement déféré est donc infirmé en ce qu'il a retenu que Mme [X] n'avait pas commis de faute de gestion.
Sur l'indemnisation du préjudice
Les fautes du gérant ouvrent droit à l'indemnisation du préjudice subi par la société, sur le fondement des dispositions de l'article L. 223-22 précité.
Il est de jurisprudence constante que pour être réparé, le préjudice subi doit réunir trois critères : être personnel, direct et certain.
Un préjudice certain est un préjudice avéré, indubitable, qui ne peut être mis en doute.
A défaut d'être en mesure de justifier d'un préjudice certain, une personne peut cependant réclamer la réparation d'une perte de chance de voir un événement favorable dont elle aurait pu bénéficier se réaliser ou d'éviter une perte.
La société EMS réclame pour le compte de la société Lyon 7 Fitness la différence entre le prix de cession ' 60'000 € ' et le chiffre d'affaires qu'elle évalue à 250'000€, soit 190 000€.
Si la valeur du fonds de commerce peut effectivement être déterminée en fonction du chiffre d'affaires, il vient d'être démontré que l'évaluation par l'appelante du chiffre d'affaires à 250'000€ ne se fondait sur aucun élément objectif. Il apparaît cependant que le fonds de commerce a été cédé à un prix inférieur au chiffre d'affaires de 80'995 € mentionné à l'acte de vente du 10 février 2015.
En tout état de cause, le préjudice résultant de la faute de gestion de Mme [X] s'analyse comme une perte de chance pour les associés de s'opposer à la cession du fonds de commerce selon les termes proposés par la gérante et de pouvoir le vendre à de meilleures conditions.
Il y a donc lieu, avant-dire droit sur l'indemnisation du préjudice de la société Lyon 7 Fitness, d'inviter les parties à présenter leurs observations sur la perte de chance de la société Lyon 7 Fitness de ne pas être cédée à un prix inférieur à son chiffre d'affaires.
Il convient également de surseoir à statuer sur les autres demandes.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, et par arrêt mixte contradictoire,
Infirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté la SASU EMS EUROPEAN MARKETING SYSTEM de sa demande tendant à voir juger que Mme [M] [X] a commis une faute de gestion,
Statuant à nouveau sur ce point et ajoutant,
Constatant que la cession du fonds de commerce de la SARL Lyon 7 Fitness à la SARL GD Forme a privé celle-ci de son objet social tel que défini à l'article 2 de ses statuts,
Dit que Mme [M] [X] a commis une faute de gestion en soumettant au vote de l'assemblée générale ordinaire des associés de la SARL Lyon 7 aux conditions de majorité ordinaire, la cession du fonds de commerce de la SARL Lyon 7 Fitness à la SARL GD Forme,
Avant dire droit sur l'indemnisation du préjudice de la SARL Lyon 7 Fitness,
Révoquant la clôture,
Ordonne la réouverture des débats à l'audience du 20 octobre 2022 à 13h30 en salle Lamoignon, sans renvoi possible, afin que les parties concluent'dans le respect du contradictoire, et uniquement sur ces deux points :
sur l'application de la notion de perte de chance,
sur le préjudice subi par la SARL Lyon 7 Fitness indemnisable au titre de la perte de chance,
Dit que ces conclusions devront être déposées, au plus tard, délai de rigueur':
- le 28 juillet 2022, pour l'appelante,
- le 22 septembre 2022, pour les intimées,
Dit que la procédure sera à nouveau clôturée le 13 octobre 2022,
Réserve les autres demandes et les dépens.
Le Greffier, Le Président,