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25/05/2022 | FRANCE | N°20/02856

France | France, Cour d'appel de Lyon, 3ème chambre a, 25 mai 2022, 20/02856


N° RG 20/02856

N° Portalis DBVX-V-B7E-M7F5









Décision du Tribunal de Commerce de SAINT-ETIENNE

Au fond

du 26 mai 2015



RG : 2013j00677







[E]



C/



LA PROCUREURE GENERALE

S.E.L.A.R.L. MJ ALPES





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE LYON



3ème chambre A



ARRÊT DU 25 Mai 2022







APPELANT :



M. [T] [E]

© le [Date naissance 2] 1959 à [Localité 8] (TUNISIE)

[Adresse 3]

[Localité 5]



Représenté par Me Gaël SOURBE de la SCP BAUFUME ET SOURBE, avocat au barreau de LYON, toque : 1547 et ayant pour avocat plaidant, Me Houda ABADA de la SELARL ABADA, avocat au barreau de SAINT-ET...

N° RG 20/02856

N° Portalis DBVX-V-B7E-M7F5

Décision du Tribunal de Commerce de SAINT-ETIENNE

Au fond

du 26 mai 2015

RG : 2013j00677

[E]

C/

LA PROCUREURE GENERALE

S.E.L.A.R.L. MJ ALPES

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE LYON

3ème chambre A

ARRÊT DU 25 Mai 2022

APPELANT :

M. [T] [E]

né le [Date naissance 2] 1959 à [Localité 8] (TUNISIE)

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représenté par Me Gaël SOURBE de la SCP BAUFUME ET SOURBE, avocat au barreau de LYON, toque : 1547 et ayant pour avocat plaidant, Me Houda ABADA de la SELARL ABADA, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE

INTIMEES :

Mme LA PROCUREURE GENERALE

[Adresse 1]

[Localité 6]

S.E.L.A.R.L. MJ ALPES intervenant en qualité de liquidateur judiciaire de la société MACONNERINE PEINTURE FACADE, venant aux droits de la société MJ LEX

[Adresse 7]

[Localité 4]

Représentée par Me Amaury DUMAS-MARZE de la SELARL LEXCASE SOCIETE D'AVOCATS, avocat au barreau de LYON, toque : 851

INTERVENANTE :

S.E.L.A.R.L. MJ ALPES ès qualité de mandataire ad'hoc de la société MACONNERIE PEINTURE FACADE

[Adresse 7]

[Localité 4]

Représentée par Me Gabriela-Catalina PINTILESCU, avocat au barreau de LYON, toque : 2790 et ayant pour avocat plaidant, Me Amaury DUMAS-MARZE de la SELARL LEXCASE SOCIETE D'AVOCATS, avocat au barreau de LYON

******

Date de clôture de l'instruction : 02 Février 2021

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 30 Mars 2022

Date de mise à disposition : 25 Mai 2022

Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

- Catherine CLERC, conseiller faisant fonction de président

- Raphaële FAIVRE, vice-présidente placée

- Marie CHATELAIN, vice-présidente placée

assistées pendant les débats de Séverine POLANO, greffier

A l'audience, Raphaële FAIVRE a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.

Arrêt Contradictoire rendu par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Catherine CLERC, conseiller faisant fonction de président, et par Jessica LICTEVOUT, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

****

EXPOSÉ DU LITIGE

La société Maçonnerie Peinture Façade (la société MPF), ayant pour activité les travaux de maçonnerie générale et le gros-'uvre de bâtiment à Saint-Chamond a été placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Saint-Étienne du 4 décembre 2013. La SELAS MJ Lex, devenue la SELARL MJ Alpes, a été désignée en qualité de liquidateur judiciaire. La société MPF était dirigée par M. [T] [E] jusqu'au 9 octobre 2013, date à laquelle [U] [C] est devenu gérant.

Estimant que d'importants détournements de fonds avaient été réalisés par M. [E] lorsqu'il était dirigeant de la société, la SELAS MJ Lex, devenue la SELARL MJ Alpes, l'a assigné devant le tribunal de commerce de Saint-Étienne par acte d'huissier de justice du 5 août 2014, en comblement d'insuffisance d'actif de la société MPF, en faillite personnelle d'une durée minimale de 10 ans et subsidiairement en interdiction de gérer d'une durée minimale de 5 ans.

Par jugement du 26 mai 2015, le tribunal de commerce de Saint-Étienne a :

débouté M. [E] de toutes ses demandes,

constaté que M. [E] a commis des fautes de gestion ayant conduit à une insuffisance d'actif de la société MPF,

condamné M. [E] à combler l'insuffisance d'actif de la société MPF à hauteur de la somme de 436.463,69 euros,

prononcé une mesure de faillite personnelle pour une durée de 15 ans à l'encontre de M. [E],

précisé que conformément aux dispositions de l'article L.653-2 du code de commerce, la faillite personnelle emporte interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise ayant toute autre activité indépendante, et toute personne morale,

condamné M. [E] à payer à la SELAS MJ Lex, ès qualités, la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

ordonné l'emploi des dépens en frais privilégiés de liquidation judiciaire,

ordonné l'exécution provisoire de la décision.

M. [E] a interjeté appel par acte du 29 mai 2015.

Par arrêt du 5 janvier 2017, la cour d'appel de Lyon a sursis à statuer sur l'action en comblement de l'insuffisance d'actif et en sanction engagée par la société MJ Lex, devenue la SELARL MJ Alpes, ès qualités de liquidateur judiciaire, contre M. [E] dans l'attente du résultat final de l'enquête pénale en cours contre ce dernier et a ordonné la radiation de l'affaire du rôle de la chambre.

L'affaire a été remise au rôle par conclusions de reprise d'instance et réinscription au rôle du 5 juin 2020, fondées sur les articles L.245-6, L.246-2, L.651-2 et suivants, L.653-1, 2, 3 et suivants et L.653-8 du code de commerce, sur l'article L.267 du livre des procédures fiscales, ainsi que sur l'article 9 du code de procédure civile, par lesquelles M. [E] demande à la cour de :

à titre liminaire,

ordonner la réinscription de l'affaire au rôle de la 3e chambre à la cour d'appel de Lyon,

procéder à cette réinscription,

à titre principal,

réformer le jugement entrepris dans son intégralité,

et statuant à nouveau,

constater qu'il n'était qu'un prête-nom au service des frères [C] véritables dirigeants de la société MPF pour la période antérieure au 9 octobre 2013,

juger qu'il ne peut être considéré comme dirigeant de fait pour la période postérieure au 9 octobre 2013 et débouter en conséquence, le liquidateur de ses demandes au titre de cette période, seule la responsabilité de droit commun pouvant être mise en 'uvre,

constater en tout état de cause, la carence probatoire du liquidateur dans l'administration de la preuve relative aux faits qui lui sont reprochés et juger que celui-ci ne peut valablement renverser la charge de la preuve,

juger mal fondée l'action en comblement de passif diligentée à son encontre par la la SELARL MJ Alpes venant aux droits de la SELAS MJ Lex ,

débouter la SELARL MJ Alpes venant aux droits de la SELAS MJ Lex de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

sur les peines complémentaires,

juger qu'aucun acte de nature à entraîner le prononcé d'une sanction personnelle à son égard n'a été commis,

débouter la SELARL MJ Alpes venant aux droits de la SELAS MJ Lex de sa demande au titre des peines complémentaires,

condamner le liquidateur ès qualités à lui verser la somme de 8.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et à supporter les entiers dépens qui comprendront ceux de la première instance, ceux d'appel distrait au profit de la SCP Beaufumé Sourbé, avocat sur leur affirmation de droit, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Par jugement du 7 octobre 2020, le tribunal de commerce de Saint-Étienne a clôturé pour insuffisance d'actif les opérations de la procédure de liquidation judiciaire de la société MPF et désigné la SELARL MJ Synergie, représentée par Me [Z], ès qualités de mandataire ad hoc (le mandataire ad hoc) avec pour mission de poursuivre les instances en cours et de répartir le cas échéant, les sommes perçues à l'issue de celles-ci.

L'affaire, appelée une première fois à l'audience de plaidoiries du 20 janvier 2022, a été renvoyée à l'audience du 30 mars 2022 pour intervention du mandataire ad hoc de la société MPF.

Par conclusions d'intervention volontaire du 15 février 2022 fondées sur les articles L. 651-1 à L. 651-4 et L. 653-1 à L. 653-11 du code de commerce, la SELARL MJ Alpes, ès qualités de mandataire ad hoc de la société Maçonnerie Peintures Façades demande à la cour de':

constater que les instances pénale et commerciale sont indépendantes,

constater que M. [E] était le dirigeant de droit de la société MPF jusqu'au 9 octobre 2013, puis son dirigeant de fait postérieurement à cette date,

constater que l'insuffisance d'actif de la société MPF est de 809.365,97 euros,

constater que M. [E] a prélevé de manière indue la somme de 132.000 euros,

constater que M. [E] a utilisé à titre personnel la carte bancaire de la société MPF à hauteur de 30.813,65 euros,

constater que M. [E] a falsifié et détourné des chèques au détriment de la société MPF pour la somme totale de 29.277,04 euros,

constater que M. [E] a perçu de manière indue la somme de 206.500 euros au titre de chèques injustifiés provenant du compte bancaire de la société MPF,

constater que M. [E] a perçu de manière indue la somme de 42.213 euros au titre de virements frauduleux,

en conséquence et à titre principal,

confirmer dans toutes ses dispositions le jugement déféré,

débouter M. [E] de toutes ses demandes,

à titre subsidiaire,

prononcer l'interdiction de gérer de l'article L. 653-8 du code de commerce à l'encontre de M. [E] pour une durée minimale de 5 ans,

en tout état de cause,

prendre acte de son intervention volontaire, ès qualités de mandataire ad hoc de la société Maçonnerie Peinture Façade,

condamner M. [E] au paiement de la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

condamner M. [E] aux entiers dépens distraits au profit de Me Dumas-Marze sur son affirmation de droit.

Le ministère public, par observations déposées au RPVA le 24 décembre 2020 contradictoirement aux parties, a :

indiqué qu'après demande faite auprès du parquet de Saint-Étienne, il lui a été indiqué que le dossier pénal était égaré, malgré des recherches effectuées tant au tribunal judiciaire qu'auprès du service enquêteur qui avait été saisi,

rappelé en tant que de besoin l'indépendance des actions pénales et commerciales,

constaté qu'il existe dans ce dossier commercial des éléments qui permettent d'établir l'existence de fautes de gestion commises par M. [E] telles que développées dans les écritures du liquidateur judiciaire,

demandé à la cour de confirmer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Saint-Étienne du 26 mai 2015 et s'en est rapporté aux moyens et arguments exposés par le liquidateur judiciaire.

MOTIFS

Sur la responsabilité de M. [E] pour insuffisance d'actif

En application de l'article L.651-2 alinéa 1er du code de commerce, lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal, peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée.(...)'»

Le succès de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif suppose donc la démonstration d'une faute de gestion imputable au dirigeant de droit ou de fait de la personne morale débitrice, d'une insuffisance d'actif et d'un lien de causalité entre cette faute de gestion et cette insuffisance d'actif.

En l'espèce, il est constant que la société MPF présente une insuffisance d'actif d'un montant de 809.365,97 euros.

Pour s'opposer à toute responsabilité au titre du passif de la société MPF dont il a été dirigeant de droit jusqu'au 9 octobre 2013, M. [E] soutient qu'il n'était en réalité qu'un prête-nom au service de [P] et [U] [C], véritables dirigeants de la société MPF pour la période antérieure au 9 octobre 2013.

Cependant, ni la procuration donnée le 3 juillet 2012 à [P] [C] afin d'effectuer toutes démarches administratives et financières concernant la société MPF, ni la procuration bancaire donnée à [U] [C] le 23 mai 2013 sur le compte bancaire de la société ouvert à la Banque Populaire Loire Lyonnais, ne suffisent à établir que ces derniers ont exécuté des actes positifs de gestion et de direction en toute indépendance, constitutifs d'une direction de fait, alors que l'appelant se borne à les accuser, sans offre de preuve, d'être à l'origine de détournements des actifs de la société MPF au profit de leurs propres sociétés.

Ces éléments, pas plus que les témoignages de M. [R] et de M. [K], salariés de la société, attestant avoir été recrutés par [P] et [U] [C] en septembre 2012 ne permettent en outre de démontrer que M. [E], qui était le gérant de droit de la société, était dépossédé de ses attributions.

Enfin, la convocation par [U] et [P] [C] le 4 septembre 2013 d'une assemblée générale en vue de la révocation de M. [E] de ses fonctions de gérant, ne caractérise pas davantage une direction de fait de leur part, mais manifeste la mise en 'uvre d'une prérogative tenant à leurs qualités d'associés majoritaires de la société MPF dont ils détenaient à cette date 75 % des actions.

Le mandataire ad hoc fait quant à lui valoir qu'entre le 9 octobre 2013 et le 4 décembre 2013, date de la liquidation judiciaire de la société MPF, M. [E] continuait à être le principal interlocuteur des clients de la société. Cependant, contrairement à ce qu'a retenu le premier juge et à ce qu'affirme l'appelante en cause d'appel, l'attestation de la société Sophivo faisant état de ce que M. [E] a continué de la contacter à compter du 4 décembre 2013 pour lui demander paiement de factures, ne permet pas de démontrer la gestion de fait alléguée au titre d'une période du 9 octobre 2013 au 4 décembre 2013, laquelle est antérieure aux faits dénoncés par ce client.

Cette attestation qui fait état de ce que la société Sophivo a effectué le 9 décembre 2013, le 16 décembre 2013 et le 21 janvier 2014, trois versements sur un compte de la Banque Postale correspondant à un RIB transmis par M. [E] et distinct de celui remis lors de la signature du contrat, ne permet pas de caractériser une gestion de fait de la part de ce dernier pour la période du 9 octobre 2013 au 4 décembre 2013 résultant de l'ouverture de nouveaux comptes, alors que les faits dénoncés sont postérieurs à la période de gestion de fait alléguée.

De même la copie d'un courrier portant virement par la société KparK à la société MPF d'un montant de 5.878,34 euros le 14 novembre 2013, sur lequel on distingue de manière très difficilement lisible une mention manuscrite ainsi libellée':'«'d'après nos informations compte Mme [E]. Détournement aussi'», qui est de ce fait, dépourvue de valeur probante, n'est donc pas de nature à caractériser une activité de gestion positive et souveraine, constitutive d'une direction de fait de la société par M. [E] entre le 9 octobre 2013 et le 4 décembre 2013.

Le mandataire ad hoc, qui ne justifie d'aucun élément relatif à l'identité de la personne à l'origine des retraits d'espèces effectués sur les comptes bancaires de la société MPF ouverts auprès de la Société Générale et de la Banque Populaire postérieurement au 9 octobre 2013, ne peut utilement soutenir qu'ils sont imputables à M. [E], qui à cette date n'était plus dirigeant de droit de la société et alors que, comme il l'expose avec raison, la preuve n'est pas rapportée de ce qu'il était encore en possession des outils de paiements de la société.

En revanche, il ressort des pièces produites que M. [E] a remis sur son compte bancaire personnel quatre chèques d'un montant respectifs de 340 euros de 1.000 euros et de 6.563 euros le 12 octobre 2013, le 24 octobre 2013 et le 12 novembre 2013 tirés sur le compte de la société MPF, de sorte que ces détournements de chèques, outre qu'ils caractérisent une faute de gestion, démontrent que M. [E] a conservé une activité autonome de gestion des créances clients de la société entre le 9 octobre 2013 et le 12 novembre 2013, postérieurement à la cessation de ses fonctions de gérant de droit, laquelle activité est constitutive d'une gérance de fait.

S'agissant des fautes de gestion, le mandataire ad hoc reproche à M. [E] de s'être livré à des détournements d'actifs de la société MPF pour un montant total de 436.463,69 euros réparti comme suit':

132.000 euros au titre de retraits d'espèces,

30.813,65 euros au titre de l'usage de la carte bancaire de la société à titre personnel,

24.937,04 euros au titre de chèques détournés,

206.500 euros au titre de chèques injustifiés,

42.213 euros au titre de virements frauduleux.

Sur les retraits d'espèces

Le mandataire ad hoc fait grief à M. [E] d'avoir procédé à des retraits d'espèces à hauteur de 12.300 euros sur le compte bancaire n°0000075892F détenu par la société MPF auprès de la banque LCL et à hauteur de 19.736,30 euros sur le compte n°81812520216 ouvert par la société MPF auprès de la banque populaire Loire et Lyonnais entre le 8 mars 2013 et le 12 septembre 2013. Elle lui reproche en outre d'avoir ouvert un nouveau compte professionnel au nom de la société MPF aux fins de déposer un chèque et de retirer le solde du compte, soit la somme de 110.000 euros. Elle limite toutefois sa demande au titre des fautes de gestion tenant aux retraits d'espèces à la somme de 132.000 euros et non de 142.036,30 euros.

La cour relève que M. [E] ne conteste ni le montant ni le caractère injustifié de ces retraits qui ne correspondent à aucun paiement de fourniture ni à aucun usage professionnel. Or, ces détournements d'éléments d'actifs de la société MPF, dont rien, hormis les allégations de l'appelant non suivies d'offre de preuve ne démontre qu'ils sont le fait de [P] et [U] [C], constituent des fautes de gestion imputables à M. [E], qui était dirigeant de droit de la société au moment de ces opérations et détenait de ce fait les moyens de paiements de celle-ci, notamment la carte bancaire, étant observé que la proximité temporelle entre le dernier retrait opéré sur le compte ouvert auprès de la banque LCL, constaté en Tunisie le 29 août 2013 et celui effectué le 30 août suivant à [Localité 9], n'est pas de nature à démontrer l'impossibilité qu'il soit à l'origine de ces deux opérations. La faute de gestion tenant à l'utilisation par M. [E] des fonds de la société MPF à des fins personnelles, alors qu'il était dirigeant de droit de celle-ci est ainsi caractérisée.

En revanche, contrairement à ce que soutient le mandataire ad hoc, aucun détournement de la somme de 100.000 euros n'est démontré, alors que le relevé de compte de la société MPF ouvert au Crédit Agricole de Haute-Loire dont elle se prévaut en pièce n°25 s'il fait état d'un crédit et d'un débit simultané de 100.000 euros le 23 et 25 mars 2013, porte également mention d'une réinscription de ladite somme au crédit du compte le 25 mars 2013.

Sur l'usage de la carte bancaire de la société à des fins personnelles

Il ressort de la proposition de rectification opérée par la Direction Générale des Finances Publiques le 30 juin 2014 après vérification de la comptabilité de la société MPF que l'administration fiscale a relevé de nombreux apports en compte courant de M. [E] au titre de dépenses non justifiées entre le 6 juin 2012 et le 31 décembre 2012 pour un montant total de 30. 813,65 euros.

M. [E], qui ne conteste pas les montants retenus, allègue encore, sans offre de preuve que ces retraits sont imputables à [P] et [U] [C]. De même, les affirmations tenant à des «'inter-facturations'» entre la société MPF et une société AMS Concept opérées par [P] et [U] [C], dont la copie de l'extrait du grand- livre provisoire de cette dernière ne permet pas de démontrer la réalité, ne sont pas davantage de nature à remettre en cause les constatations des services fiscaux opérées sur la base des éléments de comptabilité et non pas, comme le soutient à tort l'appelant, sur la base des déclarations du liquidateur judiciaire et d'[P] et [U] [C]. La faute de gestion tenant à l'utilisation par M. [E] des fonds de la société MPF à des fins personnelles, alors qu'il était dirigeant de droit de celle-ci est ainsi également caractérisée.

Sur les détournements et falsifications de chèques

Il ressort encore de la proposition de rectification opérée par la Direction Générale des Finances Publiques le 30 juin 2014 après vérification de la comptabilité de la société MPF que M. [E] a encaissé directement sur son compte personnel ouvert à la Société Générale deux chèques émis respectivement le 17 septembre 2013 par la société SC Foncière Chabrière d'un montant de 852,15 euros et le 24 septembre 2013 par la société Etablissements Pichon Fils d'un montant de 3.289 euros en contrepartie de travaux réalisés par la société MPF. Contrairement à ce que soutient M. [E], la lecture du relevé de son compte personnel à la Société Générale pour la période du 14 septembre au 16 octobre 2013 confirme l'encaissement de ces chèques, ce qui résulte également des copies des chèques et des remises de chèques correspondantes, qui sont versées aux débats.

Dans leur rapport, les services fiscaux ont également mis en évidence que plusieurs chèques émis par la société MPF en règlement de prétendus travaux effectués par ses fournisseurs et repris en comptabilité ont en réalité été encaissés sur le compte bancaire personnel de M. [E] à la Société Générale et que plusieurs chèques reçus de clients en règlement de travaux effectués par la société MPF ont été libellés à l'ordre de M. [E] et encaissés directement sur son compte bancaire qu'il détient au sein de la société MPF, pour un montant total de 21.135,89 euros, détaillé comme suit et sans que cela ne se traduise par une inscription d'associé ':

un chèque de 1.000 euros libellé à l'ordre de la société Altitude 42 et encaissé le 24 octobre 2013,

un chèque de 1.190,73 euros établi à l'ordre de M. [E] en date du 8 octobre 2013 et encaissé le 15 novembre 2013,

un chèque de 7.907,47 euros libellé à l'ordre de la société E NUMIQ du 24 septembre 2013,

un chèque de 134,69 euros libellé à l'ordre de la société SINFOBAT du 24 septembre 2013,

un chèque de 4.000 euros établi à l'ordre de M. [E] le 1er octobre 2013 et encaissé le 8 octobre 2013,

un chèque de 340 euros établi à l'ordre de M. [E] le 1er octobre 2013 et encaissé le 12 octobre 2013,

un chèque de 6.563 euros établi au nom de M. [E] le 2 mai 2013 et encaissé le 12 novembre 2013,

Contrairement à ce que soutient M. [E] ces constatations ont été opérées par les services fiscaux sur la base de documents comptables et financiers et sont corroborées par les copies de chèques et de remises de chèques versées aux débats ainsi que par le relevé de son compte bancaire personnel ouvert à la Société Générale pour la période du 14 septembre au 16 octobre 2013 sur lequel la plupart des sommes détournées figurent en crédit.

Le seul fait que les sommes de 134,69 euros et de 7.907,47 euros ne figurent pas au crédit de ce compte est inopérant, alors qu'il n'est ni allégué, ni a fortiori démontré que M. [E] est titulaire d'un seul compte bancaire. Enfin, l'appelant n'est pas davantage fondé à soutenir que les encaissements opérés pour les montants 4.000 euros, de 340 euros et de 6.563 euros correspondent à des salaires et des remboursements de frais, alors que ni le contrat de travail régularisé par ce dernier avec la société MPF le 13 juin 2012 fixant sa rémunération à la somme de 3.000 euros par mois, ni ses bulletins de salaires pour les mois de janvier, février, mars, avril et juillet 2013, qui ne correspondent pas à ces montants, ne sont de nature à accréditer ces allégations. Au regard de l'ensemble de ces éléments, le détournement d'actif réalisé par l'appelant est ainsi caractérisé.

Sur l'émission de chèques injustifiés

Le mandataire ad hoc fait également grief à M. [E] d'avoir détourné la somme de 125.000 euros correspondant à un chèque n°3453293 de 25.000 euros et à un chèque de banque de 100.000 euros débités du compte LCL de la société MPF respectivement le 19 mars 2013 pour le premier et le 23 mars 2013 pour le second sans qu'aucune justification comptable de ces émissions de chèques ne soit fournie.

M.[E] soutient que le chèque de 25.000 euros a été encaissé par une société IS2C le 19 mars 2013. Cependant, l'extrait du site «'société.com'» dont il affirme qu'il recense les dix sociétés contrôlés par [P] et [U] [C] et qu'il verse aux débats pour justifier de l'utilisation par ces derniers de cette somme, ne démontre pas la réalité du paiement allégué.

L'appelant échoue également à démontrer que le chèque de banque de 100.000 euros émis depuis le compte LCL de la société a été encaissé sur le compte de celle-ci ouvert au Crédit Agricole, alors que la seule identité des montants, ne permet pas, en l'absence notamment du numéro de ce chèque de banque, d'attester qu'il s'agit du même titre de paiement.

Le mandataire ad hoc fait également grief à M. [E] d'avoir émis le 10 septembre 2013 à son propre ordre un chèque de banque d'un montant de 30.000 euros tiré sur le compte de la société MPF ouvert à la Banque Populaire Loire et Lyonnais et d'avoir encaissé le 4 octobre 2013 sur son compte bancaire personnel ouvert à la Société Générale un chèque de banque d'un montant de 51.500 euros tiré sur la société Caixa Geral de Depositos sans que ces paiements ne trouvent de justification comptable. M. [E], qui était dirigeant de droit de la société MPF au moment de ces opérations, ne saurait s'exonérer par la seule allégation selon laquelle la preuve n'est pas rapportée que [P] et [U] [C] n'en sont pas les auteurs. De même, l'affirmation, non suivie d'offre de preuve, selon laquelle l'encaissement de la somme de 51.500 euros correspond à la vente de son véhicule personnel, n'est pas de nature à l'exonérer de sa responsabilité.

Sur les virements frauduleux

Il ressort des constatations du mandataire ad hoc, confirmées par les pièces du dossier et notamment par le relevé du compte bancaire de la société MPF ouvert à la Banque Populaire Loire et Lyonnais que plusieurs virements ont été émis à destination de l'étranger sur la période du 5 avril 2013 au 30 août 2013, pour la somme non contestée par M. [E] de 40.000 euros sans que ces transferts de fonds ne trouvent de justification comptable.

A ce titre, l'appelant soutient sans aucune offre de preuve que ces sommes correspondent à des salaires et que [P] et [U] [C] sont à l'origine de ces opérations, de sorte que, faute pour lui de justifier de ces transferts, il doit répondre de cette faute de gestion qui lui est imputable en sa qualité de gérant de droit de la société.

En revanche, le mandataire ad hoc, qui soutient que les virements frauduleux se sont élevés à la somme totale de 42.213 euros, ne fait état d'aucun mouvement de fonds correspondant à la somme de 2.213 euros.

Au surplus, la cour observe que le mandataire ad hoc fait état de détournements par M. [E] de sommes payées à la société MPF par la société KparK à hauteur de 5.878,38 euros et par la société Sophivo pour la somme de 12.213 euros, sans toutefois revendiquer ces sommes au titre de l'insuffisance d'actif, de sorte qu'il n'y a pas lieu de les retenir. En tout état de cause, la mention manuscrite portée sur l'ordre de virement par la société KparK de la somme 5.878,38 euros selon laquelle celle-ci aurait été détournée et encaissée par Mme [E] est dépourvue de valeur probante et le détournement des sommes payées par la société Sophivo le 9 décembre 2013, le 16 décembre 2013 et le 21 janvier 2014, soit postérieurement à la liquidation judiciaire prononcée le 4 décembre 2013, ne peut être imputé à l'appelant qui n'était plus, à la date de ces paiements, ni dirigeant de droit ni dirigeant de fait de la société MPF.

Il ressort de ces constatations et considérations que la responsabilité de M. [E] est engagée dès lors que l'ensemble des détournements d'actifs établis, caractérisent des fautes de gestion.

Ces fautes de gestion, imputables à M. [E], ont elles-mêmes contribué à la réalisation de l'insuffisance d'actif révélée à l'issue des opérations de liquidation judiciaire, en ce qu'elles ont participé à l'appauvrissement de la société'et l'augmentation de son passif ; pour autant, contrairement aux règles applicables en matière de droit commun de la responsabilité, ce lien de causalité n'entre pas en compte pour l'évaluation du montant de la réparation du préjudice dans le cadre d'une action en responsabilité pour insuffisance d'actif'.

Dès lors qu'il s'avère que les fautes de gestion de M. [E] ont contribué majoritairement à la réalisation de l'insuffisance d'actif, il doit être condamné à payer la somme de 334.590,69 euros ( 32.000 euros au titre des retraits d'espèces + 30. 813,65 euros au titre de l'usage de la carte bancaire + 25.277,04 euros au titre des détournements et falsifications de chèques + 206.500 euros au titre de chèques injustifiés + 40.000 euros au titre des virements frauduleux) , le jugement déféré étant infirmé en ce sens.

Sur la faillite personnelle

Dès lors qu'un seul des faits prévus aux articles L. 653-4 à L. 653-6 est établi, la faillite personnelle peut être prononcée'; lorsque plusieurs faits sont retenus, chacun d'eux doit être légalement justifié.

En l'espèce, les fautes de gestion commises par M. [E] caractérisent les faits de détournement de tout ou partie de l'actif de la société MPF, visés à l'article L 653-4 5° précité. Par ces motifs, M. [E] est passible d'une sanction de faillite personnelle prévue par la loi, justement requise par le ministère public et sollicitée par le mandataire ad hoc.

Nonobstant les nombreux griefs précédemment examinés et retenus contre M. [E] en sa qualité de dirigeant de la société MPF, il y a lieu de prendre en compte le fait que l'intéressé n'a jamais fait l'objet d'une sanction professionnelle de faillite personnelle ou d'interdiction de gérer'; la sanction de faillite personnelle devant être proportionnée au regard de la gravité des fautes et de la situation personnelle de M. [E], il y a lieu d'infirmer le jugement déféré en fixant à 8 ans la durée de cette sanction.

Enfin, il y a lieu de rappeler à l'instar du premier juge conformément aux dispositions de l'article L.653-2 du code de commerce, que la faillite personnelle emporte interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise ayant toute autre activité indépendante, et toute personne morale.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

Les dépens de première instance ne constituant pas des frais privilégiés de la procédure collective doivent être à la charge de M. [E], qui succombant dans son recours, supporte aussi les dépens d'appel'; il doit conserver la charge de ses frais irrépétibles exposés dans toute l'instance et être condamné à verser au mandataire ad hoc une indemnité de procédure pour la cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement et par arrêt contradictoire,

Donnant acte de son intervention volontaire à la SELARL MJ Alpes, ès qualités de mandataire ad hoc de la société Maçonnerie Peintures Façades

Infirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a condamné M. [E] à payer à la SELAS MJ Lex, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société MPF, la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et ajoutant,

Condamne M. [E] à payer la somme de 334.590,69 euros au titre de l'insuffisance d'actif de la société Maçonnerie Peintures Façades,

Prononce une mesure de faillite personnelle pour une durée de 8 ans à l'encontre de M. [E], né le [Date naissance 2] 1959 à [Localité 8] (Tunisie),

Rappelle que conformément aux dispositions de l'article L.653-2 du code de commerce, la faillite personnelle emporte interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise ayant toute autre activité indépendante, et toute personne morale,

Condamne M. [E] à verser à la SELARL MJ Alpes ès qualités de mandataire ad hoc de la société Maçonnerie Peintures Façades une indemnité de procédure de 4.000 euros à hauteur d'appel,

Déboute M. [E] de sa réclamation de frais irrépétibles en appel,

Condamne M. [E] aux dépens de première instance et d'appel, avec droit de recouvrement.

Le Greffier,Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : 3ème chambre a
Numéro d'arrêt : 20/02856
Date de la décision : 25/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-25;20.02856 ?
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