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25/05/2022 | FRANCE | N°18/07962

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale a, 25 mai 2022, 18/07962


AFFAIRE PRUD'HOMALE



RAPPORTEUR



N° RG 18/07962 - N° Portalis DBVX-V-B7C-MA6V



[V]

C/

Association [Adresse 6]



APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON

du 19 Octobre 2018

RG : 17/02769



COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE A



ARRÊT DU 25 MAI 2022







APPELANT :



[B] [V]

né le 14 Septembre 1986 à [Localité 8]

[Adresse 4]

[Localité 1]



représ

enté par Me Elsa MAGNIN de la SELARL CABINET ADS - SOULA MICHAL- MAGNIN, avocat au barreau de LYON substituée par Me Sofia SOULA-MICHAL, avocat au barreau de LYON







INTIMÉE :



Association [5]

[Adresse 2]

[Localité 3]



représe...

AFFAIRE PRUD'HOMALE

RAPPORTEUR

N° RG 18/07962 - N° Portalis DBVX-V-B7C-MA6V

[V]

C/

Association [Adresse 6]

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON

du 19 Octobre 2018

RG : 17/02769

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE A

ARRÊT DU 25 MAI 2022

APPELANT :

[B] [V]

né le 14 Septembre 1986 à [Localité 8]

[Adresse 4]

[Localité 1]

représenté par Me Elsa MAGNIN de la SELARL CABINET ADS - SOULA MICHAL- MAGNIN, avocat au barreau de LYON substituée par Me Sofia SOULA-MICHAL, avocat au barreau de LYON

INTIMÉE :

Association [5]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Romain LAFFLY de la SELARL LAFFLY & ASSOCIES - LEXAVOUE LYON, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant Me Frédéric RENAUD de la SELARL RENAUD AVOCATS, avocat au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 22 Février 2022

Présidée par Joëlle DOAT, Présidente magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Morgane GARCES, Greffière.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

- Joëlle DOAT, présidente

- Nathalie ROCCI, conseiller

- Antoine MOLINAR-MIN, conseiller

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 25 Mai 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Joëlle DOAT, Présidente et par Morgane GARCES, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

********************

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Monsieur [B] [V] a été embauché le 1er septembre 2012 par l'association [5], suivant contrat d'apprentissage.

Un contrat de travail à durée indéterminée a été signé entre les parties le 7 juillet 2015 et M. [V] a été affecté à la fonction d'éducateur spécialisé.

La convention collective applicable est celle des établissements et services pour les personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966.

Par lettre en date du 9 septembre 2016, l'association [5] a notifié à M. [V] une mise à pied disciplinaire de deux jours.

Par lettre en date du 3 février 2017, le salarié a été convoqué à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement, fixé au 10 février 2017.

M. [V] a été licencié pour faute grave, le 14 février 2017.

Par requête en date du 19 septembre 2017, Monsieur [V] a saisi le conseil de prud'hommes de LYON en lui demandant de condamner l'association [5] à lui verser diverses sommes à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral, pour violation des dispositions conventionnelles relatives au repos hebdomadaire et pour violation des dispositions de l'article 20.8 de la convention collective de 1966, d'annuler la mise à pied disciplinaire du 9 septembre 2016 et de condamner l'association [5] à lui verser un rappel de salaire sur mise à pied disciplinaire et congés payés afférents, de condamner l'association [5] à lui verser un rappel d'heures supplémentaires, ainsi qu'à lui payer diverses sommes à titre d'indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents, d'indemnité conventionnelle de licenciement, et de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le syndicat SUD SANTÉ SOCIAUX DE LA LOIRE est intervenu volontairement à l'instance et a sollicité l'allocation de dommages et intérêts au motif que le non-respect des dispositions conventionnelles causait un préjudice à l'ensemble de la profession qu'il avait pour mission de défendre.

Par jugement en date du 19 octobre 2018, le conseil de prud'hommes a :

- dit que le licenciement de Monsieur [B] [V] doit être requalifié en licenciement pour cause réelle et sérieuse

- condamné l'association [5] à verser à Monsieur [B] [V] les sommes suivantes :

1 563 euros à titre de rappel de salaire pour des heures supplémentaires

156,30 euros à titre de l'indemnité compensatrice de congés payés afférents

4 018,30 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis

401,83 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés afférents

4 419,80 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement

- rappelé qu'aux termes des dispositions de l'article R.1454-28 du Code du Travail, sont exécutoires de droit à titre provisoire, les jugements ordonnant la délivrance de toutes pièces que l'employeur est tenu de remettre (bulletins de paie, certificat de travail...) Ainsi que les jugements ordonnant le paiement des sommes au titre des rémunérations et indemnités visées à l'article R.1454-14 du code du travail dans la limite de neuf mensualités, étant précisé que la moyenne brute des salaires des trois derniers mois doit être fixée à la somme de 2 009 euros

- dit que ces condamnations sont exécutoires de droit à titre provisoire

- condamné l'association [5] à verser à Monsieur [B] [V] la somme de 750 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l'article 20.8 de la convention collective de 1966

- condamné l'association [5] à verser à Monsieur [B] [V] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté Monsieur [B] [V] de ses autres et plus amples demandes ;

- condamné l'association [5] à verser au Syndicat SUD SANTÉ SOCIAUX DE LA LOIRE la somme de 100 euros à titre de dommages et intérêts pour atteinte aux intérêts collectifs de la profession ;

- condamné l'association [5] à verser au Syndicat SUD SANTÉ SOCIAUX DE LA LOIRE la somme de 100 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté le Syndicat SUD SANTÉ SOCIAUX DE LA LOIRE de ses autres et plus amples demandes ;

- débouté l'association [5] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et du surplus de ses demandes ;

- condamné l'association [5] aux entiers dépens de l'instance tels que prévu par l'article 695 du code de procédure civile.

Monsieur [V] a interjeté appel du jugement, le 16 novembre 2018.

Monsieur [V] demande à la cour :

- de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné l'[5], devenue [7], à lui verser à les sommes suivantes :

750 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l'article 20.8 de la Convention Collective de 1966,

1 563 euros à titre de rappel de salaire pour les heures supplémentaires,

756,30 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés afférents,

1 500 euros au titre de l'article 700.

- de confirmer le jugement en ce qu'il a jugé que son licenciement ne reposait pas sur une faute grave et en ce qu'il a condamné l'association à lui verser les sommes suivantes :

4 018,30 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

401,83 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés afférents,

4 419,80 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement.

- de réformer le jugement pour le surplus,

statuant à nouveau,

- de condamner l'association [7] (anciennement [5]) à lui verser la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral et violation de l'obligation de sécurité,

- de condamner l'association [7] (anciennement [5]) à lui verser la somme de 4 000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation des dispositions conventionnelles relatives aux repos hebdomadaires,

- d'annuler la mise à pied disciplinaire du 9 septembre 2016,

- de condamner en conséquence l'association [7] (anciennement [5]) à lui verser la somme de 172,38 euros outre 17,23 euros de congés payés afférents à titre de rappel de salaire sur mise à pied disciplinaire,

- de dire que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse,

- de condamner en conséquence l'association [7] (anciennement [5]) à lui verser la somme de 36 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- de condamner l'association [7] (anciennement [5]) à lui verser la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

- de condamner l'association [7] (anciennement [5]) aux dépens et aux éventuels frais d'exécution forcée de la décision à intervenir.

L'association [5] demande à la Cour :

- d'infirmer le jugement en ce qu'il :

a dit que le licenciement de Monsieur [V] doit être requalifié en licenciement pour cause réelle et sérieuse ;

l'a condamnée à verser à Monsieur [B] [V] les sommes suivantes :

1 563 euros à titre de rappel de salaire pour des heures supplémentaires,

156,30 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés afférents,

4 018,30 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

401,83 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés afférents,

4 419,80 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement ;

l'a condamnée à verser à Monsieur [V] la somme de 750 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l'article 20.8 de la convention collective de 1966

Et, statuant à nouveau,

- de dire que le licenciement pour faute grave de Monsieur [V] était justifié

- de débouter Monsieur [V] de l'intégralité de ses demandes indemnitaires

- de confirmer le jugement pour le surplus

- de débouter Monsieur [V] de l'intégralité de ses demandes

à titre subsidiaire,

- de confirmer le jugement en ce qu'il a considéré que le licenciement était fondé sur une cause réelle et sérieuse

à titre plus subsidiaire,

- de limiter le montant des dommages et intérêts qui seraient alloués à M. [V] à 6 mois de salaire

- de condamner M. [V] au paiement de la somme de 2 500 euros conformément aux dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de l'instance distraits au profit de Maître LAFFLY, avocat, sur son affirmation de droit.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 13 janvier 2022.

SUR CE :

Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L1152-1du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L1154-1 dispose que lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L1152-1 à L1152-3 et L1153-1 à L1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

En vertu de ce dernier texte, il pèse sur le salarié l'obligation de rapporter la preuve d'éléments précis et concordants ; ce n'est qu'à cette condition que le prétendu auteur du harcèlement doit s'expliquer sur les faits qui lui sont reprochés.

M. [V] soutient à l'appui de sa demande qu'il a été victime de pressions injustifiées se manifestant par :

- des reproches incessants

- des sanctions injustifiées

- des accusations graves,

le tout ayant gravement altéré sa santé et entraîné des arrêts maladie pour souffrance au travail.

Il invoque également un comportement inadmissible de la part de son employeur pendant l'entretien préalable à son licenciement.

La lettre envoyée le 25 juillet 2016 à la direction par les syndicats Sud et CGT dénonçant les attitudes agressives, méprisantes et répétées du directeur du pôle Loire, la lettre du syndicat Sud au conseil d'administration de l'association faisant état de menaces et de propos irrespectueux et agressifs de la hiérarchie à l'égard de certains salariés du pôle Loire ainsi que la lettre du médecin du travail en date du 27 juillet 2016 signalant à l'employeur l'altération de l'état de santé de six salariés et la gravité de cette situation dûe selon ces derniers à une souffrance au travail, enfin le compte-rendu de la réunion du CHSCT du 23 septembre 2016 confirmant l'existence de conditions de travail dégradées, de pressions répétées tant au niveau psychologique que social et un mode de direction uniquement autoritaire et directif entraînant de nombreux arrêts de travail pour maladie, se rapportent à une attitude générale reprochée à la direction vis à vis de plusieurs salariés et au constat d'une dégradation de l'état de santé de ceux-ci. Ces documents ne permettent pas d'établir la matérialité de faits précis commis à l'encontre de M. [V].

M. [T], éducateur spécialisé, atteste que la première réunion avec le nouveau directeur à l'automne 2015 s'est mal passée, que M. [V] et lui-même ont semblé agacer celui-ci , que l'équipe entière a vécu un recadrage en entretien individuel à la suite d'un incident avec une jeune collègue remplaçante, que, M. [V] et lui-même étant perçus comme les leaders de l'équipe, ils ont commencé à percevoir de la pression, des critiques incessantes sur leurs accompagnements et que de manière insidieuse et souvent informelle, le directeur et la nouvelle chef de service ont commencé à les harceler.

M. [N] atteste que M. [V] a fait l'objet d'un harcèlement moral de la part de ses supérieurs hiérarchiques, qu'à de nombreuses reprises, il lui a été dit en réunion d'équipe, 'comme à nous tous, qu'il était mauvais éducateur, que les enfants étaient malheureux avec eux, qu'ils avaient intérêt à se mettre au travail', le tout sur un ton hautain et véhément à la fois par le directeur et la directrice adjointe.

Mme [I], agent de service intérieur (maîtresse de maison) atteste que lors des réunions d'équipe, les éducateurs étaient souvent attaqués par les membres de la nouvelle direction, et notamment M. [V], et que la direction reprenait sans cesse les éducateurs sur leur travail.

M. [N], Mme [I], M. [F], moniteur-éducateur, citent dans leurs attestations la dernière réunion d'équipe du 30 juin 2016, au cours de laquelle 'ils ont tous eu l'impression d'avoir été menacés par leur direction', 'dont ils sont sortis offusqués de ce qui leur avait été dit', 'les directeurs sont venus seulement pour les menacer de licenciement'.

Mme [A], maîtresse de maison, déléguée du personnel, atteste que M. [V] s'est plaint auprès d'elle de harcèlement de la direction et a été menacé de licenciement lors de la réunion du 30 juin 2016.

M. [U], surveillant de nuit et Mme [O], surveillante de nuit, attestent, le premier avoir constaté depuis plus d'un an l'état de désarroi de M. [V] pour de nombreux reproches qu'il subissait de la part de la direction, la remise en cause systématique de son travail dans les réunions d'équipe et les cahiers de liaison, 'd'où un constat de harcèlement constant', la seconde avoir constaté une dégradation de l'état de santé général de M. [V], la dégradation des conditions de travail, la maltraitance et les délais de prévenance non respectés.

Les témoignages viennent ainsi établir l'existence de désaccords entre la direction et l'équipe éducative sur les méthodes de travail donnant lieu à des critiques générales dirigées contre l'équipe éducative tout entière, voire d'un conflit important, et d'une réunion qui s'est mal passée entre la direction et les éducateurs le 30 juin 2016, au cours de laquelle ces derniers ont collectivement été menacés de licenciement.

Toutefois, aucun fait précis et circonstancié n'est décrit dans les attestations qui sont trop vagues pour déterminer la matérialité de pressions, reproches incessants et accusations graves dont M. [V] aurait été personnellement victime de la part de son employeur.

La dégradation de l'état de santé de M. [V] relatée par ses collègues n'est corroborée par aucune pièce médicale contemporaine de l'exécution du contrat de travail, l'ordonnance médicale du 3 février 2017 de prescription de somnifères et le certificat médical daté du 3 mars 2017 indiquant que le patient présente un état anxio-dépressif réactionnel à son licenciement étant postérieurs à l'engagement de la mesure de licenciement.

M. [V] justifie avoir été destinataire d'une convocation à entretien préalable en vue d'une sanction disciplinaire datée du 22 juin 2016 pour des faits survenus et constatés le dimanche 1er mai au sein de l'établissement, à laquelle il n'a manifestement pas été donné suite.

Puis, le salarié a reçu par lettre du 9 septembre 2016 la notification d'une mise à pied disciplinaire de deux jours après avoir été entendu lors d'un entretien préalable à sanction disciplinaire tenu le 6 septembre 2016, au cours duquel il était assisté par une déléguée du personnel.

L'association reproche à M. [V], 'suite à une information du magistrat pour enfant du 28 juillet 2016", d'avoir, dans la première quinzaine de juin, signé une autorisation de modification des horaires scolaires en fin d'année au nom de la mère d'une mineure, et d'avoir ainsi usurpé la signature au nom et place du détenteur de l'autorité parentale, après que Mme [K], chef de service, eut refusé de valider le document par le tampon de l'établissement.

M. [V] a contesté ces faits par lettre du 4 octobre 2016, affirmant ignorer de quel document il s'agissait et n'avoir jamais demandé à sa supérieure hiérarchique de validation par le tampon de l'établissement.

L'association ne produit à ce sujet aucun élément de preuve et se contente d'affirmer dans ses conclusions que M. [V] a bien commis ces faits et n'a dès lors pas respecté les règles élémentaires afférentes à l'autorité parentale.

Le bien-fondé de cette sanction n'étant pas démontré, il convient d'en prononcer l'annulation et de condamner l'association à rembourser à M. [V] la somme de 172,38 euros correspondant au salaire retenu pendant les deux jours de mise à pied, outre l'indemnité de congés payés afférents de 17,23 euros.

M. [V] affirme qu'il a été à nouveau convoqué le 23 novembre 2016 pour un entretien avec sa hiérarchie sans qu'il ait été mentionné que l'entretien était disciplinaire et qu'il pouvait être assisté d'une tierce personne, et qu'il a à nouveau été victime de graves pressions par sa hiérarchie.

Il produit une lettre que lui a envoyée le directeur du Pôle Loire le 23 novembre 2016 : 'je vous informe d'une rencontre au siège social de l'association en présence du directeur général, le 29 novembre 2016".

Or, par lettre du 12 octobre 2016, le délégué du personnel, M. [J], avait alerté le directeur général sur le fait que M. [V] s'était plaint auprès de lui de ses mauvaise conditions de travail, et semblait être victime de propos malveillants, directives contradictoires et mise à l'écart.

Il n'est donc pas établi que l'entretien litigieux auquel a été convoqué ensuite le salarié avait un caractère disciplinaire, ni que M. [V] a subi des pressions à cette occasion.

En ce qui concerne l'entretien préalable au licenciement, M. [V] produit l'attestation de Mme [H] qui l'a assisté, rédigée en ces termes : 'je tenais à signaler le caractère violent, méprisant et humiliant de cet entretien', sans plus de précision.

Les faits matériellement établis par M. [V] sont ainsi la convocation à un entretien disciplinaire qui n'a finalement pas eu lieu et, deux mois plus tard, la notification d'une sanction disciplinaire injustifiée.

Ces faits, même pris dans leur ensemble, ne laissent pas présumer un harcèlement moral pendant l'exécution de la relation de travail, au sens de l'article L1152-1 du code du travail.

M. [V] allègue en outre le manquement de l'employeur à son obligation de prévenir la survenance d'un harcèlement moral et de prendre les mesures propres à faire cesser le harcèlement dénoncé au niveau de l'ensemble de la structure, faisant valoir que la direction a mis plus d'un an pour réagir, ce qui a d'ailleurs rendu son action inutile, puisqu'à cette date l'ensemble des salariés concernés par les actes de harcèlement moral, dont lui-même, étaient licenciés depuis plusieurs mois.

A ce sujet, l'employeur justifie de ce que le nouveau directeur général de l'association, qui n'avait pris ses fonctions que le 1er septembre 2016, a proposé aux délégués syndicaux une rencontre le 12 septembre 2016, que la situation de l'association a été évoquée au cours d'une réunion du CHSCT du 23 septembre 2016, le directeur indiquant qu'il allait faire une démarche auprès d'un organisme pour étudier les conditions de travail, que l'équipe éducative a été convoquée à une séance de travail le 2 novembre 2016 au siège de l'association, que le directeur a répondu à la lettre des délégués syndicaux qui l'interrogeaient sur l'objet de ladite réunion, en précisant qu'il souhaitait mettre en place des méthodes et outils conformes et qu'il fallait procéder à un plan d'action correctif et une démarche d'amélioration de la qualité, face à des difficultés de fonctionnement importantes signalées par les autorités de contrôle.

L'employeur justifie également de démarches engagées auprès du médecin du travail aux fins de réaliser une enquête sur les risques psycho-sociaux, de sa décision d'organiser une réunion extraordinaire des membres du comité d'entreprise et des membres du CHSCT le 6 décembre, en ce qui concerne les conditions de travail et les dysfonctionnements constatés affectant la prise en charge des enfants de la Bruyère, et de la programmation d'une réunion en janvier en vue de préparer l'enquête sur les risques psycho-sociaux.

Il produit une lettre envoyée par ses soins au médecin du travail, le 12 février 2017, dans laquelle il évoque la mesure d'injonction prise par la direction territoriale de la protection judiciaire de la jeunesse et le risque d'une fermeture administrative si les modalités de prise en charge ne sont pas entièrement revues et une lettre du secrétaire du CHSCT en date du 13 juillet 2017 montrant qu'un cabinet d'expertise a été chargé en février 2017 d'une mission d'enquête et qu'un projet de convention a été établi en juin 2017, puis signé.

L'association démontre ainsi qu'elle a respecté son obligation relative à la prévention des risques professionnels et du harcèlement moral.

La demande de dommages et intérêts fondée sur le harcèlement moral doit être rejetée et le jugement confirmé sur ce point.

Sur la demande fondée sur la violation de l'article 21 de la convention collective

M. [V] invoque les dispositions de l'article 21 de la convention collective nationale des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966 en vertu desquelles pour les personnels éducatifs ou soignants prenant en charge les usagers et subissant les anomalies du rythme de travail définies à l'article 20.8, la durée du repos hebdomadaire est portée à deux jours et demi.

Le conseil de prud'hommes a relevé que les plannings de travail de M. [V] faisaient bien apparaître deux jours de congés identifiés et que chaque semaine, en outre, M. [V] avait au moins une demi-journée non travaillée, de sorte qu'il avait bien bénéficié de 2,5 jours de repos hebdomadaire.

M. [V] soutient qu'il n'a bénéficié que de deux jours de repos hebdomadaire et fait observer que l'employeur avait reconnu dans ses écritures la violation constatée.

Il affirme qu'il a subi un préjudice en termes de fatigue mais également dans la mesure où il a été privé de temps passé en famille et à consacrer à sa vie personnelle, que son préjudice est également financier puisqu'il a travaillé plus que ce qu'il n'aurait dû, sans aucune contrepartie financière.

L'association qui n'a pas développé de moyens en réponse devant la cour, sauf en ce qui concerne l'évaluation du préjudice, est réputée s'être appropriée les motifs des premiers juges.

M. [V] produit ses emplois du temps mensuels pour la période du 2 octobre 2016 au 18 février 2017 faisant apparaître deux jours de repos par semaine et non pas deux jours et demi.

Le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles.

Au regard de l'atteinte portée par l'employeur à ce droit et de la période considérée (cinq mois, période incluant des congés), il y a lieu de condamner l'employeur à payer à M. [V] la somme de 750 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice.

Sur la demande en paiement d'heures supplémentaires

L'association qui demande l'infirmation du chef du jugement l'ayant condamnée à payer un rappel d' heures supplémentaires, mais ne sollicite pas le débouté de la demande présentée à ce titre par M. [V], ne présente en tout état de cause aucun moyen à l'appui de son appel incident.

M. [V] sollicite la confirmation de ce chef du jugement.

Il convient en conséquence de confirmer la condamnation.

Sur la demande fondée sur la violation de l'article 20.8 de la convention collective

L'association qui demande l'infirmation du chef du jugement l'ayant condamnée à payer la somme de 750 euros en réparation du préjudice résultant de ce que les plannings des mois de janvier et février 2017 ont été modifiés sans que soit respecté le délai de prévenance de sept jours calendaires, mais ne sollicite pas le débouté de la demande présentée à ce titre par M. [V], ne présente en tout état de cause aucun moyen à l'appui de son appel incident, sauf en ce qui concerne l'évaluation du préjudice.

M. [V] demande la confirmation de ce chef du jugement.

Il convient en conséquence de confirmer la condamnation prononcée par le conseil de prud'hommes qui a exactement évalué le préjudice subi par M. [V] en raison du manquement commis par l'employeur.

Sur le licenciement

En application de l'article L. 1232-1 du code du travail, tout licenciement individuel doit reposer sur une cause réelle et sérieuse.

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée du préavis.

L'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.

Aux termes de la lettre de licenciement du 14 février 2017, l'association reproche à M. [V] :

- d'avoir signé le 11 janvier 2017 un document scolaire pour un jeune placé par l'ASE de [Localité 8] à la place du détenteur de l'autorité parentale, ce qui est relaté dans une fiche incident du 12 janvier 2017

- le fait que pendant trois jours, du 23 au 25 janvier 2017, une pensionnaire de l'établissement, [S] (âgée de 9 ans), n'a pas été douchée, incident consigné le 25 janvier 2017 dans une fiche d'incident et dans le cahier de relais à destination des éducateurs par Mme [K], chef de service, alors que le planning des horaires démontrait qu'il était présent le lundi 23 janvier de 6 heures à 9 heures 30, le mardi 24 janvier de 9 heures à 11 heures 30 et de 16 heures à 22 heures et le mercredi 25 janvier de 11 heures à 22 heures et qu'il aurait pu accompagner cette enfant à la toilette

- le fait d'avoir repris une de ses collègues de travail devant les jeunes 'sur les erreurs de syntaxe qu'elle commet dans ses propos' et ce, à plusieurs reprises 'or, je vous rappelle (...)qu'une telle attitude entrave le travail collectif ( de prise en charge de jeunes enfants) et entraîne des tensions entre les jeunes et vos collègues de travail (...)'.

premier grief

Une fiche signalétique 'événements indésirables' a été dressée le 12 janvier 2017 par Mme [K], chef de service, avec pour objet : 'signature d'un document scolaire à la place du détenteur de l'autorité parentale.'

Le document envoyé le 11 janvier 2016 à la travailleuse sociale en charge du jeune, contenant le coupon réponse ('réponse obligatoire pour jeudi 5 janvier') ainsi renseigné : participera à la sortie organisée par l'établissement scolaire le 18 janvier 2016 : OUI, est revêtu de la signature de M. [V] précédée de la mention 'vu l'éducateur'.

M. [V] a écrit le même jour à la travailleuse sociale qu'il avait agi de cette manière afin d'éviter au jeune une sanction pour n'avoir pas transmis le document dans le délai et il a noté sur le cahier de correspondance du jeune qu'il avait apposé son visa sur le document en attendant le retour du même document signé par le détenteur de l'autorité parentale.

Le fait reproché à M. [V] n'est dès lors pas constitutif d'une faute professionnelle.

second grief

L'association produit la fiche signalétique d'incident dressée le 25 janvier 2017 par Mme [K], chef de service, intitulée 'négligence dans la prise en charge' et la note sur la journée qui y est annexée.

Mme [K] écrit notamment que le mercredi 25 janvier, entre 7 heures 30 et 9 heures, elle a trouvé [S] seule et soucieuse dans sa chambre, que l'enfant lui a alors expliqué qu'elle n'avait pas pris sa douche la veille au soir, car elle ne savait pas le faire seule, et lui a précisé qu'elle n'avait pas pris sa douche depuis le lundi (soit l'avant-veille, 23 janvier).

Mme [K] ajoute qu'elle s'est rendu compte que l'enfant avait lavé seule son linge qu'elle avait mis à sécher sur le radiateur de la salle de bains.

Trois éducateurs dont M. [V] sont concernés par la note d'incident.

M. [V] fait valoir que la direction n'avait fixé aucune procédure en ce qui concerne la prise des douches, qu'il n'avait jamais été demandé aux salariés de pénétrer dans les douches avec les enfants et que les éducateurs n'avaient pas été informés que [S], qui venait d'intégrer la résidence avec ses trois soeurs n'était pas en mesure se doucher seule.

Il ressort de l'attestation rédigée par Mme [W] ('AMP')que l'accueil de [S] et ses soeurs a été fait par Mme [K] (chef de service) et qu'au début, aucun élément sur la santé des soeurs ne leur a été communiqué, que n'est qu'à partir du 31 janvier que Mme [K] leur a annoncé que l'enfant avait des problèmes sphinctériens et que tous les jours, les éducateurs en poste dont M. [V] ont envoyé [S] à la douche le soir avant de manger.

Au regard de ces éléments, la note d'incident, seul document produit aux débats, est insuffisante à établir la réalité d'une faute commise par M. [V].

troisième grief

L'énoncé du grief en lui-même révèle qu'il ne présente aucun caractère sérieux, ce que confirme l'attestation de M. [P], éducateur, selon laquelle, lors d'un repas avec les éducateurs, le 8 décembre (l'année n'est pas précisée), M. [V] a repris les paroles de Mme [W] concernant les erreurs de syntaxe dans ses propos lors d'une prise de parole de cette dernière, et cela s'est reproduit une seconde fois pendant notre temps de travail quelques jours plus tard.

En conséquence, l'association ne rapporte pas la preuve qui lui incombe de l'existence des fautes qu'elle impute à M. [V], si bien que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse, contrairement à ce qu'a jugé le conseil de prud'hommes.

Il convient de confirmer le jugement en ses dispositions relatives aux indemnités de rupture dont les montants ne sont remis en cause par aucune des parties.

M. [V] justifie avoir été indemnisé par Pôle Emploi du 3 avril au 28 juin 2017 et avoir signé un contrat de travail à durée déterminée pour la période du 5 avril 2018 au 4 décembre 2018 en qualité d'assistant socio-éducatif.

Il a produit le certificat médical du 3 mars 2017 attestant de son état anxio-dépressif réactionnel à son licenciement.

Sur le fondement des dispositions de l'article L1235-3 ancien du code du travail, au vu de ces éléments, des circonstances du licenciement, de l'âge de M. [V] (30 ans), de son ancienneté dans l'association (quatre ans et cinq mois), de son salaire mensuel moyen de 2 009 euros, le préjudice causé à celui-ci par la perte injustifiée de son emploi doit être réparé par l'allocation de la somme de 17 500 euros.

Il convient de condamner l'association à lui payer ladite somme, à titre de dommages et intérêts.

En application de l'article L 1235-4 ancien du code du travail, il convient de condamner d'office l'association à rembourser à POLE EMPLOI les allocations de chômage qui ont été versées au salarié, dans la limite de trois mois d'indemnités.

L'association [5], partie perdante, doit être condamnée aux dépens d'appel et à payer à M.[V] la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, le jugement étant confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et à l'indemnité de procédure.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement :

CONFIRME le jugement, sauf en ce qu'il a débouté M. [V] de ses demandes d'annulation de la mise à pied disciplinaire et de restitution consécutive du salaire, de sa demande de dommages et intérêts fondée sur le non-respect de l'article 21 de la convention collective et de sa demande de dommages et intérêts au titre du licenciement injustifié

L'INFIRME sur ces points,

STATUANT à nouveau,

ANNULE la mise à pied disciplinaire notifiée le 9 septembre 2016

CONDAMNE l'association [5] à payer à M. [V] les sommes suivantes :

- 172,38 euros au titre du remboursement du salaire retenu pendant la mise à pied et 17,23 euros à titre d'indemnité de congés payés afférents

- 750 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par l'atteinte à son droit au repos

- 17 500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par son licenciement injustifié

CONDAMNE l'association [5] à rembourser à POLE EMPLOI les allocations de chômage qui ont été versées au saalrié dans la limite de trois mois d'indemnités

CONDAMNE l'association [5] aux dépens d'appel

CONDAMNE l'association [5] à payer à M. [V] la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale a
Numéro d'arrêt : 18/07962
Date de la décision : 25/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-25;18.07962 ?
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