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25/05/2022 | FRANCE | N°18/07961

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale a, 25 mai 2022, 18/07961


AFFAIRE PRUD'HOMALE



RAPPORTEUR



N° RG 18/07961 - N° Portalis DBVX-V-B7C-MA6T



[P]

C/

Association ADAEAR LA BRUYERE



APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON

du 19 Octobre 2018

RG : 17/02768



COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE A



ARRÊT DU 25 MAI 2022







APPELANTE :



[M] [P]

née le 26 Mars 1989 à [Localité 5]

[Adresse 3]

[Localité 4]



repr

ésentée par Me Elsa MAGNIN de la SELARL CABINET ADS - SOULA MICHAL- MAGNIN, avocat au barreau de LYON substituée par Me Sofia SOULA-MICHAL, avocat au barreau de LYON







INTIMÉE :



Association ADAEAR

[Adresse 1]

[Localité 2]


...

AFFAIRE PRUD'HOMALE

RAPPORTEUR

N° RG 18/07961 - N° Portalis DBVX-V-B7C-MA6T

[P]

C/

Association ADAEAR LA BRUYERE

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON

du 19 Octobre 2018

RG : 17/02768

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE A

ARRÊT DU 25 MAI 2022

APPELANTE :

[M] [P]

née le 26 Mars 1989 à [Localité 5]

[Adresse 3]

[Localité 4]

représentée par Me Elsa MAGNIN de la SELARL CABINET ADS - SOULA MICHAL- MAGNIN, avocat au barreau de LYON substituée par Me Sofia SOULA-MICHAL, avocat au barreau de LYON

INTIMÉE :

Association ADAEAR

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Romain LAFFLY de la SELARL LAFFLY & ASSOCIES - LEXAVOUE LYON, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant Me Frédéric RENAUD de la SELARL RENAUD AVOCATS, avocat au barreau de LYON,

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 22 Février 2022

Présidée par Joëlle DOAT, Présidente magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Morgane GARCES, Greffière.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

- Joëlle DOAT, présidente

- Nathalie ROCCI, conseiller

- Antoine MOLINAR-MIN, conseiller

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 25 Mai 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Joëlle DOAT, Présidente et par Morgane GARCES, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

********************

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Madame [M] [P] a été embauchée le 24 juillet 2012 par l'association ADAEAR, en qualité de moniteur éducateur, au sein de l'établissement La Bruyère, suivant contrat de travail à durée indéterminée.

La convention collective applicable est celle des établissements et services pour les personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966.

Par lettre en date du 30 septembre 2016, l'association ADAEAR a notifié à Madame [P] une mise à pied disciplinaire de deux jours.

Par lettre en date du 3 février 2017, la salariée a été convoquée à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement, fixé au 10 février 2017.

Madame [P] a été licenciée pour faute grave le 14 février 2017.

Par requête en date du 19 septembre 2017, elle a saisi le conseil de prud'hommes de LYON en lui demandant de condamner l'association ADAEAR à lui verser diverses sommes à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral, pour violation des dispositions conventionnelles relatives au repos hebdomadaire et pour violation des dispositions de la convention collective.

Elle a également demandé au conseil de prud'hommes d'annuler la mise à pied disciplinaire du 30 septembre 2016 et de dire que son licenciement était sans cause réelle et sérieuse, en conséquence, de condamner l'association ADAEAR à lui verser des sommes à titre de rappel de salaire sur mise à pied disciplinaire, indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents, indemnité conventionnelle de licenciement et dommages et intérêts.

Le syndicat SUD SANTÉ SOCIAUX DE LA LOIRE est intervenu volontairement à l'instance et a sollicité l'allocation de dommages et intérêts au motif que le non-respect des dispositions conventionnelles causait un préjudice à l'ensemble de la profession qu'il avait pour mission de défendre.

Par jugement en date du 19 octobre 2018, le conseil de prud'hommes a :

- dit que le licenciement de Madame [M] [P] repose sur une cause réelle et sérieuse,

- dit que l'association ADAEAR n'a pas respecté les stipulations de l'article 20.8 de la convention collective applicable,

- condamné l'association ADAEAR à payer à Madame [M] [P] les sommes suivantes:

3 438 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

343,80 euros à titre des congés payés afférents,

3 936,51 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement ;

- rappelé qu'aux termes des dispositions de l'article R.1454-28 du Code du Travail, sont exécutoires de droit à titre provisoire, les jugements ordonnant la délivrance de toutes pièces que l'employeur est tenu de remettre (bulletins de paie, certificat de travail...) ainsi que les jugements ordonnant le paiement des sommes au titre des rémunérations et indemnités visées à l'article R.1454-14 du code du travail dans la limite de neuf mensualités, étant précisé que la moyenne brute des salaires des trois derniers mois doit être fixée à la somme de 1 719 euros ;

- dit que ces condamnations sont exécutoires de droit à titre provisoire ;

- condamné l'association ADAEAR à verser à Madame [M] [P] la somme de 750 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect des stipulations de l'article 20.8 de la convention collective de 1966

- condamné l'association ADAEAR à payer à Madame [M] [P] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté Madame [M] [P] de ses autres et plus amples demandes ;

- condamné l'association ADAEAR à payer au SYNDICAT SUD SANTÉ SOCIAUX DE LA LOIRE la somme de 100 euros à titre de dommages et intérêts pour atteinte aux intérêts collectifs de la profession ;

- condamné l'association ADAEAR à payer au SYNDICAT SUD SANTÉ SOCIAUX DE LA LOIRE la somme de 100 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté le SYNDICAT SUD SANTÉ SOCIAUX DE LA LOIRE de ses autres et plus amples demandes ;

- débouté l'association ADAEAR de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et au surplus de ses demandes ;

- de condamné l'association ADAEAR aux entiers dépens tel que prévus par l'article 695 du code de procédure civile.

Madame [P] a interjeté appel du jugement, le 16 novembre 2018.

Madame [P] demande à la cour :

- de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné l'association CAPSO (anciennement ADAEAR) à lui verser les sommes suivantes :

750 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect des stipulations de l'article 20.8 de la Convention Collective de 1966,

1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- de confirmer le jugement en ce qu'il a jugé que son licenciement ne reposait pas sur une faute grave et condamné à l'association CAPSO (anciennement ADAEAR) à lui payer les sommes suivantes :

3438 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

343,80 euros au titre des congés payés afférents,

3 936,51 euros à titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement

- de réformer le jugement déféré en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts au titre du harcèlement moral et de la violation de l'obligation de sécurité,

- de réformer le jugement déféré en ce qu'il a jugé que son licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse,

- de réformer le jugement déféré en ce qu'il a jugé qu'elle bénéficiait de 2,5 jours de repos hebdomadaire,

- de réformer le jugement déféré en ce qu'il a jugé que la mise à pied disciplinaire du 30septembre 2016 était justifiée,

statuant à nouveau,

- de condamner l'association CAPSO (anciennement ADAEAR) à lui verser la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

- de condamner l'association CAPSO (anciennement ADAEAR) à lui verser la somme de 4 000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation des dispositions conventionnelles relatives aux repos hebdomadaires,

- d'annuler la mise à pied disciplinaire du 30 septembre 2016,

- de condamner en conséquence l'association CAPSO (anciennement ADAEAR) à lui verser la somme de 162,99 euros outre 16,29 euros de congés payés afférents à titre de rappel de salaire sur mise à pied disciplinaire,

- de dire et juger que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse,

- de condamner en conséquence l'association CAPSO (anciennement ADAEAR) à lui verser à la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Y ajoutant,

- de condamner l'association CAPSO (anciennement ADAEAR) à lui verser la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

- de condamner l'association CAPSO (anciennement ADAEAR) aux dépens et aux éventuels frais d'exécution forcé de la décision à intervenir.

L'association ADAEAR demande à la cour :

- d'infirmer le jugement en ce qu'il :

a dit que le licenciement de Madame [M] [P] repose sur une cause réelle et sérieuse ;

a dit qu'elle n'a pas respecté les stipulations de l'article 20.8 de la convention collective applicable ;

l'a condamnée à payer à Madame [M] [P] les sommes suivantes :

3 438,00 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

343,80 euros à titre des congés payés afférents,

3 936,51 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement

750 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect des stipulations de l'article 20.8 de la convention collective de 1966

Et, statuant à nouveau,

- de dire que le licenciement pour faute grave de Madame [P] était justifié

- de débouter Madame [P] de l'intégralité de ses demandes indemnitaires

- de confirmer le jugement pour le surplus

à titre subsidiaire,

- de confirmer le jugement en ce qu'il a considéré que le licenciement était fondé sur une cause réelle et sérieuse

à titre plus subsidiaire,

- de limiter le montant des dommages et intérêts qui seraient alloués à Mme [P] à 6 mois de salaire

- de condamner Madame [P] au paiement de la somme de 2 500 euros conformément aux dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de l'instance distraits au profit de Maître LAFFLY, avocat, sur son affirmation de droit.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 13 janvier 2022.

SUR CE :

Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L1152-1du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L1154-1 dispose que lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L1152-1 à L1152-3 et L1153-1 à L1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

En vertu de ce dernier texte, il pèse sur le salarié l'obligation de rapporter la preuve d'éléments précis et concordants ; ce n'est qu'à cette condition que le prétendu auteur du harcèlement doit s'expliquer sur les faits qui lui sont reprochés.

Mme [P] soutient à l'appui de sa demande qu'elle a été victime de pressions injustifiées se manifestant par :

- des reproches incessants

- des sanctions injustifiées

- des accusations graves.

Elle fait valoir que ces agissements ont gravement altéré sa santé et entraîné des arrêts maladie pour souffrance au travail.

Elle invoque également le refus de l'employeur de lui accorder des congés qu'elle avait sollicités pour participer à un rallye, participation qu'elle a été contrainte d'annuler car sa direction l'a informée qu'elle perdrait probablement son emploi si elle s'absentait du 3 au 16 octobre 2016 et un comportement inadmissible de la part de son employeur pendant l'entretien préalable à son licenciement.

La lettre envoyée le 25 juillet 2016 à la direction par les syndicats Sud et CGT dénonçant les attitudes agressives, méprisantes et répétées du directeur du pôle Loire, la lettre du syndicat Sud au conseil d'administration de l'association faisant état de menaces et de propos irrespectueux et agressifs de la hiérarchie à l'égard de certains salariés du pôle Loire ainsi que la lettre du médecin du travail en date du 27 juillet 2016 signalant à l'employeur l'altération de l'état de santé de six salariés et la gravité de cette situation dûe selon ces derniers à une souffrance au travail, enfin le compte-rendu de la réunion du CHSCT du 23 septembre 2016 confirmant l'existence de conditions de travail dégradées, de pressions répétées tant au niveau psychologique que social et un mode de direction uniquement autoritaire et directif entraînant de nombreux arrêts de travail pour maladie, se rapportent à une attitude générale reprochée à la direction vis à vis de plusieurs salariés et au constat d'une dégradation de l'état de santé de ceux-ci. Ces documents ne permettent pas d'établir la matérialité de faits précis commis à l'encontre de Mme [P].

Mme [N], déléguée du personnel, et Mme [L], surveillante de nuit, attestent qu'elles ont constaté la dégradation de l'état de santé physique et mental de Mme [P] surtout à la sortie des réunions hebdomadaires et que lors de ces réunions, les collègues subissaient des propos dégradants et humiliants de la part de la direction. M. [Y], surveillant de nuit, atteste qu'il a souvent constaté depuis un an que Mme [P] était dans un état de désarroi pour de nombreux reproches oraux qu'elle subissait de la part de la direction et la remise en cause systématique de son travail aussi bien dans les réunions que dans le cahier de liaison.

Mme [E], agent de service intérieur (maîtresse de maison) atteste qu'elle a assisté aux réunions d'équipe du jeudi après-midi où la nouvelle direction attaquait sans cesse l'équipe éducative et notamment Mme [P] sur leur manière de travailler.

Ces témoignages, non circonstanciés, sont trop vagues pour déterminer la matérialité de pressions, reproches incessants et accusations graves dont Mme [P] aurait personnellement été victime de la part de son employeur.

Mme [P] soutient que la mise à pied disciplinaire de deux jours qui lui a été infligée était injustifiée.

Aux termes de la lettre de sanction du 30 septembre 2016, faisant suite à l'entretien préalable du 23 septembre 2016, l'employeur reproche à Mme [P] de ne pas avoir respecté le choix d'orientation d'une mineure dont elle avait la charge, de ne pas avoir informé la mère de celle-ci des réunions d'orientation et rendez-vous médicaux de sa fille et d'avoir ainsi commis une faute professionnelle en outrepassant le cadre légal de l'exercice de l'autorité parentale.

Mme [P] a écrit le 10 octobre 2016 à l'employeur qu'elle contestait formellement les faits reprochés. Elle affirme que sa position vis à vis de la mère de la jeune fille avait été discutée en réunion et approuvée par Mme [S], chef du service, que la jeune fille elle-même avait validé son orientation professionnelle, enfin qu'elle-même se trouvait en repos hebdomadaire à la date du rendez-vous pédiatrique à l'hôpital de [Localité 4] alors qu'il lui est reproché ce jour-là 'd'avoir outrepassé ce refus du cadre hiérarchique pour finalement vous substituer à un des droits fondamentaux des personnes accueillies, soit l'exercice des attributs de l'autorité parentale de mineurs placés par le magistrat pour enfants.'

L'association produit le compte-rendu de l'audience du 28 juillet 2016 devant le juge des enfants, rédigé par le chef de service de la maison d'enfants qui y a participé, Mme [S], dont il ressort notamment que la mère de la mineure a exposé toutes les difficultés qu'elle avait eu à travailler avec la maison d'enfants, en particulier avec la référente d'[J], Mme [P], et que le juge a déclaré qu'elle était très en colère car au-delà du manque d'attention porté à la parole d'[J], il y avait eu, en plusieurs circonstances, négation de l'autorité parentale de la mère de celle-ci.

L'employeur justifie ainsi du bien-fondé de la sanction disciplinaire notifiée à Mme [P].

La demande d'annulation de la mise à pied disciplinaire doit être rejetée et le jugement confirmé sur ce point.

Mme [P] reproche à l'employeur de ne pas avoir répondu en son temps à la demande de congés qu'elle avait posée en mars 2016 pour la période du 3 au 16 octobre et de lui avoir écrit le 12 août 2016 qu'elle devrait reprendre son poste le 5 octobre, alors qu'elle préparait depuis plus d'un an sa participation à un rallye se déroulant au Maroc en octobre pendant la période des congés qu'elle avait sollicités.

Mme [G] atteste à ce sujet qu'elle aurait dû être la co-équipière de Mme [P] et que cette dernière a renoncé le 6 septembre à participer au rallye après une réunion avec son directeur et un inspecteur du travail de [Localité 4], au cours de laquelle elle avait appris qu'elle n'avait pas la garantie de garder son poste si elle participait à ce rallye.

D'autres salariés viennent également attester que la direction était au courant du projet de Mme [P] et de la demande de congés présentée par la salariée.

L'association affirme qu'à aucun moment, elle n'a refusé les congés de Mme [P] pendant le mois d'octobre et qu'elle ne s'est jamais opposée au projet humanitaire de la salariée.

Elle a pourtant écrit à la salariée le 12 août 2016 pour lui indiquer qu'au terme de son arrêt-maladie, elle serait en récupération d'heures du 16 au 31 août 2016 et du 21 septembre au 4 octobre 2016 et en congés payés du 1er au 20 septembre 2016 et qu'elle devrait reprendre son poste le 5 octobre.

Le 19 août 2016, Mme [P] a répondu à l'employeur en lui demandant ce qu'il en était des congés d'octobre qu'elle avait sollicités en mars 2016 et si l'absence de réponse à cette demande n'équivalait pas à une acceptation.

Or, ce n'est que par lettre du 30 septembre 2016, Mme [P] a été informée par son chef de service de ses horaires du mois d'octobre tenant compte de ses récupérations de jours fériés et de ses huit jours de congé annuel, précisant que son retour s'effectuerait le 26 octobre 2016 à 15 heures.

Il est ainsi établi que l'employeur n'a pas accordé à Mme [P] les congés qu'elle avait sollicités, avant de revenir tardivement sur ce refus.

Il ressort en dernier lieu de l'attestation de M. [D], éducateur spécialisé, lequel a assisté Mme [P] lors de l'entretien préalable au licenciement, que le directeur de l'association, M. [V], a tenu les propos suivants à l'égard de Mme [P] : 'vous ne savez rien, apprenez votre métier, connaissez-vous l'empathie, vous voulez travailler dans la délinquance en CER, vous finirez attachée dans une cave, votre nom est connu du Procureur de Saint-Etienne, je ferai tout pour que vous soyez poursuivie et si vous ne l'êtes pas, je vous pousserai les deux pieds en avant.'

Mme [P] rapporte ainsi la preuve de la matérialité des faits suivants :

- l'absence de réponse à sa demande de congés faite en mars 2016, l'information en août 2016 des dates de congés octroyés ne correspondant pas à la demande et l'autorisation tardive finalement accordée par l'employeur

- les propos humiliants et agressifs tenus lors de l'entretien préalable au licenciement du 10 février 2017.

Elle justifie également avoir fait l'objet d'un arrêt-maladie pour la période du 2 au 18 juillet 2016, dont le motif médical mentionné est un état anxio-dépressif et produit une ordonnance médicale de prescription d'antidépresseurs en date du 30 mars 2017, soit juste après le licenciement.

Mais ces faits, même pris dans leur ensemble, ne laissent pas présumer un harcèlement moral au sens de l'article L1152-1 du code du travail.

Mme [P] allègue en outre le manquement de l'employeur à son obligation de prévenir la survenance d'un harcèlement moral et de prendre les mesures propres à faire cesser le harcèlement dénoncé au niveau de l'ensemble de la structure, faisant valoir que la direction a mis plus d'un an pour réagir, ce qui a d'ailleurs rendu son action inutile, puisqu'à cette date l'ensemble des salariés concernés par les actes de harcèlement moral, dont elle-même, étaient licenciés depuis plusieurs mois.

A ce sujet, l'employeur justifie de ce que le nouveau directeur général de l'association, qui n'avait pris ses fonctions que le 1er septembre 2016, a proposé aux délégués syndicaux une rencontre le 12 septembre 2016, que la situation a été évoquée au cours d'une réunion du CHSCT du 23 septembre 2016, le directeur indiquant qu'il allait faire une démarche auprès d'un organisme pour étudier les conditions de travail, que l'équipe éducative a été convoquée à une séance de travail le 2 novembre 2016 au siège de l'association, que le directeur a répondu à la lettre des délégués syndicaux qui l'interrogeaient sur l'objet de ladite réunion, en précisant qu'il souhaitait mettre en place des méthodes et outils conformes et qu'il fallait procéder à un plan d'action correctif et une démarche d'amélioration de la qualité, face à des difficultés de fonctionnement importantes signalées par les autorités de contrôle.

L'employeur justifie également de démarches engagées auprès du médecin du travail aux fins de réaliser une enquête sur les risques psycho-sociaux, de sa décision d'organiser une réunion extraordinaire des membres du comité d'entreprise et des membres du CHSCT le 6 décembre, en ce qui concerne les conditions de travail et les dysfonctionnements constatés affectant la prise en charge des enfants de la Bruyère, et de la programmation d'une réunion en janvier en vue de préparer l'enquête sur les risques psycho-sociaux.

Il produit une lettre envoyée par ses soins au médecin du travail, le 12 février 2017, dans laquelle il évoque la mesure d'injonction prise par la direction territoriale de la protection judiciaire de la jeunesse et le risque d'une fermeture administrative si les modalités de prise en charge ne sont pas entièrement revues et une lettre du secrétaire du CHSCT en date du 13 juillet 2017 montrant qu'un cabinet d'expertise a été chargé en février 2017 d'une mission d'enquête et qu'un projet de convention a été établi en juin 2017, puis signé.

L'association démontre ainsi qu'elle a respecté son obligation relative à la prévention des risques professionnels et du harcèlement moral.

La demande de dommages et intérêts fondée sur le harcèlement moral doit être rejetée et le jugement confirmé sur ce point.

Sur la demande fondée sur la violation de l'article 21 de la convention collective

Mme [P] invoque les dispositions de l'article 21 de la convention collective nationale des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966 en vertu desquelles pour les personnels éducatifs ou soignants prenant en charge les usagers et subissant les anomalies du rythme de travail définies à l'article 20.8, la durée du repos hebdomadaire est portée à deux jours et demi.

Le conseil de prud'hommes a estimé à la lecture des plannings fournis depuis octobre 2016 jusqu'au licenciement que Mme [P] bénéficiait de 2,5 jours de repos hebdomadaire.

Mme [P] soutient qu'elle n'a bénéficié que de deux jours de repos hebdomadaire et fait observer que l'employeur avait reconnu dans ses écritures la violation constatée.

Elle affirme qu'elle a subi un préjudice en termes de fatigue mais également dans la mesure où elle a été privée de temps passé en famille et à consacrer à sa vie personnelle, que son préjudice est également financier puisqu'elle a travaillé plus que ce qu'elle n'aurait dû, sans aucune contrepartie financière.

L'association qui n'a pas développé de moyens en réponse devant la cour, sauf en ce qui concerne l'évaluation du préjudice, est réputée s'être appropriée les motifs des premiers juges.

Mme [P] produit ses emplois du temps mensuels pour la période du 30 octobre au 24 décembre 2016 et celle du 7 janvier au 14 février 2017 faisant apparaître deux jours de repos par semaine et non pas deux jours et demi.

Le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles.

Au regard de l'atteinte portée par l'employeur à ce droit et de la période considérée (quatre mois, période incluant des congés), il y a lieu de condamner l'employeur à payer à Mme [P] la somme de 600 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice.

Sur la demande fondée sur la violation de l'article 20.8 de la convention collective

L'association qui demande l'infirmation du chef du jugement l'ayant condamnée à payer la somme de 750 euros en réparation du préjudice résultant de ce que les plannings des mois de janvier et février 2017 ont été modifiés sans que soit respecté le délai de prévenance de sept jours calendaires, mais ne sollicite pas le débouté de la demande présentée à ce titre par Mme [P], ne présente en tout état de cause aucun moyen à l'appui de son appel incident, sauf en ce qui concerne l'évaluation du préjudice.

Mme [P] demande la confirmation de ce chef du jugement.

Il convient de confirmer la condamnation prononcée par le conseil de prud'hommes qui a exactement évalué le préjudice subi par Mme [P] en raison du manquement commis par l'employeur.

Sur le licenciement

En application de l'article L. 1232-1 du code du travail, tout licenciement individuel doit reposer sur une cause réelle et sérieuse.

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée du préavis.

L'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.

Aux termes de la lettre de licenciement du 14 février 2017, l'association reproche à Mme [P] :

- le fait que pendant trois jours, du 23 au 25 janvier 2017, une pensionnaire de l'établissement, [I] (âgée de 9 ans), n'a pas été douchée, incident consigné le 25 janvier 2017 dans une fiche d'incident et dans le cahier de relais à destination des éducateurs par Mme [S], chef de service, alors que le planning des horaires démontrait qu'elle était présente le lundi 23 janvier de 7 heures à 19 heures et le mardi 24 janvier de 9 heures à 11 heures 30 et qu'elle aurait pu accompagner cette enfant à la toilette

- de ne pas pouvoir lui répondre sur l'action éducative et le respect des rythmes de vie à mettre en place quant au lever et au coucher des jeunes enfants alors même qu'elle est diplômée en tant que monitrice éducatrice et qu'elle dispose d'une expérience professionnelle et de ne pas mettre en oeuvre le travail collectif récemment engagé concernant une journée type dans l'unité où elle travaille

- de s'autoriser à communiquer par texto avec les jeunes, même durant les temps scolaires, alors que le règlement intérieurs des écoles interdit l'usage du téléphone portable en cours et que cette remarque concernant sa posture professionnelle avec les adolescents a déjà fait l'objet de recadrages avec elle.

A l'appui du premier grief, l'association produit la fiche signalétique d'incident dressée le 25 janvier 2017 par Mme [S], chef de service, intitulée 'négligence dans la prise en charge' et la note sur la journée qui y est annexée.

Mme [S] écrit notamment que le mercredi 25 janvier, entre 7 heures 30 et 9 heures, elle a trouvé [I] seule et soucieuse dans sa chambre, que l'enfant lui a alors expliqué qu'elle n'avait pas pris sa douche la veille au soir, car elle ne savait pas le faire seule, et lui a précisé qu'elle n'avait pas pris sa douche depuis le lundi (soit l'avant-veille, 23 janvier).

Mme [S] ajoute qu'elle s'est rendu compte que l'enfant avait lavé seule son linge qu'elle avait mis à sécher sur le radiateur de la salle de bains.

Or, comme le fait observer Mme [P], son nom ne figure pas sur la note mentionnant les trois éducateurs concernés par les faits ainsi signalés et l'association ne produit ni planning, ni tableau de service de nature à établir que Mme [P] était chargée de s'occuper de [I] du 23 au 25 janvier 2022.

La preuve de l'imputabilité à Mme [P] du premier fait visé dans la lettre de licenciement n'est pas rapportée.

Aucun document n'est produit à l'appui des deuxième et troisième griefs.

En l'absence de preuve d'une faute commise par Mme [P], le licenciement de cette dernière est dénué de cause réelle et sérieuse.

Il convient de confirmer le jugement en ses dispositions relatives aux indemnités de rupture dont les montants ne sont remis en cause par aucune des parties.

Mme [P] justifie avoir été indemnisée par Pôle Emploi du 21 avril au 12 décembre 2017 et avoir signé un contrat de travail à durée déterminée pour la période du 6 novembre 2017 au 31 août 2018 en qualité d'assistante d'éducation.

Sur le fondement des dispositions de l'article L1235-3 ancien du code du travail, au vu de ces éléments, des circonstances du licenciement, de l'âge de Mme [P] (27 ans), de son ancienneté dans l'association (quatre ans et sept mois), de son salaire mensuel moyen de 1 719 euros, le préjudice causé à celle-ci par la perte injustifiée de son emploi doit être réparé par l'allocation de la somme de 15 000 euros.

Il convient de condamner l'association à lui payer ladite somme, à titre de dommages et intérêts.

En application de l'article L 1235-4 ancien du code du travail, il convient de condamner d'office l'association à rembourser à POLE EMPLOI les allocations de chômage qui ont été versées à la salariée dans la limite de trois mois d'indemnités.

L'association ADAEAR, partie perdante, doit être condamnée aux dépens d'appel et à payer à Mme [P] la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, le jugement étant confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et à l'indemnité de procédure.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement :

CONFIRME le jugement, sauf en ce qu'il a débouté Mme [P] de sa demande de dommages et intérêts fondée sur le non-respect de l'article 21 de la convention collective et de sa demande de dommages et intérêts au titre du licenciement injustifié

L'INFIRME sur ces points,

STATUANT à nouveau,

CONDAMNE l'association ADAEAR à payer à Mme [P] les sommes suivantes :

- 600 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par l'atteinte à son droit au repos

- 15 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par son licenciement injustifié

CONDAMNE l'association à rembourser à POLE EMPLOI les allocations de chômage qui ont été versées à la salariée dans la limite de trois mois d'indemnités

CONDAMNE l'association ADAEAR aux dépens d'appel

CONDAMNE l'association ADAEAR à payer à Mme [P] la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale a
Numéro d'arrêt : 18/07961
Date de la décision : 25/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-25;18.07961 ?
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