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12/05/2022 | FRANCE | N°21/01653

France | France, Cour d'appel de Lyon, 3ème chambre a, 12 mai 2022, 21/01653


N° RG 21/01653

N° Portalis DBVX-V-B7F-NOEA









Décision du Tribunal de Commerce de LYON

Au fond

du 18 février 2021



RG : 2020f2470







[R]



C/



S.E.L.A.R.L. [W] [N]





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE LYON



3ème chambre A



ARRÊT DU 12 Mai 2022







APPELANT :



M. [F] [R]

né le [Date naissance 2] 1983 à [Loc

alité 4]

[Adresse 3]

[Adresse 3]



Représenté par Me John GARDON de la SELARL GARDON AVOCATS, avocat au barreau de LYON, toque : 2573







INTIMEE :



S.E.L.A.R.L.U [W] [N] représentée par Me [W] [N], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société PARE

Le Britan...

N° RG 21/01653

N° Portalis DBVX-V-B7F-NOEA

Décision du Tribunal de Commerce de LYON

Au fond

du 18 février 2021

RG : 2020f2470

[R]

C/

S.E.L.A.R.L. [W] [N]

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE LYON

3ème chambre A

ARRÊT DU 12 Mai 2022

APPELANT :

M. [F] [R]

né le [Date naissance 2] 1983 à [Localité 4]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représenté par Me John GARDON de la SELARL GARDON AVOCATS, avocat au barreau de LYON, toque : 2573

INTIMEE :

S.E.L.A.R.L.U [W] [N] représentée par Me [W] [N], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société PARE

Le Britannia Batiment B

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Romain LAFFLY de la SELARL LAFFLY & ASSOCIES - LEXAVOUE LYON, avocat au barreau de LYON, toque : 938

******

Date de clôture de l'instruction : 10 Mars 2022

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 17 Mars 2022

Date de mise à disposition : 12 Mai 2022

Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

- Catherine CLERC, conseiller faisant fonction de président

- Raphaële FAIVRE, vice-présidente placée

- Marie CHATELAIN, vice-présidente placée

assistés pendant les débats de Jessica LICTEVOUT, greffier

A l'audience, [V] [U] a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.

Arrêt Contradictoire rendu par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Catherine CLERC, conseiller faisant fonction de président, et par Jessica LICTEVOUT, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

****

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 29 août 2019, M. [F] [R], dirigeant de la SAS Pare, immatriculée au RCS le 6 mai 2013 et spécialisée dans le ravalement de façade, la peinture et le revêtement de sol, a déposé une déclaration de cessation des paiements auprès du tribunal de commerce de Lyon.

Par jugement du 4 septembre 2019, ce tribunal a prononcé la liquidation judiciaire de la société Pare, fixé provisoirement la date de cessation des paiements au 31 mai 2019 et nommé la SELARLU [N], représentée par Me [W] [N], en qualité de liquidateur judiciaire (le liquidateur judiciaire).

Les opérations de liquidation judiciaire ont fait apparaître une insuffisance d'actif d'un montant de 1.359.977,36'€.

Soutenant que M. [R] ne s'était jamais présenté à son étude en dépit des différentes convocations qui lui avaient été adressées, qu'il ne lui avait lui avait transmis aucun document comptable pour la période du 1er août 2018 au 4 septembre 2019 et avait omis de déclarer l'état de cessation des paiements dans le délai légal, le liquidateur judiciaire l'a fait assigner le 11 septembre 2020 devant le tribunal de commerce de Lyon en interdiction de gérer.

Par jugement du 18 février 2021, ce tribunal a :

prononcé à l'encontre de M. [R] l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, pendant une durée de 8 ans,

ordonné l'exécution provisoire de la décision,

rappelé qu'en application des articles L.128-1 et suivants et R.128-1 et suivants du code de commerce, les condamnations prononcées sur le fondement du livre VI du code de commerce doivent faire l'objet d'une inscription au Fichier national des interdits de gérer, dont la tenue est assurée par le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce,

dit que les dépens seront tirés en frais privilégiés de la procédure.

M. [R] a interjeté appel par acte du 5 mars 2021.

Par conclusions du 7 avril 2021, fondées sur les articles L.653-4, L.653-8 et R.653-1 du code de commerce et sur l'article 700 du code de procédure civile, M. [R] demande à la cour de :

rejeter toutes les demandes, fins, moyens et conclusions contraires,

réformer le jugement déféré,

juger que la SELARL [N], ès qualités, a abandonné la faute relative à l'absence de coopération volontaire avec les organes de la procédure,

juger que le tribunal de commerce n'a pas caractérisé l'élément intentionnel de l'absence de déclaration de l'état de cessation des paiements dans le délai de 45 jours,

en conséquence :

faire application du principe de proportionnalité et exclure toute condamnation à son encontre,

si par extraordinaire la cour d'appel devait entrer en voie de condamnation à son encontre, prononcer une condamnation en fonction de l'unique faute caractérisée,

en tout état de cause, exclure de l'éventuelle condamnation prononcée à son encontre la gestion des sociétés civiles,

statuer ce que de droit sur les dépens.

Par conclusions du 22 avril 2021, fondées sur les articles L.631-4, L.640-4, 653-5 et L.653-8 du code de commerce, le liquidateur judiciaire demande à la cour de':

confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

en conséquence :

prononcer à l'encontre de M. [R] une interdiction de gérer pour une durée de 8 ans,

débouter M. [R] de l'intégralité de ses demandes moyens fins et conclusions,

condamner M. [R] à lui payer la somme de 5.000'€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

condamner M. [R] aux entiers dépens d'instance et d'appel au profit de la SELARL Laffly & Associés ' Lexavoué Lyon, avocats, sur son affirmation de droit, par application de l'article 699 du Code de procédure civile.

Le ministère public, par conclusions du 21 mai 2021, communiquées contradictoirement aux parties, a sollicité la confirmation de la décision critiquée.

La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance du 10 mars 2022.

MOTIFS

Il est précisé qu'à défaut d'indication contraire, les articles visés dans le présent arrêt sont issus du code de commerce.

Pour prononcer la mesure d'interdiction de gérer, les premiers juges ont retenu comme constituées les fautes qui étaient invoquées par le liquidateur judiciaire à l'encontre de M. [R], soit :

l'abstention volontaire de coopérer avec les organes de la procédure, faisant obstacle à son bon fonctionnement, en ne se présentant jamais à l'étude du mandataire malgré les différentes convocations qui lui ont été adressées, au sens de l'article L.653-5 alinéa 5,

le défaut de tenue de comptabilité conformément aux textes applicables en s'abstenant de remettre tout document comptable au mandataire judiciaire pour la période du 1er août 2018 au 4 septembre 2019, au sens de l'article L.653-5 alinéa 6,

l'omission volontaire de déclarer l'état de cessation des paiements dans les 45 jours au sens de l'article L.653-8 alinéa 3.

Sur l'absence de coopération avec les organes de la procédure

Il résulte des articles L.653-5 alinéa 5 et L.623-8 que le tribunal peut prononcer une interdiction de gérer à l'encontre de toute personne qui, en s'abstenant volontairement de coopérer avec les organes de la procédure, a fait obstacle à son bon déroulement.

M. [R] soutient tout d'abord que le liquidateur a abandonné cette faute par courrier préalable à l'audience qui s'est tenue devant le tribunal de commerce, de sorte que le jugement ne peut qu'être réformé sur ce point.

Si M. [R] produit effectivement un courrier du 19 janvier 2021 dans lequel Me [N] écrit son avocat «'s'agissant du défaut de coopération avec les organes de la procédure, je ne peux plus invoquer cette faute de gestion en raison de l'état de santé du dirigeant qui a été attesté'», force est de constater que le liquidateur ne s'est finalement pas désisté de cette demande devant le tribunal de commerce qui a donc statué sur cette faute.

Sur la caractérisation de la faute, M. [R] conteste l'appréciation du tribunal de commerce en rappelant que la Cour de cassation juge que le caractère volontaire de l'absence de coopération n'est pas caractérisé lorsque le dirigeant rencontre des ennuis personnels familiaux ayant provoqué un grave état dépressif rendant impossible toute réaction de sa part aux difficultés financières qu'il rencontrait. Il fait valoir à cet égard qu'il était en instance de divorce et qu'il a rencontré des difficultés de santé expliquant son silence au cours des opérations de liquidation.

Le liquidateur judiciaire poursuit la confirmation du jugement ayant retenu cette faute en faisant valoir la communication par M. [R] d'une mauvaise adresse au liquidateur, nécessairement volontaire, puis son silence gardé à la suite de correspondances lui ayant été adressées, l'absence d'élément justifiant de difficultés personnelles dans le cadre de sa procédure de divorce et l'absence de lien entre ce divorce et la production d'une fausse adresse dans le cadre de la procédure de liquidation. Il souligne enfin l'absence de justificatifs relatifs à aux problèmes de santé invoqués.

Il est constant que M. [R] n'a répondu à aucune des correspondances qui lui ont été adressées par le liquidateur judiciaire directement ou à son avocat, par courrier postal ou par courriel, les courriers libellés à l'adresse qu'il avait fournie au liquidateur judiciaire revenant notamment avec la mention «'NPAI'».

M. [R] ne s'est donc pas présenté à l'étude du liquidateur judiciaire et n'a pas remis les documents sollicités par celui-ci par courriel dès le 11 septembre 2019 (liste des créanciers statuts, rapport du commissaire aux comptes pour l'exercice de 2018, grands livres et balances de l'exercice en cours...).

L'existence d'une procédure de divorce initiée par requête du 19 avril 2018 est insuffisante pour justifier de difficultés d'ordre personnel de nature à expliquer le silence complet de M. [R] à l'égard du liquidateur judiciaire, étant observé que l'ordonnance sur tentative de conciliation produite précise que les époux étaient séparés depuis trois ans à la date du dépôt de la requête. Enfin, aucune pièce médicale ne vient confirmer les difficultés de santé alléguées par M. [R], l'attestation rédigée le 18 janvier 2021 par M. [G], responsable façade d'une société de peinture, étant dépourvue de toute force probante en l'absence de toute qualification médicale de son auteur.

Il s'ensuit que M. [R] ne justifie pas de difficultés personnelles rendant impossible toute réaction de sa part aux convocations et demandes du liquidateur judiciaire, de sorte que c'est à juste titre que le jugement a retenu l'existence d'une faute tenant à l'abstention volontaire de coopération avec les organes de la procédure.

Sur l'absence de tenue d'une comptabilité

Les articles L. 123-12 à L. 123-38 et R.123-172 à R. 123-209 imposent aux commerçants la tenue d'une comptabilité donnant une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l'entreprise, au moyen de la tenue d'un livre journal, d'un grand livre et d'un livre d'inventaire, les mouvements devant être enregistrés chronologiquement au jour le jour, et non en fin d'exercice, seuls les comptes annuels étant établis à la clôture de l'exercice. Il appartient au dirigeant de démontrer l'état de la comptabilité qu'il a tenue, l'absence de la production de toute comptabilité entre les mains du liquidateur faisant présumer le défaut de comptabilité.

M. [R] s'en remet à l'appréciation souveraine de la cour s'agissant cette faute de gestion, indiquant que la comptabilité de la société Pare a été partiellement tenue jusqu'au 31 décembre 2018, les derniers comptes sociaux ayant été établis au 31 juillet 2018.

Le liquidateur judiciaire indique pour sa part qu'aucun document comptable ne lui a été remis pour la période du 1er août au 4 septembre 2019, valant de ce fait présomption d'irrégularité ou de défaut de tenue de comptabilité, et ajoute que les comptes n'ont pas été publiés sur société.com.

Les éléments relevés par le liquidateur judiciaire et non contestés par M. [R] permettent de retenir la caractérisation de cette faute de gestion.

Sur l'omission d'avoir sciemment demandé l'ouverture d'une procédure collective dans le délai de 45 jours au sens de l'article L.653-8 alinéa 3

Selon l'article L.653-8 alinéa 3, l'interdiction de gérer peut être prononcée "(...) à l'encontre de toute personne mentionnée à l'article L.653-1 qui a omis sciemment de demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de 45 jours à compter de la cessation des paiements, sans avoir, par ailleurs, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation" (...).

M. [R] fait grief au jugement d'avoir retenu cette faute alors que le liquidateur ne démontre pas le caractère volontaire de l'absence de déclaration de cessation des paiements.

Le liquidateur judiciaire rétorque que compte tenu de l'importance du passif exigible, s'élevant à la somme de 324 402,13€ au 31 mai 2019, M. [R] ne pouvait ignorer l'état de cessation des paiements de son entreprise.

L'importance de ce passif exigible conjugué à l'ancienneté et la nature de certaines dettes de la société notamment la TVA, les cotisations URSSAF et PRO BTP dont les montants respectifs s'élevaient à 86 978 €, 55 812 € et 15 134 € à la date de la déclaration de cessation des paiements fixée au 31 mai 2019 par le jugement d'ouverture, excluent que M. [R] n'ait pas eu conscience de son impossibilité à faire face au passif exigible avec son actif disponible, le fait qu'il se soit notamment abstenu de mettre en place des échéanciers avec ses créanciers signant une décision volontaire et réfléchie de ne pas déclarer l'état de cessation des paiements et solliciter l'ouverture d'une procédure collective dans le délai légal de 45 jours.

L'élément intentionnel de cette faute de gestion est dès lors établi, tout comme l'élément matériel, non contesté.

Sur les sanctions prononcées

M.[R] fait valoir sa bonne foi, ses difficultés personnelles et son état de santé pour solliciter que soient exclues de l'interdiction de gérer les sociétés civiles soulignant qu'il gère 5 sociétés civiles (Le Mas d'Orchat' RCS n° 351 586 540 ; Perihan ' RCS n° 447 666 959 ; Fim ' RCS n° 490 185 170 ; Afi ' RCS n°493 611 339 ; Eko ' RCS n° 504 231 671) et que l'interdiction de gérer aurait des conséquences particulièrement lourdes au regard de ses très faibles revenus (666,50€ par mois en 2019).

Le liquidateur judiciaire fait observer que si M. [R] sollicite la clémence de la cour il n'apporte pas plus d'élément justificatif en appel qu'en première instance.

La caractérisation de trois fautes de gestion justifie que le prononcé d'une interdiction de gérer soit confirmé.

Il y a lieu toutefois de tenir compte de l'absence d'antécédent de M. [R] pour réduire la durée de l'interdiction de gérer à 3 ans.

L'appelant est débouté de sa demande tendant à voir exclure de cette interdiction de gérer, la gestion des sociétés civiles, une telle exclusion étant de nature à priver de portée cette sanction personnelle indépendamment du fait qu'il s'abstient de toute communication sur les sociétés civiles dont il indique assurer la gestion.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

M. [R] qui succombe dans son recours, doit verser au liquidateur judiciaire une indemnité de procédure à hauteur d'appel.

Les dépens de première instance et d'appel ne constituent pas des frais privilégiés de la procédure collective mais sont à la charge de M. [R], sous le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile pour ces derniers.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, et par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a prononcé une interdiction de gérer à l'encontre de M. [F] [R] pour une durée de 8 ans et dit que les dépens seraient tirés en frais privilégiés de la procédure

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et ajoutant,

Prononce à l'encontre de M. [F] [R] l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, pendant une durée de 3 ans,

Déboute M. [F] [R] de sa demande tendant à voir exclure la gestion des sociétés civiles de l'interdiction de gérer prononcée à son encontre,

Condamne M. [F] [R] à verser à la SELARLU [N] ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Pare une indemnité de procédure de 2 000€,

Condamne M. [F] [R] aux dépens de première instance et d'appel, ces derniers avec droit de recouvrement conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Le Greffier,Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : 3ème chambre a
Numéro d'arrêt : 21/01653
Date de la décision : 12/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-12;21.01653 ?
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