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12/05/2022 | FRANCE | N°21/01467

France | France, Cour d'appel de Lyon, 3ème chambre a, 12 mai 2022, 21/01467


N° RG 21/01467

N° Portalis DBVX-V-B7F-NNV3









Décision du Tribunal de Commerce de LYON

Au fond

du 21 janvier 2021



RG : 2018f3023







[J]



C/



LA PROCUREURE GENERALE

S.A.R.L. [Y] [H]





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE LYON



3ème chambre A



ARRÊT DU 12 Mai 2022







APPELANT :



M. [P] [J]

née le [Date

naissance 7] 1973 à [Localité 8] (66)

[Adresse 3]

[Localité 6]



Représenté par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON, toque : 475 et ayant pour avocat plaidant, Me Mathias VUILLERMET, avocat au barreau de LYON, subs...

N° RG 21/01467

N° Portalis DBVX-V-B7F-NNV3

Décision du Tribunal de Commerce de LYON

Au fond

du 21 janvier 2021

RG : 2018f3023

[J]

C/

LA PROCUREURE GENERALE

S.A.R.L. [Y] [H]

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE LYON

3ème chambre A

ARRÊT DU 12 Mai 2022

APPELANT :

M. [P] [J]

née le [Date naissance 7] 1973 à [Localité 8] (66)

[Adresse 3]

[Localité 6]

Représenté par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON, toque : 475 et ayant pour avocat plaidant, Me Mathias VUILLERMET, avocat au barreau de LYON, substitué par Me Dehlila MICOUD, avocat au barreau de LYON

INTIMEES :

Mme LA PROCUREURE GENERALE

[Adresse 1]

[Localité 4]

S.A.R.L. [Y] [H], représentée par Maître [Y] [H], venant aux droits de la SELARL ALLIANCE MJ, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société CLIM'ASSISTANCE

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentée par Me Aurélien BARRIE de la SELARL POLDER AVOCATS, avocat au barreau de LYON, toque : T 1470

******

Date de clôture de l'instruction : 10 Mars 2022

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 17 Mars 2022

Date de mise à disposition : 12 Mai 2022

Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

- Catherine CLERC, conseiller faisant fonction de président

- Raphaële FAIVRE, vice-présidente placée

- [Y] CHATELAIN, vice-présidente placée

assistées pendant les débats de Jessica LICTEVOUT, greffier

A l'audience, Catherine CLERC a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.

Arrêt Contradictoire rendu par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Catherine CLERC, conseiller faisant fonction de président, et par Jessica LICTEVOUT, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

****

EXPOSÉ DU LITIGE

La SASU Clim Assistance, spécialisée dans l'entretien et la réparation des systèmes de climatisation et de chauffage pour autobus et autocars, est la filiale à 100% de la SAS Financière C/A, elle-même filiale à 100% de la SASU Levassor Invest également holding de la SASU Iseobus.

M. [P] [J] est président de toutes ces sociétés'; il est également le gérant de la SCI C/A qui louait ses locaux à la société Clim Assistance à Fleurieux sur l'Arbresle.

Par jugement du 22 novembre 2016, le tribunal de commerce de Lyon a prononcé le redressement judiciaire de la société Clim Assistance et a fixé la date de cessation des paiements au 6 juin 2016, soit 5 mois avant le jugement d'ouverture.

Par jugement du 16 mai 2018, ce même tribunal a converti la procédure en liquidation judiciaire, avec poursuite d'activité jusqu' au 16 juillet 2018 afin de permettre une éventuelle cession, et a nommé la SELARL Alliance MJ, représentée par Me [Y] [H], en qualité de liquidateur judiciaire.

Par jugement du 27 juin 2018, en l'absence d'offre de reprise, le tribunal de commerce de Lyon a mis fin à la poursuite de l'activité.

Les opérations de liquidation ont fait apparaître un passif définitif de 1'815'511,84€, et une insuffisance d'actif de 1'665'501,84€.

Par acte extrajudiciaire du 24 août 2018, le liquidateur judiciaire a fait assigner M. [J] en responsabilité en raison de l'insuffisance d'actif et, à titre subsidiaire, a demandé que soit prononcée une mesure de faillite personnelle.

Par jugement du 21 janvier 2021, le tribunal de commerce précité a :

dit que M. [J] a commis des fautes de gestion qui ont directement contribué à l'insuffisance d'actif de la société Clim Assistance,

dit que M. [J] n'a pas déposé la déclaration de cessation des paiements de la société Clim Assistance dans le délai légal,

condamné M. [J], dirigeant de la société Clim Assistance à payer à la SELARL Alliance MJ, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Clim Assistance, la somme de 823'898,59€ au titre de l'insuffisance d'actif,

prononcé la faillite personnelle de M. [J] pour une durée de 10 ans,

prononcé l'exécution provisoire du jugement,

condamné M. [J] à payer à la SELARL Alliance MJ une somme de 3'000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

condamné M. [J] aux entiers dépens.

M. [J] a interjeté appel par acte du 25 février 2021.

Par jugement du tribunal de commerce de Lyon du 3 août 2021, la SELARL [Y] [H] a été autorisée à reprendre les mandats confiés à la société Alliance MJ.

Par ordonnance de référé du 13 septembre 2021, la juridiction du premier président a prononcé l'arrêt de l'exécution provisoire attachée au jugement dont appel.

Par conclusions du 9 mars 2022, fondées sur les articles L.652-1 et L.653-4 et suivants du code de commerce, 4, 5 et 455 du code de procédure civile et 1244-1 du code civil, M. [J] demande à la cour de réformer le jugement déféré en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau :

à titre principal :

juger que ni la faute de gestion, ni le préjudice, ni le lien de causalité entre les deux, conditions impératives et cumulatives exigées par l'article L.651-2 du code de commerce pour condamner le dirigeant au paiement de l'insuffisance d'actif, ne sont avérées au cas d'espèce,

en conséquence :

débouter la société Alliance MJ, ès qualités, de l'ensemble de ses demandes indemnitaires,

à titre subsidiaire, juger que sa situation financière justifie la réduction la plus large possible du montant des condamnations et l'octroi de larges délais de paiement,

sur la demande subsidiaire du liquidateur judiciaire :

juger que le tribunal de commerce de Lyon a statué ultra petita,

juger que la preuve d'une faute permettant le prononcé d'une mesure de faillite personnelle n'est pas rapportée,

débouter la SELARL Alliance MJ, ès qualités de liquidateur judiciaire, de sa demande de sanction personnelle,

en tout état de cause :

condamner la SELARL Alliance MJ, ès qualités, à lui payer la somme de 15'000€ au titre des frais irrépétibles de première instance outre 15'000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile dans le cadre de la présente procédure d'appel, outre dépens.

Par conclusions du 4 mars 2022, fondées sur les articles L.651-2, L.653-1 et L.653-5 du code de commerce, la SELARL [Y] [H], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Clim Assistance (le liquidateur judiciaire), demande à la cour de':

rejeter toutes demandes, fins, moyens et conclusions,

à titre principal :

confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que M. [J] a commis des fautes de gestion qui ont directement contribué à l'insuffisance d'actif de la société Clim Assistance et notamment :

qu'il n'a pas déclaré l'état de cessation des paiements de la société Clim Assistance dans le délai légal,

qu'il n'a pas respecté les obligations en matière sociale et fiscale,

qu'il a utilisé les actifs de la société Clim Assistance au profit de la société Financière C/A, société dans laquelle il était directement intéressé,

qu'il a fait prendre en charge des dépenses personnelles par la société Clim Assistance,

confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que les fautes de gestion ont contribué à l'insuffisance d'actifs de la société Clim Assistance,

confirmer le jugement en ce qu'il a condamné M. [J] à lui verser, la SELARL [Y] [H] venant aux droits de la SELARL Alliance MJ, une somme de 3'000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a prononcé une mesure de faillite personnelle d'une durée de 10 ans à l'encontre de M. [J],

à titre incident :

réformer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné M. [J] à verser 823'898,59€ au titre de l'insuffisance d'actif,

statuant de nouveau de ce chef :

juger que le montant total de l'insuffisance d'actif de la société Clim Assistance s'élève à la somme de 1'655'501,84€,

condamner M. [J] à payer la totalité de l'insuffisance d'actif de la société Clim Assistance, soit la somme de 1'655'501,84€,

subsidiairement':

condamner M. [J] à lui payer, la SELARL [Y] [H] venant aux droits de la société Alliance MJ, la somme de 1'257'696,67€ au titre de l'insuffisance d'actifs de la société Clim Assistance,

en tout état de cause :

condamner M. [J] à lui payer, la SELARL [Y] [H] venant aux droits de la SELARL Alliance MJ, la somme de 5'000€ en appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

condamner M. [J] aux entiers dépens de l'instance.

Le ministère public, par observations du 6 mai 2021, communiquées contradictoirement aux parties, s'en est remis aux moyens et arguments exposés par le liquidateur judiciaire et sollicite :

la confirmation du jugement rendu par le tribunal de commerce de Lyon le 21 janvier 2021 en ce qu'il a jugé que M. [J] avait commis des fautes de gestion qui avaient contribué à l'insuffisance d'actif de la société Clim Assistance,

la réformation concernant le montant de l'insuffisance d'actif mise à la charge de M. [J],

en conséquence la condamnation de celui-ci à payer la totalité de l'insuffisance d'actif de la société Clim Assistance soit la somme de 1'655'501,84€.

MOTIFS

A titre liminaire, il est rappelé que la cour n'est pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation ni de procéder à des recherches que ses constatations rendent inopérantes et doit statuer sur les seules demandes mentionnées au dispositif des dernières conclusions des parties.

Sur l'insuffisance d'actif

Selon l'article L.651-2 alinéa 1er du code de commerce, «'lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal, peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée.(...)'»

Le succès de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif suppose donc la démonstration d'une faute de gestion imputable au dirigeant de droit ou de fait de la personne morale débitrice, d'une insuffisance d'actif et un lien de causalité entre cette faute de gestion et cette insuffisance d'actif.

Le liquidateur judiciaire reproche quatre fautes de gestion à l'encontre de M. [J] qu'il corrèle à la création de l'insuffisance d'actif, à savoir,

- l'absence de déclaration de cessation des paiements dans le délai de 45 jours,

- le défaut de paiement des créances fiscales et sociales,

- le détournement des actifs de la société Clim'Assistance au profit de sociétés dans lesquelles il était intéressé,

- la prise en charge par la société Clim'Assistance de ses dépenses personnelles.

Sur l'absence de déclaration de cessation des paiements dans le délai de 45 jours

Il est constant que la procédure collective de la société Clim'Assistance a été initiée sur requête du procureur de la République du 1er juin 2016, en l'absence de toute déclaration de l'état de cessation des paiements de cette société par M. [J], ce dernier n'ayant pas davantage effectué cette diligence durant le délai séparant le dépôt de cette requête et le prononcé du jugement d'ouverture le 22 novembre 2016.

La date de cessation des paiements fixée provisoirement par le jugement d'ouverture au 6 juin 2016 n'a pas fait l'objet d'une demande de report à l'initiative de l'administrateur judiciaire ou du mandataire judiciaire ou encore du ministère public dans l'année dudit jugement'conformément à l'article L. 631-8 du code de commerce ; il en résulte qu'elle ne peut pas être discutée dans le cadre de la présente instance en responsabilité pour insuffisance d'actif par M. [J] qui entend voir juger que la société Clim'Assistance ne se trouvait pas en état de cessation des paiements au 31 décembre 2015.

De fait, M.[J] ne démontre pas qu'à la date du 6 juin 2016, la société Clim' Assistance était en mesure de faire face à son passif exigible avec son actif disponible, en ce qu'il se fonde sur l'examen comparatif des bilans comptables arrêtés aux 31 décembre 2015 et 2016 faisant état de disponibilités respectives de 3'461,81€ et 26'667€ qui ne permettaient pas de s'acquitter du passif exigible (dettes fiscales et sociales de 615 120 €) les autres postes ne constituant pas un actif disponible immédiatement mobilisable (éléments corporels, immobilisations financières'; créances clients non douteuses, stocks de matières premières').

La faute de gestion constituée par le défaut de déclaration de cessation des paiements est donc caractérisée.

Sur le non-respect des obligations fiscales et sociales

Il résulte des communications que la société Clim'Assistance ne s'est pas acquittée de l'intégralité de la cotisation foncière des entreprises (CFE) pour ses deux établissements sis respectivement à Cergy Pontoise et à Lyon au titre des exercices 2015 et 2015, restait à l'époque du jugement d'ouverture redevable à ce titre des sommes de 3'346 € (déduction faite d'un dégrèvement de 1'673€ pour 2016) et 11'431€, sommes qui ont été respectivement déclarées au passif du redressement judiciaire de la société, le 6 janvier 2017 par la DGFIP de Cergy Pontoise et le 2 février 2017 par la DGFIP de Lyon.

Elle ne s'était pas non plus acquittée de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) au titre des exercices 2014 et 2015, soit un total de 18'334€ (créance déclarée la le 2 février 2017 au passif du redressement judiciaire de la société par la DGFIP de Lyon), dette que M. [J] qualifie «'d'isolée'» en lui déniant le qualificatif d'inobservation grave et répétée pour ne retenir que celui «'de simple erreur'».

Pour autant, la violation réitérée des obligations fiscales sur deux exercices suffit à caractériser une faute de gestion à l'encontre de M. [J] comme ne s'analysant pas en une simple négligence.

Il s'avère en outre que la société Clim'Assistance n'a pas réglé la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) pour un montant total de 427'855€ (arrondi) à savoir':

89'413€ au titre des exercices 2012 (octobre 2011 à septembre 2012) selon déclaration de créance du 2 février 2017

196'790,12€ au titre de l'exercice 2015 selon déclaration de créance du 2 février 2017,

141'652€ au titre de l'exercice 2016 (123'226 + 18'426 pour octobre 2015 à novembre 2016) selon déclaration de créance du 2 février 2017,

ce montant n'intégrant pas les deux créances respectives de 130'000€(TVA clients) et 200'000€ (dettes TVA) qui avaient été déclarées à titre provisionnel et qui ont été rejetées par ordonnance du juge-commissaire le 14 décembre 2017.

Les protestations de M. [J] concernant le montant de cette créance (427'855€) sont vaines dans la mesure où le paiement de 71'344€ au titre de la créance de TVA n°201406120 ne s'applique pas à la créance de TVA 201622360 de 89'413€ qui est demeurée impayée'; en outre, il n'apparaît pas avoir contesté l'une ou l'autre des composantes de la créance totale de TVA lors de la vérification du passif et n'offre pas de preuve au soutien de ses contestations devant la cour.

Il résulte par ailleurs des pièces comptables communiquées qu'à l'époque du jugement de redressement judiciaire du 22 novembre 2016, la société Clim' Assistance restait également débitrice de cotisations URSSAF pour un montant de 77'000€ au 5 octobre 2016 (selon courrier de cet organisme à même date) après acquittement des cotisations de juillet 2016'en réaction à la saisine du tribunal de commerce par le procureur de la République en ouverture d'une procédure collective'; elle restait également débitrice de cotisations retraite pour 73'428€ impayées depuis juin 2014 pour lesquelles elle n'a pas opéré de régularisation.

Dans la mesure où il est avéré que les impayés des cotisations URSSAF'se sont poursuivis sur les exercices 2012 à 2016, et que ceux de cotisations retraite débutent en 2014, la société Clim'Assistance est mal fondée à soutenir sans offre de preuve que ces non-paiements résultent de difficultés conjoncturelles survenues en 2012 après la perte d'un important client, la société Transdev, et qu'il lui a fallu plus de 6 mois avant de retrouver une clientèle «'permettant de combler l'écart de rentabilité'».

Par ailleurs, M. [J] ne peut pas utilement se prévaloir du refus de sa demande d'échelonnement du 22 octobre 2013 qui lui a été notifié le 2 décembre suivant par l'URSSAF en ce que cette circonstance ne l'a pas incité à solliciter l'ouverture d'une procédure collective, alors même qu'il conclut que la société Clim'Assistance n'était plus en mesure de supporter la charge de ses cotisations sociales dont elle était redevable au titre de l'année 2013, ce qui conforte le premier grief ci-dessus examiné à savoir qu'il a poursuivi une activité déficitaire sans déclarer la cessation des paiements.

Le non-paiement de ces charges fiscales et sociales qui n'est pas unique mais réitéré sur plusieurs exercices signe en définitive une faute de gestion caractérisée de M. [J].

Sur le détournement des actifs de la société Clim'Assistance au profit de sociétés dans lesquelles M. [J] était intéressé

M. [J] soutient que la convention de trésorerie et de prestations de services signée le 25 juillet 2013 entre les sociétés Lone Trade devenue Levassor Invest et Iseobus et son avenant du 15 septembre 2015 en ayant étendu l'application aux sociétés Financière C/A et Clim'Assistance avaient pour finalité de réguler la circulation des capitaux au sein du groupe, par apports de fonds réciproques sous formes d'avances rémunérées, afin de «'faciliter un système de gestion centralisée de trésorerie guidé par un intérêt économique social ou financier commun'».. A ce titre, il explique que la société Clim'Assistance a consenti dès 2013 à sa holding financière, la société Financière C/A qui avait des difficultés de trésorerie, des avances qui ont été inscrites à son compte courant d'associé, tout en concluant que l'essentiel de ces apports ont été effectués bien avant 2012, soit 3 ans avant son redressement judiciaire'; il soutient également que la «'question n'est pas tant de savoir si la société [Clim'Assistance] s'acquittait à cette même période de ses charges mais celle de savoir si ces versements excédaient ses capacités financières de manière à mettre en péril la pérennité de son exploitation'» , opposant le fait que cette société avait «'une activité largement bénéficiaire'», que les fonds prétendument détournés étaient en réalité légitimement avancés puisque conformes à la convention de trésorerie, qu'ils ne faisaient pas partie d'un quelconque passif et encore moins de l'insuffisance d'actif litigieuse, et qu'ils ont été justifiés par la fragilité de la situation financière de leurs bénéficiaires, ainsi qu'en atteste le fait que la société Levassor Invest a été placée en redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Romans du 14 mai 2017.

Le liquidateur judiciaire rappelle que si la société Clim 'Assistance détenait sur la société Financière C/A une créance de 407'505,28€ au 31 décembre 2013 celle-ci s'est élevée à 419'608,02€ au 31 décembre 2014, pour atteindre 546'641,06€ au 31 décembre 2015 et 435'927,99€ au 31 décembre 2016. Il souligne notamment que les apports en compte-courant d'associé de la société Clim 'Assistance au profit des sociétés Financière C/A et Levassor Invest ont atteint au cours de l'exercice 2016 la somme de 116'938,86€ tandis que les sommes versées à celles-ci au titre de la convention de management s'élevaient à 319'889,13€.

Sans qu'il y ait lieu d'argumenter l'ensemble de ces chiffres, il est objectivement établi que la société Clim'Assistance a accordé une aide financière conséquente à sa société mère (principalement) dès 2013 et surtout au cours des années 2015 et 2016 alors même qu'elle ne s'acquittait plus de ses cotisations URSSAF et de retraite depuis plusieurs mois, peu important le fait que son activité a pu être bénéficiaire dès lors qu'elle n'affectait pas sa trésorerie au règlement de ses charges et cotisations tant fiscales que sociales, générant et creusant ainsi ses propres difficultés financières.

Les apports réalisés à son profit par les autres sociétés du groupe courant l'exercice 2016, de par leur montant plus que modeste (139'150€) par rapport aux aides financières qu'elle a consenties ne sont pas de nature à combattre le caractère fautif de son soutien financier'qui s'analyse en un détournement d'actif par son dirigeant, M'. [J], la régularisation de la convention de trésorerie précitée ne pouvant pas légitimer ses versements en faveur de la société mère Financière C/A et des autres sociétés du groupe dès lors que la situation de trésorerie de l'intéressée était plus que compromise.

Cette faute de gestion est donc caractérisée comme retenu à bon droit par les premiers juges.

Sur la prise en charge par la société Clim'Assistance des dépenses personnelles de M. [J]

M. [J] soutient que les dépenses qualifiées de dépenses personnelles par le liquidateur judiciaire pour un montant de 165'000€, à savoir l'achat de matériel et de prestations d'améliorations mécaniques ou de coaching supposément destinés aux pratiques sportives de ses enfants, l'acquisition d'une montre Tissot et d'un appareil photographique Canon sont en réalité liées à l'activité effective exercée par la société Clim' Assistance et sont pour la plupart postérieures à l'ouverture du redressement judiciaire de sorte qu'elles ne peuvent pas constituer une faute pouvant être prise en compte au titre d'une responsabilité pour insuffisance d'actif'; il développe ainsi que':

- cette société a également pour activité statutaire l'entretien de tous véhicules automobiles, motocycles, bateaux et plus généralement tout appareil de climatisation , l'achat, la vente et la réparation de toutes pièces détachées et accessoires, celle-ci ayant développé une activité nouvelle consistant en la vente de pièces détachées sur internet,

- bon nombre de factures (14) ne sont pas enregistrées dans sa comptabilité et n'ont donc pas été supportées par elle quand bien même elles sont établies à son nom, et les factures Cobra et Fedex concernent l'importation de motos en provenance des États-Unis qu'elle a utilisées pour des essais et qu'elle a revendues ainsi qu'en attestent les factures de vente produites,

- les factures Guidetty, RDCG, Veditex, Geneve Tour, Xtech, Mxpro Daniel Romany correspondent à des prestations de services et non pas à des prestations de coaching, à savoir des prestations de réparation de compresseurs, des dépannages de client en contrat en Espagne confiés à des sous-traitants locaux, et concernent pour la plupart la période postérieure au jugement d'ouverture jusqu'à décembre 2017,

- l'appareil photographique était destiné à la conception de son site internet et de ses plaquettes commerciales,

- la montre était un cadeau-client destiné au départ retraite d'un collaborateur .

Le liquidateur judiciaire conteste point à point cette présentation'; il fait valoir que les factures établies au nom de la société Clim'Assistance et payées par celle-ci ne se rapportent pas à son activité dédiée aux systèmes de climatisation car portant sur des achats de matériels et prestations relatifs à des moto-cross (factures émises par des spécialistes en la matière), la réparation, l'achat de vêtements, de sponsoring et de stickers'; il souligne l'imprécision des factures émises par M. [S] qui ne permet pas de les rattacher à des prestations de services en lien avec l'activité de la société, indiquant que ce tiers est un ancien pilote de grand prix, champion de France dans le domaine du moto-cross et qui dispense désormais des stages de pilotage, de coaching, et réalise des activités de race manager, soutenant qu'il a organisé des courses pour les enfants de M. [J]'; il conteste également la revente des motos importées des États -Unis, faisant remarquer que seules des pièces détachées ont été revendues et les prestations assurées auprès des clients de la société en Espagne, les factures dites s'y rapporter concernant en réalité des dépenses sans rapport avec l'activité de la société (réparation d'amortisseurs, de chaises de compresseurs , achat de vêtements pour enfant'').

Ce qui doit être admis.

En effet, nonobstant l'énoncé très général de son objet social dans ses statuts, la société Clim' Assistance a pour activité effective selon la note de l'administrateur judiciaire sur les mesures de redressement envisagées établie le 5 janvier 2017, une activité «'contrat d'entretien'» et une activité «'main d''uvre'» consistant en la réparation et l'entretien des climatisation et chauffage hors «'cool care'» ainsi qu'une activité nouvelle de vente détachées sur internet'; il est à souligner qu'il était indiqué que cette dernière branche d'activité n'était opérationnelle que depuis un mois à l'époque de l'établissement de cette note et en tout état de cause très postérieure au jugement d'ouverture.

M. [J] est bien fondé à conclure au rejet des factures postérieures au jugement d'ouverture du redressement judiciaire, conformément au principe jurisprudentiel selon lequel il y a lieu, pour calculer l'insuffisance d'actif, de retrancher du passif à prendre en compte les dettes nées après le jugement d'ouverture, soit en l'espèce, après le 22 novembre 2016.

En réalité, il apparaît que des frais concernant l'activité sportive des enfants de M. [J] (le moto-cross) ont été facturés à la société Clim'Assistance et payés par celle-ci (par exemple la facture du 25 mars 2014 [I] «'[Z] Cross'» de bottes + kit déco relative aux'«' trois dernières courses'»'; facture Veditex du 30 juin 2015 concernant des vêtements d'enfant publicitaires'; facture Ricci Racing du 16 septembre 2015 de Beringer concernant l'équipement d'une moto Cobra en tarif sponsoring, montage et essai sur la moto'; facture du 28 août 2015 pour la révision de deux moteurs Cobra ) et que de nombreuses factures se rapportent à l'achat de pièces mécaniques étrangères à la climatisation et le chauffage (pneus, durites etc.)'; par ailleurs il n'est aucunement établi à l'étude des factures produites que les motos importées des États -Unis ont été revendues par celle-ci'; s'agissant des prestations dites effectuées dans le cadre de son activité, il s'avère notamment que la facture Xtech du 22 février 2016 est sans rapport avec celle-ci dès lors que cette société tierce espagnole a pour objet social la réparation et la préparation des véhicules à moteur pour la compétition, ce qui doit être mis en parallèle avec les extraits d'articles de presse sportive produits au débat par le liquidateur rapportant que M'. [J] avait le projet de faire de l'un de ses fils un champion par référence «'aux Catalans, les seuls à avoir une vraie culture moto'»et de le faire participer à des courses en Espagne et de le faire piloter des motos Cobra. Par ailleurs, aucun élément objectif ne permet de considérer comme étant en rapport avec l'activité de la société débitrice l'achat de la montre (une seule mention manuscrite ajoutée sur la facture ne faisant pas la preuve de sa réelle destination au profit d'un client) ou encore celui de l'appareil photographique, la conception d'un site internet et de plaquettes publicitaires ne se suffisant pas de l'utilisation d'un simple appareil de ce type.

Au vu de ces considérations , il y a donc lieu de retenir les factures qui ne sont pas en lien avec l'activité de la société Clim'Assistance et qui correspondent à des dettes nées avant le jugement d'ouverture, à savoir des commandes passées avant le 22 novembre 2016, et à tout le moins, à défaut d'indication de la date de la commande, les factures antérieures à ce jugement.

Sans plus ample discussion, il y a lieu en conséquence de chiffrer à [165'000€ - 22'654,46€ = ] 142'345,54€ le montant des dépenses personnelles de M. [J] qui ont été financées par la société Clim'Assistance.

En conclusion de l'ensemble de ces constatations et considérations, il doit être retenu à l'encontre de M. [J] des fautes de gestion en sa qualité de dirigeant de droit de la société Clim'Assistance qui excédent la simple négligence et qui ont participé à la création de l'insuffisance d'actif de cette société'; le jugement déféré est en conséquence confirmé sur le principe de la condamnation de M. [J] au paiement de cette insuffisance d'actif.

Ces fautes de gestion, imputables à M. [J], ont elles-mêmes ont contribué à la réalisation de l'insuffisance d'actif révélée à l'issue des opérations de liquidation judiciaire pour un montant de 1'665'501,84€ , en ce qu'elles ont participé à l'appauvrissement de la société'et l'augmentation de son passif ; pour autant, contrairement aux règles applicables en matière de droit commun de la responsabilité, ce lien de causalité n'entre pas en compte pour l'évaluation du montant de la réparation du préjudice dans le cadre d'une action en responsabilité pour insuffisance d'actif'.

Considérant que les fautes de gestion de M. [J] ont contribué partiellement à la réalisation de l'insuffisance d'actif, en ce qu'il est souligné que la société Clim' Assistance a souffert également «'d'un manque de remise en question, d'une absence quasi-totale d'investissements et d'une obsession du profit plutôt que de la performance qui ont provoqué un déclin soudain puis de plus en plus rapide'» (cf l'offre de reprise du 6 juin 2018), M. [J] doit être condamné à payer au liquidateur judiciaire la somme de 750 000€, le jugement déféré étant infirmé en ce sens.

Sur les délais de paiement

M. [J] n'est pas accueilli dans ce chef de prétention sur lequel les premiers juges ont omis de statuer, dès lors qu'un échelonnement des délais de paiement sur 24 mois, maximum légal, n'est pas de nature à permettre l'apurement de la dette.

Sur la faillite personnelle

Il résulte des articles 4 et 5 du code de procédure civile que le juge est tenu par l'objet du litige tel que les parties l'ont fixé, l'ordre des demandes étant alors à prendre en considération. Dès lors, si le demandeur classe une demande en demande principale et l'autre en demande subsidiaire, le juge doit d'abord statuer sur la première et, s'il l'admet, est dispensé d'examiner la seconde, émise seulement pour le cas où la première serait rejetée.

De fait, le liquidateur judiciaire a saisi les premiers juges d'une demande principale (demande de condamnation de M. [J] à l'insuffisance d'actif) et d'une demande subsidiaire (prononcé d'une faillite personnelle à l'encontre de M. [J])'; le jugement dont appel n'énonce pas que le liquidateur judiciaire a modifié à l'audience la priorité de ses demandes en sollicitant oralement, ainsi que le soutient le liquidateur judiciaire à hauteur d'appel, le prononcé de cette faillite en complément de la demande de comblement de passif.

Sans qu'il puisse être reproché aux premiers juges d'avoir statué ultra petita , en ce que la demande de prononcé d'une faillite personnelle entrait dans le champ de leur saisine (outre le fait que la sanction d'un jugement prononcé ultra petita n'est pas son infirmation mais la possibilité d'une requête en modification sur le fondement des articles 463 et 464 du code de procédure civile), il doit être dit qu'ayant accueilli la demande principale du liquidateur judiciaire, ils ont vidé leur saisine et n'étaient plus tenus de statuer plus avant sur la demande subsidiaire, laquelle était devenue sans objet.

Sans plus ample discussion, le jugement déféré sera en conséquence infirmé de ce chef.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Succombant dans l'essentiel de ses prétentions, M. [J] assume les dépens d'appel comme ceux de première instance qui sont confirmés, et conserve la charge de ses frais de procédure'; il doit être condamné à une indemnité de procédure au liquidateur judiciaire pour la cause d'appel, l'indemnité allouée en première instance étant confirmée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, et par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement déféré, sauf en ses dispositions relatives au montant de la condamnation pour insuffisance d'actif et au prononcé de la faillite personnelle de M. [P] [J],

Statuant à nouveau sur ces chefs, et ajoutant,

Déboutant la SELARL [Y] [H], venant aux droits de la SELARL Alliance MJ, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Clim' Assistance, de son appel incident,

Condamne M. [P] [J] à payer à la SELARL [Y] [H], venant aux droits de la SELARL Alliance MJ, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Clim' Assistance, la somme de 750 000€ au titre de l'insuffisance d'actif,

Dit que la demande subsidiaire en prononcé de faillite personnelle à l'encontre de M.[P] [J] est devenue sans objet par suite de l'accueil de la demande principale fondée sur la responsabilité pour insuffisance d'actif,

Déboute M. [P] [J] de sa demande de délais de paiement,

Condamne M. [P] [J] à verser à la SELARL [Y] [H], venant aux droits de la SELARL Alliance MJ, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Clim' Assistance une indemnité de procédure de 4'000€ en cause d'appel,

Déboute M. [P] [J] de sa demande présentée en appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [P] [J] aux dépens d'appel.

Le Greffier,Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : 3ème chambre a
Numéro d'arrêt : 21/01467
Date de la décision : 12/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-12;21.01467 ?
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