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12/05/2022 | FRANCE | N°18/00883

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale c, 12 mai 2022, 18/00883


AFFAIRE PRUD'HOMALE



RAPPORTEUR





N° RG 18/00883 - N° Portalis DBVX-V-B7C-LQI6





SAS LPCR GOUPE



C/

[N]







APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON

du 02 Février 2018

RG : 16/03200









COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE C



ARRÊT DU 12 MAI 2022







APPELANTE :



Société LPCR GOUPE venant aux droits de la Société LPCR CP

RHONE (LES PETITS CHAPERONS ROUGES)

[Adresse 1]

[Localité 4]



représentée par Me Jean-baptiste BADO de la SELARL ABEILLE & ASSOCIES - LYON, avocat au barreau de LYON

ayant pour avocat plaidant Me Denis FERRE de la SELARL ABEILLE & ASSOCIES, avocat s...

AFFAIRE PRUD'HOMALE

RAPPORTEUR

N° RG 18/00883 - N° Portalis DBVX-V-B7C-LQI6

SAS LPCR GOUPE

C/

[N]

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON

du 02 Février 2018

RG : 16/03200

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE C

ARRÊT DU 12 MAI 2022

APPELANTE :

Société LPCR GOUPE venant aux droits de la Société LPCR CP RHONE (LES PETITS CHAPERONS ROUGES)

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Jean-baptiste BADO de la SELARL ABEILLE & ASSOCIES - LYON, avocat au barreau de LYON

ayant pour avocat plaidant Me Denis FERRE de la SELARL ABEILLE & ASSOCIES, avocat substituée par Me Camille FIGEROD, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMÉE :

[R] [N]

née le 19 Avril 1993 à [Localité 3]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Gaël SOURBE de la SCP BAUFUME ET SOURBE, avocat au barreau de LYON

ayant pour avocat plaidant Me Marie MESTEK, avocat au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 03 Décembre 2021

Présidée par Nathalie PALLE, Présidente magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Elsa SANCHEZ, Greffier.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

- Nathalie PALLE, président

- Bénédicte LECHARNY, conseiller

- Thierry GAUTHIER, conseiller

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 12 Mai 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Nathalie PALLE, Président et par Elsa SANCHEZ, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

********************

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Suivant un contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 25 août 2014, Mme [N] (la salariée) a été engagée par la société LPCR Lyon (aussi dénommée LPCR CP Rhône), aux droits de laquelle vient la société LPCR Groupe (la société), en qualité d'aide auxiliaire, statut employé.

Par un avenant du 15 décembre 2014, la salariée a occupé le poste d'agent spécialisé petite enfance, statut employé.

Par courrier du 16 octobre 2015, la société a notifié à la salariée un avertissement pour ne pas s'être présentée à une formation gestes et postures.

La salariée a été placée en arrêt de travail pour maladie du 13 au 23 octobre 2015, prolongé à trois reprises du 26 octobre au 24 novembre 2015.

Par courrier du 26 octobre 2015, la société a convoqué la salariée à un entretien préalable en vue d'une éventuelle sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement fixé au 4 novembre 2015, et lui a notifié dans le même temps une mise à pied à titre conservatoire.

Par courrier du 17 novembre 2015, la société a notifié à la salariée son licenciement pour faute grave dans les termes suivants :

«(...) Depuis le 29 septembre 2015, plusieurs faits et éléments que nous déplorons ont été portés à notre connaissance.

1. Non respect de vos obligations contractuelles, du devoir de loyauté et de discrétion, non respect des directives de votre hiérarchie :

- Vous ne respectez pas les éducatrices de jeunes enfants (EJE) ni leur autorité fonctionnelle, en effet, vous tenez avec deux de vos collègues le type de propos suivants : 'elle nous regarde mal et a l'air débile, elle se prend pour la chef mais elle va vite redescendre, on s'en fout, on fait ce qu'on veut, ce n'est pas une nouvelle qui va nous dire quelque chose'

- Depuis la rentrée de septembre 2015, vous avez élaboré des projets avec vos collègues sans même consulter l'EJE de la section, dans le rôle est, nous vous le rappelons, de s'assurer de la cohérence des activités proposées aux enfants avec le projet pédagogique et de la pertinence des pratiques professionnelles,

- Vous avez indiqué en parlant de la dernière EJE récemment arrivée 'elle a l'air faible, il sera facile de se la mettre dans la poche' ,

- Vous dites à peine bonjour à l'une des EJE,

- La direction passe ses appels confidentiels depuis la portable de la crèche à l'extérieur des locaux pour garantir la confidentialité des échanges car vous, ou l'une de vos deux collègues, avez à plusieurs reprises, écouté les conversations qui se tenaient dans le bureau de la direction. Il en est de même lorsque la directrice et son adjointe souhaitent échanger sur un sujet confidentiel,

- Vous gardez régulièrement votre téléphone portable avec vous en section,

- L'EJE de votre section a dû vous reprendre sur la durée de votre pause, puisque vous preniez 1h10 et non 1h comme prévu dans votre planning.

L'ensemble de ces points relève d'un comportement professionnel inadapté ainsi que du non respect des obligations contenues dans votre contrat de travail. Nous vous rappelons que vous n'avez pas à tenter d'avoir accès à des éléments confidentiels liées à la gestion de l'établissement.

De plus, le non respect de vos horaires de travail relève de l'insubordination.

Enfin, ce comportement est en contradiction avec l'un des points de la charte de bientraitance que vous avez signée et que vous vous êtes engagée à respecter depuis le 29 août 2014 : 'Parler respectueusement aux collaborateurs et des collaborateurs'.

2. Comportement inapproprié d'un point de vue professionnel en lien avec les enfants :

- Vous circulez entre les sections pour bavarder sur des sujets d'ordre privé, avec des collègues que vous côtoyez à titre personnel, en présence des enfants, laissant vos autres collègues de section en difficulté

- Les sujets privés abordés devant les enfants sont parfois même des sujets de l'ordre de votre vie intime, qu'il est particulièrement déplacé d'aborder devant un jeune public

- Vous 'utilisez' les enfants à des fins d'amusement personnel, notamment en leur disant 'va dire à telle professionnelle : 't'es moche', 'tu pues''

- Le 22 septembre 2015, vous avez laissé une enfant seule sur la table de change le temps d'aller chercher quelque chose dans un placard

- Lorsque vous étiez dans la section des bébés, votre collègue a dû donner 7 repas d'affilé à des enfants car vous ne vous en occupiez pas alors qu'ils avaient visiblement faim

- Vous avez isolé l'une de vos collègues de section, ne lui adressant quasiment pas la parole, en ne lui transmettant pas les informations nécessaires à la bonne prise en charge des enfants et n'écoutez ou ne tenez pas compte des transmissions qu'elle peut vous faire

Au regard de ces élément, nous nous interrogeons sur la qualité de la tenue de votre mission.

Premièrement, dans les conditions décrites, il parait assez difficile que vous puissiez vous occuper convenablement des enfants, avec toute l'attention et le professionnalisme nécessaires.

Nous ne pouvons ainsi que déplorer un défaut de prise en charge des enfants.

Deuxièmement, votre verbalisation auprès des enfants peut s'avérer inappropriée et votre comportement peut les mettre dans une situation inconfortable et qu'ils ne peuvent comprendre au regard de leur âge.

De plus, nous constatons un non respect de votre rôle d'assurer la sécurité physique, affective et psychologique des enfants. En effet, vous avez failli dans la réponse aux besoins primaires des enfants, en ne leur donnant pas leur repas.

Nous constatons également une mise en danger grave de la sécurité d'une enfant, lorsque vous la laissez seule sur la table de change.

Sur ces deux derniers points, vous n'avez pas respecté l'article 3 - Fonctions, de votre contrat de travail qui prévoit notamment dans vos attributions 'dispenser les soins d'hygiène corporelle des enfants et veiller à leur sécurité' ainsi que 'aider à la préparation des repas des enfants avec la cuisinière de l'établissement et prendre en charge leur alimentation'.

Vous avez par ailleurs, évoqué des situations intimes qui peuvent nuire à la sécurité psychologique des enfants.

En outre, nous sommes perplexes sur votre capacité à mettre en place le projet éducatif des Petits chaperons rouges dans ces conditions.

Enfin, vous ne respectez à nouveau pas les dispositions de la charte de bientraitance, qui nous vous le rappelons est largement inspirée de la Convention internationale des droits de l'enfants et de la Déclaration universelle des droits de l'Homme : 'Assurer à l'enfant la protection, l'attention, l'environnement et les soins nécessaires à son bien-être et à son épanouissement'.

3. Comportement inadapté conduisant à la création d'une ambiance pesante et oppressante pour vos collègues de travail :

- Vous vous moquez de vos collègues de travail avec les personnes avec lesquelles vous avez construits des liens extra-professionnels : rires, 'messes basses', imitation de voix

- Vous tenez des propos déplacés et insultants ou participez à des conversations contenant ce type de propos : 'elle fait trop de bruit en mangeant', 'elle ne sent pas bon, on va lui acheter du déodorant', 'tu n'es qu'une paysanne', 'ta gueule', 'sale pute', 'je t'emmerde', 'c'est des connes chez les bébés', propos qui n'ont absolument pas leur place dans le milieu professionnel

- Vous cessez de parler lorsque des professionnelles qui ne font pas partie de cotre 'cercle privilégié' entrent dans la salle de pause et vous vous envoyez des SMS en leur présence, en riant

- Vous adoptez un ton agressif, menaçant, déstabilisant pour vos collègues

- Vous prenez en photo avec votre téléphone les professionnelles lorsqu'elles sont entrain de manger

- Sur une période d'une dizaine de jours fin septembre, début octobre, vous avez mangé dans le couloir menant au vestiaire pour épier les conversations de vos collègues en salle de pause

- Le 30 septembre 2015, vous vous êtes rendue en section pour interroger votre collègue sur l'objet de son entretien avec le service RH, sur le contenu de ce qu'elle avait dit à la responsable ressources humaines, alors même que l'éducatrice de jeunes enfants vous avait indiqué l'indisponibilité de votre collègue

- Ce même jour, vous avez avec un groupe de collègue, interpellé cette même collègue dans le vestiaire, vous l'avez interrogée, pendant près de 45 minutes, lui demandant pourquoi elle s'était rendue à la direction régionale la veille. C'est un point qui a d'ailleurs été évoqué dans l'après-midi avec vous par la directrice puisque votre collègue lui était apparue très choquée suite à cette entrevue

- Le 7 octobre 2015, vous avez avec deux collègues, commencé à passer dans toutes les sections afin de prendre en note tous les faits et gestes de vos collègues, en pointant tout ce qui selon vous n'était pas fait correctement, en indiquant que vous en preniez note

- Le 8 octobre 2015, plusieurs de vos collègues sont venues avec les larmes aux yeux, dans le bureau de la direction en indiquant qu'elles ne supportaient plus la pression que vous mettiez en permanence par vos regards et votre surveillance toujours plus accrue

- Certaines professionnelles s'attendent sur le parking avant leur prise de poste pour être sures de ne pas se retrouver seules dans le vestiaire avec vous ou l'une des collègues de votre groupe

- Le 7 octobre 2015, l'une de vos collègues a sollicité un rendez-vous avec le médecin du travail du fait de cette pression ressentie

- Vous portez, avec vos deux collègues, des jugements de valeur sur les diplômes : lorsqu'une nouvelle professionnelle est arrivée à la crèche, l'une de vous lui a demandé quel était son diplôme et lorsqu'elle vous a répondu : AP, il lui a été rétorqué : 'ah ok, c'est comme le BEP rien de spécial'

- Certaines professionnelles ont quitté la crèche en mettant fin à leur période d'essai du fait de votre comportement et de l'ambiance pesante que vous avez créée avec vos deux collègues au sein de la crèche

L'ensemble de ces éléments et leurs conséquences sur les conditions et l'environnement de travail de la crèche sont constitutifs d'une situation de harcèlement moral.

En effet, nous vous rappelons la définition légale du harcèlement moral :

'Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel'.

Plus précisément, vos pratiques persécutrices (surveillance, contrôle des conversations entre collègues), vos pratiques relationnelles (injures, critiques systématiques, niveau verbal menaçant, ne pas dire bonjour), vos pratiques d'isolement (création de clans) conduisent à une dégradation des conditions psychologiques de travail en ce sens que vos collègues ne se sentent plus sereines et en sécurité sur leur lieu de travail.

Enfin, la perte de confiance dans leurs compétences peut nuire à leur avenir professionnel.

En tant qu'employeur, selon l'article L. 1152-4 du code du travail, nous sommes tenus de prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.

L'ensemble de ces éléments démontre que vous n'assumez pas vos missions de professionnelle de petite enfance dans le respect des règles et valeurs de l'entreprise, que vous ne respectez pas les directives de votre direction, et enfin et surtout, que vous êtes impliquée et participez à la mise en place d'une situation de harcèlement moral auprès de certaines de vos collègues de travail.

Les explications recueillies auprès de vous lors de notre entretien du 4 novembre 2015, ne nous ont pas permises de modifier notre appréciation des faits.

En conséquence, après examen de votre dossier personnel et des différents documents en notre possession, nous vous informons que nous avons décidé de vous licencier pour faute grave.

Compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés, votre maintien dans l'entreprise s'avère impossible, le licenciement prend donc effet immédiatement à la date du 17 novembre 2015, sans indemnité de préavis, ni de licenciement.

(...)'.

Par courrier 24 novembre 2015, la salariée a contesté son avertissement.

Le 30 septembre 2016, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes de Lyon afin de voir juger que son licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse et d'obtenir la condamnation de la société à lui verser une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'indemnité légale de licenciement, l'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents.

Par jugement du 2 février 2018, le conseil de prud'hommes a :

- jugé le licenciement de la salariée fondée sur une cause réelle et sérieuse,

- condamné la société à lui payer les sommes suivantes :

366,54 euros à titre d'indemnité de licenciement,

2980 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 298 euros au titre des congés payés afférents,

1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- fixé le salaire mensuel à la somme de 1 490 euros,

- ordonné l'exécution provisoire,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

- condamné la société aux dépens.

La société a relevé appel le 7 février 2018, et la salariée a également formé appel le 1er mars 2018. Les procédures enregistrées sous les numéros 18/00883 et 18/01607 ont été jointes par ordonnance du 25 octobre 2018 sous le seul numéro 18/00883.

Dans ses dernières conclusions n°2 notifiées le 24 décembre 2018, auxquelles il convient de se reporter pour un plus ample exposé de ses moyens, la société demande à la cour de :

- déclarer irrecevables les nouvelles demandes de la salariée en cause d'appel,

- réformer le jugement en ce qu'il a requalifié le licenciement pour faute grave en un licenciement pour cause réelle et sérieuse et a condamné la société aux sommes afférentes,

- dire que le licenciement de la salariée repose sur une faute grave,

- débouter la salariée de l'ensemble de ses demandes,

- condamner la salariée à la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la condamner aux dépens.

Dans ses dernières conclusions n°2, notifiées le 6 avril 2020, auxquelles il convient de se reporter pour un plus ample exposé de ses moyens, la salariée demande à la cour de :

- infirmer le jugement en ce qu'il a jugé que son licenciement était fondé sur une cause réelle et sérieuse,

- infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société au paiement des sommes suivantes:

366,54 euros à titre d'indemnité de licenciement,

2 980 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 298 euros au titre des congés payés afférents,

1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- réformer le jugement,

A titre principal,

- dire et juger que la salariée bénéficiait d'une période de protection lors de son licenciement en raison de sa grossesse et que le licenciement prononcé à son encontre est nul,

- condamner la société à lui verser la somme de 14 900 euros à titre de dommages- intérêts pour licenciement nul, avec intérêts légaux à compter de la saisine du conseil de prud'hommes,

A titre subsidiaire,

- ordonner la transmission du registre du personnel,

- dire et juger que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- condamner la société à lui verser la somme de 8 940 euros à titre de dommages- intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec intérêts légaux à compter de la saisine du conseil de prud'hommes,

Plus subsidiairement,

- dire et juger que son licenciement ne repose que sur une cause réelle et sérieuse, et non sur une faute grave,

En tout état de cause,

- débouter la société de ses demandes,

- condamner la société à lui payer les sommes suivantes, avec intérêts légaux à compter de la saisine du conseil de prud'hommes :

366,54 euros à titre d'indemnité de licenciement,

2 980 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 298 euros au titre des congés payés afférents,

1 142,33 euros à titre de rappel de salaire en raison de la mise à pied conservatoire, outre 114 euros au titre des congés payés afférents,

2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société aux dépens de l'instance.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 9 avril 2020.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, il convient de rappeler que les demandes tendant à voir - constater - ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile et ne saisissent pas la cour et il en est de même des demandes tendant à voir - dire et juger - , lorsque celles-ci développent en réalité des moyens.

Sur la recevabilité des demandes en nullité du licenciement et de rappel de salaire en raison de la mise à pied conservatoire et des congés payés afférents

Selon l'article 564 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

Aux termes de l'article 565 du code de procédure civile, les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.

Et selon l'article 566, les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

Les demandes formées par la salariée au titre d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse puis d'un licenciement nul, bien qu'ayant un fondement juridique différent, tendent à la même fin qui est celle de l'indemnisation des conséquences du licenciement que la salariée estime injustifié, de sorte la demande en nullité du licenciement formée à hauteur d'appel est recevable.

Et, en ce qu'elles constituent l'accessoire de la contestation du bien fondé du licenciement disciplinaire pour faute grave, les demandes en paiement des salaires afférents à la période de la mise à pied disciplinaire conservatoire et d'indemnité compensatrice de congés payés subséquente, formées à hauteur d'appel, sont recevables.

Sur la nullité du licenciement

Aux termes de l'article L. 1225-4 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n°2016-1088 du 8 août 2016, applicable à la date du licenciement, aucun employeur ne peut rompre le contrat de travail d'une salariée lorsqu'elle est en état de grossesse médicalement constaté et pendant l'intégralité des périodes de suspension du contrat de travail auxquelles elle a droit au titre du congé de maternité, qu'elle use ou non de ce droit, ainsi que pendant les quatre semaines suivant l'expiration de ces périodes.

Toutefois, l'employeur peut rompre le contrat s'il justifie d'une faute grave de l'intéressée, non liée à l'état de grossesse, ou de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à la grossesse ou à l'accouchement. Dans ce cas, la rupture du contrat de travail ne peut prendre effet ou être notifiée pendant les périodes de suspension du contrat de travail mentionnées au premier alinéa.

En l'espèce, la salariée a été placée en arrêt de travail pour maladie du 13 au 23 octobre 2015, prolongé à trois reprises du 26 octobre au 24 novembre 2015.

Il ressort des mentions du volet n°1, destiné au service médical de l'organisme social, que dans le certificat médical du 2 novembre 2015 comme dans celui du 10 novembre 2015 de prolongation de l'arrêt de travail respectivement jusqu'au 9 novembre puis jusqu'au 24 novembre 2015, le médecin prescripteur a fait figurer, en cochant la case prévue à cet effet, que cet arrêt de travail était en rapport avec un état pathologique résultant de la grossesse.

Bien que le volet n°1 de l'arrêt de travail ne soit pas communiqué à l'employeur, la même rubrique figure sur le volet n°3 de l'imprimé Cerfa, destiné à l'employeur.

La société ne produit pas l'original du volet n°3 des certificats de prolongation d'arrêt de travail des 2 et 10 novembre 2015 dont elle a été destinataire en sa qualité d'employeur.

En dépit de la piètre qualité des photocopies du volet n°3 des certificats de prolongation des 2 et 10 novembre 2015 qui sont produites aux débats par la société qui se borne à soutenir qu'elles sont peu lisibles sans prétendre qu'elle n'en détient plus les originaux dont elle était pourtant destinataire, la lecture du volet n°3 de l'imprimé Cerfa du certificat médical de prolongation du 10 novembre 2015 amène la cour à constater qu'il porte la trace d'un trait figurant en face de la rubrique «en rapport avec un état pathologique résultant de la grossesse».

Il en résulte que l'état de grossesse de la salariée, ainsi médicalement constaté, avait été porté à la connaissance de l'employeur à compter du 10 novembre 2015, soit avant la rupture du contrat de travail.

La salariée n'étant pas au moment du licenciement en période de suspension de son contrat de travail pour congé de maternité, tel que prévu à l'article L. 1225-17 du code du travail, il convient de rechercher si le licenciement est fondé sur une faute grave non liée à l'état de grossesse, qui est seul exclusif de la sanction de sa nullité.

Sur le licenciement

Il résulte des articles L.1232-1 et L.1232-6 du code du travail que le licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse et résulte d'une lettre de licenciement qui en énonce les motifs.

Et selon l'article L. 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuite disciplinaire au delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance.

La connaissance par l'employeur des faits reprochés s'entend d'une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits et, lorsque des vérifications sont préalablement opérées, le résultat de celles-ci marque le point de départ du délai de prescription.

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.

Il appartient à l'employeur qui se prévaut d'une faute grave du salarié pour rompre le contrat de travail d'apporter la preuve de faits précis et matériellement vérifiables, invoqués dans la lettre de licenciement. Lorsque le doute subsiste sur le caractère sérieux et réel du motif invoqué, il profite au salarié.

La gravité du manquement imputé est appréciée au regard du contexte, de la nature des agissements, des fonctions exercées dans l'entreprise, de l'ancienneté, d'éventuels manquements antérieurs et du préjudice en résultant pour l'employeur.

Aux termes du contrat de travail, la salariée était employée en qualité d'agent spécialisée de la petite enfance au sein de la crèche d'enfants.

Il ressort en substance de la lettre de licenciement pour faute grave que la société invoque trois séries de griefs (a, b et c), qu'elle indique avoir découverts le 29 septembre 2015, auxquels la salariée oppose la prescription, les faits invoqués datant de plus de deux mois avant l'engagement de la procédure de licenciement, et soutient que la preuve de leur matérialité comme de leur imputabilité à son encontre n'est pas rapportée.

a - Sur le non-respect par la salariée de son devoir de loyauté et de discrétion et le non respect des directives de sa hiérarchie :

Il est reproché à la salariée, d'une part, de dénigrer les éducatrices de jeunes enfants et de ne pas respecter leur autorité fonctionnelle, en tenant, avec deux autres de ses collègues, des propos déplacés et insultants, d'autre part, d'épier les conversations confidentielles de la direction, obligeant celle-ci à passer ses appels confidentiels depuis le portail de la crèche à l'extérieur des locaux, enfin, de manquer aux directives en gardant régulièrement son téléphone portable en sections et en ne respectant pas la durée de ses temps de pause.

S'agissant du premier grief, la société produit notamment :

- le témoignage de Mme [ND], aide auxiliaire, laquelle, dans une attestation du 12 octobre 2015, outre le fait qu'elle se disait elle-même victime ainsi que plusieurs collègues «de pressions, de harcèlement et de surveillance accrue» de la part de Mme [R] [N] ainsi que de deux autres ses collègues qu'elle citait comme étant Mmes [I] [K] et [KR][DZ], relate, s'agissant du rapport de ces dernières avec les éducatrices de jeunes enfants, que «comme elles ne [les] supportent pas, dès qu'une nouvelle arrive, elles essayent de la faire craquer tous les jours par des paroles comme : - elle nous regarde mal, elle a l'air débile, elle se prend pour la cheffe, mais elle va redescendre, on s'en fout on fait ce qu'on veut, ce n'est pas une nouvelle qui ne nous dire quelque chose - » ;

- le témoignage de Mme [X], éducatrice de jeunes enfants (EJE), laquelle, dans une attestation du 21 octobre 2015, relate que depuis son arrivée au sein de la crèche, le groupe qu'elle décrit comme étant formé de [J] [U], [KR] [DZ], [I] [K], [T] [F] et [R] [N] manifestent clairement que «je les dérange de part mon statut d'EJE, en se taisant quand j'arrive, en disant - attention on est surveillé - à plusieurs reprises (propos d'[R] [N])» ;

- le témoignage de Mme [L], agent spécialisé petite enfance, qui dans une attestation du 25 octobre 2015, relate qu'elle avait remarqué que « [I] [[K]] critiquait très facilement le travail des professionnels ne faisant pas partie de leur groupe et même souvent la direction; ses critiques répétées à propos de [O] (éducatrice de jeunes enfants) lui donnaient l'impression qu'[I] se pensait meilleure et plus légitime à prendre des décisions importantes pour le travail dans la crèche [...]».

S'agissant du second grief, Mme [ND] ajoute qu'alors qu'elle avait fait part de son mal-être ainsi que de celui de ses collègues, en se rendant au siège le 29 septembre 2015, elle s'était rendue compte que, le lendemain, en arrivant au travail, Mmes [N], [K] et [DZ] étaient déjà au courant et elles l'avaient questionnée à ce sujet pendant 45 minutes. Et dans une seconde attestation, également datée du 12 octobre 2015, Mme [ND] indiquait «elles se permettent d'observer et d'écouter à travers les murs tout ce qui se dit dans le bureau de la directrice [...]». La société produit également l'attestation du 11 octobre 2015 de Mme [L] qui rapporte qu'elle a «déjà vu plusieurs fois [I] [[K]] et [KR] [[DZ]] écouter ce qui se passe dans le bureau de la directrice à travers le renfoncement dans le mur de la section des moyens» ainsi que les attestations respectives des 14 octobre 2015 et 13 octobre 2015 de Mmes [Z], infirmière puéricultrice, et [O] [V], éducatrice de jeunes enfants, qui décrivent, pour l'une, que des conversations confidentielles ne pouvaient être tenues dans le bureau de la directrice adjointe sans que peu de temps après l'une des trois salariées, qu'elle décrivait comme étant Mmes [N], [K] et [DZ], le sache, et pour l'autre, qu'il n'y avait de leur part aucun respect de la hiérarchie ou de la confidentialité.

Enfin s'agissant du troisième grief, dans son attestation de témoignage du 25 octobre 2015, Mme [L], agent spécialisé petite enfance, rapporte avoir « souvent été témoin qu'[I], [T], [KR], [R] M. et [J] gardaient leur téléphones portables sur elles ou dans le tiroir du bureau de la section. [KR], [T] et [I] les utilisaient d'ailleurs lors de la surveillance des siestes dans les dortoirs des moyens. [...] [I], [T], [J], [KR] et [R] M. s'arrangeaient au maximum pour prendre leurs pauses en même temps. Elles prenaient régulièrement plus de temps de pause que prévu. Elles revenaient après 1 heure 15 ou 1heure 20 de pause sans aucune excuses empêchant parfois les autres professionnelles de prendre leur pause en entier.»

De ces témoignages il ressort que Mme [N] est personnellement citée comme faisant partie du groupe des trois personnes ayant un comportement inadapté à l'égard des éducatrices de jeunes enfants, peu important l'absence de rapport hiérarchique entre elles et les éducatrices, de sorte que ce fait, retenu à son encontre dans la lettre de licenciement, est établi et lui est imputable. Il en est de même s'agissant du fait que Mme [N] ne respectait pas les temps de pause.

En revanche la société ne peut se borner à associer le comportement de la salariée celui de deux autres salariées, au motif qu'elle formait manifestement un groupe avec elles, pour lui imputer précisément et individuellement le fait d'avoir épié les conversations confidentielles de la direction qui n'est donc pas établi.

Et il ressort de l'attestation de témoignage de Mme [PP], directrice, que le fait que Mme [N] gardait souvent son téléphone portable alors qu'elle se trouvait en sections avait été porté à sa connaissance dans le courant du mois d'août 2015, de sorte que, en l'absence de preuve d'une réitération de ce comportement de Mme [DZ] dans le délai de deux mois avant l'engagement de la procédure disciplinaire, le 26 octobre 2015, ce grief ne peut être sanctionné comme étant prescrit.

b- Sur le comportement professionnel inapproprié en lien avec les enfants

Il est précisément reproché à la salariée, d'une part, de circuler entre les sections pour bavarder avec ses amies sur des sujets d'ordre privé, et ce en présence des enfants, d'aborder des sujets d'ordre privé voire intime devant eux, d'utiliser les enfants à des fins d'amusement personnel, ainsi que d'avoir laissé un enfant seul sur la table de change le temps d'aller chercher quelque chose dans le placard et d'avoir laissé sa collègue donner sept repas d'affilée à des enfants car elle ne s'en occupait pas alors qu'ils avaient visiblement faim.

Il ressort des attestations de témoignages de Mmes [L], agent spécialisé petite enfance, et [M], éducatrice de jeunes enfants, que la salariée rejoignait ou était rejointe régulièrement pour bavarder avec d'autres amies de son «groupe», pendant leur service, «sans se soucier du déroulement de la journée» selon Mme [L], Mme [M] précisant «elles ferment la porte derrière elles pour ne pas qu'on les entendent».

Si Mme [L] déclare avoir constaté ce comportement peu après son arrivée en janvier 2015, il n'apparaît pas qu'elle l'avait révélé à sa supérieure hiérarchique dès cette date, ni même avant que Mme [PP], alors directrice adjointe, ne soit informée par plusieurs salariées, courant septembre 2015, des problèmes relationnels existants au sein de la structure, ainsi qu'elle en atteste. Par ailleurs, les termes de l'attestation de Mme [L], comme ceux de Mme [M], renvoient à un comportement fréquent et réitéré qui a perduré dans le temps. La prescription de ces faits soulevée par la salariée comme datant de plus de deux mois avant l'engagement de la procédure de licenciement n'est donc pas fondée.

En revanche, le contenu de ces bavardages n'est pas documenté autrement que par l'attestation de Mme [L] qui rapporte que «les discussions n'avaient que rarement un rapport avec notre travail et interféraient régulièrement avec le déroulement de la journée des bébés» , de sorte qu'il ne peut être retenu notamment que ces bavardages portaient sur des sujets intimes devant les enfants ainsi qu'il en est précisément fait le reproche à la salariée dans la lettre de licenciement.

Le grief consistant à utiliser les enfants à des fins d'amusement personnel est étayé par les attestations de témoignages de Mmes [L] et [W] qui rapportent, pour l'une, avoir constaté, fin août 2015, pendant l'accueil du matin à 8 heures que [J] avait demandé à un enfant, en insistant plusieurs fois, de dire à [R] [N] «qu'elle est moche» et l'enfant n'osant rien répéter, celles-ci s'étaient amusées de cette situation, pour l'autre, avoir constaté, au mois d'août 2015, qu'[R] [N] avait demandé à un enfant de la section des grands d'aller dire à [I] «qu'elle pue et qu'elle est moche», et l'enfant s'était exécuté.

Ces témoignages qui impliquent personnellement la salariée portent manifestement sur deux situations factuelles successives distinctes, comme ne concernant pas les mêmes personnes, de sorte qu'il n'en résulte aucune contradiction, contrairement à ce que soutient la salariée.

Par ailleurs, si ces faits sont respectivement datés d'août 2015 voire de fin août 2015, il ne ressort pas des témoignages que les deux salariées, qui ont attesté de ces faits en octobre 2015, les avaient immédiatement révélés à leur supérieure hiérarchique, ni même avant que Mme [PP], alors directrice adjointe ne soit informée par plusieurs salariées courant septembre 2015, ainsi que cette dernière en atteste, de sorte que la prescription de ces faits soulevée par la salariée comme datant de plus de deux mois avant l'engagement de la procédure de licenciement le 26 octobre 2015 n'est pas fondée.

A l'appui du grief selon lequel, le 22 septembre 2015, la salariée a laissé une enfant seule sur la table de change, la société produit l'attestation de témoignage de Mme [L] qui précise que Mme [N] avait ainsi laissé l'enfant [C] seule le temps d'aller chercher un peigne ou une brosse dans le placard. Ce témoignage est corroboré par celui de Mme [ND] qui rapporte, le 12 octobre 2015 (pièce n°11 de l'appelante), que Mme [L] s'était fait agresser dans les vestiaires par Mme [N] car elle lui avait fait la remarque de pas laisser un enfant sur le plan de change seul.

La circonstance que la mère d'un enfant accueilli à la crèche témoigne avoir toujours eu de bonnes relations avec Mme [N] et la décrive comme étant très professionnelle, ne permet pas de remettre en cause, ni même mettre en doute la réalité de faits qui ont été ainsi constatés hors la présence des parents.

S'agissant de la prise des repas, Mme [L] dont la société produit le témoignage relate « plusieurs fois [KR] était chez les bébés au moment où elle aurait du commencer le goûter chez les moyens. Lorsqu'elle revenait une autre fille avait pris son tour de goûter» sans toutefois évoquer Mme [R] [N]. Aucun des éléments produits aux débats ne vient au soutien des faits reprochés relatifs à l'absence de repas donnés aux enfants, de sorte que ces faits ne sont pas établis.

c- Sur le comportement inadapté conduisant à la création d'une ambiance de travail pesante et oppressante pour ses collègues de travail

Il est reproché à la salariée d'avoir, par ses propos déplacés et insultants, par un ton agressif et menaçant, par son comportement destablisant pour ses collègues, créé, avec deux autres de ses collègues, une ambiance pesante et oppressante pour ses collègues au sein de la crèche, à l'origine de ce que la lettre de licenciement qualifie d'une situation de harcèlement moral, certaines professionnelles ayant quitté la crèche en mettant fin à leur période d'essai du fait de ce comportement et de cette ambiance pesante, une autre ayant sollicité le 7 octobre 2015 un rendez-vous avec le médecin du travail du fait de cette pression ressentie et plusieurs s'étant présentées, le 8 octobre 2015, dans le bureau de la direction avec les larmes aux yeux disant qu'elles ne supportaient plus cette pression.

Les faits reprochés sont étayés par les attestations de témoignages de dix salariées employées à la crèche qui font état du comportement régulièrement moqueur et dénigrant adopté par Mme [N], laquelle, avec deux autres salariées que les attestantes désignent comme étant Mmes [K] et [DZ], instaurait une ambiance faites de critiques et de moqueries, certaines salariées évoquant un climat de peur voire de terreur ainsi entretenue.

Il résulte de la propre déclaration de Mme [PP], infirmière qui assurait alors les fonctions de directrice de la crèche, que Mme [ND] lui avait confié début juillet 2015 que Mmes [N], [DZ] et [K] «lui faisaient peur» et qu'elle subissait régulièrement «des moqueries notamment en salle de pause» et qu'elle avait «peur de représailles» si celles-ci savaient qu'elle en avait parlé, précisant que « Mme [N] est très sanguine» ; que Mme [Y] était ensuite venue lui dire à qu'elle ne supportait plus de manger avec Mmes [N], [DZ] et [K] puis, le 27 juillet 2015, Mme [P] l'avait informée démissionner de son poste car elle ne supportait plus l'ambiance pesante infligée par ces trois personnes.

Toutefois, l'ampleur des faits reprochés à la salarié au préjudice de plusieurs autres salariées de la crèche n'a été découvert par l'employeur qu'à partir du 29 septembre 2015, ainsi qu'il est retenu dans la lettre de licenciement, date à laquelle Mme [ND] a été entendue par la responsable des ressources humaines au siège de l'entreprise, et plus encore le 8 octobre 2015 lorsque Mme [PP] a reçu trois salariées dont Mme [ND] en pleurs dans son bureau, ce qui démontre en outre que les faits n'avaient alors pas cessé.

La société a ensuite recueilli les témoignages écrits des dix salariées dans le courant du mois d'octobre 2015, étant observé que toutes les attestations écrites produites par la société aux débats, sur la base desquelles est fondée l'engagement de la procédure disciplinaire, portent une date de signature antérieure au 26 octobre 2016.

Alors que la salariée remet en cause la fiabilité du témoignage de Mme [ND] par le fait que celle-ci ne pouvait se sentir terrrorisée par elle alors qu'elles entretenaient une certaine complicité et qu'elles se fréquentaient en dehors du cadre professionnel, Mme [A] relate pourtant que « [H] [ND] a pleuré à plusieurs reprises à la suite de moqueries comme «tu n'es qu'une paysanne». Dans une dernière attestation du 6 juillet 2017, Mme [ND] explique avoir été obligée d'être proche du groupe de [KR] [DZ], [I] [K] et [R] [N] «pour se protéger», ces filles se croyant «tout permis et n'ayant peur de rien».

Plusieurs salariées rapportent qu'en salle de pause, [R] [N], [I] [K] et [KR] [DZ] se moquaient sans aucune raison de leurs collègues, les mettaient mal à l'aise en cessant de parler, communiquant alors entre elles par SMS puis éclatant de rire. Ainsi, Mme [D] relate les propos vulgaires proférés par [R] [N] et [KR] [DZ] destinés, selon elle, «à choquer» et précise qu'«en revenant de vacances [R] [N] [avait] dit en salle de pause aux filles avec qui elle parlait - ta gueule, ah je vous avais manqué et bien je suis revenue et je vais niquer vos mères».

Les faits reprochés à Mme [N] ressortent suffisamment des témoignages circonstanciés et concordants des salariées qui ont attesté et si celles-ci y relatent que la situation générée par le comportement inadapté de Mme [N] et de deux autres salariées remonte à l'été 2015 voire au début de l'année 2015, il est également établi, d'une part, que les agissements fautifs ont été découverts dans toutes leur ampleur moins de deux mois avant l'engagement de la procédure de licenciement disciplinaire, ainsi qu'il a été dit plus avant, d'autre part, qu'ils ont perduré dans ce délai, de sorte que le moyen tiré de la prescription des faits n'est pas fondé.

S'agissant des répercussions de ces faits, il n'est pas établi autrement que par le témoignage indirect de Mme [PP] que les démissions alléguées de salariés étaient en lien avec l'ambiance pesante que Mme [DZ] et deux autres salariées faisaient régner au sein de l'établissement. En revanche, il ressort des attestations des 13 et 14 octobre 2015 de Mmes [E] et [Z], respectivement agent spécialisé petite enfance et infirmière puéricultrice, que la première explique notamment qu'«[R] [N] a une façon de s'adresser à chacune d'entre nous de façon un peu menaçante, ce qui est très destabilisant [...]» et conclut «je ne me sent plus à m0a place à la crèche [...], depuis un mois et demi je suis sous anxiolytique ; rien que le fait de voir [KR], [I] et [R] dans la crèche me met une boule au ventre ; aujourd'hui et depuis janvier, je me sent mentalement fatiguée et impuissante face à elles», que la seconde indique notamment que depuis deux semaines environ elle retrouvait Mmes [G], [A] et [ND] en pleurs, celles-ci lui confiant «en avoir marre de subir autant de pression de la part de [KR] [DZ], [I] [K] et [R] [N], l'ambiance devenant insupportable» et que, le 7 octobre 2015, Mme [E] lui avait demandé un rendez-vous avec le médecin du travail, lui disant souffrir de la situation stressante à la crèche et être sous anti-dépresseur.

La société produit également le courrier du19 novembre 2015 du médecin du travail qui indique avoir constaté, lors de certaines consultations médicales, la présence possible d'un risque psychosocial, semblant avoir eu un impact sur la santé de certaines employées en précisant «les dysfonctionnements des relations entre certaines employées pourraient en être une cause importante.»

La circonstance qu'avant le 13 octobre 2015, date à laquelle la majorité des attestations de témoignages sont datées aucune remarque n'avait été formée à l'encontre de la salariée, notamment à l'occasion des entretiens annuels d'évaluation dont le dernier datait du 25 juin 2015, est sans incidence, dès lors qu'il est démontré que les faits fautifs n'ont été révélés dans leur ampleur et leur diversité qu'au cours du mois de septembre 2015.

Par ailleurs, aucun des éléments produits aux débats ne vient, de façon crédible, au soutien de l'allégation de la salariée selon laquelle les salariées ont attesté comme elles l'ont fait par peur d'être licenciées, étant observé que ce sont pas moins de dix attestations de témoignages de salariées qui ont été recueillies.

La circonstance que d'autres salariées témoignent en faveur Mme [N], en l'occurrence Mmes [B] et [S] qui la décrivent notamment comme une bonne professionnelle impliquée dans son travail ne remet pas en cause la matérialité des faits qui sont établis et qui sont personnellement imputables à la salariée, tant dans sa pratique professionnelle que dans son comportement à l'égard d'autres salariées de l'établissement.

Alors que l'analyse des faits démontre que ceux-ci sont établis et personnellement imputables à la salariée qui, pour partie d'entre-eux, agissait de concert avec d'autres salariées, celle-ci n'est pas fondée dans son allégation selon laquelle la direction l'aurait évincée en raison de la seule proximité qu'elle avait avec Mme [KR] [DZ], également licenciée.

Ainsi, au regard des éléments suffisamment circonstanciés et concordants produits par la société aux débats, ne laissant pas de place au doute, il peut être conclu en l'existence d'un comportement professionnel inadapté de la salariée à l'égard de ses collègues de travail, ayant généré un mal-être voire une souffrance au travail au détriment de celles-ci, ainsi qu'à la réalité de comportements professionnels inappropriés à l'égard des enfants confiés à ses soins, caractérisant des manquements graves de l'intéressée à ses obligations contractuelles, qui sont sans lien avec son état de grossesse.

En raison de leur nature, engageant tant la responsabilité professionnelle de la salariée que la santé et la sécurité des personnels de l'établissement, les faits fautifs établis et personnellement imputables à la salariée, nonobstant le fait que partie d'entre eux ont été commis de concert avec d'autres salariées, rendaient impossible la poursuite de la relation de travail même pendant la durée du préavis, justifiant un licenciement pour faute grave, sans lien avec son état de grossesse, de sorte que, par infirmation du jugement, les demandes de la salariée en paiement d'indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de rappel de salaire subséquent doivent être rejetées comme étant non fondées.

Sur les demandes accessoires

Compte tenu de l'issue du litige, il y a lieu d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a mis à la charge de la société les dépens de première instance et en ce qu'il a alloué à la salariée une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La salariée qui succombe dans ses prétentions est condamnée aux dépens d'appel.

L'équité et la situation économique respective des parties ne justifient pas qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais non compris dans les dépens exposés en première instance et en cause d'appel par la société.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe et en dernier ressort,

DÉCLARE recevables les demandes en nullité du licenciement et en rappel de salaire en raison de la mise à pied conservatoire,

INFIRME le jugement en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

REJETTE, comme étant non fondées, les demandes de Mme [N],

REJETTE les demandes des parties présentées en première instance et en appel au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE Mme [R] [N] aux dépens de première instance et d'appel.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale c
Numéro d'arrêt : 18/00883
Date de la décision : 12/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-12;18.00883 ?
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