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04/05/2022 | FRANCE | N°19/03959

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale a, 04 mai 2022, 19/03959


AFFAIRE PRUD'HOMALE



RAPPORTEUR





N° RG 19/03959 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MNBC





[E]



C/

SARL ALLIANCE RHONE-ALPES SECURITE PRIVEE







APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON

du 10 Mai 2019

RG : F 18/00461











COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE A



ARRÊT DU 04 MAI 2022





APPELANT :



[T] [E]

né le 06 Octobre 1974 à

[Localité 5]

[Adresse 4]

[Localité 3]



représenté par Me Stéphane TEYSSIER de la SELARL TEYSSIER BARRIER AVOCATS, avocat au barreau de LYON







INTIMÉE :



SARL ALLIANCE RHONE-ALPES SECURITE PRIVEE

RCS 520 933 177 000 13

[Adresse 1]

[Localité 2]...

AFFAIRE PRUD'HOMALE

RAPPORTEUR

N° RG 19/03959 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MNBC

[E]

C/

SARL ALLIANCE RHONE-ALPES SECURITE PRIVEE

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON

du 10 Mai 2019

RG : F 18/00461

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE A

ARRÊT DU 04 MAI 2022

APPELANT :

[T] [E]

né le 06 Octobre 1974 à [Localité 5]

[Adresse 4]

[Localité 3]

représenté par Me Stéphane TEYSSIER de la SELARL TEYSSIER BARRIER AVOCATS, avocat au barreau de LYON

INTIMÉE :

SARL ALLIANCE RHONE-ALPES SECURITE PRIVEE

RCS 520 933 177 000 13

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Cécile PESSON de la SARL OCTOJURIS - MIFSUD - PESSON - AVOCATS, avocat au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 14 Février 2022

Présidée par Nathalie ROCCI, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Morgane GARCES, Greffier.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

- Joëlle DOAT, présidente

- Nathalie ROCCI, conseiller

- Antoine MOLINAR-MIN, conseiller

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 04 Mai 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Joëlle DOAT, Présidente et par Malika CHINOUNE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

********************

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

La société Alliance Rhône-Alpes Sécurité Privée a pour activité la surveillance et le gardiennage. Au mois d'août 2016, elle déclarait employer huit salariés à temps plein et trois salariés à temps partiel.

Suivant un avenant du 25 février 2016, le contrat de travail conclu entre M. [E] et la société Pro-Tect Sécurité Privée a été transféré à la société Alliance Rhône-Alpes Sécurité Privée à compter du 29 février 2016 avec reprise de son ancienneté depuis le 1er janvier 2000.

M. [E] était embauché comme agent de sécurité de niveau 3, échelon E2, coefficient 140 sur le site de Pôle Emploi [Localité 6] lors de la reprise de son contrat de travail.

La relation de travail était régie par la convention nationale des entreprises de prévention et de sécurité.

A compter du 4 juillet 2016, M. [E] a été placé en arrêt de travail pour maladie à plusieurs reprises.

Dans le cadre de la visite de reprise de son poste dans l'entreprise, M. [E] a été examiné les 6 décembre 2016 et 20 décembre 2016 par le médecin du travail qui a conclu comme suit:

'Suite à la consultation du 6/12/2016, à l'étude de poste et des conditions de travail du 15/12/2016 et à la consultation de ce jour, j'en conclus que M. [T] [E] présente une inaptitude médicale définitive à son poste actuel d'agent de sécurité.

L'état de santé de M. [E] me paraît compatible avec un poste de type administratif

( saisie sur écran, classement, archivage....) en journée. L'état de santé (est) de M. [E] est également compatible avec une formation. '.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 20 janvier 2017, la société Alliance Rhône-Alpes Sécurité Privée a notifié à M. [E] une impossibilité de reclassement.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 23 janvier 2017, la société Alliance Rhône-Alpes Sécurité Privée a convoqué M. [E] le 1er février 2017 en vue d'un entretien préalable à son licenciement.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 6 février 2017, la société Alliance Rhône-Alpes Sécurité Privée a notifié à M. [E] son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Le 16 février 2018, M. [E] a saisi le conseil de prud'hommes de Lyon des demandes suivantes:

- 58 440 euros nets de dommages-intérêts pour licenciement nul ou à tout le moins sans cause réelle et sérieuse

- 3 896 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis

- 389 euros au titre des congés payés afférents

- 108 euros nets au titre de l'indemnité de licenciement

- 5 000 euros nets de dommages-intérêts pour non respect du temps de pause

- 5 000 euros nets de dommages-intérêts pour non respect de l'obligation de formation

- 1 048 euros bruts à titre de rappel de salaire

- 108 euros au titre des congés payés afférents

- 15 000 euros nets de dommages et intérêts pour exécution fautive du contrat de travail

- 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement rendu le 10 mai 2019 , le conseil de prud'hommes de Lyon a:

- jugé le licenciement notifié le 6 février 2017 par la société Alliance Rhône-Alpes Sécurité Privée à M. [E], justifié par une cause réelle et sérieuse, à savoir son inaptitude et son impossibilité de reclassement

- débouté M. [E] de ses demandes au titre de la rupture du contrat de travail, de dommages-intérêts au titre du non respect des temps de pause, de ses demandes à titre de rappel de salaires et pour exécution fautive du contrat de travail

- condamné la société Alliance Rhône-Alpes Sécurité Privée à payer à M. [E] la somme de 1 000 euros de dommages-intérêts pour absence de propositions de formation ou d'adaptation au poste

- condamné la société Alliance Rhône-Alpes Sécurité Privée à payer à M. [E] la somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires

- condamné la société Alliance Rhône-Alpes Sécurité Privée aux entiers dépens de l'instance.

La cour est saisie de l'appel interjeté le 7 juin 2019 par M. [E].

Par conclusions régulièrement notifiées le 4 janvier 2022, auxquelles il est expressément fait référence pour un plus ample exposé, M. [E] demande à la cour de:

- infirmer le jugement déféré sauf en ce qu'il a condamné la société Alliance Rhône-Alpes Sécurité Privée à lui verser la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour absence de propositions de formation ou d'adaptation au poste et la somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés:

- déclarer nul ou à tout le moins sans cause réelle et sérieuse le licenciement

Sur le contrat de travail :

- dire et juger que l'employeur a commis les manquements suivants à ses obligations

lors de l'exécution du contrat de travail : non-respect des temps de pause, non-paiement de tous les éléments du salaire, exécution fautive du contrat de travail

- condamner la société Alliance Rhône-Alpes Sécurité Privée à lui payer les sommes suivantes, outre intérêts au taux légal à compter de la saisine du Conseil de prud'hommes (article 1231-7 du code civil)

* 58 440 euros nets de dommages et intérêts pour licenciement nul ou à tout le moins sans cause réelle et sérieuse

- 3 896 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis

- 389 euros au titre des congés payés afférents

- 108 euros nets au titre de l'indemnité de licenciement (prise en compte des deux mois de préavis)

- 5 000 euros nets de dommages et intérêts pour non-respect du temps de pause

- 15 000 euros nets de dommages et intérêts pour exécution fautive du contrat de travail

- ordonner la capitalisation des intérêts en vertu de l'article 1343-2 du code civil

- condamner la société Alliance Rhône-Alpes Sécurité Privée à lui remettre des documents de rupture et des bulletins de salaire rectifiés conformes à la décision, dans les 15 jours de la notification de l'arrêt et passé ce délai sous astreinte de 150 euros par jour de retard

- se réserver le contentieux de la liquidation de l'astreinte

- condamner la société Alliance Rhône-Alpes Sécurité Privée à lui payer une indemnité de

2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure au titre de la procédure d'appel

- condamner la Société Alliance Rhône-Alpes Sécurité Privée aux dépens.

Par conclusions régulièrement notifiées le 12 janvier 2022, auxquelles il est expressément fait référence pour un plus ample exposé, la société Alliance Rhône-Alpes Sécurité Privée demande à la cour de:

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- Jugé le licenciement notifié le 6 février 2017 par Alliance Rhône-Alpes Sécurité Privée à M. [E] justifié par une cause réelle et sérieuse à savoir son inaptitude

et son impossibilité de reclassement

- Débouté M. [E] de ses demandes au titre de la rupture du contrat de travail

- Débouté M. [E] de ses demandes au titre de rappel de salaires.

- Débouté M. [E] de sa demande de dommage et intérêts pour exécution fautive du contrat de travail

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamnée à payer à M. [E] la somme de 1000€ à titre de dommages et intérêts pour absence de propositions de formation ou d'adaptation au poste

' En tout état de cause,

- donner acte que M. [E] ne sollicite plus de demandes au titre de rappels de salaire et sollicite la confirmation du jugement entrepris quant au manquement à l'obligation de formation.

Subsidiairement,

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions

- condamner M. [E] à la somme de 2500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 13 janvier 2022.

MOTIFS

- Sur le harcèlement moral:

M. [E] soutient qu'il a été victime d'un harcèlement moral et invoque, à ce titre:

- la volonté de l'employeur de ne pas reprendre les salariés affectés au site de Pôle Emploi qui seront tous licenciés dans les mois suivant la reprise du marché (M. [R], 5 mois après sa reprise et M.[U], 1 ans plus tard)

- sa mutation sur un autre site dés sa reprise en violation de l'accord conventionnel sur la reprise du personnel dans les entreprises de sécurité privée (accord du 28 janvier 2011 sur la reprise du personnel)

- les changements intempestifs d'horaires de travail et de lieux de travail (parfois dans la même journée) inaccessibles en transport en commun en application d'une clause de mobilité non valable et sans aucune justification de l'employeur

- la planification sans respect de la moindre pause et de surcroît les dimanches et jours fériés

- le passage sans son accord en horaire de nuit puis en horaire de jour avec en outre la perte de primes de nuit, constitutif d'une véritable modification du contrat de travail

- la multiplication des reproches et des avertissements injustifiés, juste après la reprise de son

contrat de travail alors qu'il avait donné entière satisfaction depuis plus de 16 ans

- son placement en arrêt maladie pour un syndrome dépressif en lien avec son travail durant près de 6 mois

- l'indication des motifs de ses arrêts de travail successifs, ainsi que les courriers et les avis du médecin du travail, sans équivoque quant à la relation directe avec ses conditions de travail

- l'altération de sa santé causée par la dégradation de ses conditions de travail.

****

La production par M. [E] de ses plannings révèle qu'il a été affecté de façon constante au site de Pôle Emploi DGSI du 1er avril 2016 au 8 juillet 2016, conformément à son affectation antérieure au transfert de son contrat de travail. A compter du 11 juillet 2016, il a été affecté sur le site 'Estudines Saxe' et sur le site 'CLIPI', ces deux sites lui étant parfois attribués au cours d'une même nuit: il en va ainsi de la nuit du 11 juillet 2016 et de plusieurs nuits au cours des mois d'août et de septembre 2016, étant précisé que les deux sites en question sont proches.

Il apparaît par ailleurs qu'alors que jusqu'au 1er juin 2016, ses heures de fin de mission se situaient entre 6H et 22H, à partir de cette date, certaines missions débutaient ou se terminaient à 1H, voire 2H30, ce qui ne lui permettait pas d'utiliser les transports en commun pour rentrer à son domicile.

Par courriel du 31 octobre 2016, M. [E] accusant réception du planning du 30 octobre 2016 lequel planifiait 16 vacations de 18H00 à 01H00, demandait la modification desdits horaires au motif qu'il ne disposait pas d'un moyen de locomotion et utilisait le réseau des transports en commun qui était fermé à partir de 00H20. L'employeur lui opposait une fin de non recevoir en invoquant l'exercice de son pouvoir de direction, l'existence d'un roulement entre les agents pour les vacations de nuit, et le respect de l'article 10 du contrat de travail aux termes duquel le salarié s'engage notamment à 'se rendre sur son lieu de travail par ses propres moyens'.

Il résulte en outre des débats que les modifications de planning ont généré des conflits qui ont donné lieu à des sanctions disciplinaires:

- un avertissement notifié le 29 juin 2016 pour avoir refusé d'effectuer une vacation de 4 heures supplémentaires le dimanche 19 juin 2016,

- une mise à pied disciplinaire notifiée le 12 août 2016 pour avoir, le 1er juillet 2016 proféré des menaces de mort visant le dirigeant de la société en disant 'savoir où trouver les kalash' s'il arrivait malheur à la fille de M. [E] laissée seule au domicile pendant son service.

En revanche, ces plannings ne permettent pas caractériser une violation des dispositions relatives au temps de pause, par la société Alliance Rhône-Alpes Sécurité Privée, étant précisé que M. [E] a saisi l'inspection du travail de la question des modifications de plannings et des sanctions, sans faire état, au regard de la demande de justification adressée à l'employeur le 10 août 2016, d'une quelconque difficulté relative au non respect des temps de pause.

En effet, l'inspection du travail a interrogé l'employeur par courrier du 10 août 2016, sur les plannings pour les mois de mars à juillet 2016, sur la nouvelle affectation sur les sites 'estudines Saxe' et 'clip1", sur le refus de prestation prévue pendant un jour de repos ainsi que sur la remise tardive du bulletin de paie du mois de juin 2016, le 8 août 2016.

****

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel

Il résulte de articles L1152-1 et L1254-1 du code du travail que lorsque le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral; dans l'affirmative, il appartient à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, la concomitance, à compter du 1er juin 2016, entre des modifications de planning qui ont affecté les horaires de travail et le lieu des missions, sans information préalable du salarié, même si le délai de prévenance a été respecté, la mise en oeuvre de sanctions disciplinaires au cours de l'été qui a suivi, lesquelles ont pour origine un désaccord sur la modification des plannings, alors d'autre part qu'il ne résulte pas des débats que M. [E] ait eu un passé disciplinaire au sein de la société, ainsi que la prise en charge médicale d'un syndrome dépressif que le salarié impute à une situation de conflit au travail et la dégradation de l'état de santé conduisant à un avis d'inaptitude médicale, constituent des éléments de nature à laisser présumer l'existence d'une situation de harcèlement moral.

La société Alliance Rhône-Alpes Sécurité Privée soutient d'une part que les sanctions infligées au salarié ne sont pas en lien avec la qualité de son travail, mais avec un refus de se présenter à son poste et avec des menaces de mort proférées contre le dirigeant de la société ainsi qu'un comportement injurieux envers le responsable d'exploitation, de sorte que les attestations produites sur la qualité de son travail sont inopérantes. L'employeur fait observer par ailleurs que M. [E] n'a jamais sollicité l'annulation des dites sanctions devant la justice.

Concernant la modification des lieux et horaires de travail, la société Alliance Rhône-Alpes Sécurité Privée indique qu'elle relève de son pouvoir de direction, du souci d'éviter le défaut de vigilance et les copinages sur les sites surveillés et d'un souci d'équité entre les salariés.

La société Alliance Rhône-Alpes Sécurité Privée oppose en outre à M. [E] les dispositions de son contrat de travail qui prévoient qu'il doit se rendre sur son lieu de travail par ses propres moyens et qu'il accepte son changement d'affectation sur un chantier ou un site appartenant ou étant sous-traité par la société.

La société Alliance Rhône-Alpes Sécurité Privée fait valoir que ni l'inspection du travail alertée par M. [E], ni la médecine du travail avec laquelle il était en contact, n'ont relevé une quelconque difficulté sur le temps de travail et les temps de pause, et que le salarié n'a fait aucune démarche aux fins de prise en charge de ses arrêts maladie au titre de la législation professionnelle.

****

Si le changement d'horaire ne constitue qu'un changement des conditions de travail qui peut être imposé par l'employeur dans le cadre de l'exercice de son pouvoir de direction, ce pouvoir comporte des limites dès lors qu'il ne doit en résulter aucune modification de la durée du travail ou de la rémunération contractuelle, ni une atteinte excessive au droit du salarié au respect de sa vie personnelle et familiale ou à son droit au repos.

En outre, lorsque la nouvelle répartition envisagée emporte un bouleversement complet des horaires antérieurement pratiqués, l'employeur ne peut invoquer l'existence d'une clause de variabilité lui permettant de modifier l'horaire de travail.

En l'espèce, les nouveaux horaires mis en place à partir du mois de juin 2016 ont eu pour effet de réduire la durée des heures de nuit effectuées mensuellement par M. [E] de façon considérable, passant de nuits de 8 heures et 10 heures de service, à des nuits de 3 ou 4 heures, et de réduire par conséquent la rémunération afférente à ces heures. Ainsi, alors que les bulletins de paie antérieurs à la modification des plannings indiquent une rémunération mensuelle des heures nuit comprise entre 73, 36 euros et 97, 48 euros, cette rémunération passe à 10,05 euros par mois au cours de l'été 2016.

Il n'est par ailleurs pas contesté qu'une prise ou fin de service à 1H ou 2H30 du matin telle que prévue dans le nouveau planning de M. [E] est susceptible de bouleverser l'organisation d'un salarié qui ne dispose pas d'un moyen de transport privé et qui est contraint d'utiliser les transports en commun. L'engagement du salarié à se rendre sur son lieu de travail par ses propres moyens, qui a trait aux modalités de prise en charge des frais de transport par l'employeur, est en l'espèce sans objet dans le débat.

Il en résulte que la modification des plannings imposée à M. [E] a entrainé une modification substantielle de l'économie du contrat, tant en ce qui concerne l'organisation personnelle du salarié que sa rémunération; qu'il s'agit d'une modification contractuelle pour laquelle l'employeur aurait dû solliciter l'accord du salarié. La société Alliance Rhône-Alpes Sécurité Privée, qui ne justifie par ailleurs, par aucun élément objectif, le principe d'équité qu'elle prétend avoir mis en oeuvre, n'est dés lors pas fondée à invoquer l'exercice de son pouvoir de direction pour justifier les modifications apportées au contrat de travail de M. [E].

Concernant les sanctions infligées à M. [E], le fait que ce dernier n'ait pas sollicité leur annulation en justice, ne présume nullement leur acceptation et ce d'autant plus que le salarié a de façon constante, contesté leur bien fondé, par lettre recommandée avec accusé de réception du 16 juin 2016 pour la première, et du 30 août 2016 pour la seconde.

Si le refus d'effectuer des heures supplémentaires le dimanche 19 juin 2016 n'est pas contesté par M. [E] qui justifie son refus par des contraintes de garde d'enfants et par l'accomplissement de 35 heures au cours de cinq nuits consécutives la même semaine, il conteste en revanche les menaces de mort à l'encontre du dirigeant en date du 1er juillet 2016, ainsi que le sms injurieux du 3 juillet 2016 à l'égard du chef d'exploitation, M. [M], objet de la pièce n°15.

La cour observe que la réalité d'un comportement menaçant et injurieux de M. [E] repose d'une part sur le témoignage de M. [P], salarié de l'entreprise, lequel ne présente pas de garantie suffisante d'impartialité compte tenu du lien de subordination à l'égard de l'employeur, d'autre part sur la copie d'un sms qui ne permet d'identifier avec certitude ni son expéditeur, ni son destinataire.

Ces éléments, outre l'absence de justification du délai écoulé entre les comportements fautifs supposés et la mise à pied disciplinaire notifiée le 12 août 2016, sont de nature à remettre en cause le bien-fondé de cette sanction.

La société Alliance Rhône-Alpes Sécurité Privée réfute par ailleurs tout lien entre les griefs exposés par le salarié et ses arrêts de travail au motif qu'aucune demande de prise en charge au titre de la maladie professionnelle n'a été formulée. Une telle demande étant indépendante du harcèlement moral, cet argument est inopérant.

Au regard des pièces médicales produites, notamment du courrier adressé le 6 décembre 2016 par le médecin du travail au docteur [W], psychiatre et médecin traitant de M. [E], le salarié établit la réalité d'un syndrome dépressif qu'il met en lien avec ses difficultés professionnelles sans qu'il ne résulte des débats l'existence d'antécédents médicaux de quelque nature que ce soit en plus de 15 années de relation contractuelle.

L'inaptitude au poste qui en est résultée alors que le salarié conserve toute aptitude sur un poste administratif, ainsi que pour suivre une formation, est un élément confortant le lien entre la maladie et les conditions de travail.

Il en résulte que les décisions modifiant les plannings de M. [E], ainsi que les décisions disciplinaires, qui ont eu des conséquences délétères sur l'état de santé de M. [E], n'étaient pas justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En application de l'article L1152-3 du code du travail, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L1152-1 et L1152-2, tout disposition ou tout acte contraire est nul.

M. [E] est par conséquent fondé à solliciter la nullité de son licenciement en raison d'une situation de harcèlement et à solliciter l'indemnisation de son préjudice. Le jugement déféré qui l'a débouté de ses demandes à ce titre sera infirmé en ce sens.

- Sur l'indemnité de préavis et l'indemnité de licenciement

Si le salarié ne peut en principe prétendre au paiement d'une indemnité pour un préavis qu'il est dans l'impossibilité physique d'exécuter en raison d'une inaptitude à son emploi, cette indemnité est due au salarié dont le licenciement est nul en raison du harcèlement moral.

La société Alliance Rhône-Alpes Sécurité Privée qui ne conteste pas, même à titre subsidiaire, les bases sur lesquelles M. [E] a formé sa demande, sera condamnée à payer au salarié les sommes suivantes:

* 3 896 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 389 euros au titre des congés payés afférents,

* 108 euros au titre de l'indemnité de licenciement.

- Sur les dommages-intérêts:

Le salarié victime d'un licenciement nul et qui ne réclame pas sa réintégration a droit, quelle que soit son ancienneté dans l'entreprise, d'une part aux indemnités de rupture, d'autre part à une indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à six mois de salaire.

Compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à M. [E] âgé de 42 ans lors de la rupture, de son ancienneté de 17 années et un mois, la cour estime que le préjudice résultant pour ce dernier de l'illicéité de la rupture doit être indemnisé par la somme de 23 500 euros, sur la base du salaire moyen des trois derniers mois précédant son arrêt de travail, soit 1 948 euros.

En conséquence, le jugement qui a débouté M. [E] de sa demande de dommages-intérêts au titre du licenciement nul, sera infirmé et la société condamnée à lui payer la somme de 23 500 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice consécutif à la nullité du licenciement .

- Sur les demandes au titre de l'exécution du contrat:

M. [E] invoque au soutien de sa demande de dommages et intérêts fondée sur l'exécution déloyale du contrat de travail les mêmes faits que ceux qu'il a présentés pour laisse présumer qu'il avait été victime de harcèlement moral.

Ces faits dont la matérialité a été établie ci-dessus constituent une exécution fautive du contrat de travail à l'origine d'un préjudice distinct de celui réparé au titre de la nullité du licenciement, de sorte que M. [E] est fondé à solliciter des dommages-intérêts supplémentaires.

La cour, au regard de la durée des faits et de leurs conséquences sur la santé du salarié, condamne la société Alliance Rhône-Alpes Sécurité Privée à payer à M. [E] la somme de 5 000 euros au titre de l'exécution fautive du contrat de travail et le déboute de sa demande pour le surplus.

****

M. [E] demande en outre la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a condamné la société Alliance Rhône Alpes Sécurité Privée à lui payer la somme de 1 000 euros de dommages-intérêts pour absence de proposition ou de formation au poste, ainsi que la somme de 5 000 euros de dommages-intérêts pour non respect des temps de pause.

Le non respect des temps de pause ne résulte d'aucun élément du débat, de sorte que le jugement déféré doit être confirmé en ce qu'il a débouté M. [E] de sa demande d'indemnisation à ce titre.

En ce qui concerne le manquement à l'obligation de formation et d'adaptation au poste, la société Alliance Rhône Alpes Sécurité Privée conclut à titre principal, au rejet de la demande compte tenu de l'impossibilité de reclasser le salarié, et à titre subsidiaire à la confirmation du jugement déféré.

La demande du salarié n'est pas faite au titre du manquement à l'obligation de reclassement mais au visa des dispositions de l'article L. 6321-1 du code du travail qui fait peser sur l'employeur une obligation d'assurer l'adaptation des salariés à leur poste de travail et de veiller à leur employabilité.

L'employeur qui ne justifie avoir proposé aucune action de formation au salarié pendant la durée de la relation contractuelle a manqué à ses obligations. Le jugement déféré sera en conséquence confirmé en ce sens, ainsi que sur le montant de l'indemnité allouée à

M. [E].

- Sur les demandes accessoires:

L'obligation faite à l'employeur de remettre les documents de fin de contrat conformes au présent arrêt ne justifie pas le prononcé d'une astreinte.

La cour fait droit à la demande de capitalisation de intérêts échus, dus au moins pour une année entière conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil.

Il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a mis à la charge de la société Alliance Rhône Alpes Sécurité Privée les dépens de première instance et en ce qu'il a alloué à M. [E] une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Alliance Rhône Alpes Sécurité Privée succombant en appel sera condamnée aux dépens d'appel.

L'équité et la situation économique respective des parties justifient qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais en cause d'appel dans la mesure énoncée au dispositif.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Statuant publiquement par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement :

CONFIRME le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société Alliance Rhône Alpes Sécurité Privée:

- à payer à M. [T] [E] la somme de 1 000 euros de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de formation et d'adaptation au poste,

- à payer à M. [T] [E] la somme de 1 200 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile

- aux dépens

CONFIRME le jugement déféré en ce qu'il a débouté M. [T] [E] de sa demande de dommages-intérêts pour non-respect des temps de pause

INFIRME le jugement déféré pour le surplus

STATUANT à nouveau et y ajoutant,

DIT que le licenciement notifié par la société Alliance Rhône Alpes Sécurité Privée à M. [T] [E] le 6 février 2017 est nul

CONDAMNE la société Alliance Rhône Alpes Sécurité Privée à payer à M. [T] [E] les sommes suivantes:

* 3 896 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 389 euros au titre des congés payés afférents

* 108 euros nets au titre de l'indemnité de licenciement

*23 500 euros bruts au titre des dommages-intérêts pour licenciement nul

CONDAMNE la société Alliance Rhône Alpes Sécurité Privée à payer à M. [T] [E] la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution fautive du contrat de travail

ORDONNE à la société Alliance Rhône Alpes Sécurité Privée de remettre à M. [T] [E] un certificat de travail, une attestation destinée au Pôle Emploi et un bulletin de salaire conformes au présent arrêt dans un délai de deux mois à compter de sa signification

REJETTE la demande d'astreinte

DIT que les intérêts échus, dus au moins pour une année entière produisent intérêts au taux légal, en application de l'article 1343-2 du code civil

CONDAMNE la société Alliance Rhône Alpes Sécurité Privée à payer à M. [T] [E] la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d'appel,

CONDAMNE la société Alliance Rhône Alpes Sécurité Privée aux dépens d'appel.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE

-


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale a
Numéro d'arrêt : 19/03959
Date de la décision : 04/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-04;19.03959 ?
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