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10/12/2020 | FRANCE | N°19/00035

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale c, 10 décembre 2020, 19/00035


AFFAIRE PRUD'HOMALE



DOUBLE RAPPORTEUR











N° RG 19/00035 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MDXH



[K]



C/

SA TEINTURERIES DE LA TURDINE









APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VILLEFRANCHE SUR SAONE

du 10 Décembre 2018

RG : F18/00014















COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE C



ARRET DU 10 Décembre 2020





r>
APPELANT :



[Z] [K]

[Adresse 4]

[Localité 1]



représenté par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON ayant pour avocat plaidant Me Pascale REVEL de la SCP REVEL MAHUSSIER & ASSOCIES, avocat au barreau de LYO...

AFFAIRE PRUD'HOMALE

DOUBLE RAPPORTEUR

N° RG 19/00035 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MDXH

[K]

C/

SA TEINTURERIES DE LA TURDINE

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VILLEFRANCHE SUR SAONE

du 10 Décembre 2018

RG : F18/00014

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE C

ARRET DU 10 Décembre 2020

APPELANT :

[Z] [K]

[Adresse 4]

[Localité 1]

représenté par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON ayant pour avocat plaidant Me Pascale REVEL de la SCP REVEL MAHUSSIER & ASSOCIES, avocat au barreau de LYON

INTIMEE :

SA TEINTURERIES DE LA TURDINE

[Adresse 3]

[Localité 2]

représentée par Me Nicolas FANGET de la SELARL VEBER ASSOCIES, avocat au barreau de LYON

DEBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 22 Octobre 2020

Présidée par Joëlle DOAT, président et Laurence BERTHIER, conseiller, magistrats rapporteurs (sans opposition des parties dûment avisées) qui en ont rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistés pendant les débats de Elsa SANCHEZ, greffier

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

- Joëlle DOAT, président

- Laurence BERTHIER, conseiller

- Bénédicte LECHARNY, conseiller

ARRET : CONTRADICTOIRE

rendu publiquement le 10 Décembre 2020 par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Joëlle DOAT, président, et par Elsa SANCHEZ, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

****

Suivant contrat de travail à durée déterminée en date du 21 juin 1988, M. [Z] [K] a été embauché par la société TEINTURERIES DE LA TURDINE en qualité d'aide autoclaves.

Le contrat a été renouvelé en dernier lieu jusqu'au 21 octobre 1988, puis un contrat de travail à durée indéterminée a été consenti à M. [K] le 18 octobre 1988, à effet du 22 octobre 1988.

M. [K] a été désigné en qualité de membre du CHSCT en novembre2010, nommé secrétaire du CHSCT à compter du 16 mai 2011 et, en juillet 2016, il a été élu membre de la délégation unique du personnel.

Le 18 juillet 2017, la société TEINTURERIES DE LA TURDINE a notifié à M. [K] un avertissement au motif d'un comportement tout à fait inacceptable vis à vis d'un autre membre de la délégation unique du personnel lors d'une réunion de la délégation, le 17 juillet 2017.

Par requête en date du 8 février 2018, M. [Z] [K] a saisi le conseil de prud'hommes de VILLEFRANCHE SUR SAONE en lui demandantd'annuler l'avertissement du 18 juillet 2017 et de condamner la société TEINTURERIES DE LA TURDINE à lui verser diverses sommes à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation d'exécution loyale du contrat de travail et de rappels de salaire, de prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail et de condamner la société TEINTURERIES DE LA TURDINE à lui verser diverses sommes à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre l'indemnité de congés payés afférents, d'indemnité de licenciement, de dommages et intérêts pour licenciement nul et d'indemnité pour violation du statut protecteur.

Par jugement en date du 10 décembre 2018, le conseil de prud'hommes a débouté M. [K] de toutes ses demandes, débouté la société TEINTURERIES DE LA TURDINE de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile et mis les dépens de l'instance à la charge de M. [K].

M. [Z] [K] a interjeté appel de ce jugement, le 4 janvier 2019.

Il demande à la cour :

- d'infirmer le jugement

sur l'exécution du contrat de travail

- d'annuler l'avertissement du 18 juillet 2017

- de condamner la société TEINTURERIES DE LA TURDINE à lui verser les sommes suivantes :

*40.000 € nets à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation d'exécution loyale du contrat de travail

* à titre principal, 25.194,24€ à titre de rappels de salaire liée à la modification unilatérale du contrat de travail, outre 2.519,42€ de congés payés afférents (à parfaire)

* à titre subsidiaire, 9.552,32 € € au titre de l'indemnité conventionnelle de suppression du travail de nuit, outre 955,28 € de congés payés afférents

sur la rupture du contrat de travail

- de prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail

- de condamner la société TEINTURERIES DE LA TURDINE à lui verser les sommes suivantes :

indemnité compensatrice de préavis :

* à titre principal, 5.307,96 euros, outre 530,80 € de congés payés afférents

* à titre subsidiaire, 3.208,44€ outre 320,84€ de congés payés afférents

indemnité de licenciement :

* à titre principal, 26.539,80€

* à titre subsidiaire, 16.042,20€

indemnité de violation du statut protecteur :

* à titre principal, 79.619 euros nets

* à titre subsidiaire, 48.120 euros

dommages et intérêts :

* à titre principal, 65 000€ nets

* à titre subsidiaire, 65 000€ nets

* à tout le moins, 53 100€ nets

- de condamner la société TEINTURERIES DE LA TURDINE à lui verser la somme de 2.000 nets au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- de condamner la société TEINTURERIES DE LA TURDINE aux dépens.

La société TEINTURERIES DE LA TURDINE demande à la cour de confirmer le jugement, de débouter M. [K] de l'intégralité de ses demandes et de le condamner à lui payer la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de l'instance.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 22 septembre 2020.

SUR CE :

Sur l'exécution du contrat de travail

M. [K] reproche à son employeur une exécution déloyale de son contrat de travail en invoquant les manquements suivants :

- une modification unilatérale de son contrat de travail, ses horaires et son rythme de travail ayant été modifiés à plusieurs reprises sans avenant et sans son accord

- des atteintes à son mandat représentatif, en ce que :

* l'employeur ne lui a pas proposé le poste de responsable de production devenu vacant à la suite de la démission de son titulaire, alors qu'il estimait lui-même équivalent à un diplôme d'ingénieur le fait d'être 'technicien teinture déjà confirmé', que la formation suivie par lui sur deux années est la même que celle qui avait été suivie par M. [G], le titulaire du poste, et que la société ne lui a jamais fait de proposition de poste à la suite de la formation qu'elle lui a demandé de réaliser

* l'employeur lui a imposé en juin 2014 un horaire de nuit sans lui demander son accord

* ses conditions de travail se sont dégradées à compter de la date de son élection en qualité de membre de la délégation unique du personnel

* il lui a été infligé une sanction injustifiée

- une fraude au plan de sauvegarde de l'emploi , puisque la direction a imposé unilatéralement une modification des horaires collectifs à la suite du refus de régularisation de l'accord collectif qu'elle avait proposé.

Il affirme que la modification qui lui a été imposée est nulle et sollicite un rappel de salaire correspondant à la perte de rémunération subie en raison du passage d'un horaire de nuit à un horaire de jour, et, subsidiairement, une indemnité en application de l'article 76§b de la convention collective des industries textiles, le caractère temporaire de la modification n'étant pas établi.

La société TEINTURERIES DE LA TURDINE fait valoir que M. [K] n'a jamais demandé le poste de responsable de production de M. [G] ni été pressenti pour ce poste et qu'à la date de l'embauche de Mme [J], le 26 avril 2010, il n'était titulaire d'aucun mandat de représentant du personnel, qu'elle n'a jamais empêché M. [K] de prendre ses heures de délégation, que le rythme de travail de ce dernier n'a jamais été sans cesse modifié, qu'elle laissait aux salariés d'une même équipe la possibilité de s'organiser différemment du cycle 3X8 classique et que c'est dans ces conditions que M. [K] a travaillé deux semaines sur trois de nuit de juin 2008 à juin 2014, puis essentiellement de nuit de juin 2014 à novembre 2016 en accord avec ses deux collègues de travail, que c'est en application de son pouvoir de direction et d'organisation qu'elle a procédé à une modification des horaires collectifs de travail après avoir informé et consulté pour avis les membres de la délégation unique du personnel, qu'aucun salarié ne s'est opposé à cet aménagement et que l'inspection du travail en a été informée, qu'elle subit une situation fragile et dégradée depuis 2000, qu'un plan de sauvegarde de l'emploi avait été mis en oeuvre en 2009, validé par la DIRECCTE et qu'un plan d'ajustement des effectifs en 2017 prévoyait le licenciement de 9 personnes, que les heures de nuit ont été suspendues à la fin novembre 2016 en raison de la baisse de la charge de travail mais que le retour aux heures de nuit est toujourspossible, enfin que l'avertissement était justifié.

1) la modification unilatérale du contrat de travail

Par avenant en date du 1er septembre 1998, il a été convenu que M. [K] travaillerait en '3x8 heures intégral', soit 39 heures de travail hebdomadaire, réparties en une semaine du matin, une semaine de l'après-midi et une semaine de nuit. Cet avenant faisait suite à un avenant au premier contrat de travail à durée déterminée en date du 27 juillet 1988 prévoyant 32 heures travaillées de nuit sur quatre jours du lundi au jeudi de 21 heures à 5 heures, le contrat de travail à durée indéterminée postérieur audit avenant ne contenant aucune stipulation relative aux horaires et au rythme de travail.

Aucun avenant n'a été signé entre les parties postérieurement au 1er septembre 1998.

La société TEINTURERIES DE LA TURDINE ne remet pas en cause le constat opéré par M. [K] selon lequel, à compter de novembre 2006, il n'a plus travaillé au rythme des 3x8 mais en alternance sur deux semaines, la première semaine de 21 heures à 5 heures et la seconde semaine de 13 heures à 21 heures, puis entre 2008 et 2014, deux semaines sur trois de nuit, puis de juin 2014 à décembre 2016 exclusivement la nuit.

Deux collègues de l'équipe de travail de M. [K], M. [P] et M. [F], attestent qu'en juin 2014, ils ont fait savoir à leur responsable et à leurs collègues qu'ils étaient prêts à échanger leurs semaines de travail de nuit en semaines de jour et que M. [K] a indiqué qu'il était intéressé par les semaines de nuit.

Le directeur de site, M. [D], atteste qu'il a toujours accepté d'aménager à leur demande la distribution des équipes de travail entre les opérateurs d'un même service, en particulier les semaines de nuit, qu'il a informé ses équipes de la disponibilité potentielle de travail de nuit et proposé ces semaines à M. [K] qui a spontanément accepté.

Au vu de ces témoignages, M. [K], qui reproche également à l'employeur de lui avoir supprimé ses semaines de nuit à compter de février 2017, ne peut soutenir que c'est sans son accord que la société TEINTURERIES DE LA TURDINE l'a fait travailler de nuit deux semaines sur trois entre 2008 et 2014, puis uniquement de nuit à compter de juin 2014, même si la modification du rythme contractualisé des 3x8 n'a pas fait l'objet d'un avenant entre les parties.

M. [K] qui a accepté les horaires qui lui ont été fixés entre novembre 2006 et décembre 2016, soit pendant dix ans, ne peut se prévaloir d'une modification unilatérale qui lui aurait été imposée et donc d'une exécution fautive du contrat sur ce point par l'employeur.

2) les atteintes au mandat représentatif

M. [K] ne verse aucune pièce de nature à démontrer qu'il s'est porté candidat au poste de responsable de production à la suite de la démission de M. [G] notifiée le 22 mars 2010, ni qu'il disposait des diplômes et compétences lui permettant d'occuper ce poste, tandis que la société TEINTURERIES DE LA TURDINE, qui recherchait soit un technicien teinture déjà confirmé ayant l'expérience de l'encadrement et de la gestion d'une équipe, soit un jeune ingénieur ou assimilé peut-être au départ moins expérimenté mais dont le bagage lui permettrait à terme d'intervenir également dans d'autres activités, justifie qu'elle a recruté le 26 avril 2010 un ingénieur pour remplacer M. [G], agent de maîtrise, en vue d'élargir les missions confiées au laboratoire et en recherche et développement.

Le manquement allégué n'est pas démontré.

M. [K] soutient qu'à la suite de son élection de juillet 2016, les rapports hiérachiques entretenus avec lui sont devenus extrêmement discourtois, voire agressifs et que le directeur ne le saluait plus et opérait à son égard un contrôle accru et illégitime de ses heures de délégation.

Deux de ses collègues attestent de suspicions envers les membres de la CGT 'aucune confiance ni respect envers le personnel du fait d'être élu CGT' et de dégradation des rapports humains, sans mentionner de faits précis concernant M. [K].

Le troisième collègue atteste qu''il n'a jamais vu un tel mépris envers un élu CGT, notamment [Z] [K], exemple, changement de poste, M. [K] était désigné, aucune proposition de M. [K] n'était retenue, le responsable du site [Adresse 5] snobait M. [K], les réunions CE étaient d'une très forte tension à cause de l'animosité de la direction et des élus CFDT envers M. [K] et les élus CGT'.

Or, cette dernière attestation dont les termes demeurent généraux n'est corroborée par aucun autre élément.

Le procès-verbal de la réunion exceptionnelle de la délégation unique du personnel en date du 12 décembre 2016 à l'occasion de la consultation sur le projet de restructuration des effectifs et de licenciement collectif de 9 personnes et celui de la réunion du 27 mars 2017 font figurer des questions posées par M. [K] et les réponses qui lui ont été apportées par la direction, ce qui vient contredire le témoignage ci-dessus.

M. [K] ne prouve pas non plus que la société TEINTURERIE DE LA TURDINE exerçait un contrôle illégitime de ses heures de délégation puisqu'il ne produit aucune pièce à l'appui de ce grief.

De son côté, la société TEINTURERIE DE LA TURDINE verse aux débats une note relative à l'utilisation et à la gestion et aux heures de délégation, les bons d'heures remis par M. [K] et une lettre du 16 mars 2017 aux termes de laquelle le directeur des ressources humaines demande à M. [K] de lui fournir les informations permettant de savoir si les heures de délégation ont été prises pendant ou en-dehors du temps de travail, éléments qui ne permettent pas de caractériser un contrôle disproportionné et injustifié.

Ainsi, M. [K] ne démontre pas l'existence d'une dégradation de ses conditions de travail liée à son statut d'élu.

Le 18 juillet 2017, la société TEINTURERIE DE LA TURDINE a notifié à M. [K] l'avertissement suivant :

'Vous avez eu, lors de la réunion de la délégation unique du personnel du 17 juillet 2017 un comportement totalement inacceptable vis à vis d'un autre membre de la DUP, M. [T] [S], à qui vous avez dit publiquement, en pleine discussion sur un projet de voyage du CE 'ferme ta gueule, tu n'es pas élu'.

Nous vous avons alors immédiatement sommé de vous excuser auprès de lui, ce que vous avez refusé de faire après avoir reconnu devant tout le monde que vous aviez bien tenu ces propos.

M. [S], choqué et blessé, ainsi que plusieurs membres de la DUP ont alors quitté la réunion devant cette violence verbale tout à fait inadmissible (...)'

Le secrétaire du syndicat CFDT a écrit à la société, le 19 juillet 2017, pour lui rappeler son obligation de lutter contre les injures dans le cadre du travail et son obligation de résultats quant à la protection de la santé et de la sécurité des employés de son établissement.

M. [K] soutient que cette sanction n'avait pour but que de l'intimider tout en portant atteinte à sa liberté d'expression syndicale.

Or, aucun élément n'est produit, relatif au contexte de la réunion au cours de laquelle elle a été prononcée ou au comportement de celui auquel elle a été adressée, de nature à excuser l'insulte proférée, de sorte que la faute est caractérisée et la sanction justifiée, les autres éléments relatifs à l'attitude de l'employeur à son égard ou envers l'inspectrice du travail repris par M. [K] dans le cadre de sa contestation de la sanction étant dès lors inopérants.

La demande de nullité de l'avertissement n'est pas fondée et le jugement qui l'a rejetée sera confirmé.

3) la modification unilatérale des horaires collectifs

Le 16 janvier 2017, la direction de la société TEINTURERIES DE LA TURDINE a rédigé un document intitulé 'aménagement du temps et des horaires de travail' lequel mentionne en préambule que la situation économique de l'entreprise, fortement dégradée depuis plusieurs mois, impose de prendre des mesures d'ajustement pour s'adapter à cette situation, que, soucieuse de préserver autant que possible les emplois, la direction de l'entreprise a proposé une approche sous trois angles indissociables : la limitation à neuf du nombre de postes supprimés, un réaménagement des horaires de travail sur quatre journées pour réaliser des économies d'énergie (évaluées à 150.000 euros par annéepleine ) et d'organisation, et un rappel au départ des salariés 'retraitables' dès que possible, et que les membres de la délégation unique du personnel ont été réunis et ont accepté des dispositions relatives aux horaires de travail, destinées à faire simultanément l'objet d'un accord d'entreprise.

Toutefois, bien qu'aucun accord n'ait été signé, la société TEINTURERIE DE LA TURDINE a mis en oeuvre ces modifications et supprimé le travail de nuit de l'ensemble de son personnel.

La suppression des horaires de nuit constitue à la fois une modification du contrat de travail de M. [K], puisque la clause contractuelle relative aux horaires prévoyait un travail de nuit une semaine sur trois, et une modification de ses conditions de travail car en vertu d'un accord tacite entre les parties, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, le salarié travaillait uniquement de nuit depuis juin 2014, une telle modification des conditions de travail ne pouvant être imposée à un salarié protégé.

En application de l'article L1222-6 du code du travail, lorsque l'employeur envisage la modification d'un élément essentiel du contrat de travail pour l'un des motifs économiques énoncés à l'article L1233-3, il en fait la proposition au salarié par lettre recommandée avec avis de réception. La lettre de notification informe le salarié qu'il dispose d'un délai d'un mois pour faire connaître son refus. Le délai est de quinze jours si l'entreprise est en redressement ou en liquidation judiciaire. A défaut de réponse dans le délai, le salarié est réputé avoir accepté la modification proposée.

En l'espèce, la société TEINTURERIE DE LA TURDINE, dans sa note du 16 janvier 2017, se fonde sur les difficultés économiques rencontrées par elle pour justifier la mesure qu'elle a prise,laquelle constitue une modification d'un élément essentiel du contrat de travail, mais n'a pas suivi la procédure prescrite par la loi à l'égard de M. [K].

La décision de l'employeur du 2 février 2017 a été mise en oeuvre à compter du 20 février 2017 et il a été précisé que la loi et la convention collective ne prévoyaient pas l'attribution de majorations de nuit dans le cadre des horaires nouvellement définis.

La société TEINTURERIE DE LA TURDINE a ainsi commis un manquement à ses obligations.

M. [K] n'est pas fondé à solliciter le paiement de la différence entre le salaire qu'il percevait au titre du travail de nuit et celui qui lui est versé depuis le passage aux heures de jour, puisqu'il ne peut être rémunéré pour des heures qu'il n'a pas effectuées.

Sa demande en paiement d'un rappel de salaire sera rejetée.

L'article 76 de la convention collective énonce que les ouvriers travaillant en équipe de nuit (alternante ou non alternante) et mutés définitivement dans un poste de jour équivalent sur initiative de l'employeur recevront, lors de la mutation, une indemnité de perte de salaire égale à la différence entre l'indemnité de licenciement calculée en fonction du salaire effectif antérieur (incluant les suppléments de salaire liés au travail de nuit) et celle calculée en fonction du salaire effectif du poste de travail de jour. L'ancienneté à prendre en considération pour calculer l'indemnité est celle du temps passé dans la dernière période continue en équipe de nuit (alternante ou non alternante) précédant la mutation.

La note du 2 février 2017 prévoit que la mise en place des nouveaux horaires sera applicable le lundi 20 février 2017, délai permettant à chacun de pouvoir s'organiser , et que la mise en place sera effectuée pour une période initiale allant jusqu'au 30 avril 2017, qu'un bilan de l'efficacité sera alors réalisé et que le dispositif pourra alors être poursuivi et/ou adapté.

La société TEINTURERIE DE LA TURDINE a informé l'inspection du travail, le 6 février 2017, qu'elle avait décidé de modifier l'organisation des horaires collectifs pour l'ensemble de l'entreprise.

Elle ne justifie pas de ce que, postérieurement au 30 avril 2017, elle a rétabli M. [K] au poste de travail de nuit qu'il occupait avant le 20 février 2017, de sorte qu'il est démontré que la mutation de ce dernier était définitive et que les conditions de versement de l'indemnité conventionnelle sont réunies.

Il convient de condamner la société TEINTURERIE DE LA TURDINE à payer à M. [K] la somme de 9.552,82 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de travail de nuit, conformément au calcul qu'il présente et qui n'est pas critiqué par la société TEINTURERIE DE LA TURDINE.

En l'absence de toute disposition de la convention collective le prévoyant, la demande en paiement d'une indemnité de congés payés afférant à cette indemnité sera rejetée.

La modification unilatérale du contrat de travail et des conditions de travail de M. [K] résultant de la suppression du travail de nuit par l'employeur a causé un préjudice constitué par le manque à gagner de M. [K] à compter du mois de février 2017 non entièrement réparé apr l'indemnité conventionnelle ci-dessus.

La société TEINTURERIE DE LA TURDINE sera condamnée à payer à M. [K] la somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêt en réparation de ce préjudice.

Le surplus de la demande en dommages et intérêts sera rejeté, les autres manquements invoqués n'ayant pas été retenus.

Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail

Il appartient au salarié qui sollicite la résiliation judiciaire de rapporter la preuve de manquements suffisamment graves de l'employeur à ses obligations contractuelles pour empêcher la poursuite du contrat de travail et ainsi justifier la rupture à ses torts.

La modification unilatérale du contrat et des conditions de travail de M. [K] a entraîné depuis le mois de mars 2017 et continue d'entraîner à son préjudice une importante baisse de rémunération.

Il s'agit d'un manquement d'une gravité telle qu'il justifie qu'il soit mis fin au contrat de travail aux torts de l'employeur.

La résiliation judiciaire du contrat de travail doit en conséquence être prononcée, avec effet à la date du présent arrêt.

M. [K] bénéficiant du statut protecteur au jour de la demande de résiliation, celle-ci produit les effets d'un licenciement nul.

Le salarié protégé, dont la demande de résiliation judiciaire est accueillie, a droit, au titre de la violation de son statut protecteur, au paiement d'une indemnité égale à la rémunération qu'il aurait dû percevoir entre son éviction et l'expiration de la période de protection en cours au jour de la demande dans la limite de deux ans, durée minimale légale du mandat des représentants élus du personnel, augmentée de six mois.

Par ailleurs, en cas de résiliation judiciaire du contrat de travail, la date d'effet de la résiliation ne peut être fixée qu'au jour de la décision qui la prononce, dès lors que le contrat n'a pas été rompu avant cette date.

M. [K] indique dans ses conclusions que sa période de protection expire en janvier 2021.

Dans ces conditions, l'indemnité pour violation du statut protecteur à laquelle peut prétendre M. [K] sera fixée à un mois de rémunération brute (du 10 décembre 2020, date de prononcé du présent arrêt, à janvier 2021), soit la somme de 1.604,22 euros bruts sur la base du salaire moyen perçu par M. [K].

Sur la base de ce même salaire, M. [K] a le droit de percevoir :

- une indemnité conventionnelle de licenciement pour 32 ans et 6 mois d'ancienneté sur la base de la rémunération moyenne des trois derniers mois plafonnée à 15 mois (calcul applicable aux licenciements à compter du 1er janvier 2016)

- une indemnité compensatrice de préavis de deux mois.

Il convient de condamner la société TEINTURERIE DE LA TURDINE à payer à M. [K] les sommes suivantes :

- 24.063,30 euros, à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement

- 3.208,44 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis

- 320,84 euros bruts à titre d'indemnité de congés payés afférents

La résiliation judiciaire du contrat de travail produisant en l'espèce les effets d'un licenciement nul, le barème n'est pas applicable, conformément aux dispositions de l'article L1235-3-1 du code du travail.

Dès lors, en l'absence de réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur qui ne peut être inférieure aux salaires (bruts) des six derniers mois.

Au regard de son ancienneté, de son âge (59 ans) et de ses perspectives de retrouver un emploi, il convient de condamner la société TEINTURERIE DE LA TURDINE à payer à M. [K] la somme de 35.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la perte de son emploi.

La société TEINTURERIE DE LA TURDINE, partie perdante pour l'essentiel sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et à payer à M. [K] la somme de 2.000 euros à titre d'indemnité de procédure de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement :

INFIRME le jugement, sauf en ce qu'il a débouté M. [Z] [K] de sa demande d'annulation de l'avertissement du 18 juillet 2017 et de sa demande de paiement de rappel de salaires

STATUANT à nouveau et Y AJOUTANT,

CONDAMNE la société TEINTURERIE DE LA TURDINE à payer à M. [Z] [K] la somme de 9.552,82 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de travail de mutation définitive dans un poste de jour et la somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par l'exécution fautive du contrat de travail

REJETTE la demande d'indemnité de congés payés afférant à l'indemnité

PRONONCE la résiliation judiciaire du contrat de travail avec effet à la date du présent arrêt et dit qu'elle produit les effets d'un licenciement nul

CONDAMNE la société TEINTURERIE DE LA TURDINE à payer à M. [Z] [K] les sommes suivantes :

- 1.604,22 euros bruts à titre d'indemnité pour violation du statut protecteur

- 24.063,30 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement

- 3.208,44 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 320,84 euros bruts à titre d'indemnité de congés payés afférents

- 35.000 euros à titre de dommages et intérêts

DIT que les sommes allouées supporteront, s'il y a lieu, le prélèvement des cotisations et contributions sociales

CONDAMNE la société TEINTURERIE DE LA TURDINE aux dépens de première instance et d'appel

CONDAMNE la société TEINTURERIE DE LA TURDINE à payer à M. [Z] [K] la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La greffière, La Présidente,

Elsa SANCHEZ Joëlle DOAT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale c
Numéro d'arrêt : 19/00035
Date de la décision : 10/12/2020

Références :

Cour d'appel de Lyon SC, arrêt n°19/00035 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-12-10;19.00035 ?
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