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10/12/2020 | FRANCE | N°18/06546

France | France, Cour d'appel de Lyon, 3ème chambre a, 10 décembre 2020, 18/06546


N° RG 18/06546 - N° Portalis DBVX-V-B7C-L5TN









Décision du :

- Tribunal de Commerce de LYON

Au fond du 11 septembre 2018



RG : 2016J01755





S.A. COMPAGNIE NATIONALE DU RHONE- CNR -



C/



SA COMPAGNIE FLUVIALE DE TRANSPORT DE GAZ

Compagnie d'assurances ALLIANZ GLOBAL CORPORATE & SPECIALTY S E





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE LYON



3ème chambre A



ARRET DU 10 D

écembre 2020







APPELANTE :



SA COMPAGNIE NATIONALE DU RHONE - CNR -

[Adresse 3]

[Localité 4]



Représentée par Me Gaël SOURBE de la SCP BAUFUME ET SOURBE, avocat au barreau de LYON, toque : 1547

Assistée par Me...

N° RG 18/06546 - N° Portalis DBVX-V-B7C-L5TN

Décision du :

- Tribunal de Commerce de LYON

Au fond du 11 septembre 2018

RG : 2016J01755

S.A. COMPAGNIE NATIONALE DU RHONE- CNR -

C/

SA COMPAGNIE FLUVIALE DE TRANSPORT DE GAZ

Compagnie d'assurances ALLIANZ GLOBAL CORPORATE & SPECIALTY S E

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE LYON

3ème chambre A

ARRET DU 10 Décembre 2020

APPELANTE :

SA COMPAGNIE NATIONALE DU RHONE - CNR -

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Gaël SOURBE de la SCP BAUFUME ET SOURBE, avocat au barreau de LYON, toque : 1547

Assistée par Me Romain GRANJON de la SELAS ADAMAS, avocat au barreau de LYON, toque : 2168

INTIMEES :

SAS COMPAGNIE FLUVIALE DE TRANSPORT DE GAZ

[Adresse 2]

[Localité 5]

ALLIANZ GLOBAL CORPORATE & SPECIALTY SE

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représentées par Me Christophe RAMBAUD de la SELARL RAMBAUD-BILLON-PARDI AVOCATS, avocat au barreau de LYON, toque : 742

******

Date de clôture de l'instruction : 16 Décembre 2019

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 28 Octobre 2020

Date de mise à disposition : 10 Décembre 2020

Audience tenue par Anne-Marie ESPARBES, président, et Catherine CLERC, conseiller, qui ont siégé en rapporteurs sans opposition des avocats dûment avisés et ont rendu compte à la Cour dans leur délibéré,

assistés pendant les débats de Elsa MILLARY, greffier placé

A l'audience, Anne-Marie ESPARBES a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.

Composition de la Cour lors du délibéré :

- Anne-Marie ESPARBES, président

- Hélène HOMS, conseiller

- Catherine CLERC, conseiller

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Hélène HOMS, conseillère, pour la présidente empêchée, et par Elsa MILLARY, greffier placé, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

****

EXPOSÉ DU LITIGE

Dans le cadre d'un contrat de concession conclu avec l'État le 20 décembre 1933, la SA Compagnie nationale du Rhône (la CNR) a aménagé et exploite sur le Rhône l'usine hydroélectrique dite de "logis-neuf" et son écluse situées sur la commune de [Localité 7] (26) ; cette écluse a été endommagée, le 7 mai 2010, lors du passage d'un bateau pousseur accouplé à deux barges, ce convoi étant affrété par la SAS Compagnie fluviale de transport de gaz (la CFT Gaz).

Par acte du 25 octobre 2016, la CNR a assigné la CFT Gaz et son assureur la société européenne Allianz global corporate & speciality (société Allianz) devant le tribunal de commerce de Lyon en réparation des dommages qu'elle a évalués à 629 295,54 € HT ; elle a défendu la recevabilité de son action en responsabilité au motif que l'écluse est une dépendance du domaine public lequel bénéficie de l'imprescriptibilité et en demandant au besoin la saisine du tribunal administratif d'une question préjudicielle.

La CFT Gaz et la société Allianz ont, en effet, soulevé l'irrecevabilité de la demande comme étant prescrite au motif que l'écluse n'appartient pas au domaine public mais à la CNR et que l'action a été introduite plus de 5 ans après l'événement ainsi que l'irrecevabilité de la demande relative à la question préjudicielle devant le tribunal administratif pour ne pas avoir été soulevée avant toute défense au fond ; au fond, elles ont contesté notammant le défaut de preuve du lien de causalité entre l'événement du 7 mai 2010 et la réclamation.

Par jugement du 11 septembre 2018, le tribunal de commerce a :

déclaré irrecevable l'action engagée par la CNR à l'encontre de la CFT Gaz et de la société Allianz (il a jugé que l'écluse appartient à la CNR, personne morale de droit privé),

déclaré irrecevable la demande de surseoir à statuer le temps de saisir le tribunal administratif de Lyon sur la question préjudicielle de l'écluse constituant ou non une dépendance du domaine public permettant de bénéficier du principe d'imprescriptibilité (au motif qu'elle n'avait pas été soulevée avant toute défense au fond),

débouté la CNR de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions dirigées tant à l'encontre de la CFT Gaz qu'à l'encontre de la société Allianz,

condamné la société CNR à payer à la CFT Gaz et à la société Allianz la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La CNR a interjeté appel par acte du 21 septembre 2018.

Par conclusions récapitulatives déposées le 23 septembre 2019 fondées sur les articles 1240 (ancien 1382) du code civil et l'article L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques, la CNR demande à la cour de :

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il :

a déclaré irrecevable son action,

l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions dirigées tant à l'encontre de la CFT Gaz que de la société Allianz,

l'a condamnée à payer à la CFT Gaz et à la société Allianz la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

statuant de nouveau,

juger recevables ses demandes,

condamner la CFT Gaz, ou au besoin son assureur la société Allianz, à lui payer la somme de 574 272,07 € HT outre intérêts au taux légal à compter de l'assignation et capitalisation à chaque date d'anniversaire,

condamner in solidum la CFT Gaz et la société Allianz à lui payer la somme de 8 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

Par conclusions déposées 16 septembre 2019, au visa des articles 1240 (ancien 1382) et 2224 du code civil, de l'article L. 110-4 du code de commerce, des articles, L. 1, L. 2111-1 et L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques, la CFT Gaz et la société Allianz demandent à la cour de :

déclarer mal fondée la CNR en son appel,

la débouter de toutes ses demandes, fins et conclusions,

confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,

déclarer irrecevable la CNR en toutes ses demandes, fins et conclusions dirigées à leur encontre,

en tant que de besoin,

à titre principal,

juger irrecevable car prescrite l'action engagée par la CNR à leur encontre,

constater que l'écluse litigieuse ne fait pas partie du domaine public,

juger que l'écluse appartient à la CNR, personne morale de droit privé, laquelle n'est pas fondée à invoquer le principe d'imprescriptibilité du domaine public,

en conséquence,

débouter la CNR de toutes ses demandes, fins et conclusions dirigées à leur encontre,

subsidiairement,

juger que la CNR ne rapporte pas aux débats la preuve d'un lien de causalité entre l'événement du 7 mai 2010 et sa réclamation à hauteur de 629 295,54 € à parfaire,

juger que les travaux préconisés par la CNR constituent une amélioration d'un ouvrage vétuste,

juger que le quantum des dommages allégué par la CNR n'est pas justifié,

très subsidiairement,

juger que le montant des dommages consécutifs à l'accident de navigation survenu le 7 mai 2010, ne saurait être supérieur à la somme de 99 161,70 € arrêté par le cabinet Gambier-Giouven,

juger que le montant imputable à la CFT Gaz ne saurait être supérieur à 99 161,70 € : 2 = 49 580,85 €,

en tout état de cause,

juger que l'engagement des assureurs de la CFT Gaz est limité à un capital de 300 000 € par événement, sous déduction d'une franchise de 7 500 €,

juger qu'en vertu de la police d'assurance n° 390844 du 5 janvier 2010, la société Allianz ne peut être tenue que dans la limite de 42 % des engagements des assureurs,

condamner la CNR à leur verser la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance avec droit de recouvrement direct au profit de Me Rambaud, SELARL Rambaud-Billon-Pardi, avocat sur son affirmation de droit.

MOTIFS

Au soutien de son appel, la CNR fait grief aux premiers juges d'avoir jugé que l'écluse était sa propriété et qu'étant une personne de droit privé, cette écluse n'était pas une dépendance du domaine public fluvial et ne pouvait donc bénéficier du principe d'imprescriptibilité, remettant ainsi en cause le principe des concessions de service public et la notion de "biens de retour" qui s'y attache et de plus, en donnant de la valeur à une interprétation personnelle d'une coupure de presse plutôt que d'appliquer une règle de droit plus que centenaire.

Elle fait valoir qu'en application du cahier des charges, les écluses constituent des dépendances immobilières de la concession et plus précisément du domaine public fluvial qui font retour à la personne publique à la fin de la concession ; que contrairement à ce qu'a jugé le tribunal de commerce, elle n'est pas propriétaire de ces biens jusqu'à la fin de la concession, "les biens de retour " étant considérés comme appartenant ab initio à la personne publique, relevant donc de son domaine public et étant inaliénables et imprescriptibles.

Elle ajoute que la concession ne relève pas du régime des autorisations temporaires du domaine public des articles L. 2122-6 et L. 2122-9 du code général de la propriété publique invoqué par les intimés mais de la loi du 27 mai 1921.

La CFT Gaz et la société Allianz répliquent qu'aux termes des dispositions du code général de la propriété des personnes publiques, seules les personnes publiques peuvent être propriétaires d'un bien faisant partie du domaine public et que la CNR qui est une personne de droit privé, n'est pas fondée à invoquer l'imprescriptibilité attachée au domaine public pour tenter d'échapper à la prescription de droit commun.

Elles soutiennent que jusqu'à la fin de la concession, l'écluse est la propriété de la CNR ainsi qu'il résulte du cahier des charges, des diverses publications de la CNR et du renouvellement probable de la concession prenant fin le 31 décembre 2023 et que si tel n'était pas le cas d'une part, l'écluse aurait fait l'objet d'une procédure de classement prononcé après enquête publique et d'autre part, un procès-verbal de contravention de grande voirie aurait été dressé et enfin, l'action n'aurait pas été portée devant le juge judiciaire.

En ce qui concerne l'incorporation ab initio au domaine public des ouvrages réalisés ou acquis par le concessionnaire d'un service public, elles font valoir que cette règle ne s'applique d'une part, que dans le silence de la convention et qu'en l'espèce, le cahier des charges prévoit l'incorporation des ouvrages au domaine public à la fin de la concession et d'autre part, qu'il en va différemment lorsque la concession se double d'un titre d'occupation au domaine public attributive de droits réels ce qui est le cas.

Il n'est pas contesté que dans le cadre d'une concession de travaux mettant à la charge du cocontractant les investissements correspondant à la création ou à l'acquisition des biens nécessaires au fonctionnement du service public, l'ensemble de ces biens, meubles et immeubles (dits « biens de retour »), appartient, dès leur réalisation ou leur acquisition, à la personne publique.

Cependant ainsi que le soutiennent les intimées, cette règle ne s'applique pas si la convention ne prévoit pas des dispositions différentes ou si la concession se double d'un titre d'occupation du domaine public. Dans ce cas, la propriété de l'occupant sur les installations pendant la durée du titre fait obstacle à la qualification de "biens de retour" et à l'incorporation immédiate des équipements en cause dans le domaine public ce qui résulte des dispositions combinées des articles L. 2122-6 et L. 2122-9 du code général de la propriété publique applicables à toutes les conventions ayant pour effet d'autoriser l'occupation du domaine public dont les contrats de concessions selon l'article L. 2122-11.

En l'espèce le cahier des charges général de la concession de la CNR, approuvé par les décrets du 7 décembre 1968, du 15 mai 1981 et du 16 juin 2003, prévoit en son article 2 que les ouvrages intéressant la navigation intérieure, dont les écluses, constituent des dépendances immobilières de la concession et qu'en fin de concession, ces biens feront gratuitement retour à l'État, francs et quittes de tous privilèges ou autres droits réels, sous réserve, d'une part, des dispositions des 8e et 9e alinéas de l'article 3 pour les immeubles mentionnés au 3e du I de l'article 2 et sous réserve, d'autre part, des droits réels accordés le cas échéant en application du décret n°96-1058 du 2 décembre 1996 modifié relatif à la délivrance des titres d'occupation du domaine public de l'État.

Les écluses ne sont pas concernées par le 3e du I de l'article 2 du cahier des charges relatif à la première exception.

Le décret 2 décembre 1996 visé par la seconde exception est relatif à la délivrance des titres d'occupation du domaine public de l'État portant application de la loi du n° 94-631 du 25 juillet 1994 relative à la constitution de droit réels sur le domaine public ; il a été modifié par le décret du 16 juin 2003 (visé dans le titre du cahier des charges) qui a approuvé le 8e avenant à la convention de la concession générale passée le 20 décembre 1933 entre l'État et la CNR.

La CNR n'établit pas que l'écluse de "Logis-neuf" n'est pas affectée de droits réels et donc que la règle qu'elle invoque est applicable.

En conséquence, elle n'est pas fondée à se prévaloir du principe d'imprescriptibilité de son action ce qui conduit à la confirmation de la décision déférée qui a déclaré irrecevable, l'action de la CNR en application de l'article 2224 du code civil, l'acquisition de la prescription prévue par ce texte n'étant pas discutée par la CNR.

Partie perdante, il y a lieu de condamner la CNR aux dépens de première instance (ce qui a été omis par la décision déférée) et d'appel comme les frais irrépétibles exposés en cause d'appel et verser aux intimées des indemnités de procédure, celle allouée par le jugement entrepris étant confirmée.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement entrepris,

Ajoutant,

Condamne la SA Compagnie nationale du Rhône aux dépens de première instance,

Condamne la SA Compagnie nationale du Rhône à verser à la SAS Compagnie fluviale de transport de gaz et à la société européenne Allianz global corporate & speciality, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et pour l'instance d'appel, une indemnité de 5 000 €,

Condamne la SA Compagnie nationale du Rhône aux dépens d'appel avec faculté de recouvrement conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

LE GREFFIER, MME HOMS, CONSEILLÈRE

POUR LA PRÉSIDENTE EMPÊCHÉE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : 3ème chambre a
Numéro d'arrêt : 18/06546
Date de la décision : 10/12/2020

Références :

Cour d'appel de Lyon 3A, arrêt n°18/06546 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-12-10;18.06546 ?
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