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03/12/2020 | FRANCE | N°17/08334

France | France, Cour d'appel de Lyon, 3ème chambre a, 03 décembre 2020, 17/08334


N° RG 17/08334 - N° Portalis DBVX-V-B7B-LL7B














Décision du :


- Tribunal de Commerce de BOURG-EN-BRESSE


Au fond du 24 novembre 2017





RG : 2017000048








SELARL CARGO GÉNÉRAL LOGISTICS





C/





SASU FRANPRIX LEADER PRICE - DIRECTION ET SUPPORTS








RÉPUBLIQUE FRANÇAISE


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS








COUR D'APPEL DE LYON





3ème

chambre A





ARRET DU 03 Décembre 2020











APPELANTE :





Société CARGO GÉNÉRAL LOGISTICS


[...]


[...]





Représentée par Me Brice LACOSTE de la SELARL LACOSTE CHEBROUX BUREAU D'AVOCATS, avocat au barreau de LYON, toque : 1207











INTIMEE :





SASU FRAN...

N° RG 17/08334 - N° Portalis DBVX-V-B7B-LL7B

Décision du :

- Tribunal de Commerce de BOURG-EN-BRESSE

Au fond du 24 novembre 2017

RG : 2017000048

SELARL CARGO GÉNÉRAL LOGISTICS

C/

SASU FRANPRIX LEADER PRICE - DIRECTION ET SUPPORTS

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE LYON

3ème chambre A

ARRET DU 03 Décembre 2020

APPELANTE :

Société CARGO GÉNÉRAL LOGISTICS

[...]

[...]

Représentée par Me Brice LACOSTE de la SELARL LACOSTE CHEBROUX BUREAU D'AVOCATS, avocat au barreau de LYON, toque : 1207

INTIMEE :

SASU FRANPRIX LEADER PRICE - DIRECTION ET SUPPORTS

[...]

[...]

Représentée par Me Ghislaine BETTON de la SELARL PIVOINE, avocat au barreau de LYON, toque : 619

PARTIE INTERVENANTE :

SELARL MJ SYNERGIE, mandataire judiciaire, représentée par Maître C... U..., ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société CARGO GENERAL LOGISTICS

[...]

[...]

Représentée par Me Brice LACOSTE de la SELARL LACOSTE CHEBROUX BUREAU D'AVOCATS, avocat au barreau de LYON, toque : 1207

* * * * * *

Date de clôture de l'instruction : 28 Juin 2019

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 21 Octobre 2020

Date de mise à disposition : 03 Décembre 2020

Audience tenue par Anne-Marie ESPARBES, président, et Catherine CLERC, conseiller, qui ont siégé en rapporteurs sans opposition des avocats dûment avisés et ont rendu compte à la Cour dans leur délibéré,

assistés pendant les débats de Elsa MILLARY, greffier placé

A l'audience, V... H... a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.

Composition de la Cour lors du délibéré :

- Anne-Marie ESPARBES, président

- Hélène HOMS, conseiller

- Catherine CLERC, conseiller

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Anne-Marie ESPARBES, président, et par Elsa MILLARY, greffier placé, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * *

EXPOSE DU LITIGE

La société Cargo General Logistics SARL (CGL) était commissionnaire de transport.

La société Sofidis avait une activité de siège pour fournir des services aux filiales de Franprix Leader Price Holding qui la détient à 100%.

Par acte sous seing privé du 17 avril 2002, les deux sociétés ont conclu un contrat de transport à durée déterminée d'un an, renouvelable pour la même durée par tacite reconduction.

CGL a été en charge des lignes de transport entre les centrales d'achats du groupe Franprix Leader Price et 6 magasins en région Rhône-Alpes, contrat par la suite étendu à 17 magasins répartis sur le territoire national.

Au 1er janvier 2013, suite à une réorganisation du groupe Franprix Leader Price, la société Franprix Leader Price - Direction et Supports [dénommée FPLP] a repris les droits et obligations de Sofidis résultant de la convention précitée et en a informé CGL par courrier du 13 juin 2013.

Le 25 juin 2013, FPLP a informé CGL de l'émission d'un appel d'offres sur certaines des lignes qui lui étaient contractuellement attribuées.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 30 juillet 2013, FPLP a informé CGL du déréférencement de 11 lignes de transport sur les 17 confiées précédemment.

Un courriel de FPLP du 19 septembre 2013 a annoncé la bascule à'la semaine 40 (30 septembre) ou 41 (7 octobre 2013).

Par exploit d'huissier des 2 et 3 janvier 2014, considérant que le préavis dont elle avait bénéficié pour la perte de ces lignes était insuffisant et estimant être victime d'une rupture brutale de ses relations commerciales établies, CGL a fait assigner Sofidis et FPLP à jour fixe.

Par décision du 5 mai 2014, le tribunal de commerce de Lyon a évoqué un risque de partialité de l'un de ses juges et a renvoyé l'affaire devant le tribunal de commerce de Nancy.

Par décision du 13 mars 2015, le tribunal de commerce de Nancy a':

déclaré Sofidis mal fondée en sa demande de mise hors de cause et l'en a déboutée,

dit que FPLP n'a respecté que partiellement un préavis suffisant de 8 mois,

condamné FPLP à payer à CGL la somme de 50.623 € [sur le fondement de l'article L.442-6 I 5° du code de commerce],

déclaré CGL mal fondée en l'ensemble de ses demandes au titre de préjudices complémentaires ainsi qu'au titre du paiement du solde de ses factures et l'en a déboutée,

condamné FPLP à payer à CGL la somme de 2.500 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

et aux dépens,

avec exécution provisoire.

CGL a interjeté appel de ce jugement devant la cour d'appel de Paris par déclaration du 5 mai 2015.

Les deux sociétés ont poursuivi leurs relations commerciales pour 6 lignes de transport.

CGL envisageant pour des raisons économiques la cession du fonds de commerce de la branche d'activité «affrètement et transport routier de marchandises», est entrée en pourparlers début 2016 avec la société Transports Astr'in qui a érigé, en condition suspensive du contrat de cession, notamment, l'engagement des acheteurs Leader Price (et Monoprix) de poursuivre les activités après la cession. Un rendez-vous tripartite a été organisé le 22 mars 2016.

Par échange de courriels à compter du 15 mars 2016, FPLP a, en substance, précisé à CGL, qui a protesté, que le maintien ou le développement de leurs relations commerciales avec le cessionnaire étaient conditionnés au désistement de celle-ci de son appel interjeté devant la cour d'appel de Paris.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 20 avril 2016, FPLP a informé CGL de la fin des relations commerciales subsistantes (6 lignes) avec effet du 30 décembre 2016.

La cession entre CGL et Astr'In s'est réalisée par acte du 4 octobre 2016 pour l'euro symbolique.

Par exploit d'huissier du 27 décembre 2016, CGL a fait assigner FPLP devant le tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse aux fins d'obtention de dommages et intérêts.

Parallèlement, par un arrêt du 27 avril 2017, la cour d'appel de Paris a':

confirmé le jugement du 13 mars 2015 sauf en ce qu'il a déclaré Sofidis mal fondée en sa demande de mise hors de cause et en ce qu'il a statué sur une demande subsidiaire alors qu'il était fait droit à la demande principale,

dit n'y avoir lieu de statuer sur les demandes subsidiaires,

mis Sofidis hors de cause,

débouté Sofidis de sa demande de dommages intérêts pour procédure abusive,

condamné FPLP à payer à CGL la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

et aux dépens.

Par jugement du 24 novembre 2017, statuant sur la cause introduite le 27 décembre 2016, le tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse a :

rejeté l'exception d'incompétence territoriale soulevée par FPLP et s'est dit compétent,

jugé que FPLP n'a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité contractuelle, ni aucune faute de nature à engager sa responsabilité délictuelle dans la dénonciation des relations commerciales,

rejeté en conséquence toutes les demandes de CGL en indemnisation,

condamné CGL à payer à FPLP la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire,

et condamné CGL aux entiers dépens.

CGL a interjeté appel par acte du 30 novembre 2017.

Sa liquidation judiciaire a été prononcée par jugement du 12 septembre 2018.

Par conclusions déposées le 8 avril 2019 fondées sur les articles 1104 du code civil et 4, 5, 562, 564 et 700 du code de procédure civile, la SELARL MJ Synergie ' mandataires judiciaires représentée par Me U... ès qualités de liquidateur judiciaire de CGL demande à la cour de':

recevoir son intervention volontaire,

confirmer le jugement déféré sur sa compétence,

constater que FPLP a entendu conditionner son accord à la cession du contrat dont objet, à son désistement d'instance et d'action de la procédure alors en cours devant la cour d'appel de Paris,

juger que l'ultimatum ainsi posé par FPLP est un moyen de pression pour obtenir d'un adversaire qu'il se désiste de son instance et de son action intentée devant une juridiction,

juger que FPLP a ainsi fait preuve de la plus grande déloyauté dans la dénonciation des relations commerciales,

en conséquence,

réformer le jugement déféré en ce qu'il a débouté CGL de l'intégralité de ses demandes d'indemnisation,

condamner FPLP à lui payer la somme de 75.000 € à titre de dommages et intérêts, cette somme correspondant à son manque à gagner subi sur la cession de son fonds de commerce,

condamner FPLP à lui payer la somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêts pour le préjudice d'image subi,

en tout état de cause,

condamner FPLP à lui verser la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

et aux entiers dépens de l'instance avec droit de recouvrement direct au profit de Me Lacoste.

Par conclusions déposées le 21 janvier 2019, au visa des articles L.442-6 I 5° et D.442-3 du code de commerce, 75 et 96 alinéa 2 du code de procédure civile, et 1134 du code civil (ancien), FPLP demande à la cour de :

constater, si la cour considérait que la résolution du litige implique qu'il soit statué sur la rupture des relations commerciales et la durée du préavis, que seules les juridictions listées à l'article D.442-3 sus-visé sont compétentes pour ce faire,

en conséquence, déclarer irrecevable toutes demandes de CGL et/ou de la SELARL MJ Synergie ès qualités qui viserait à obtenir réparation d'un prétendu préjudice sur ce fondement,

en toute hypothèse,

confirmer le jugement entrepris':en ce qu'il a retenu la compétence du tribunal pour statuer sur le caractère déloyal du motif de dénonciation de ses relations commerciales,

en ce qu'il a jugé qu'elle n'a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité dans la dénonciation des relations commerciales,

en ce qu'il a débouté CGL de l'intégralité de ses demandes à son égard,

en ce qu'il a condamné CGL au paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile à son égard ainsi qu'aux entiers dépens,

compte tenu de l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire, condamner la SELARL MJ Synergie ès qualités à lui payer la somme de 1.500 € [pour la première instance],

ainsi que pour la cause d'appel, la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

et aux entiers dépens avec droit de recouvrement direct au profit de Me Betton,

ces trois condamnations constituant une créance postérieure privilégiée.

MOTIFS

A titre liminaire, il est noté que l'intervention volontaire du liquidateur judiciaire de CGL n'est pas discutée par FPLP, elle est donc jugée recevable en application de l'article 329 du code de procédure civile.

Devant le premier juge, CGL a fondé ses prétentions sur l'article 1134 ancien devenu 1103 et 1104 du code civil.

Devant la cour, le liquidateur judiciaire de CGL soutient son action sur l'article 1104 du code civil, ce qui doit se comprendre comme étant l'article 1134 ancien eu égard à la date du contrat en cause antérieur à la date d'entrée en vigueur de l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016.

Comme l'a dit avec pertinence le premier juge en rappelant que CGL sollicite qu'il soit statué sur le caractère déloyal du motif de dénonciation des relations commerciales avec FPLP et non sur son caractère brutal, de telles prétentions, reprises en cause d'appel, ne relèvent pas du régime de responsabilité édicté à l'article L.442-6 I 5° ancien devenu L.442-1 du code de commerce.

Sans plus ample discussion, la présente cour a donc pouvoir pour statuer sur le litige de sorte que la fin de non-recevoir invoquée par FPLP est rejetée. Ne s'agissant pas toutefois d'une exception d'incompétence, plutôt d'une question de pouvoir juridictionnel, et alors qu'aucun moyen d'incompétence n'est autrement soulevé, la disposition du jugement qui a rejeté l'exception d'incompétence territoriale soulevée par FPLP pour se dire compétent est infirmée.

Il est statué sur le fond, au rappel que l'article 1134 du code civil dispose que «'Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi'».

Ce texte, comme l'indique à bon droit l'intimée, permet au juge de sanctionner l'usage déloyal d'une prérogative contractuelle, mais non à porter atteinte à la substance même des droits et obligations légalement convenus entre les parties.

Le tribunal dans son jugement déféré, qui a dit l'absence de faute délictuelle de la part de FPLP alors que ce fondement délictuel n'était pas plaidé (hormis celui résultant de l'article L.442-6 qu'il avait précédemment écarté) comme le souligne pertinemment l'intimée, a aussi retenu que celle-ci n'avait pas commis de faute contractuelle, eu égard à son souhait d'écarter le risque lié à la procédure menée devant la cour d'appel de Paris et au refus de CGL de manifester un intérêt pour une résolution amiable du litige, ainsi qu'à son droit de rupture du contrat de transport en cours moyennant un préavis suffisant de 9 mois qui n'exigeait pas plus l'indication d'un motif de dénonciation des relations commerciales.

En cela, le premier juge a fait une appréciation erronée des faits de la cause et du droit applicable.

Le liquidateur judiciaire de CGL soutient que FPLP a fait preuve de la plus grande déloyauté dans la dénonciation des relations commerciales alors que celle-ci a entendu conditionner son accord à la cession du contrat dont objet à un tiers acquéreur, à son désistement d'instance et d'action de la procédure alors en cours devant la cour d'appel de Paris, ce qu'elle considère comme étant un ultimatum constitutif d'un moyen de pression.

De son côté, FPLP maintient sa position soutenue devant le premier juge selon laquelle en conformité avec le contrat elle n'a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité dans la dénonciation des relations commerciales. Elle fait valoir que les demandes pharaoniques de la part de CGL devant la cour de Paris (pour un total de 836.147,83 € au principal et de 272.801,95 € subsidiairement) constituaient pour elle une épée de Damoclès et que ces montants exorbitants étaient représentatifs de l'intention de CGL de voir prononcer une sanction exceptionnelle alors que dans le même temps elle croyait pouvoir continuer de jouir d'une relation durable avec elle. Elle prétend être entrée en pourparlers avec CGL afin de rétablir la confiance et la loyauté, afin de pérenniser leurs relations et ainsi permettre à CGL de céder son fonds de commerce au prix qu'elle estimait juste et que sa volonté était de mettre un terme à la procédure d'appel amiablement, les points de la négociation restant à discuter, mais qu'en dépit des discussions engagées avec CGL, celle-ci n'a pas cru devoir revenir vers elle ne serait-ce que pour former une contre-proposition intéressante.

Les productions des parties et notamment leurs échanges de courriels sur la période allant du 15 mars au 20 avril 2016, comme le dit justement le liquidateur judiciaire, est plutôt constitutif d'un véritable chantage de la part de FPLP, partie dominante, pour obtenir de CGL, un renoncement à un droit d'appel et à une action, dont l'issue lui a d'ailleurs alloué une indemnisation pour rupture brutale de la part de FPLP de relations commerciales établies s'agissant des 11 lignes, et alors qu'il n'est fait aucun reproche à CGL sur le maintien de la qualité de ses services pour les 6 lignes restantes.

Les termes des courriels écrits par FPLP, ainsi que l'appelant les reprend in extenso dans ses écritures, sont dénués de toute ambiguïté.

Notamment, à la suite du courriel de FPLP du 29 mars 2016 disant à CGL'«'' nous nous sommes fixé(s) cette fin de semaine pour trancher ce point. Passé ce délai et sans retour positif de votre part sur le désistement du litige, nous vous enverrons une dénonciation du volant d'affaire actuel avec mise en application sous un délai de prévenance approprié'», et après que CGL se soit étonnée de la demande de la part de FPLP qu'elle se désiste de la procédure d'appel parisienne comme moyen de pression dans le cadre des discussions avec le candidat cessionnaire et ait demandé un délai pour répondre, FPLP a répondu le 4 avril 2016 «'La grande patience dont nous avons fait preuve jusqu'à maintenant dans ce dossier n'est pas discutable. Vous nous avez informé(s) de votre décision de procéder à la vente de votre fonds de commerce transport, mais il est logique que nous ne souhaitions pas prolonger une activité commerciale dans cette nouvelle configuration sans un minimum de garanties. Nous prenons acte de votre réponse et reviendrons vers vous rapidement'».

CGL a répondu avec raison le 8 avril 2016 «'Nous ne comprenons pas à quel type de garantie vous faites allusion. La solution est simple pour vous': le maintien de la relation est conditionné à l'abandon de la procédure d'appel. Ce n'est pas une garantie. Nous reviendrons vers vous prochainement'».

Le moyen de pression est manifeste à l'égard d'un cocontractant, déjà affaibli par une rupture antérieure des relations partielles, consistant pour FPLP à conditionner un positionnement dans le cadre de relations à poursuivre avec un tiers acquéreur, candidat cessionnaire d'une branche d'activité, au désistement d'une procédure judiciaire, pourtant initiée de plein droit par ce cocontractant. Le liquidateur judiciaire emploie à bon escient les termes de «'pression économique violente'» et invoque à juste titre la mauvaise foi de la part de FPLP résultant du fait qu'elle a clairement exposé le non-maintien du courant d'affaires avec CGL en corrélation avec le refus de celle-ci de se désister de l'instance d'appel et de son action pendante devant la cour d'appel de Paris.

FPLP n'est pas fondée à souligner l'importance des sommes sollicitées en justice par CGL dans le contentieux de la rupture des premières lignes, alors qu'elle a été reconnue judiciairement fautive (ce qu'elle a finalement accepté en exécutant l'arrêt parisien) pour avoir rompu ces relations sans avoir respecté un préavis suffisant, qu'elle dispose de capacités financières manifestes et que des prétentions émises devant une juridiction ne constituent qu'un plafond de demandes que la juridiction apprécie tant dans leur principe que dans leur montant. La juridiction nancéenne, confirmée en appel, a d'ailleurs retenu un montant de condamnation respectant de plus justes proportions.

Ces échanges de mars-avril 2016 n'étaient nullement constitutifs comme le plaide FPLP, d'une tentative de résolution amiable de litige, qui suppose une réelle volonté de négociation, ce que FPLP n'a manifestement pas démontré par son attitude et les termes employés. La position de CGL sollicitant un délai supplémentaire pour répondre était légitime, tandis que FPLP par son intransigeance n'attendait contrairement à ce qu'elle soutient, aucune contre-proposition de la part de CGL, ce que ce dernier n'était évidemment pas en position de pouvoir faire.

Surtout, si le contrat permet la rupture moyennant un certain préavis sans exigence de l'énoncé d'un motif, l'exercice de ce droit exige qu'il soit opéré loyalement. Les développements contraires de la part de l'intimée tant sur le délai de prévenance et le motif de la rupture qu'elle a notifié, sont inopérants.

En ayant imposé à CGL un désistement d'une procédure judiciaire et d'une action en justice, dans les circonstances de fait précitées, comme condition de maintien des relations avec un cessionnaire, FPLP a violé ce principe de loyauté.

Elle en doit réparation, désormais au bénéfice de la procédure collective de CGL, en corrélation avec la faute contractuelle qui lui est imputée.

L'appelant sollicite la condamnation de FPLP en premier lieu, à des dommages et intérêts de 75.000€ correspondant à son manque à gagner subi sur la cession de son fonds de commerce, et en second lieu, à une somme de 10.000€ à titre de dommages et intérêts pour le préjudice d'image subi.

S'agissant du manque à gagner, la demande est fondée en son principe dès lors que le liquidateur judiciaire expose d'une part la contrainte pour CGL d'avoir cédé sa branche d'activité pour l'euro symbolique, ce qui ne résulte pas d'un choix délibéré de sa part comme le plaide l'appelant à juste titre, afin d'éviter le licenciement de son personnel et l'inutilisation de ses véhicules, et d'autre part son engagement de temps, d'énergie et de frais pour assurer les négociations.

Contrairement à ce que l'intimée fait valoir au sujet de la présence d'autres cocontractants de CGL, l'acte de cession motive (article 2, au titre de la désignation de la branche du fonds vendue) que la réduction du prix d'acquisition par le cessionnaire à 1 euro résulte de la perte du principal client à savoir FPLP.

Le lien de causalité est ainsi établi entre la faute de FPLP et le préjudice subi par CGL, dont la trésorerie a été impactée dans le cadre de la cession attendue de sa branche transport au profit de Astr'In.

Cependant, si ce préjudice est certain, la certitude ne joue que sur une probabilité dès lors que la cession était conditionnée à d'autres conditions suspensives telles que notées dans la lettre d'intention rédigée par Astr'In le 11 mars 2016 relatives par exemple, à l'absence d'événements significatifs défavorables tels que procédures collectives ou d'alerte, au droit de préemption, ou à l'accord d'organismes de financement.

CGL subit réellement une perte de chance d'avoir pu contracter avec le cessionnaire au prix initialement convenu, à savoir 75.000€.

Juridiquement, la perte de chance indemnisable consiste en la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable, doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée.

Pour évaluer ce préjudice, les parties n'ayant pas évoqué cette notion de perte de chance, il convient pour assurer le respect du principe de la contradiction, de rouvrir les débats à une prochaine audience pour lire voire entendre leurs observations.

La prétention de l'appelant au titre du manque à gagner est en conséquence réservée.

Quant au second préjudice, le liquidateur judiciaire tente de le caractériser en ce que l'attitude déloyale de FPLP a causé à CGL un préjudice d'image vis-à-vis de son futur acquéreur Astr'In dont elle avait acquis la confiance lors des négociations sur la cession et qu'elle a fait participer au rendez-vous tripartite avec FPLP, que la cession à moindre prix a impacté son image et que, outre un engagement de non-concurrence, CGL a subi une liquidation judiciaire.

FPLP développe des moyens pertinents pour s'opposer à cette réclamation.

En effet, aucun document ne prouve ce préjudice d'image, y compris s'il est considéré à l'égard du cessionnaire Astr'In, d'autant que la cession n'a concerné qu'une branche d'activité, non pas l'ensemble des activités de CGL, dont l'état de cessation des paiements a de plus été fixé au 10 septembre 2016 soit près de deux ans après la cession.

A défaut d'établir tant la réalité que l'importance du préjudice allégué, CGL est déboutée de sa demande.

Les demandes des parties au titre des frais non répétibles et des dépens sont réservés jusqu'au prononcé du prochain arrêt.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement et par arrêt mixte rendu contradictoirement,

Reçoit l'intervention volontaire à la cause de la SELARL MJ Synergie ' mandataires judiciaires représentée par Me U... ès qualités de liquidateur judiciaire de CGL,

Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, statuant à nouveau et ajoutant,

Déboute la société Franprix Leader Price ' Direction et Supports [FPLP] de sa fin de non-recevoir tirée de l'article D.442-3 du code de commerce,

Dit que la société FPLP a commis une faute contractuelle dans la rupture le 20 avril 2016 des relations commerciales établies avec la société Cargo General Logistics (CGL),

Dit que la société CGL est fondée à solliciter la réparation de son manque à gagner sur la cession de la branche d'activité à la société Astr'In,

Pour fixer ce préjudice, rouvre les débats sans révocation de la clôture à l'audience du 7 janvier 2021 à 13h30 à laquelle, sans renvoi possible, les parties communiqueront leurs observations sur l'application de la notion de perte de chance,

Déboute la société CGL de sa demande au titre du préjudice d'image,

Réserve les demandes au titre des frais non répétibles et des dépens.

LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : 3ème chambre a
Numéro d'arrêt : 17/08334
Date de la décision : 03/12/2020

Références :

Cour d'appel de Lyon 3A, arrêt n°17/08334 : Décision tranchant pour partie le principal


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-12-03;17.08334 ?
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