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26/11/2020 | FRANCE | N°18/00066

France | France, Cour d'appel de Lyon, 3ème chambre a, 26 novembre 2020, 18/00066


N° RG 18/00066 - N° Portalis DBVX-V-B7C-LOKL









Décision du :

- Tribunal de Commerce de LYON

Au fond du 25 septembre 2017



RG : 2015j34







SASU V. TRAVAIL TEMPORAIRE



C/



SARL DOMINO DAUPHINE BOURGOGNE





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE LYON



3ème chambre A



ARRET DU 26 Novembre 2020







APPELANTE :



SASU V. TRAVAIL TEMP

ORAIRE

[Adresse 1]

[Localité 3]



Représentée par Me Gérard BENOIT de la SELARL BENOIT - LALLIARD - ROUANET, avocat au barreau de LYON, toque : 505









INTIMEE :



SARL DOMINO DAUPHINE BOURGOGNE 

anciennement dénommée DOMINO FEDERHIS

[Adresse 4]
...

N° RG 18/00066 - N° Portalis DBVX-V-B7C-LOKL

Décision du :

- Tribunal de Commerce de LYON

Au fond du 25 septembre 2017

RG : 2015j34

SASU V. TRAVAIL TEMPORAIRE

C/

SARL DOMINO DAUPHINE BOURGOGNE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE LYON

3ème chambre A

ARRET DU 26 Novembre 2020

APPELANTE :

SASU V. TRAVAIL TEMPORAIRE

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Gérard BENOIT de la SELARL BENOIT - LALLIARD - ROUANET, avocat au barreau de LYON, toque : 505

INTIMEE :

SARL DOMINO DAUPHINE BOURGOGNE 

anciennement dénommée DOMINO FEDERHIS

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON, toque : 475

Assistée de Me Christophe COCHET de la SELARL AKLEA, avocat au barreau de LYON, toque : 1050

******

Date de clôture de l'instruction : 24 Octobre 2019

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 08 Octobre 2020

Date de mise à disposition : 26 Novembre 2020

Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

- Anne-Marie ESPARBES, président

- Hélène HOMS, conseiller

- Catherine CLERC, conseiller

assistés pendant les débats de Elsa MILLARY, greffier placé

A l'audience, Catherine CLERC a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Anne-Marie ESPARBES, président, et par Elsa MILLARY, greffier placé, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

****

EXPOSE DU LITIGE

La SARL Federhis, spécialisée dans le travail temporaire, secteur BTP, industrie, logistique, transport, qui a pris la dénomination de SARL Domino Federhis (Domino Federhis) après être devenue l'une des filiales du groupe Domino en 2013, exerce son activité par le biais de plusieurs agences implantées en Rhône-Alpes au nombre desquelles figurait l'agence Federhis Lyon BTP située [Adresse 6] qui comprenait'notamment :

- une responsable d'agence en la personne de Mme [H], embauchée par la société Federhis selon contrat de travail à durée indéterminée du 3 octobre 2011, réitéré par contrat établi au nom de Domino Federhis le 13 décembre 2013 avec effet au 1er janvier 2014,

- une chargée d'affaires en la personne de Mme [F], embauchée par la société Federhis selon contrat de travail à durée indéterminée du 2 avril 2013, réitéré par contrat établi au nom de Domino Federhis le 14 février 2014 avec effet au 1er février 2014.

Mmes [H] et [F], dont chacun des contrats de travail à durée indéterminée comportait une clause de non-concurrence, ont respectivement démissionné de leurs fonctions par courriers des 24 février 2014 et 14 mars 2014, ces démissions ayant pris effet respectivement les 21 mars et 16 avril 2014.

Mme [F] qui avait saisi le conseil des prud'hommes en requalification de sa démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse, a été déboutée de ses prétentions par jugement du 30 octobre 2015, Domino Federhis étant quant à elle condamnée au paiement de dommages et intérêts pour clause de non-concurrence nulle.

Sur assignation de Domino Federhis, le conseil des prud'hommes a condamné, par jugement du 31 mars 2016, Mme [H] à rembourser les indemnités payées au titre de la clause de non-concurrence et à payer des dommages et intérêts au titre de l'exécution déloyale de son contrat de travail.

Ces deux jugements ont été infirmés par arrêts distincts de la chambre sociale de la cour d'appel de Lyon du 14 septembre 2018 qui ont, notamment et en substance, reconnu la licéité des clauses de non-concurrence liant les deux anciennes salariées de Domino Federhis et les ont condamnées à rembourser les indemnités compensatrices relatives à ces clauses.

Ces deux arrêts ont été frappés de pourvoi. Celui de Mme [F] a été rejeté par arrêt du 12 février 2020'; celui de Mme [H] a été accueilli partiellement par arrêt du 1er avril 2020 qui a cassé l'arrêt d'appel pour défaut de base légale en ce qu'il a dit opposable à la salariée la clause de non-concurrence en présence du contrat de travail du 13 décembre 2013 non signé, l'affaire étant renvoyée devant la cour d'appel de Lyon autrement composée.

Parallèlement à ce contentieux prud'homal, alors que son chiffre d'affaires avait chuté à partir d'avril 2014, Domino Federhis a découvert que ses deux anciennes salariées travaillaient au sein de l'agence Effibat Intérim créée le 17 février 2014 par la SASU V. Travail Temporaire (V.Travail Temporaire) qui disposait ainsi de deux établissements dans le Rhône.

Estimant que Mmes [H] et [F] avaient violé leurs obligations de loyauté et de confidentialité ainsi que la clause de non-concurrence, Domino Federhis a obtenu auprès du président du tribunal de grande instance de Lyon la délivrance d'une ordonnance sur requête le 18 juin 2014 portant désignation de tout huissier de justice compétent avec autorisation de se rendre dans l'agence Effibat Intérim pour notamment':

- se faire remettre copie des contrats de mise à disposition et contenant le nom des 21 clients de l'agence Federhis de Lyon 7ème (liste nominative dans l'ordonnance),

- se faire remettre copie des contrats de travail temporaire et contenant le nom des 42 intérimaires de l'agence Fedheris Lyon 7ème (liste nominative dans l'ordonnance),

- se faire remettre toute carte de visite au nom de Mmes [H] et [F] et tout document à visée publicitaire pour Effibat Interim visant le nom de Mme [H] et / ou de Mme [F],

- se faire remettre les contrats de travail et /ou d'agent commercial et /ou de tout type organisant les relations contractuelles entre Effibat Intérim et / ou V. Travail Temporaire d'une part, et Mme [H] et /ou Mme [F], d'autre part,

- se faire présenter le registre du personnel de Effibat Interim afin d'y constater la présence de Mmes [H] et [F].

Me [Y], huissier de justice associé, commis par Domino Federhis en exécution de cette ordonnance, a dressé son procès-verbal de constat le 21 juillet 2014.

Suivant acte extrajudiciaire du 12 janvier 2015, Domino Federhis a assigné V.Travail Temporaire devant le tribunal de commerce de Lyon sur le fondement de la responsabilité pour concurrence déloyale.

Par jugement du 25 septembre 2017, le tribunal de commerce a :

- dit recevable et bien fondée la demande de Domino Federhis,

- jugé que V.Travail Temporaire a commis des fautes engageant sa responsabilité délictuelle,

- ordonné que V. Travail Temporaire cesse toute pratique déloyale à l'encontre de Domino Federhis et restitue tous les fichiers et les données commerciales appartenant à cette dernière et ce, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, le délai commençant à courir un mois après la signification du présent jugement, se réservant le droit de liquider cette astreinte,

- condamné V. Travail Temporaire à payer à Domino Federhis':

* la somme de 10 528,20 euros à titre de dommages et intérêts, en réparation de sa perte de clientèle,

* la somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts, en réparation de ses frais fixes et ses dépenses pour recréer une clientèle et un portefeuille d'intérimaires,

* la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts, en réparation de son préjudice moral,

- dit n'y avoir lieu d'examiner les demandes subsidiaires de Domino Federhis,

- rejeté l'ensemble des demandes, fins et conclusions de V. Travail Temporaire,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement, nonobstant appel et sans caution,

- condamné V. Travail Temporaire à verser à Domino Federhis la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la même aux entiers dépens.

Le 4 janvier 2018, V. Travail Temporaire a relevé appel de ce jugement sauf en ce qu'il a dit n'y avoir lieu d'examiner les demandes subsidiaires de Domino Federhis.

Par conclusions déposées le 16 mai 2019 fondées sur les articles 1382 et 1383 du code civil, V. Travail Temporaire demande à la cour de réformer en toutes ses dispositions le jugement déféré, et statuant à nouveau de':

1) à titre principal,

- juger que Domino Federhis ne rapporte pas la preuve qu'elle aurait eu connaissance de la limitation apportée à la liberté des salariées au moment de leur embauche,

- juger qu'elle ne s'est pas rendue complice de Mme [H] et Mme [F] en les laissant utiliser les fichiers / portefeuilles clients qu'elles ont apportés à Domino Federhis et dont celle-ci se prévaut à tort alors qu'elle ne peut en revendiquer la propriété dès lors qu'ils n'ont pas été établis dans le cadre de leurs fonctions,

- juger que sur les 26 sociétés / clients revendiqué(e)s par Domino Federhis comme faisant soi-disant partie de son fichier clients, 24 des sociétés / clients ont toujours fait partie des fichiers / portefeuilles clients apportés par Mmes [H] et /ou [F] à Domino Federhis,

- juger que Domino Federhis ne démontre pas la réalité ni le chiffre / nombre des clients qu'elle revendique puisqu'elle avance un nombre de 41 clients alors qu'elle ne conteste pas qu'il n'aurait été que 4 ou 5 lors de l'arrivée de Mme [H],

- juger qu'aucun acte de concurrence déloyale par complicité ne peut être retenu à son encontre,

- juger que Domino Federhis ne rapporte pas la preuve du lien de causalité entre la baisse du chiffre d'affaires qu'elle invoque et les clients retrouvés sur le listing dont l'huissier de justice a dressé un procès-verbal de constat,

- juger que l'agence / le fonds de commerce de Domino Federhis subissait déjà une perte d'exploitation avant la démission de Mmes [H] et [F] et que sa valeur était quasiment nulle,

- juger que la perte / baisse de chiffre d'affaires subie par Domino Federhis n'a pas à être prise en considération dès lors que la dégradation financière est antérieure à la démission de Mmes [H] et [F] et à leur départ effectif vers sa sociéte',

- juger que les préjudices invoqués par Domino Federhis ne sont pas démontrés,

en conséquence,

- débouter Domino Federhis de l'intégralité de ses prétentions, fins et moyens,

- condamner Domino Federhis à lui payer':

* la somme de 47 293,50 euros acquittée au titre de l'exécution provisoire dont est assorti le jugement querellé,

* la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Domino Federhis aux entiers dépens,

- débouter Domino Federhis de l'intégralité de ses prétentions, fins et moyens plus amples et /ou contraires,

2) à titre subsidiaire,

-juger qu'en matière de concurrence déloyale, le préjudice subi s'apprécie selon le secteur d'activité concerné et au regard de la perte de marge nette,

- juger que la marge nette moyenne annuelle après impôts correspond dans le secteur d'activité du travail temporaire à 5 % du chiffre d'affaires hors taxes,

- juger que le préjudice invoqué par Domino Federhis ne peut concerner que 2 des 26 clients figurant sur le procès-verbal de constat dressé par l'huissier de justice,

- constater que le client [N] avait sur une période d'un an, généré un chiffre d'affaires total de seulement 4 261,26 euros et que la marge de 251,27 euros correspondait à 5,44 % du chiffre d'affaires hors taxes,

-juger que le chiffre d'affaires et la marge générée par le client Geotechnic Rhône-Alpes et Etigroup ne sont pas justifiés,

-juger que les préjudices invoqués par Domino Federhis ne sont pas démontrés,

en conséquence,

- débouter Domino Federhis de l'intégralité de ses prétentions, fins et moyens,

-condamner Domino Federhis à lui payer':

* la somme de 47 293,50 euros acquittée au titre de l'exécution provisoire dont est assorti le jugement querellé,

* la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Domino Federhis aux entiers dépens,

- débouter Domino Federhis de l'intégralité de ses prétentions, fins et moyens plus amples et /ou contraires.

Par conclusions déposées le 7 septembre 2020 au visa des articles 55, 331 et suivants, 858 et suivants du code de procédure civile, 1382 et 1383 et suivants du code civil, Domino Federhis devenue SARL Domino Dauphine Bourgogne demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a condamné V. Travail Temporaire à lui payer':

* la somme de 10 528,20 euros à titre de dommages et intérêts, en réparation de sa perte de clientèle,

* la somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts, en réparation de ses frais fixes et de ses dépenses pour recréer une clientèle et un portefeuille d'intérimaires,

* la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts, en réparation de son préjudice moral,

et dit qu'il n'y avoir lieu d'examiner ses demandes subsidiaires,

et ce faisant,

1) à titre principal,

- juger que V. Travail Temporaire a commis une faute constitutive de concurrence déloyale':

* en embauchant les responsables de l'agence Fedheris immédiatement à la suite de leurs démissions et alors même qu'elles étaient tenues par une obligation de non-concurrence et ce, pour se constituer un portefeuille et développer son activité à moindres frais,

* en créant l'agence destinée à accueillir Mmes [H] et [F] à proximité de l'agence Federhis entraînant volontairement la confusion dans l'esprit des intérimaires et clients qui se sont soudainement et de concert adressés à V. Travail Temporaire,

* en utilisant les fichiers clients et intérimaires qu'elle a obtenus par l'intermédiaire de Mmes [H] et [F] ou, à tout le moins, en les laissant les exploiter à son profit pour capter sa clientèle,

- juger que ces agissements ont fortement désorganisé son activité et provoqué la chute de son chiffre d'affaires conduisant à la fermeture pure et simple de l'agence Federhis,

en conséquence,

- juger que V. Travail Temporaire engage envers elle sa responsabilité civile délictuelle à ce titre,

- ordonner la cessation, par V. Travail Temporaire, de toute pratique déloyale à son encontre et à restituer tous les fichiers et les données commerciales lui appartenant, et à justifier du fait qu'elle ne détient plus ces fichiers, à quelque titre et sous quelque forme que ce soit, à compter du prononcé de la décision à intervenir, et ce sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard,

- condamner V. Travail Temporaire à payer la somme de 314 381 euros pour 2013 et 202 448 euros pour 2014, majorée du taux du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) appliqué depuis 2018, à savoir 58 796 euros, à titre de dommages et intérêts en réparation de la perte totale de clientèle et chiffre d'affaires de l'agence l'ayant conduite à la fermer purement et simplement et du montant dont V. Travail Temporaire s'est parallèlement enrichie au titre du CICE,

- condamner V. Travail Temporaire à payer la somme de 107 588 euros de dommages et intérêts au titre des pertes d'exploitation subies au cours de l'année 2014,

- condamner V. Travail Temporaire à payer la somme de 65 856 euros au titre des frais fixes hors loyer, la somme de 10 800 euros au titre des loyers pris en charge au titre de l'année 2014 ainsi que la somme de 22 029,41euros, à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice subi pour tenter de recréer une clientèle et un portefeuille d'intérimaires et ainsi tenter d'éviter la fermeture de l'agence Federhis, en vain,

- condamner V. Travail Temporaire à lui payer la somme de 9 450 euros au titre des loyers pris en charge par cette dernière sur l'année 2015 jusqu'au terme anticipé du bail commercial,

- condamner V. Travail Temporaire à lui payer la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts, en réparation de son préjudice moral,

2) à titre subsidiaire,

- juger que V. Travail Temporaire a eu connaissance de l'existence des obligations contractuelles de non-concurrence de Mmes [H] et [F] avant de les embaucher et a maintenu sa décision de collaborer avec elles en violation de ces engagements,

- juger que V. Travail Temporaire s'est rendue complice de Mmes [H] et [F] dans la violation des obligations contractuelles de non-concurrence, en le (comprendre : les) laissant démarcher par son intermédiaire, les clients et les intérimaires de Domino Federhis,

- juger que V. Travail Temporaire s'est rendue complice de Mmes [H] et [F] dans la violation de leurs engagements contractuels de confidentialité en laissant utiliser à des fins commerciales à son bénéfice les fichiers clients et intérimaires lui appartenant en ce qu'ils constituent la valeur de son fonds de commerce,

en conséquence,

- juger que V. Travail Temporaire engage envers elle sa responsabilité civile délictuelle à ce titre,

- ordonner la cessation, par V. Travail Temporaire, de toute pratique déloyale à son encontre et à restituer tous les fichiers et les données commerciales lui appartenant, à compter du prononcé de la décision à intervenir, et à justifier du fait qu'elle ne détient plus ces fichiers, à quelque titre et sous quelque forme que ce soit, à compter du prononcé de la décision à intervenir, et ce sous astreinte de 1 000' euros par jour de retard,

- condamner la société V. Travail Temporaire à lui payer la somme de 314 381 euros pour 2013 et 202 448 euros pour 2014, majorée du taux CICE appliqué depuis 2018, à savoir 58 796 euros, à titre de dommages et intérêts en réparation de la perte totale de clientèle et chiffre d'affaires de l'agence l'ayant conduite à la fermer purement et simplement et du montant dont la société V. Travail Temporaire s'est parallèlement enrichie au titre du CICE,

- condamner V. Travail Temporaire à payer la somme de 107 588 euros de dommages et intérêts au titre des pertes d'exploitation subies au cours de l'année 2014,

- condamner V. Travail Temporaire à payer la somme de 65 826 euros au titre des frais fixes hors loyer, la somme de 10 800 euros au titre des loyers pris en charge au titre de l'année 2014 ainsi que la somme de 22 029,41 euros, à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice subi pour tenter de recréer une clientèle et un portefeuille d'intérimaires et ainsi tenter d'éviter la fermeture de l'agence Federhis, en vain,

- condamner V. Travail Temporaire à lui payer la somme de 9 450 euros au titre des loyers pris en charge par cette dernière sur l'année 2015 jusqu'au terme anticipé du bail commercial,

- condamner V. Travail Temporaire à payer la somme de 20 000 euros, à titre de dommages et intérêts, en réparation de son préjudice moral,

3) en tout état de cause,

- rejeter l'ensemble des demandes, fins et conclusions de V. Travail Temporaire,

- ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir, nonobstant appel et sans caution,

- condamner V. Travail Temporaire à payer la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner V. Travail Temporaire aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel.

MOTIFS

Il est constaté que les parties n'ont pas relevé appel du rejet de la demande de sursis à statuer prononcé par les premiers juges.

Sur la concurrence déloyale

Constitue un acte de concurrence déloyale le recours à des procédés contraires aux usages et habitudes professionnels tendant à occasionner un trouble commercial à un concurrent'; le succès de l'action en concurrence déloyale est attaché à la démonstration d'une faute et d'un préjudice en lien causal.

Sur la désorganisation de l'agence Federhis Lyon BTP

V.Travail Temporaire conteste tout acte de concurrence déloyale à son actif en soutenant

ne pas avoir eu connaissance au moment de l'embauche de Mmes [H] et [F] des clauses de non-concurrence figurant dans leurs contrats de travail régularisés avec Domino Federhis, cette clause de non-concurrence étant au surplus inopposable à Mme [F] qui n'avait pas signé les contrats de travail du 3 octobre 2011 et du 13 décembre 2013.

Domino Federhis réplique que':

- V.Travail Temporaire tente d'instaurer un faux débat et de la discréditer en lui reprochant d'avoir débauché Mme [H] de chez son ancien employeur Littoral Intérim en 2011 ou encore en dénonçant les conditions dans lesquelles Mmes [H] et [F] avaient travaillé dans son agence, soulignant que le grief formulé à son encontre par celles-ci (harcèlement moral) avait été écarté par la juridiction prud'homale au même titre que tout autre manquement à ses obligations d'employeur, et qu'en conséquence V.Travail Temporaire ne peut pas trouver dans ses relations passées avec ses deux anciennes salariées la moindre justification à ses actes de concurrence déloyale,

- V.Travail Temporaire en voulant développer son activité à moindres frais, a désorganisé l'agence Federhis Lyon BTP par ses actes de concurrence déloyale ayant consisté': * d'une part, à créer son activité concurrente alors que Mmes [H] et [F] étaient encore ses salariées, celles-ci ayant transféré les commandes de ses clients vers V.Travail Temporaire dès février-mars 2014, ainsi qu'en atteste la baisse du chiffre d'affaires en avril 2014, époque à laquelle elles ont rejoint l'agence concurrente, et à les embaucher simultanément après leur démission, réduisant ainsi d'un seul coup l'effectif de l'agence Federhis Lyon BTP de 4 à 2 personnes et engendrant le transfert de la totalité de ses clients compte tenu des relations exclusives que les deux salariées entretenaient avec la clientèle et les intérimaires,

* d'autre part, en s'abstenant de vérifier l'absence d'une clause de non-concurrence dans les contrats de travail de Mmes [H] et [F] avant de les embaucher, et en tout état de cause en persistant dans son comportement déloyal en refusant de mettre un terme à cette embauche alors qu'elle avait été avisée expressément de l'existence de telles clauses par le courrier du 1er août 2014 qu'elle lui avait envoyé.

Liminairement, la cour entend préciser que restent sans emport sur la solution à apporter au présent litige, les circonstances dans lesquelles Domino Federhis a été amenée à employer Mme [H].

La violation par Mme [F] de la clause de non-concurrence la liant à Domino Federhis est définitivement jugée en l'état de l'arrêt d'appel précité du 14 septembre 2018 dont le pourvoi en cassation a été rejeté le 12 février 2020.

S'agissant de Mme [H], l'arrêt d'appel la concernant rendu le 14 septembre 2018 a été cassé uniquement en ce qu'il avait par infirmation du jugement du conseil des prud'hommes, dit que la clause de non-concurrence lui était opposable et qu'elle était licite, en utilisant des motifs impropres à établir une acceptation claire et non équivoque par la salariée de la clause de non-concurrence.

S'il n'est donc pas définitivement jugé que Mme [H] a violé la clause de non-concurrence de Domino Federhis, ni d'ailleurs que celle-ci était licite et lui était opposable, pour autant, indépendamment du sort de cette clause durant l'exécution du contrat de travail, Mme [H] était tenue de l'obligation générale de ne pas exercer des actes préjudiciables envers Domino Federhis après la cessation de leur relation de travail.

Il n'existe pas au dossier d'éléments tangibles et pertinents conduisant à juger que V.Travail Temporaire a commis des actes positifs pour détourner Mmes [H] et [F] de leurs emplois chez Domino Federhis en les incitant à démissionner toutes les deux à moins d'un mois d'intervalle en février et mars 2014 (avec effet au 21 mars et 16 avril 2014) pour être embauchées les 1er et 17 avril 2014 dans son agence Effibat Intérim créée le 17 février 2014.

Néanmoins, V. Travail Temporaire, en tant que professionnelle avisée du travail intérimaire, est au fait du marché hautement concurrentiel sur lequel elle intervient et particulièrement des risques concurrentiels attachés aux fonctions de cadre précédemment exercées par Mmes [H] et [F] au sein de Domino Federhis, l'une étant responsable d'agence, l'autre chargée d'affaires, fonctions pour lesquelles il est d'usage commun dans la profession de prévoir une clause de non-concurrence'; quand bien même elle a personnellement fait le choix de ne pas devoir assortir d'une telle clause les «'contrats de collaboration à durée indéterminée'» signés avec ses deux nouvelles salariées, V.Travail Temporaire était tenue de s'assurer personnellement et de manière effective qu'elles n'étaient pas liées à leur ancien employeur par une clause de non-concurrence avant de procéder à leur embauche les 1er et 17 avril 2014, les simples déclarations des intéressées se disant «'libre de tout engagement'» étant insuffisantes.

De plus fort, à admettre que V. Travail Temporaire a pu se méprendre de bonne foi sur la présence ou pas d'une clause de non-concurrence figurant dans les contrats de travail Domino Federhis en l'état de ces propos déclaratifs, elle n'ignorait pas à partir du 1er août 2014 qu'elle avait embauché deux personnes dont les contrats contenaient une clause de non concurrence qui à l'époque n'était pas encore discutée (voir lettre recommandée avec AR de Domino Federhis du 1er août 2014) et a clairement répondu ne pas vouloir mettre fin à sa collaboration avec Mmes [H] et [F], estimant ne pas être coupable de concurrence déloyale simplement pour avoir permis «'à deux salariées de se reconstruire dans un groupe soucieux du bien-être de ses collaborateurs, qu'ils soient intérimaires, assistants ou responsable d'agence'» (voir sa lettre recommandée avec AR du 27 août 2014 à Domino Federhis).

Cette décision d'ignorer les clauses de non-concurrence dont la validité n'était pas discutée constitue un acte de concurrence déloyale.

Sur le détournement des fichiers clients et intérimaires

V.Travail Temporaire conclut que Domino Federhis ne peut pas lui faire grief d'avoir détourné ses fichiers clients/ intérimaires en embauchant Mmes [H] et [F] car elle ne peut en revendiquer la propriété': elle n'avait pas constitué ces fichiers et ceux-ci n'avaient pas été établis dans le cadre des fonctions de ces deux salariés au sens de l'article 9 de leur contrat de travail, mais avaient été apportés par ces dernières lorsqu'elle les avait débauchées de chez leurs anciens employeurs (Littoral Intérim et Mobile), incitant notamment Mme [H] «'à ignorer /violer la clause de non-concurrence qui la liait à son ancien employeur'», ce qui lui avait permis de développer aussitôt l'activité de son agence Federhis Lyon BTP qui était jusqu'alors «'une coquille vide'».

D'ailleurs, si le procès-verbal de constat d'huissier de justice du 21 juillet 2014 révèle que sur les 41 clients de l'agence Domino Federhis avant le départ de Mmes [H] et [F], 26 ont été retrouvés dans l'agence de V. Travail Temporaire, 24 sur ces 26 clients avaient toujours figuré sur les fichiers clients apportés par ces deux salariées lors de leur débauchage / embauche par Domino Federhis,

Ensuite, Mmes [H] et [F], fortes de plusieurs années d'expérience dans le domaine de l'intérim-secteur BTP, disposaient de fichiers de clients conséquents et ceux-ci, qui entretenaient avec elles une relation personnelle déterminante eu égard à la spécificité du BTP, avaient délibérément fait le choix de les suivre dans leurs nouvelles agences, notamment dans l'agence Effibat Intérim.

Domino Federhis oppose que pour créer et exploiter son agence, V.Travail Temporaire a capté sa clientèle et ses intérimaires par l'utilisation des fichiers récoltés par Mmes [H] et [F] durant leur travail dans l'agence Federhis Lyon BTP en violation de leurs propres obligations de loyauté et de confidentialité, cette utilisation frauduleuse de fichiers clients/ intérimaires ainsi obtenus auprès des nouvelles salariées constituant un acte de concurrence déloyale, quand bien même elle ne serait pas l'instigatrice du détournement de ces fichiers.

Il appartient à Domino Federhis de prouver le détournement de ses clients et de ses intérimaires qu'elle allègue.

Il est établi qu'après avoir été embauchées par V.Travail Temporaire, Mmes [H] et [F] ont mis au profit de celle-ci leurs connaissances et contacts, permettant ainsi le transfert dans l'agence Effibat Intérim d'un nombre conséquent de clients et d'intérimaires de leur ancien employeur Domino Federhis'; cet état de fait est corroboré par les vérifications opérées le 21 juillet 2014 par l'huissier de justice à partir des documents de travail recueillis chez V.Travail Temporaire dans le cadre de l'exécution de l'ordonnance sur requête précitée, soit trois mois après l'embauche de Mmes [H] et [F], dont il résulte que 26 clients de l'agence Federhis Lyon BTP sur les 41 qu'elle comptait à son actif du temps où Mmes [H] et [F] travaillaient chez Domino Federhis, avaient rejoint l'agence Effibat Intérim lorsque celles-ci avaient été embauchées par V.Travail Temporaire.

C'est en vain que V.Travail Temporaire entend faire remarquer que sur les 26 clients en question, 24 faisaient déjà partie des fichiers clients de Mme [H] et [F] à leur arrivée chez Domino Federhis pour soutenir n'avoir commis aucun acte de concurrence déloyale en les utilisant pour développer son agence, ajoutant que ces clients n'appartenaient pas à cette société de travail intérimaire, sinon à Mmes [H] et [F].

En effet, il n'est aucunement établi à la lecture des contrats de travail communiqués que Mmes [H] et [F] étaient ou devenaient propriétaires des fichiers clients /intérimaires'qu'elles utilisaient ou développaient au cours de leur activité ; il résulte au contraire du contrat de travail liant Mme [H] à Littoral Interim tel que signé le 28 février 2000, que celle-ci était tenue au respect d'une obligation de secret, étant amenée dans le cadre de ses fonctions à avoir connaissance du fichier client de la société, de son mode de travail et de son savoir-faire, devant en conséquence garder une totale discrétion en ce qui concerne les renseignements de tous ordres, notamment les renseignements techniques, financiers, marketing et commerciaux qu'elle viendrait à connaître dans l'exercice de ses fonctions.

Il est tout aussi inopérant de la part de V.Travail Temporaire de prétendre que la clientèle avait suivi d'elle-même Mmes [H] et [F] qui entretenaient avec elle une relation intuitu personae.

Certes, la clientèle des sociétés d'intérim est par essence volatile car fluctuante en fonction de ses besoins et des offres pouvant lui être proposées, et reste libre de s'adresser à la société de son choix, choix souvent dicté par les relations professionnelles nouées au fil du temps avec les collaborateurs'de celles-ci ; mais c'est précisément ce caractère volatile qui légitime la clause de non-concurrence, clause que V.Travail Temporaire a, de mauvaise foi, refusé de prendre en compte malgré l'avertissement de Domino Federhis le 1er août 2014.

Néanmoins, il est démontré par les pièces du débat que Mmes [H] et [F] disposaient chacune d'un listing clients conséquent lorsqu'elles ont été embauchées par Domino Federhis.

Domino Federhis rappelle opportunément que l'article 9 de leurs contrats de travail précisait que les documents établis par celles-ci pour le compte de Federhis ou dont la communication leur avait été faite dans le cadre de leurs fonctions restaient la propriété de Fedehris et devaient lui être restitués dans les mêmes conditions que le matériel nécessaire à l'exercice de leurs fonctions mis à leur disposition.

Ainsi, quand bien même elles ont pu apporter lors de leur embauche par Fedheris (devenu Domino Federis) des listings clients ou intérimaires en provenance de leurs anciens emplois (sans que soient connues les circonstances les ayant autorisées à les conserver), il n'en demeure pas moins qu'elles n'ont pas pu les exploiter et les développer sans l'infrastructure dont elles bénéficiaient chez leur nouvel employeur, créant ainsi des documents pour le compte de celui-ci au sens de l'article 9 précité.

Dès lors, il importe peu que V.Travail Temporaire n'ait pas commis d'acte positif pour capter les fichiers clients et intérimaires de Domino Federhis, aucun démarchage ou publicité n'ayant été initié auprès de ceux-ci'; elle a commis un acte de concurrence déloyale en acceptant que Mmes [H] et [F] utilisent à son profit des fichiers auxquels elle n'avait pas accès jusqu'à leur arrivée et qui ayant servi précédemment à l'activité de Domino Federhis, contenaient donc des informations confidentielles dont il est établi qu'il leur était fait interdiction par leurs contrats de travail de les divulguer, cette captation de données sur les clients de l'agence Federhis Lyon BTP ayant conduit à priver celle-ci de sa matière première et par suite à cesser toute activité quelques mois plus tard.

Sur la confusion créée dans l'esprit de la clientèle

Domino Federhis soutient que V.Travail Temporaire a usé de man'uvres déloyales destinées à créer la confusion dans l'esprit de la clientèle et des intérimaires de l'agence Federhis Lyon BTP en installant son agence Effibat Intérim dans un local distant à moins de 1,3 km de celle-ci à pied, local dans lequel se trouvaient Mmes [H] et [F].

V.Travail Temporaire n'objecte aucun moyen de défense à ce grief, ayant limité ses développements au détournement de clientèle qui lui est reproché.

Si V.Travail Temporaire a effectivement créé le 17 février 2014 un second établissement, à savoir l'agence Effibat Intérim située [Adresse 5], le premier se situant depuis 2013 dans le 6ème arrondissement de cette ville, il doit être admis qu'elle a cherché à entraîner une confusion dans l'esprit de la clientèle de Domino Federhis dont l'agence Federhis Lyon BTP est située [Adresse 6] dans le 7ème arrondissement de Lyon. En effet, ces deux agences étant implantées dans des arrondissements limitrophes et distantes seulement de 1,3 km à pied.

En définitive, il doit être retenu au regard de ce qui précède, que V.Travail Temporaire, en captant par le biais de Mmes [H] et [F] la clientèle de l'agence Federhis Lyon BTP, a occasionné un préjudice à Domino Fedheris dont elle lui doit réparation.

Le jugement déféré est en conséquence confirmé sur ce point.

Sur le préjudice

A l'appui de son appel incident, Domino Federhis expose avoir subi un préjudice de perte de clientèle et de chiffre d'affaires en ce qu'elle a été contrainte de fermer son agence Federhis Lyon BTP'; elle chiffre celui-ci à 314 381euros pour l'année 2013 calculé sur la base d'un taux de marge brute de 13,44% auquel elle ajoute le montant de CICE dont elle soutient que V.Travail Temporaire s'est enrichie depuis 2013, soit 58 796 euros qu'elle calcule comme suit':

- masse salariale des travailleurs temporaires en 2013 = 1 477 299 euros

- % de la masse salariale des intérimaires assujettis au CICE en 2014 = x 99,5%

- % du taux de CICE de la masse salariale en 2013 = x 4 %

---------------------

58 796 euros

Elle ajoute avoir subi en 2014 un préjudice de perte d'exploitation de 107 588 euros lié aux conditions de départ et de succession de Mmes [H] et [F], critiquant le jugement déféré en ce qu'il l'a déboutée de ce poste au motif qu'elle pouvait s'appuyer sur le groupe Domino pour relancer son activité et que V.Travail Temporaire ne pouvait donc être tenue responsable de ses choix.

Elle réclame paiement de ses charges fixes hors loyer qu'elle a été contrainte de payer d'avril 2014 à décembre 2015 (65 856 euros) alors que son chiffre d'affaires s'effondrait et des loyers payés en 2014 (10 800 euros), et ceux de l'année 2015 (9 450 euros) signalant avoir obtenu de son bailleur une résiliation anticipée du bail commercial, réduisant d'autant son préjudice, mais également celui des frais exposés pour le recrutement d'un remplaçant de Mmes [H] et [F], soit 22 029,41 euros.

Elle affirme enfin avoir subi un préjudice moral en lien avec la perte d'image et la désorganisation de son activité ayant conduit à la quasi-disparition de son chiffre d'affaires, qu'elle relie au trouble commercial causé par Mmes [H] et [F] en complicité avec V.Travail Temporaire.

V.Travail Temporaire, qui conteste tout lien de causalité entre la complicité d'acte de concurrence déloyale qui lui est reprochée et le préjudice allégué par Domino Federhis, s'oppose à l'indemnisation de la perte de chiffre d'affaires au motif que la situation financière de Domino Fedehris s'était dégradée dès l'année 2013, donc bien avant le départ de Mmes [H] et [F], cet état de fait s'étant poursuivi en 2014, le déficit d'exploitation s'élevant à près de 30 000 euros sur le seul premier trimestre 2014'; sur ce point, elle estime que la perte de chiffre d'affaires avec les 26 clients de l'agence Federhis Lyon BTP retrouvés sur son listing n'est pas démontrée, ajoutant que cette démonstration n'est pas non plus acquise à l'égard des seuls 2 clients sur ces 26 pouvant être considérés comme n'ayant pas été apportés par Mmes [H] et [F] (clients [N] et Geotechnic-Rhône-Alpes Etigroup)'; elle considère subsidiairement que seule doit être prise en compte la perte de marge nette, celle-ci étant de 5% du chiffre d'affaires hors taxe dans le secteur d'activité du travail temporaire sans pour autant admettre un droit à indemnisation à Domino Federhis'; elle lui conteste également tout préjudice moral et autres préjudices résultant des frais supportés par celle-ci jusqu'à la fermeture de son agence et des frais engagés pour tenter de recréer une clientèle et un portefeuille d'intérimaires après le départ de ses deux salariées, en lui opposant qu'elle a créé et développé son activité en faisant preuve de turpitude en débauchant Mme [H].

S'agissant du chiffre d'affaires, sa baisse correspond au préjudice résultant de l'utilisation de ses fichiers par V.Travail Temporaire par l'entremise de ses deux salariées expérimentées dans le secteur de l'intérim et de la captation de sa clientèle qui s'en est suivie'; le préjudice qui en résulte doit s'apprécier au regard de la marge brute perdue sans qu'il y ait lieu à individualiser le chiffre d'affaires réalisé avec chacun des clients.

Selon les pièces comptables versées au débat, l'agence Federhis Lyon BTP a réalisé un chiffre d'affaires de 2 339 025 euros en 2013, malgré son intégration au sein du groupe Domino en avril 2013 et les tensions engendrées par cette opération'; ce chiffre d'affaires a amorcé une chute flagrante à partir d'avril'et finalement ne représente que 722 857 euros sur l'année 2014, dont 226 649 euros d'avril à décembre 2014.

Cette évolution négative est en parfaite corrélation avec la captation d'une grande partie des clients (26 sur 41) et non pas uniquement 2 clients de l'agence Federhis Lyon BTP qui a débuté dès l'embauche des deux salariées par V.Travail Temporaire, époque à partir de laquelle cette dernière a pu alors tirer profit des fichiers clients de l'agence Federhis Lyon BTP apportées par Mmes [H] et [F].

Domino Federhis est donc fondée à obtenir indemnisation du préjudice résultant de cette perte de chiffre d'affaires en relation causale directe avec les agissements de concurrence déloyale dont elle a été victime en 2014'; au vu des pièces communiquées, la cour est en mesure de chiffrer ce poste de préjudice à 240 994,80 euros sur la base des chiffres d'affaires réalisés en 2013 et au cours du premier trimestre 2014, périodes non impactées par la concurrence déloyale, et d'un taux de perte de marge brute de 8,5%; le jugement entrepris est donc infirmé en ce qu'il a alloué une indemnité de'10 528,20' euros au titre d'une perte de marge nette calculée de surcroît sur une base inexacte (montant du chiffre d'affaires HT de décembre 2013 présenté comme étant celui de l'année 2013).

Elle est déboutée de sa réclamation présentée au titre du CICE, aucune pièce établissant qu'elle était éligible à cet avantage fiscal (ou qu'elle en avait déjà bénéficié) indépendamment du fait que le calcul proposé n'est fondé sur aucune pièce sérieuse permettant d'appréhender le montant de la masse salariale et le pourcentage assujetti au bénéfice de ce crédit d'impôt pour les années 2013 et 2014.

Le préjudice allégué au titre des pertes d'exploitation de l'année 2014 ne peut donner lieu à une indemnisation autonome, étant de même nature que le préjudice résultant de la perte de chiffre d'affaires.

S'agissant des dommages et intérêts réclamés au titre des frais fixes d'exploitation, des loyers, et des frais de relance d'activité':

- Domino Federhis s'abstient de justifier avec pertinence de la réalité du montant total de ses charges fixes mensuelles annoncées à 8 232 euros hors loyer, soit 65 856 euros d'avril à décembre 2014, la liste communiquée à cette fin en pièce16 non validée par son expert-comptable, n'étant pas assortie de la production de justificatifs,

- en ce qui concerne le loyer commercial de l'agence Federhis Lyon BTP, il est vérifié à hauteur de 1350 euros /mois ( pièce intimée n°21) pour une durée expirant au 1er février 2015, le bailleur ayant accepté une résiliation anticipée à cette date (voir pièce intimée n° 21bis),

- les frais «'recrutement d'un nouveau collaborateur pour recréer un fonds de commerce'» après le départ de Mmes [H] et [F] ne peuvent pas être indemnisés dès lors qu'il n'est pas établi que leur démission a été initiée ou encouragée par V.Travail Temporaire.

Au regard de ces constatations et considérations, ces postes de préjudice doivent être indemnisés à 10 000 euros pour les frais fixes,10 800 euros pour les loyers de l'année 2014, 2 700' euros pour les loyers de l'année 2015 et le jugement entrepris infirmé de ce chef.

S'agissant du préjudice moral, il est rappelé que le comportement ayant pu être adopté par Domino Federhis envers les précédents employeurs de Mmes [H] et [F] est étranger à l'objet du présent litige et que V.Travail Temporaire ne peut pas s'en prévaloir pour se délier de sa responsabilité engagée du chef des actes de concurrence déloyale commis au préjudice de cette société d'intérim'; l'indemnité allouée de 10 000 euros par le jugement déféré doit être déclarée satisfactoire en l'absence d'autres éléments soumis à l'appréciation de la cour permettant d'en majorer le montant à 20 000 euros comme demandé par Domino Federhis.

Sur les autres demandes

V. Travail Temporaire s'abstient de développer le moindre moyen de droit ou de fait pour s'opposer à la disposition du jugement déféré lui ayant ordonné sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter d'un mois suivant la signification de ce jugement, de cesser toute pratique déloyale à l'encontre de Domino Federhis et de restituer tous les fichiers et les données commerciales appartenant à celle-ci, alors même que l'intimée en sollicite la confirmation sauf à majorer le montant de l'astreinte journalière à 1 000 euros.

Cette disposition sera dès lors confirmée comme étant de nature à mettre fin à la situation de concurrence déloyale imposée à Domino Federhis, sans qu'il y ait lieu de porter l'astreinte à la somme journalière de 1 000 euros, la cour entendant préciser, à toutes fins utiles qu'à défaut de dénonciation contraire expresse par les premiers juges, l'astreinte prononcée est nécessairement de nature provisoire et que l'astreinte prononcée par les premiers juges commencera à courir trois mois à compter de la signification du présent arrêt et ce, durant une période de trois mois.

A défaut de contestation élevée en appel sur ce point, le jugement querellé est également confirmé en ce qu'il a réservé au tribunal de commerce la liquidation de cette astreinte.

La demande de V.Travail Temporaire tendant à obtenir le paiement (comprendre remboursement) des sommes qu'elle a payées au titre de l'exécution provisoire attachée au jugement déféré est sans objet dès lors qu'elle est condamnée en appel au paiement de nouvelles indemnités.

Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande d'exécution provisoire de l'arrêt à intervenir, cette prétention procédant d'une erreur de droit en cause d'appel.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

V.Travail Temporaire qui succombe dans son recours, conserve les dépens de première instance à sa charge et est condamnée aux dépens d'appel'; elle est déboutée de sa réclamation de frais irrépétibles tout comme devant les premiers juges et condamnée à verser à Domino Federhis une indemnité de procédure d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement et par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement déféré sauf en ses dispositions relatives à l'indemnisation de la perte de clientèle, des frais fixes et des loyers,

L'infirmant sur ces seuls points et statuant à nouveau,

Condamne la SASU V. Travail Temporaire à payer à la SARL Domino Federhis devenue SARL Domino Dauphine Bourgogne':

- la somme de 240 994,80 euros au titre de la perte de clientèle et chiffre d'affaires,

- la somme de 10 000 euros au titre des frais fixes hors loyers,

- la somme de 10 800 euros au titre des loyers pour l'année 2014,

- la somme de 2 700 euros au titre des loyers pour l'année 2015,

Y ajoutant,

Déboute la SARL Domino Federhis devenue SARL Domino Dauphine Bourgogne de ses demandes en paiement d'une indemnité au titre des pertes d'exploitation, du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi et de sa demande en majoration du montant journalier de l'astreinte prononcée par le jugement déféré,

Relève, en tant que de besoin, que l'astreinte ainsi prononcée est une astreinte provisoire,

Dit que l'astreinte prononcée par le jugement déféré commencera à courir trois mois décomptés de la signification du présent arrêt, et ce pour une durée de trois mois,

Dit sans objet la demande de la SASU V. Travail Temporaire en paiement de la somme de 47 293,50' euros acquittée au titre de l'exécution provisoire attachée au jugement déféré,

Dit n'y avoir lieu pour la cour de statuer sur la demande d'exécution provisoire du présent arrêt,

Condamne la SASU V. Travail Temporaire à verser à la SARL Domino Federhis devenue SARL Domino Dauphine Bourgogne une indemnité de procédure d'appel de 8 000 euros,

Déboute la SASU V. Travail Temporaire de sa demande en paiement de frais irrépétibles d'appel,

Condamne la SASU V. Travail Temporaire aux dépens d'appel.

LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : 3ème chambre a
Numéro d'arrêt : 18/00066
Date de la décision : 26/11/2020

Références :

Cour d'appel de Lyon 3A, arrêt n°18/00066 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-11-26;18.00066 ?
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