N° RG 19/03603
N° Portalis DBVX-V-B7D-MMGP
Décision du
Tribunal de Commerce de LYON
Au fond
du 16 mai 2019
[T]
[J]
C/
SELARL MJ SYNERGIE LIQUIDATEUR DE LA SOCIÉTÉ STEEL FORMING
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
3ème chambre A
ARRÊT DU 05 NOVEMBRE 2020
APPELANTS :
M. [M] [T]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
M. [N] [J]
[Adresse 5]
[Adresse 5]
Représentés par Me Tiffany SCHURR, avocat au barreau de LYON, toque : 2107
INTIMÉE :
SELARL MJ SYNERGIE représentée par Maître [C] [D] agissant en qualité de Liquidateur judiciaire de la SAS STEEL FORMING domicilié en cette qualité
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON, toque : 475
Assistée par Me Cécile FLANDROIS, avocat au barreau de LYON, toque : 1643
En la présence de M. Fabrice TREMEL, substitut du Procureur
******
Date de clôture de l'instruction : 30 Janvier 2020
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 01 Octobre 2020
Date de mise à disposition : 05 Novembre 2020
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Anne-Marie ESPARBÈS, président
- Catherine CLERC, conseiller
- Hélène HOMS, conseiller
assistés pendant les débats de Elsa MILLARY, greffier
A l'audience, Anne-Marie ESPARBÈS a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Hélène HOMS, conseillère, pour la présidente empêchée, et par Elsa MILLARY, greffier placé, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
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EXPOSÉ DU LITIGE
Par jugement du 1er juin 2010, le tribunal de commerce de Lyon a ouvert une procédure de redressement judiciaire au bénéfice des sociétés SAS Forme, SAS 3F, SAS Metal Holding et SARL Société Française de Repoussage faisant partie du groupe Metal Holding, dont le dirigeant était M. [N] [J]. Le 21 décembre 2010, il a autorisé la cession au bénéfice de la société EURL Steel Forming [formage de l'acier] dirigée par M. [L] [V]. Le 30 avril 2011, M. [V] a démissionné de ses fonctions, et M. [M] [T] lui a succédé.
Le 30 juin 2014, l'intégralité des parts de la société Steel Forming a été cédée à la société Bobstinika, ayant une activité de holding et dirigée par M. [T]. Le 20 mai 2015, la société Bobstinika a absorbé sa filiale Steel Forming et a pris sa dénomination sociale, l'exploitant sous forme de SAS.
La SAS Steel Forming est dénommée dans le présent arrêt la Société. Elle exerce une activité de fabrication de fonds bombés et de cuves destinés à la réalisation de tous les équipements chaudronnés à destination de nombreux secteurs industriel, agricole...
Le 10 juillet 2015, M. [J] a été désigné en qualité de président en remplacement de M. [T] démissionnaire.
Le 25 mars 2016, l'Urssaf Rhône-Alpes a fait assigner la Société en procédure collective au regard d'une créance de 679.162,78€.
Le 27 avril 2016, M. [J] a déclaré l'état de cessation des paiements de la Société à la veille 26 avril en faisant état d'une insuffisance d'actif de 1.154.057,29€.
Par jugement du 4 mai 2016, le tribunal a ouvert une procédure de redressement judiciaire au profit de la Société en fixant la date de cessation des paiements au 4 novembre 2014.
Par jugement du 31 mars 2017, le tribunal a arrêté le plan de cession de la Société au bénéfice de la société Roth Moins en prononçant sa conversion en liquidation judiciaire.
Le 3 mai 2019, la société MJ Synergie mandataires judiciaires, représentée par Me [D] ès qualités de liquidateur, a fait assigner MM. [J] et [T] aux fins de les voir condamner à une sanction financière et personnelle.
Par jugement du 16 mai 2019, le tribunal a :
dit la Selarl MJ Synergie ès qualités de liquidateur judiciaire de la Société recevable et bien fondée en ses demandes,
dit que M. [T] a commis des fautes de gestion, a contribué à la poursuite abusive d'une exploitation déficitaire,
condamné M. [T] à payer au liquidateur judiciaire de la Société la somme de 750.000€ au titre de l'insuffisance d'actif de celle-ci,
dit que M. [J] a commis des fautes de gestion, par absence de déclaration des paiements dans le délai légal, a contribué à la poursuite abusive d'une exploitation déficitaire,
condamné M. [J] à payer au liquidateur judiciaire de la Société la somme de 1.000.000€ au titre de l'insuffisance d'actif de celle-ci,
prononcé une faillite personnelle à l'encontre de MM. [T] et [J] pour une durée de 15 ans,
rejeté l'intégralité des demandes de MM. [T] et [J],
ordonné l'exécution provisoire,
condamné MM. [T] et [J] à payer au liquidateur judiciaire de la Société la somme de 5.000€ au titre de l'article 700,
ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
MM. [T] et [J] ont interjeté appel par acte du 23 mai 2019.
Le 31 juillet 2019, la juridiction du premier président a débouté les appelants de leur demande d'arrêt de l'exécution provisoire.
Après dépôt des conclusions des parties aux dates respectives des 21 juin 2019 (appelants) et 9 juillet 2019 (liquidateur), la clôture de la procédure a été prononcée le 30 janvier 2020. L'affaire, initialement fixée à l'audience du 6 février 2020, a été reportée à celle du 1er octobre 2020 en raison du mouvement de grève des avocats.
Le 31 janvier 2020, lendemain de la clôture, M. [T] et M. [J] ont sollicité le rabat de cette ordonnance en notifiant de nouvelles conclusions responsives.
Le liquidateur s'y est opposé dans des conclusions du 3 février 2020.
Au fond, les conclusions de MM. [T] et [J] demandent à la cour :
à titre principal, vu les articles L.651-2, L.653-2, L.653-4 et L.653-11 du code de commerce, d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré, et de condamner le liquidateur judiciaire de la Société à leur payer la somme de 5.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre entiers dépens,
à titre subsidiaire, si la cour décidait d'entrer en voie de condamnation à leur encontre, au regard de leur volonté certaine de redresser la Société, de les condamner à payer au liquidateur judiciaire de la Société des sommes ramenées à plus juste proportion au titre de l'insuffisance d'actif,
prononcer la faillite personnelle à leur encontre pour une durée laissée à la libre appréciation de la cour et uniquement pour l'activité d'usinage, de repoussage sur métaux, d'emboutissage, de découpe de tous métaux, de fabrication de fonds bombés et cuves destinés à la réalisation de tous les équipements chaudronnés.
Au fond, au visa des articles L.651-2 et L.653-8 du code de commerce, la SELARL MJ Synergie ' mandataires judiciaires, représentée par Me [C] [D], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Steel Forming demande à la cour de la dire recevable et fondée en ses demandes et de':
à titre principal,
dire MM. [T] et [J] mal fondés en leur appel et les en débouter,
confirmer le jugement déféré sur le prononcé d'une mesure de faillite personnelle à leur encontre d'une durée de 15 ans,
et en ce qu'il est entré en voie de condamnation à leur encontre au titre de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif, mais le réformer concernant le quantum,
condamner en conséquence M. [T] à lui payer ès qualités la somme de 900.000€ au titre de l'insuffisance d'actif,
et M. [J] la somme de 1.203.124,25€,
à défaut,
constater que MM. [T] et [J] ont été dirigeants de droit de la Société,
constater que l'insuffisance d'actif de la Société s'élève à la somme de 2.943.723,94€,
constater que MM. [T] et [J] ont commis des fautes de gestion, à savoir l'absence de déclaration de l'état de cessation des paiements de la société FHM Renov [lire : la société Steel Forming] dans le délai légal, l'absence de paiement des dettes fiscales et sociales, la poursuite abusive d'une exploitation déficitaire, et concernant M. [J], dans un intérêt qui plus est personnel, fautes qui ne constituent pas des faits de simple négligence,
constater que ces fautes de gestion sont à l'origine de l'insuffisance d'actif constatée,
condamner en conséquence M. [T] à lui payer la somme de 900.000€ au titre de l'insuffisance d'actif,
et M. [J] celle de 1.203.124,25€,
juger que la poursuite abusive d'une exploitation déficitaire, qui plus est dans un intérêt personnel concernant M. [J] justifie que soit prononcée à leur encontre une mesure de faillite personnelle,
prononcer en conséquence une mesure de faillite personnelle à l'encontre de MM. [T] et [J],
à défaut, constater que l'absence sciemment de déclaration de l'état de cessation des paiements dans les délais par MM. [T] et [J] justifie que soit prononcée à leur encontre une mesure d'interdiction de gérer,
prononcer en conséquence une mesure d'interdiction de gérer à l'encontre de MM. [T] et [J],
en toute hypothèse,
débouter MM. [T] et [J] de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens,
condamner MM. [T] et [J] à lui payer ès qualités la somme de 6.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
Le ministère public par avis du 16 août 2019 communiqué aux parties a dit s'en rapporter aux conclusions du liquidateur judiciaire du 9 juillet 2019.
MOTIFS
Sur la révocation de l'ordonnance de clôture
M. [T] et M. [J] la sollicitent au regard de l'existence d'une procédure d'alerte initiée par le commissaire aux comptes, nouvel élément dit essentiel pour leur défense, puisque selon eux par le biais des rendez-vous avec le tribunal, la Société était sous sa surveillance, le dirigeant n'a pas été invité à solliciter l'ouverture d'une procédure collective et le commissaire aux comptes n'a pas sollicité une nouvelle procédure d'alerte, démontrant la solvabilité de la Société et son absence de faute de gestion puisqu'il a pris des mesures suffisantes à la poursuite de l'activité et a agi dans le seul intérêt du bon développement de la Société. Ils communiquent le courrier de convocation du tribunal daté du 19 novembre 2013.
Le liquidateur est fondé à soutenir l'absence de toute cause grave survenue postérieurement à la clôture du 30 janvier 2020, dès lors d'une part, que le courrier précité qui date la procédure d'alerte de novembre 2013 était connu des dirigeants bien avant cette clôture, et que d'autre part, cet événement n'a aucune influence sur la solution du litige afin de sanction, le placement de la Société sous surveillance du tribunal n'ayant pas d'effet exonératoire.
La demande de révocation de la clôture est écartée, et la cour statue sur les conclusions des parties notifiées antérieurement au 30 janvier 2020, ce qui écarte des débats les pièces 31 et 32 communiquées par les appelants.
Sur les fautes
L'absence et le retard à déclaration de cessation des paiements
L'article L.631-4 du code de commerce impose une déclaration de cessation des paiements dans le délai de 45 jours de sa survenance si n'a pas été déposée une demande de conciliation.
En l'espèce, il est rappelé que la date de cessation des paiements fixée au 4 novembre 2014 par le jugement d'ouverture du 4 mai 2016, soit 18 mois avant, est définitive, de sorte que la contestation des appelants quant à son existence est infondée.
Ce n'est que le 27 avril 2016 que M. [J] a déclaré cette cessation des paiements, après réception de l'assignation initiée par l'Urssaf.
Ni M. [T] dirigeant de droit au 4 novembre 2014 jusqu'au 10 juillet 2015, ni M. [J] dirigeant de droit à compter de cette date, anciennement directeur technique au sein de la Société et ex-dirigeant des trois sociétés SAS Forme, SAS 3F, SAS Metal Holding et SARL Société Française de Repoussage (groupe Metal Holding) placées en redressement judiciaire le 1er juin 2010, n'ont objectivement déclaré cet état de cessation des paiements dans le délai légal de 45 jours, soit avant le 19 décembre 2014.
Les appelants sont mal fondés à évoquer leurs actes visant à des mesures de restructuration à savoir la fermeture du site déficitaire de Migennes durant la présidence de M. [T] le 31 octobre 2014 et du site de [Localité 9] durant la présidence de M. [J] le 30 avril 2016, ainsi que la réduction de la masse salariale également sur le site de [Localité 8] où l'activité a été recentrée, et la régularisation d'un contrat de location-gérance pour la branche autonome de repoussage des métaux.
Même justifiées économiquement, en vue de supprimer une activité déficitaire et de réduire le coût salarial, ces mesures ne peuvent pas exonérer les dirigeants successifs de leur obligation légale.
Ils ne sont pas plus fondés à évoquer des délais de paiement tels qu'acceptés par la Commission des Chefs des Services Financiers et des représentants des organismes de sécurité sociale et de l'assurance chômage du Rhône (CCSF) le 24 septembre 2014.
Ils communiquent certes l'accord de cette commission pour un plan d'apurement en date du 24 septembre 2014 de l'ensemble des dettes fiscales et sociales chiffrées à 794.143,12€ sur 18 mois, ce qui ne vaut pas, comme le soutient avec justesse le liquidateur, autorisation de poursuite d'activité avec exonération de l'obligation de déclaration, d'autant plus que ce plan n'a pas été respecté et que la Société, qui a argué d'une double comptabilisation des charges sociales, non retenue, a sollicité des aménagements par suite de son impossibilité de règlement des échéances prévues aboutissant, au regard de l'accroissement du passif et l'insuffisance de résultat, à une décision de rejet le 11 janvier 2016.
La faute de gestion, avérée à l'encontre tant de M. [T] que de M. [J], a conduit à générer un passif cumulé de 1.793.368,68€ comme établi justificatifs à l'appui dans les écritures du liquidateur (p.17 à 23) pour la période du 23 décembre 2014 à mai 2016.
L'accumulation des dettes fiscales et sociales
Est constitutif d'une faute de gestion le non-règlement et l'accumulation des dettes fiscales et sociales.
En l'espèce, par ses productions, le liquidateur chiffre à 1.773.891,98€ les dettes restées impayées depuis 2012 suivant une liste (p. 25 et 26) et un cumul que les appelants contestent en évoquant à nouveau le moratoire obtenu de la CCSF qui démontre selon eux le défaut d'exigibilité des dettes.
Cependant, comme motivé précédemment, il est démontré que ces derniers n'ont pas respecté le plan d'une durée de 18 mois relatives aux dettes antérieures au 24 septembre 2014, à tel point que, dès le 11 janvier 2016, M. [J] a été informé du rejet définitif des demandes de délais, notamment motivé par l'accroissement de ce passif, au cours des 4 exercices suivants, générateur notamment de majorations.
Est inopérant le moyen des appelants visant les causes des difficultés de la Société consistant notamment dans le non-règlement de la somme de 706.880€ par la société cliente MTI, intermédiaire liée à la société Petrobras qui a dû faire face à une affaire de corruption impliquant partie de la classe politique brésilienne, ou bien dans sa créance détenue pour 300.850,48€ à l'encontre de la société Benteler redevable de partie des consommations d'énergie un long temps payées par la seule Société du fait de l'unicité du compteur pour des locaux d'exploitation voisins propriété d'un même bailleur. De tels événements, certes générateurs de difficultés de paiement, n'excluent pas l'obligation de paiement d'un tel passif fiscal et social, largement aggravé par la poursuite d'activité.
De plus, l'impossibilité d'acquittement de ces dettes est avérée depuis le 4 novembre 2014 date de la cessation des paiements.
La faute de gestion est constituée tant à l'encontre de M. [T] eu égard à l'ancienneté du passif que de M. [J] du fait de l'aggravation de ce passif, ce qui caractérise la causalité entre faute et préjudice.
La poursuite abusive d'une activité déficitaire
Un dirigeant est fautif s'il poursuit abusivement l'exploitation, et il n'est pas exigé que cette poursuite s'exerce dans l'intérêt de ce dernier.
En l'espèce, alors que l'état de cessation des paiements était avéré depuis le 4 novembre 2014 et donc durant les 8 mois d'exercice de la présidence de M. [T], M. [J] pendant 10 mois, a poursuivi l'activité à compter de son entrée en fonction le 10 juillet 2015 malgré une majoration du déficit qu'il connaissait.
Tout comme M. [T], M. [J] a organisé la poursuite de l'activité alors qu'il ne pouvait pas raisonnablement envisager la résorption du déficit, même après les mesures de restructuration développées antérieurement par M. [T] et celles qu'il a mises en place. Il n'a pas modifié son cap lors du rejet définitif par la CCSF des demandes de délais relatif au passif fiscal et social le 11 janvier 2016, qui n'a pas manqué de s'alourdir. Il n'a procédé à la fermeture du site déficitaire de [Localité 9] que le 30 avril 2016 c'est-à-dire après l'assignation par l'Urssaf.
De plus, la poursuite abusive d'activité a permis aux proches de M. [J], sa fille Mme [G] [J], son fils M. [F] [J] et son épouse Mme [X] [J], de continuer à percevoir un salaire dans leur fonction respective, comme en justifie le liquidateur, ainsi que de faire bénéficier, dans le même temps, la société Steel E ayant pour associés Mme [S] [J] et M. [F] [J] (président) de la cession d'une branche autonome d'activité de repoussage sur métaux par le biais d'un contrat de location-gérance conclu le 4 février 2016, mais alors qu'un matériel avait été payé au moyen d'un crédit-bail par la société Steel E à la date antérieure du 2 décembre 2015 ainsi qu'en justifient les appelants (248.000€).
Ce contrat qui a certes porté sur une branche déficitaire de la Société et a liquidé une machine a été conclu, comme le rappelle le liquidateur, lors de la période suspecte moins de deux mois avant l'assignation par l'Urssaf, et ce dernier n'est pas contesté lorsqu'il soutient l'absence de preuve d'un paiement de redevance de location-gérance, alors que la société Steel E a dégagé dès son premier exercice un résultat bénéficiaire.
Peu important encore les compétences et expériences des associés de la société Steel E ainsi que la reprise du contrat de location-gérance par le cessionnaire de la Société.
Les arguments des appelants relatifs aux difficultés économiques et structurelles de la Société, à l'activité dite de niche, exercée dans un secteur concurrentiel, comme, ce qui a été noté précédemment, la défaillance de client tel que MTI et encore l'opposition de la société Benteler quant aux factures d'énergie, ou les allongements des délais sollicités par les clients, sont inopérants à contrer la qualification de faute.
Cette faute a généré un accroissement du passif alors que le résultat de l'exercice 2014 était déjà déficitaire, caractérisant le lien entre faute et préjudice.
En définitive, les fautes sont caractérisées à l'égard tant de M. [T] que de M. [J], même si elles n'engendrent pas la totalité de l'insuffisance d'actif.
Sur l'insuffisance d'actif
L'insuffisance d'actif de la Société se chiffre selon le liquidateur à 2.943.723,94€, compte tenu d'un état des créances vérifié à hauteur de 3.052.287,81€ (superprivilégié 367.170,83€, privilégié 1.693.369,04€, chirographaire 991.747,94€) dont à déduire un actif recouvré de 108.563,87€.
Les appelants critiquent le montant de l'actif recouvré en soutenant que le bilan clos au 31 décembre 2014 chiffre les créances clients à 1.474.462,72€ et que la déclaration de cessation des paiements du 26 avril 2016 note des créances à recouvrer de 2.425.160,03€ comprenant notamment un fonds de garantie de factor de 179.223,32€ qui aurait dû être restitué au liquidateur le jour du prononcé de la liquidation, un dépôt de garantie des loyers de 55.625,71€ et des créances clients (autre que celle de la société MTI et Benteler) pour 845.227,49€. Ils ajoutent que le montant de l'insuffisance d'actif n'est pas déterminable à ce jour puisque des litiges sont encore pendants devant des juridictions et que des créances ne sont pas encore recouvrées.
Outre le fait que les appelants ne visent aucune pièce à l'appui de leurs dires, seuls sont communiqués le bilan au 31 décembre 2014 et un extrait du grand livre auxiliaire provisoire au 1er avril 2014 concernant le créancier MTI, mais aucune pièce relative par exemple à des litiges judiciaires, le liquidateur répond avec pertinence, en substance et documents à l'appui, ce que ne contredisent pas les appelants, d'une part, que':
le chiffre de l'insuffisance d'actif avancé n'inclut pas un passif non vérifié comprenant notamment la créance des bailleurs pour 1.643.316€, l'un des bailleurs Jacquet IMS retenant le dépôt de garantie en considération des impayés de loyers, et l'instance en cours n'a pas d'influence majeure sur cette procédure de sanction,
il lui a été remis pour seuls documents comptables (outre quelques éléments concernant le bailleur Jacquet IMS), les liasses fiscales des exercices clos au 31 décembre 2012, 2013 et 2014, à l'exclusion de tout grand livre et de toute facture, notamment concernant les clients MTI, CIC, Natixis, CIC Factor et Coface,
les chiffres du bilan le plus récent au 31 décembre 2014 ne sont plus nécessairement d'actualité au jour de l'ouverture de la procédure le 4 mai 2016, il en est de même des chiffres avancés par le dirigeant dans sa déclaration de cessation des paiements,
pour le client Tyssenkrup, il n'existe plus de créance à recouvrer,
l'instance en cours, introduite par la Société antérieurement à sa liquidation judiciaire en opposition à commandements de payer délivrés par le bailleur Jacquet Metal et Jeric et appel en cause de la société voisine Benteler débitrice de factures d'énergie pour 205.612,85€ (et non 469.906,51€ visés dans la DCP) est dite avoir peu de chances d'aboutir en l'absence de factures sollicitées dans le cadre d'une injonction judiciaire.
D'autre part, le liquidateur souligne avec justesse que Me [Z] en sa qualité d'administrateur judiciaire, a vérifié, comme l'indique son rapport du bilan économique social et environnemental déposé pour l'audience du tribunal du 22 juin 2016, que les créances précitées, même inscrites au bilan 2014, sont en réalité irrécouvrables et/ou n'ont pas été encaissées depuis l'ouverture de la procédure, ni avant la cession.
Par suite, à défaut de démonstration de l'existence d'un actif non encore recouvré par la liquidation judiciaire, l'insuffisance d'actif se chiffre aux 2.943.723,94€ calculés par le liquidateur.
Sur la contribution à l'insuffisance d'actif
S'agissant de M. [T], celui-ci soutient, en faisant valoir que la Société disposait au 31 décembre 2014 des capitaux propres de 949.256,70€, que n'est pas démontrée l'existence de cette insuffisance d'actif à la date de cessation de ses fonctions le 10 juillet 2015.
Cependant, le liquidateur justifie que ce chiffre est celui résultant du bilan de la Société avant son absorption par la société Bobstinika intervenue en mai/juin 2015, et que les capitaux de cette dernière sont à la même période négatifs (-2.316€, pour un résultat déficitaire au 30 juin 2015 de 3.316€), rien ne démontrant de plus que la Société, au premier résultat déficitaire au 31 décembre 2014, ait renforcé ses capitaux propres sur les exercices suivants.
De plus, les dettes de la Société déclarées au passif, antérieures au10 juillet 2015 datant de la démission de M. [T], subsistantes au jour du jugement d'ouverture se chiffrent à un cumul de 978.910,85€ tel que justifié par le liquidateur étant constitué des 590.244,43€ de créances nées postérieurement à la date de cessation des paiements (4 novembre 2014) et des 388.666,42€ de créances fiscales nées même antérieurement à cette date de cessation des paiements.
Au regard des fautes qui lui sont reprochées, absence de déclaration de la cessation des paiements dans le délai légal, non-paiement du passif fiscal et social et poursuite abusive déficitaire, ainsi qu'en application du principe de proportionnalité résultant de l'appréciation de leur gravité dont il doit bénéficier, la contribution de M. [T] est chiffrée à 700.000€.
S'agissant de celle de M. [J] à qui sont reprochés retard à la déclaration de cessation des paiements, non-paiement du passif fiscal et social et poursuite abusive déficitaire avec aggravation du fait de l'intérêt personnel, elle est retenue, moyennant le même principe de proportionnalité, à la somme de 900.000€.
Le liquidateur se voit débouté du surplus de ses demandes et le jugement déféré est infirmé en conséquence.
Sur la sanction personnelle
Par application de l'article L.653-8 du code de commerce, la non-déclaration sciemment de la cessation des paiements dans le délai de 45 jours est passible d'une interdiction de gérer, étant noté qu'en l'espèce, les motifs précédents analysant cette faute au regard de la sanction financière (lourd passif fiscal et social pour l'apurement duquel de nombreuses démarches ont été opérées, mais sans acquittement de la dette, accumulation du déficit) ont révélé que les dirigeants successifs ont volontairement éludé cette déclaration de la cessation des paiements.
La poursuite d'une activité déficitaire qui ne pouvait que conduire à la cessation des paiements de la personne morale est sanctionnée à l'égard d'un dirigeant par la faillite ou une interdiction de gérer en application des articles L.653-4 4° et L.653-8 du même code. Est exigée la condition de l'intérêt personnel, qui en l'espèce, n'a été
précédemment retenue qu'à l'encontre de M. [J], de sorte que M. [T] ne peut être sanctionné personnellement à ce titre.
En protestant à nouveau contre les fautes reprochées, M. [J] insistant sur le fait qu'il n'a poursuivi aucun intérêt personnel, ce qui a été écarté, les appelants précisent ainsi leur situation :
M. [T], président non associé et non rémunéré de la société Bobstinika immatriculée depuis le 27 juillet 2017 qui a pour activité la fabrication de vêtements de dessus et gérant de trois SCI dont il ne tire qu'un revenu locatif de 3.538€ annuel, âgé de 62 ans, est en reconversion en qualité d'auto-entrepreneur pour pratiquer l'activité de shiatsu et celle de massage russe, pour lesquelles il justifie de diplômes, mais pas de ses ressources,
M. [J], âgé de 55 ans démontre qu'il est gérant depuis le 8 juillet 2016 d'une société Repoussage de Paris ayant pour activité le traitement et le revêtement des métaux et immatriculée au RCS de Bobigny, dont son épouse est aussi associée, sans rémunération, percevant des indemnités de Pôle Emploi jusqu'au 2 mai 2018, mais sans justification de son activité et de ses ressources actuelles.
Au regard des précédents motifs caractérisant les fautes respectivement retenues à leur encontre, relatives à la déclaration de cessation des paiements pour les 2 dirigeants et pour M. [J] seul, à la poursuite d'activité déficitaire, la sanction de l'interdiction de gérer est justifiée pour une durée de 4 ans à l'encontre de M. [T] et de 8 ans à l'encontre de M. [J], à l'exclusion de celle de faillite personnelle.
Il est inopportun de limiter cette sanction au secteur d'activité visé dans leurs écritures, correspondant à celui exercé par la Société, ce qui ruinerait tout intérêt à son prononcé. Les appelants se voient déboutés de leur demande.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Les entiers dépens sont à la charge in solidum de M. [T] et M. [J], qui doivent verser une indemnité de procédure complémentaire au liquidateur pour la cause d'appel, celle fixée par le premier juge étant confirmée.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement et par arrêt contradictoire,
Déboute M. [T] et M. [J] de leur demande de révocation de la clôture,
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a':
retenu à l'encontre de M. [M] [T] et de M. [N] [J] des fautes de gestion sanctionnées par une condamnation à une contribution à l'insuffisance d'actif de la société Steel Forming,
condamné MM. [T] et [J] à payer à la Selarl MJ Synergie ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Steel Forming la somme de 5.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
ainsi que les dépens de première instance,
L'infirme sur le surplus, statuant à nouveau et ajoutant,
Condamne M. [T] au titre de sa contribution à l'insuffisance d'actif à payer à la SELARL MJ Synergie ' mandataires judiciaires, représentée par Me [C] [D], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Steel Forming, la somme de 700.000€,
Condamne M. [J] au titre de sa contribution à l'insuffisance d'actif à payer à la SELARL MJ Synergie ' mandataires judiciaires, représentée par Me [C] [D], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Steel Forming, la somme de 900.000€,
Condamne M. [M] [T], né le [Date naissance 3] 1958 à [Localité 6], de nationalité française et demeurant [Adresse 4] à une sanction d'interdiction de gérer d'une durée de 4 ans,
Condamne M. [N] [J], né le [Date naissance 2] 1965 à [Localité 7], de nationalité française et demeurant [Adresse 5], à une sanction d'interdiction de gérer d'une durée de 8 ans,
Déboute M. [T] et M. [J] de leur demande de limitation du secteur d'activité quant à l'interdiction de gérer,
Condamne in solidum M. [T] et M. [J] à verser à la SELARL MJ Synergie ' mandataires judiciaires, représentée par Me [C] [D], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Steel Forming, une indemnité de procédure de 4.000€,
Dit que les dépens d'appel sont à la charge in solidum de M. [T] et M. [J].
LE GREFFIER MME HOMS, CONSEILLÈRE
POUR LA PRÉSIDENTE EMPÊCHÉE