N° RG 18/07767 - N° Portalis DBVX-V-B7C-MAPU
Décision du
Tribunal de Grande Instance de LYON
Au fond
du 24 octobre 2018
RG : 17/09076
LA PROCUREURE GENERALE
C/
[C]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
2ème chambre A
ARRET DU 20 Octobre 2020
APPELANTE :
Mme LA PROCUREURE GENERALE
[Adresse 1]
[Localité 6]
représentée par Mme CHRISTOPHLE, Substitut Général
INTIME :
M. [V] [C]
né le [Date naissance 4] 1966 à BORJ BOU ARRERIDJ (ALGERIE)
[Adresse 2]
[Adresse 8]
[Localité 6]
Représenté par Me Sabah RAHMANI, avocat au barreau de LYON, toque : 1160
******
Date de clôture de l'instruction : 20 Décembre 2019
Date des plaidoiries tenues en chambre du conseil : 09 Septembre 2020
Date de mise à disposition : 13 octobre 2020 prorogé au 20 Octobre 2020
Audience tenue par Isabelle BORDENAVE, présidente, et Hervé LEMOINE, conseiller, qui ont siégé en rapporteurs sans opposition des avocats dûment avisés et ont rendu compte à la Cour dans leur délibéré,
assistés pendant les débats de Sophie PENEAUD, greffière
A l'audience, Hervé LEMOINE a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.
Composition de la Cour lors du délibéré :
- Isabelle BORDENAVE, présidente
- Georges PEGEON, conseiller
- Hervé LEMOINE, conseiller
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Isabelle BORDENAVE, présidente, et par Sophie PENEAUD, greffière, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE
M. [V] [C], né le [Date naissance 4] 1966 à Bordj-Bou-Arreridj (Algérie), de nationalité algérienne, et Mme [F] [T], née le [Date naissance 3] 1966 à [Localité 9] (71), de nationalité française, se sont mariés le [Date mariage 5] 1999 à [Localité 10] (69).
Le 19 septembre 2002, M. [V] [C] a souscrit une déclaration d'acquisition de nationalité française à raison de ce mariage, qui a été enregistrée le 10 juillet 2003, sous le N°15042/03.
Le divorce des époux [C] / [T] a été prononcé le 11 décembre 2007.
Par acte du 16 août 2017, M. le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Lyon (69) a fait assigner M. [V] [C] devant cette juridiction, aux fins d'annulation de l'enregistrement de sa déclaration d'acquisition de nationalité française pour fraude et de constatation de son extranéité.
Par jugement réputé contradictoire en date du 24 octobre 2018, M. [V] [C] étant défaillant, le tribunal de grande instance de Lyon (69), après avoir déclaré recevable l'action engagée par le ministère public, l'a débouté de sa demande d'annulation de l'enregistrement de la déclaration acquisitive de nationalité souscrite par M. [V] [C].
Le ministère public a interjeté appel de cette décision, par déclaration reçue au greffe le 8 novembre 2018.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Dans ses conclusions notifiées le 2 juillet 2019, Mme la procureure générale près la cour d'appel de Lyon (69) demande à la cour de :
- constater que le récépissé prévu par l'article 1043 du code de procédure civile a été
délivré,
- infirmer le jugement de première instance et, statuant à nouveau,
- déclarer l'action du ministère public recevable,
- annuler l'enregistrement de la déclaration souscrite et constater l'extranéité de M. [V] [C], né le [Date naissance 4] 1966 à Bordj Bou Arreridj (Algérie),
- ordonner l'apposition de la mention prévue par l'article 28 du code civil.
Le ministère public fait valoir :
- que son action, intentée le 16 août 2017, est recevable, au regard des dispositions de l'article 26-4 du code civil, puisqu'il n'a eu connaissance de la possible fraude commise par M. [V] [C] que le 26 juillet 2017, date de transmission par le Ministère de la justice de la procédure concernant l'intéressé,
- qu'il ressort du jugement de divorce des époux [C] / [Y], prononcé le 28 juin 2015 par le tribunal de Bordj-Bou-Arreridj (Algérie), que M. [V] [C] a epousé Mme [E] [Y] en Algérie en 1990, qu'il a divorcé de celle-ci en juin 1997, qu'il est venu en France et s'est marié avec Mme [F] [T], puis est retourné construire un second foyer en [7] avec sa précédente épouse, Mme [E] [Y], et ce pendant son union avec Mme [F] [T], ayant d'ailleurs eu un enfant de Mme [E] [Y], en novembre 2001,
- que cette situation de bigamie de fait heurte la conception française monogamique du mariage et est incompatible avec l'exigence d'une communauté de vie affective, qui implique, afin que l'intention matrimoniale soit sincère, un respect des devoirs du mariage, dont celui de fidélité,
- qu'en conséquence, la déclaration de nationalité de M. [V] [C] est entachée de fraude et le jugement de première instance doit être infirmé.
Dans ses écritures notifiées le 11 octobre 2019, M. [C] demande à la cour de :
- rejeter l'intégralité des prétentions de Mme la procureure générale près la Cour d'Appel de Lyon,
- confirmer le jugement du tribunal de grande instance de Lyon du 24 octobre 2018,
A titre principal,
- déclarer prescrite l'action du ministère public et le déclarer irrecevable en ses demandes,
A titre subsidiaire,
- constater que la déclaration de nationalité française souscrite M. [C] le 19 septembre 2002 est conforme aux textes et parfaitement régulière,
- rejeter toute autre demande,
- statuer ce que de droit sur les dépens qui seront recouvrés comme en matière d'aide
juridictionnelle.
Il réplique :
- que le point de départ de la prescription biennale de l'article 26-4 du code civil étant la date de transcription du divorce des époux [C] / [T] en marge de l'acte de mariage, laquelle a eu lieu le 19 février 2008, l'action du ministère public est prescrite depuis le 19 février 2010,
- que, subsidiairement, la preuve de l'absence de communauté de vie à la date de la souscription de la déclaration n'est pas rapportée par la seule démonstration de l'existence d'une relation adultérine et d'un enfant adultérin.
En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé aux conclusions récapitulatives visées ci-dessus pour un exposé plus précis des faits, prétentions, moyens et arguments des parties.
La clôture a été prononcée le 20 décembre 2019.
L'affaire, initialement fixée à l'audience du 5 février 2020, a été renvoyée à celle du 9 septembre 2020, en raison du mouvement de grève du barreau de Lyon (69), auquel s'est associé le conseil de l'intimé.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la recevabilité de l'appel :
Attendu qu'il convient de constater que le récépissé justifiant de l'accomplissement de la formalité prévue par l'article 1043 du code de procédure civile a été délivré le 17 décembre 2018;
Sur la recevabilité de l'action du ministère public aux fins de contestation de l'enregistrement de la déclaration acquisitive de nationalité française souscrite le 19 septembre 2002 par M. [V] [C] :
Attendu qu'aux termes de l'article 21-2 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi N°98-170 du 16 mars 1998, applicable à la présente espèce, 'l'étranger ou apatride qui contracte mariage avec un conjoint de nationalité française peut, après un délai d'un an à compter du mariage, acquérir la nationalité française par déclaration, à condition qu'à la date de cette déclaration, la communauté de vie n'ait pas cessé entre les époux et que le conjoint ait conservé sa nationalité. Le délai d'un an est supprimé lorsque naît, avant ou après le mariage, un enfant dont la filiation est établie à l'égard des deux conjoints, si les conditions relatives à la communauté de vie et à la nationalité du conjoint français sont satisfaites' ; que l'article 26-4 de ce même code énonce en son troisième alinéa que l'enregistrement de la déclaration concernée 'peut être contesté par le ministère public en cas de mensonge ou de fraude dans le délai de deux ans à compter de leur découverte' ; que le délai biennal d'exercice de cette action court à compter de la date à partir de laquelle le procureur de la République territorialement compétent a été mis en mesure de découvrir la fraude ou le mensonge ;
Attendu qu'en l'espèce, le ministère public soutient n'avoir été informé de l'existence d'une fraude que par le courrier du bureau de la nationalité du Ministère de la justice en date du 26 juillet 2017, et qu'en assignant M. [V] [C] par acte du 16 août 2017, il a agi dans les délais précités ;
Mais attendu que le divorce des époux [C] / [T] a été prononcé par un jugement rendu le 11 décembre 2007 par le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Lyon (69) ; que la mention de ce divorce a été portée le 19 février 2008 en marge de l'acte de mariage des époux, dressé à [Localité 10] (69) ; que, conformément aux dispositions de l'article 49 du code civil, avis de cette mention a été communiqué par l'officier d'état-civil de cette commune au procureur de la République de son arrondissement, à savoir le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Lyon (69) ; qu'en conséquence, à compter de cette date, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Lyon (69), qui est également le procureur de la République territorialement compétent pour engager l'action en contestation de la déclaration d'acquisition de nationalité française souscrite par M. [C], était informé de la cessation de la communauté de vie entre M. [V] [C] et Mme [F] [T] et était en mesure d'effectuer toutes investigations pour s'assurer de la sincérité de ladite déclaration, s'il soupçonnait une fraude ; que, dès lors, l'action du ministère public tendant à l'annulation de l'enregistrement de la déclaration de nationalité souscrite par M. [C], introduite le 16 août 2017, est prescrite, de sorte que le jugement querellé doit être infirmé, en ce qu'il a déclaré recevable l'action du ministère public ;
Sur les dépens :
Attendu que, compte tenu de l'issue du litige, les dépens d'appel resteront à la charge de l'Etat, comme d'ailleurs ceux de première instance, la décision critiquée étant confirmée sur ce point;
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, après en avoir délibéré conformément à la loi,
INFIRME le jugement rendu le 24 octobre 2018 par le tribunal de grande instance de Lyon (69), sauf en ce qu'il a laissé les dépens à la charge du Trésor public,
STATUANT à nouveau,
DIT que l'action du ministère public tendant à l'annulation de l'enregistrement de la déclaration de nationalité de M. [V] [C] est prescrite,
LAISSE les dépens d'appel à la charge de l'Etat.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
Signé par Isabelle BORDENAVE, Présidente et par S. PENEAUD, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE