AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE
N° RG 17/06911 - N° Portalis DBVX-V-B7B-LIUT
SASU KUEHNE + NAGEL ROAD
C/
[L]
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VILLEFRANCHE SUR SAONE
du 07 Septembre 2017
RG : F 16/00108
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE A
ARRÊT DU 27 MAI 2020
APPELANTE :
SASU KUEHNE + NAGEL ROAD
[Adresse 1]
[Localité 7]
Me Yves MERLE de la SELCA CHASSANY WATRELOT ET ASSOCIES, avocat au barreau de LYON
INTIMÉ :
[F] [L]
[Adresse 3]
[Localité 2]
Me Stéphane TEYSSIER de la SELARL STEPHANE TEYSSIER AVOCAT, avocat postulant au barreau de LYON,
Me Roselyne MALECOT, avocat plaidant au barreau de VERSAILLES
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 21 Janvier 2020
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Joëlle DOAT, Président
Nathalie ROCCI, Conseiller
Evelyne ALLAIS, Conseiller
Assistés pendant les débats de Manon FADHLAOUI, Greffier.
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Vu l'état d'urgence sanitaire, la décision prorogée est rendue le 27 mai 2020.
La notification du présent arrêt est opérée par tout moyen en application de l'article 10 de l'ordonnance n°2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale, tel que précisé par l'article 2.i de la circulaire du 26 mars 2020 CIV/02/20 - C3/DP/2020030000319/FC
Signé par Joëlle DOAT, Président, et par Manon FADHLAOUI, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*************
Suivant contrat de travail à durée indéterminée en date du 13 mars 2008, Monsieur [F] [L] a été embauché par la société TRANSPORTS ALLOIN (devenue KUEHNE+NAGEL ROAD) en qualité de conducteur poids lourds hautement qualifié, coefficient hiérarchique 150 M, groupe 7 de la convention collective nationale des transports routiers.
Par requête du 6 juin 2016, Monsieur [L], après avoir fait parvenir le 24 mai 2016 à son employeur un courrier en vue d'un règlement amiable du litige, a saisi le conseil de prud'hommes de VILLEFRANCHE-SUR-SAÔNE en lui demandant de condamner la société KUEHNE + NAGEL ROAD à lui verser une indemnité pour l'entretien de la tenue de travail, une prime au titre du temps d'habillage et de déshabillage, une indemnité de repos compensateur, des dommages et intérêts pour exécution fautive du contrat de travail et des dommages et intérêts pour violation des règles d'hygiène et de sécurité.
Par jugement en date du 7 septembre 2017, le conseil de prud'hommes a :
- débouté la société KUEHNE+NAGEL ROAD de sa demande tendant à voir constater la prescription des demandes de Monsieur [F] [L],
- jugé recevables les demandes de Monsieur [F] [L] à l'encontre de la société KUEHNE+NAGEL ROAD,
- dit que la société KUEHNE+NAGEL ROAD doit prendre en charge et verser à Monsieur [F] [L], au regard des frais engagés par celui-ci pour assurer le nettoyage régulier de sa tenue de travail, la somme nette de 20 euros par mois et condamné celle-ci à lui verser la somme de 1.252 euros pour la période allant de mai 2011 à février 2017,
- dit que la société KUEHNE+NAGEL ROAD doit accorder à Monsieur [F] [L] une contrepartie en temps de travail équivalente à 10 minutes par jour travaillé pour les opérations d'habillage et de déshabillage de la tenue de travail et des chaussures de sécurité et l'a condamnée à lui payer les sommes de :
2.244,47 euros pour la période allant de mai 2011 à février 2017,
224,45 euros au titre des congés payés y afférents,
- débouté Monsieur [F] [L] de sa demande de dommages et intérêts au titre du non-respect des règles d'hygiène et de sécurité,
- débouté Monsieur [F] [L] de sa demande de dommages et intérêts au titre des repos compensateurs de conducteur de messagerie,
- dit qu'il n'y a pas lieu d'ordonner d'astreinte au bénéfice de Monsieur [F] [L],
- débouté Monsieur [F] [L] de sa demande au titre de l'exécution fautive du contrat de travail,
- dit que l'exécution provisoire n'est pas compatible avec la nature de l'affaire,
- rappelé les règles relatives à l'exécution provisoire de plein droit et fixé la moyenne mensuelle des trois derniers mois de salaire à la somme de 2.374,36 euros,
- condamné la société KUEHNE+NAGEL ROAD à régler à Monsieur [F] [L] la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté la société KUEHNE+NAGEL ROAD de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté les parties de leurs demandes plus amples et contraires,
- mis les dépens à la charge de la société KUEHNE+NAGEL ROAD.
La société KUEHNE+NAGEL ROAD a interjeté appel de ce jugement, le 5 octobre 2017.
La société KUEHNE+NAGEL ROAD demande à la cour:
- de dire son appel partiel recevable et bien-fondé ;
Sur l'entretien de la tenue de travail :
à titre principal,
- de réformer le jugement
- de débouter Monsieur [L] de sa demande sur 2011 et 2012 comme étant prescrite
- de le débouter de sa demande à compter de 2013,
à titre subsidiaire,
- de limiter le montant de la condamnation à :
36 euros pour 2011,
36 euros pour 2012,
- de débouter Monsieur [L] pour le surplus,
à titre infiniment subsidiaire,
- de dire que le montant de l'indemnité de 20 euros doit être modulé au prorata du temps de présence du salarié sur le mois,
- de dire que le montant des indemnités déjà versées par elle destinées à l'entretien de la tenue de travail doit être déduit du montant de la condamnation soit :
36 euros en 2013,
36 euros en 2014,
36 euros en 2015,
40 euros en 2016,
50 euros en 2017,
le montant éventuellement fixé ultérieurement,
Sur la demande d'indemnité au titre de l'habillage et du déshabillage :
à titre principal,
- de réformer le jugement
- de débouter Monsieur [L] de l'intégralité de ses demandes,
à titre subsidiaire,
- de limiter à 5 minutes par jour le temps d'habillage et de déshabillage,
en tout état de cause,
- de constater que la demande de Monsieur [L] est prescrite antérieurement à juin 2013,
en conséquence,
- de le débouter de sa demande allant de mai 2011 à mai 2013,
Sur la demande de dommages et intérêts pour un non-respect des règles d'hygiène et de sécurité :
- de confirmer le jugement qui a débouté Monsieur [L] de ses demandes de dommages et intérêts,
Sur la qualification courtes distances :
à titre principal,
- de confirmer le jugement,
à titre subsidiaire,
- de constater que la demande de Monsieur [L] est prescrite entre 2012 et juin 2013,
en conséquence,
- de le débouter de sa demande sur cette période et de limiter le montant du repos aux heures supplémentaires réellement accomplies tel qu'il ressort des présentes écritures, soit 1.895,98 euros,
Sur l'exécution fautive du contrat :
- de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Monsieur [L] de ses demandes,
Sur l'article 700 du code de procédure civile
- de réformer le jugement en ce qu'il l'a condamnée à verser à Monsieur [L] la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner Monsieur [L] à 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir :
sur la prise en charge de l'entretien de la tenue de travail
- que la demande de Monsieur [L] est prescrite entre 2011 et 2014 et que celui-ci est rempli de ses droits depuis 2013
- à titre subsidiaire, que Monsieur [L] n'apporte aucun élément de preuve concernant la réalité des frais engagés par lui pour laver ses vêtements de travail, que la cour d'appel de LYON n'est pas tenue par les arrêts rendus par la cour de cassation ou par la cour d'appel de VERSAILLES et que la charge de la preuve de la réalité des frais exposés doit être supportée par le salarié
- qu'elle a étudié le coût réel de l'entretien de la tenue de travail et que la somme de 70 euros par an qu'elle verse à ses salariés à ce titre est supérieure aux frais qu'ils doivent réellement engager pour l'entretien de leur tenue de travail
sur la demande d'indemnisation du temps nécessaire aux opérations d'habillage et de déshabillage
- que si son règlement intérieur impose le port d'une tenue de travail, il n'impose pas que l'habillage et le déshabillage se fassent sur le lieu de travail, que Monsieur [L] ne démontre pas l'existence de circonstances de fait qui rendraient l'habillage et le déshabillage sur le lieu de travail indispensables, qu'il lui appartient de démontrer à cet égard que ses conditions de travail sont réellement salissantes, qu'en l'espèce, Monsieur [L], qui est conducteur navette, doit conduire son camion d'un point A à un point B sans effectuer de livraison, ni de manutention, que la conduite représente 99% de son temps de travail et ne saurait caractériser l'existence d'un emploi salissant, que la vérification de l'état du chargement est une vérification visuelle, de même que la vérification de l'état du camion, qu'il réalise manuellement uniquement l'accrochage des flexibles et le relevé des béquilles lequel s'effectue par une manivelle, aucun de ces éléments n'étant salissant, qu'il n'effectue aucune manutention des produits dangereux et n'est jamais en contact avec eux, et qu'en tout état de cause, chaque produit transporté par elle doit obligatoirement être emballé sous forme de cartons ou de films,
- que, lors de l'audience de conciliation devant le conseil de prud'hommes, l'un des salariés a avoué que la plupart des salariés ne s'habillaient ni ne se déshabillaient sur leur lieu de travail et qu'il est faux de prétendre qu'elle ne mettait pas à disposition de ses salariés des vestiaires, que 136 casiers sont vacants comme elle l'a indiqué à l'inspecteur du travail, qu'aucun salarié n'a demandé l'attribution de l'un de ces casiers vides et qu'en tout état de cause, l'existence de vestiaires est sans rapport avec le fait de venir travailler directement habillé en tenue de travail
sur la demande de dommages et intérêts fondée sur le non-respect des règles d'hygiène et de sécurité
- que les règles d'hygiène sont parfaitement respectées en son sein et que la seule difficulté dont fait état Monsieur [L] ne la concerne pas et serait liée à la conception d'origine des douches de la société ALMECA qu'elle héberge sur son site
- qu'en ce qui concerne les règles de sécurité, c'est en vertu des règles législatives qu'elle dispose d'un CHSCT unique, qu'elle n'a pas contrevenu à ces règes, pas plus qu'aux préconisations de l'inspecteur du travail dans son courrier du 29 mars 2013, que les syndicats de l'entreprise ont reconnu qu'il n'existait pas d'établissement autonome et ont signé sur ce point à l'unanimité moins un un accord sur le dialogue social, que les affirmations de Monsieur [L] selon lesquelles le nombre d'accidents du travail est en constante hausse sont fausses, la baisse étant en réalité constante en comparant le nombre d'accidents du travail avec l'augmentation de l'effectif de l'entreprise, et particulièrement sur l'agence de [Localité 7] dans laquelle travaille Monsieur [L], que le faible taux de maladies professionnelles démontre que le matériel mis à disposition des salariés est adapté et permet un travail en toute sécurité
sur la qualification de conducteur courtes distances
- qu'elle a pour activité principale le transport de marchandises, que, si elle s'occupe d'expéditions de moins de trois tonnes, il ne s'agit pas de son activité principale, que, par ailleurs, outre les opérations de groupage et de dégroupage, le décret GAYSSOT n°83-40 du 26 mars 1983 exige que la livraison de marchandises se fasse dans le cadre de tournées régulières, ce qui n'est pas son cas, que l'inspecteur du travail n'a dressé aucun procès-verbal, ni mise en demeure au titre d'un non-respect du repos qui doit être octroyé aux chauffeurs en raison d'un temps de travail supérieur à 35 heures, qu'ainsi, les chauffeurs qu'elle emploie ne sont en aucun cas des conducteurs de messagerie au sens du décret GAYSSOT, mais bien des chauffeurs de courtes distances
- à titre subsidiaire, que Monsieur [L] a commis des erreurs dans le calcul des heures supplémentaires qui déclencheraient selon lui du repos compensateur, notamment lorsqu'il a prétendu avoir réalisé des heures supplémentaires sur des semaines où il était en absence,
sur l'exécution déloyale du contrat de travail
- que Monsieur [L] a été réglé de l'intégralité de ses droits et ne démontre aucun préjudice distinct qui justifierait l'octroi de dommages et intérêts et que la condamnation au paiement d'une contrepartie au temps d'habillage et de déshabillage n'est pas exécutoire de plein droit.
Monsieur [L] demande à la cour :
- de le dire recevable et bien-fondé en ses demandes,
- de fixer la moyenne de ses trois derniers mois de salaire à la somme brute de 2.450,50 euros,
- de confirmer le jugement en ce qu'i1 a dit que la société KUEHNE+NAGEL ROAD doit prendre en charge l'entretien de sa tenue de travail
en conséquence,
- de condamner la société KUEHNE+NAGEL ROAD à lui verser une somme de 1.572 euros (à parfaire) pour la période allant de mai 2011 à novembre 2018,
- de confirmer le jugement en ce qu'il a dit que la société KUEHNE+NAGEL ROAD doit lui verser une indemnité au titre de l'habillage et du déshabillage,
en conséquence,
- de condamner la société KUEHNE+NAGEL ROAD à lui verser une indemnité au titre de l'habillage et du déshabillage d'un montant de 2.938,46 euros (à parfaire) pour la période allant de mai 2011 au mois de novembre 2018, outre les congés payés y afférents à hauteur de 293,85 euros (à parfaire),
- d'infirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté de sa demande de repos compensateur,
en conséquence,
- de condamner la société KUEHNE+NAGEL ROAD au paiement d'une indemnité de repos compensateur d'un montant de 2.629,67 euros (à parfaire) pour la période allant de juillet 2011 à novembre 2018, outre les congés payés afférents à hauteur de 262,97 euros,
- d'infirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté de sa demande relative à la violation caractérisée par la société KUEHNE+NAGEL ROAD des règles d'hygiène et de sécurité,
en conséquence,
- de condamner la société KUEHNE + NAGEL ROAD au paiement de dommages et intérêts d'un montant de 1.000 euros en réparation du préjudice qu'il a subi à ce titre,
- d'infirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté de sa demande relative à l'exécution fautive du contrat de travail,
en conséquence,
- de condamner la société KUEHNE+NAGEL ROAD au paiement de dommages et intérêts d'un montant de 2.000 euros du fait de l'exécution fautive du contrat de travail,
- d'ordonner la remise des bulletins de paie rectifiés conformément à la décision à intervenir et ce, sous astreinte de 100 euros par jour de retard et par document, la cour se réservant la faculté de liquider l'astreinte,
- d'ordonner la capitalisation des intérêts,
- de confirmer le jugement en ce qu'il a alloué la somme de 800 euros et, y ajoutant, de condamner la société KUEHNE+NAGEL ROAD à lui payer la somme complémentaire de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner la société KUEHNE+NAGEL ROAD aux dépens et aux frais éventuels d'exécution de la décision à intervenir.
Il fait valoir :
- qu'à la date à laquelle il a saisi le conseil de prud'hommes, compte-tenu de l'entrée en vigueur de la loi du 14 juin 2013, les demandes formées par lui ne devaient pas excéder la durée prévue par la loi antérieure, à savoir cinq ans, ce qui a été le cas, et que ses demandes sont ainsi recevables pour la période courant à compter du mois de mai 2011
sur la prise en charge de l'entretien de la tenue de travail
- que le règlement intérieur de l'entreprise rend obligatoire le port d'une tenue de travail pour certaines catégories de salariés de l'entreprise,
- que, compte tenu des conditions de travail salissantes et du fait qu'il est exposé à des matières dangereuses, il doit nettoyer sa tenue une fois par semaine, ce qui entraîne un coût résultant de l'amortissement de la machine à laver, de la lessive, de l'électricité et de l'eau nécessaires à l'utilisation de la machine à laver et du matériel de repassage, de sorte que la participation forfaitaire de l'employeur à l'entretien des tenues de travail imposées au personnel roulant et au personnel de quai doit être fixée à 20 euros nets à verser en début de chaque mois, montant qui a déjà été retenu par la cour d'appel de VERSAILLES dans 13 arrêts rendus le 29 mars 2017 pour des salariés porteurs de la même tenue de travail, soumis aux mêmes conditions de travail et relevant du même règlement intérieur à la société KUEHNE+NAGEL ROAD, les pourvois formés contre ces arrêts ayant été rejetés par la cour de cassation le 11 juillet 2018,
- que la société KUEHNE+NAGEL ROAD a décidé lors des négociations annuelles obligatoires de 2013 de verser à tous ses salariés porteurs d'une tenue de travail une sommes annuelle de 36 euros, finalement augmentée à 70 euros en 2019, ce qui reste dérisoire eu égard aux différentes pièces composant la tenue de travail et à la fréquence hebdomadaire de lavage,
- que l'employeur est tenu à l'appréciation forfaitaire de la prise en charge de l'entretien des tenues de travail, indépendamment du nombre de jours travaillés puisqu'il est impossible de fixer à l'euro près cette indemnisation sans s'immiscer dans la vie privée des salariés et que la pratique de la société consistant à opérer une différence de traitement en proratisant l'indemnité au nombre de jours travaillés lorsque ce nombre est inférieur à 20 jours dans le mois uniquement pour les salariés ayant engagé une action prud'homale constitue une discrimination,
sur l'indemnisation du temps nécessaire aux opérations d'habillage et de déshabillage
- que le personnel de quai et le personnel roulant accomplissent des tâches salissantes, que le conducteur distribution doit procéder au chargement et au déchargement de sa marchandise, que le conducteur navette doit vérifier l'état du véhicule et le chargement des marchandises et veiller au maintien du bon fonctionnement du véhicule, effectuer l'attelage du tracteur, vérifier la liaison des cordons électriques et flexibles qui sont recouverts de graisse et qu'il leur arrive de procéder à de la manutention, que les salariés attestant pour l'employeur sont chefs de quai ou responsables mais non pas conducteurs distribution ou conducteurs navette, que les quais ne sont pas propres et les emballages de marchandises sont abîmés, que les poids-lourds sont sales et qu'il existe un risque d'exposition à des matières dangereuses du personnel de quai et du personnel roulant
- que dès lors que les salariés porteurs d'une tenue de travail apportent les éléments démontrant que leurs conditions de travail sont salissantes et exposées à des matières dangereuses, il est fait droit par les juges à leur demande de contrepartie au temps d'habillage et de déshabillage, ce qui a été le cas pour les salariés de l'établissement d'[Localité 5] de la société KUEHNE+NAGEL ROAD
- que le fait que la société KUEHNE+NAGEL ROAD n'oblige pas les salariés à procéder aux opérations d'habillage et de déshabillage sur leur lieu de travail est inopérant tout comme le fait que les salariés se présenteraient directement sur le lieu de travail en tenue de travail, ce qui n'est du reste pas démontré par la société, que cela ne résulte pas d'un réel choix de leur part mais d'une carence de l'employeur dans l'attribution des casiers sur l'établissement de [Localité 7]
- qu'au regard de la composition de la tenue imposée à laquelle s'ajoutent des chaussures de sécurité à lacets, des gants de sécurité et une casquette coquée, il lui faut cinq minutes pour enlever sa tenue personnelle et mettre sa tenue de travail, puis à nouveau au minimum 5 minutes à la fin de la journée de travail, compte tenu de la fatigue accumulée par les tâches physiques,
sur la demande de dommages et intérêts au titre du non-respect des règles d'hygiène et de sécurité par la société KUEHNE+NAGEL ROAD
- que la société KUEHNE+NAGEL ROAD a commis un certain nombre de manquements caractérisant l'absence de mesures effectives prises pour préserver la santé et la sécurité des salariés, ce que confirme notamment l'augmentation du pourcentage des accidents du travail au sein de la population des agents de quai, conducteurs poids lourds de plus de 19 tonnes et conducteurs de poids lourds entre 11 et 19 tonnes, et que la société ne justifie pas avoir pris les mesures nécessaires pour protéger la santé et la sécurité des salariés malgré les préconisations formulées par l'inspection du travail dans son courrier du 29 mars 2013 et le courrier de la CRAMIF du 3 mars 2017 rappelant les recommandations préconisées mais non prises en considération à la suite de précédentes visites et que la société KUEHNE+NAGEL ROAD n'a pas mis en place de CHSCT au niveau des établissements comptant un effectif de plus de 50 salariés
sur le droit à repos compensateur
- que la société KUEHNE+NAGEL ROAD se présente comme une entreprise de transport de messagerie, qu'elle tente en vain d'entretenir une confusion en opérant une distinction entre la définition juridique de la messagerie et son activité commerciale de messagerie qu'elle ne conteste pas exercer, que ses statuts mentionnent expressément comme objet le ramassage, la réception, le groupage, le dépôt, l'expédition et la livraison de tous colis, marchandises et objets quelconques, que tant les conducteurs distribution que les conducteurs navette participent à l'activité de messagerie
- que le conducteur distribution effectue des tournées régulières avec dépôts auprès de nombreux clients et qu'en conséquence, il est affecté à des services organisés d'enlèvement et de livraison de marchandises ou de produits dans le cadre de tournées régulières nécessitant pour une même expédition de domicile à domicile des opérations de dégroupage, que les conducteurs navette acheminent ces marchandises qui sont ensuite dégroupées dans les établissements pour être livrées aux clients, que la société KUEHNE+NAGEL ROAD leur remet un planning annuel et des plannings hebdomadaires sur lesquels figurent l'établissement réceptionnaire ou les lieux de croisement où ils doivent effectuer les échanges de semi-remorques avec leur collègue venu d'un autre établissement, qu'il s'agit de tournées régulières puisqu'elles sont déterminées sur la base d'un cycle de deux semaines et que la société KUEHNE+NAGEL ROAD reconnaît elle-même la réalité de son activité de messagerie à laquelle participent tant les conducteurs distribution que les conducteurs navette
- que c'est à tort que la société a toujours calculé le droit au repos compensateur de ses différents conducteurs en décomptant les heures supplémentaires au-delà de 39 heures par semaine et qu'il n'a décompté aucune heure supplémentaire au-delà de 35 heures par semaine dès lors qu'il a été absent ne serait-ce qu'une journée dans une semaine, quel qu'en soit le motif
sur l'exécution fautive du contrat de travail
- que la société KUEHNE+NAGEL ROAD n'a pas respecté les droits légitimes des salariés en ce qui concerne l'entretien de la tenue de travail, la contrepartie du temps d'habillage et de déshabillage, le repos compensateur, qu'eu égard à la longue période au cours de laquelle l'employeur n'a pas respecté leurs droits, les salariés ont nécessairement subi un préjudice distinct des seuls intérêts de retard, que la société KUEHNE+NAGEL ROAD n'a pas exécuté le jugement en ce qui concerne les condamnations prononcées au titre des opérations d'habillage et de déshabillage.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 28 novembre 2019.
SUR CE :
Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription
M. [L] demande un rappel d'indemnité d'entretien de la tenue de travail et d'indemnité compensatrice du temps d'habillage et de déshabillage à compter de mai 2011.
Selon l'article L3245-1 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi du 14 juin 2013, entrée en vigueur le 16 juin 2013, l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dûes au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat est rompu, sur les trois années précédant la rupture du contrat.
Aux termes de l'article 21 V de la loi du 14 juin 2013, les dispositions du code du travail prévues aux III et IV de cet article s'appliquent aux prescriptions en cours à compter de la date de promulgation de la loi sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.
La prescription de l'action en paiement des indemnités exigibles en juin 2011 étant en cours à la date du 16 juin 2013, le nouveau délai de prescription de trois ans commençait à courir à compter de cette date et expirait le 16 juin 2016, sans pouvoir excéder cependant l'ancien délai de cinq ans.
La requête interruptive de prescription ayant été déposée le 6 juin 2016, le salarié était ainsi recevable à former des demandes de rappel d'indemnités à compter du 6 juin 2011.
Sur la demande en paiement d'une indemnité d'entretien des tenues de travail
Dès lors que le port d'une tenue de travail est obligatoire pour les salariés et inhérent à leur emploi, son entretien doit être pris en charge par l'employeur.
Le principe du versement d'une indemnité d'entretien n'est au demeurant pas discuté par l'employeur.
Il a ainsi versé aux salariés une indemnité d'entretien d'un montant de 36 euros de 2013 à 2015, 40 euros en 2016, 50 euros en 2017 et 2018 et 70 euros depuis 2019.
La tenue fournie à ses salariés par la société KUEHNE+NAGEL ROAD est composée d'une parka, une polaire, deux pantalons, deux blousons, deux sweat- shirts et cinq tee-shirts, ainsi qu'une chasuble depuis le 3 février 2017.
Le conseil de prud'hommes a fixé le coût d'entretien de cette tenue de travail à la somme mensuelle de 20 euros, payable sur douze mois, sans préciser les modalités de son calcul.
La société KUEHNE+NAGEL ROAD évalue le coût d'entretien de la tenue de travail à la somme de 32,28 euros par an pour une lessive par semaine, 21 jours par mois et 11 mois de travail par an, en se fondant sur les éléments suivants :
- un tarif d'électricité de 0,1449 euro TTC le Kwh (mais le document intitulé 'prix d'un Kwh d'électricité en France en 2016" produit pour en justifier ne permet pas de lire le chiffre situé dans un graphique de couleur noire)
- un prix de l'eau de 3,10 euros TTC le mètre cube (selon un document figurant sur le site internet du Grand [Localité 6], daté du 21 décembre 2006)
- un prix moyen de lessive de 0,33 euro par lavage (selon une impression d'écran du site MONOPRIX)
- l'amortissement sur 5 ans d'une machine à laver d'une capacité de 5 kilos d'un prix moyen de 229 euros (au vu d'une fiche produit du magasin BOULANGER), pour une famille de 4 personnes (dont un quart correspond à l'utilisation par le salarié) et 227 jours de travail, ce qui donne un amortissement égal à 7,12 euros par an et 0,03 euro par jour
- une consommation de 37 litres d'eau et 0,704 Kwh par cycle
M. [L] estime comme l'employeur qu'il doit nettoyer sa tenue une fois par semaine mais remet en cause le calcul opéré par ce dernier.
Il fait observer que la tenue de travail est confectionnée par une entreprise spécialisée dans le vêtement professionnel, qu'elle est munie de bandes réfléchissantes et porte le logo du groupe, que les différentes pièces ne sont pas composées de la même matière et ne sont pas à laver à la même température, que le temps consacré à l'entretien de la tenue de travail n'est pas indemnisé, que, s'il recourait à une entreprise extérieure, il lui en coûterait 46 euros par mois (soit 11,50 euros par semaine au minimum), que certains salariés utilisent des détachants pour enlever les taches de cambouis ou n'utilisent pas les produits d'entretien vendus dans les grandes surfaces pour des raisons d'allergie.
Il verse aux débats une facture de lave-linge de la boutique du net.com d'un prix supérieur à celui de la machine de référence de la société KUEHNE+NAGEL ROAD (579,99 euros) et une facture d'eau de SUEZ pour la période d'octobre 2015 à octobre 2016 montrant un prix moyen supérieur à celui retenu par l'employeur (6,41 euros).
Au vu des éléments apportés de part et d'autre, compte-tenu du prix de la lessive, de l'eau (en retenant le prix du mètre cube proposé par le salarié), de l'électricité, de l'amortissement d'une machine à laver d'un prix moyen d'environ 600 euros, de ce que le temps passé à faire la lessive n'a pas à être spécialement décompté et du reste n'est pas évalué par le salarié, que certaines pièces de la tenue doivent être repassées et qu'il y a lieu de prendre en considération les jours de congés, il convient de fixer à la somme de 10 euros par mois en moyenne, douze mois par an, le coût d'entretien de la tenue de travail de chaque salarié, soit 120 euros par an.
Il convient en conséquence de condamner la société KUEHNE+NAGEL ROAD à payer au salarié la somme de 656 euros, pour la période de juin 2011 à novembre 2018 inclus, soit :
- 10 x 7 = 70 euros pour la période de juin à décembre 2011
- 10 x 12 = 120 euros pour l'année 2012
- 120 - 36 = 84 euros pour l'année 2013
- 120 -36 = 84 euros pour l'année 2014
- 120 - 36 = 84 euros pour l'année 2015
- 120 - 40 = 80 euros pour l'année 2016
- 120 - 50 euros = 70 euros pour l'année 2017
-10 x 11 = 110 euros - 46 euros (50/12 x 11) = 64 euros de janvier à novembre 2018 inclus.
La somme de 656 euros sera augmentée des intérêts au taux légal à compter du 7 juin 2016, date de réception de la requête par la société KUEHNE+NAGEL ROAD .
Les intérêts dûs pour une année entière à la date de la demande produiront eux-mêmes intérêt en application de l'article 1154 ancien du code civil applicable à la date d'introduction de la procédure.
sur la demande d'indemnisation du temps nécessaire aux opérations d'habillage et de déshabillage
L'article L. 3121-3 du code du travail énonce que le temps nécessaire aux opérations d'habillage et de déshabillage fait l'objet de contreparties, que ces contreparties sont accordées soit sous forme de repos, soit sous forme financière, lorsque le port d'une tenue de travail est imposé par des dispositions légales, par des stipulations conventionnelles, le règlement intérieur ou le contrat de travail et que l'habillage et le déshabillage doivent être réalisés dans l'entreprise ou sur le lieu de travail."
Il résulte de ces dispositions que les contreparties au temps nécessaire aux opérations d'habillage et de déshabillage sont subordonnées à la réalisation cumulative des deux conditions qu'elles édictent.
Le règlement intérieur de la société KUEHNE+NAGEL ROAD n'imposant pas aux salariés de revêtir et d'enlever leur tenue de travail sur leur lieu de travail, il convient de rechercher si, en pratique, le salarié se trouve dans l'obligation de de procéder à cette opération d'habillage et de déshabillage dans l'entreprise pour des raisons d'hygiène, en raison du caractère salissant ou insalubre des tâches qui lui sont confiées.
En l'espèce, M. [L] qui occupe le poste de conducteur navette accomplit, outre la conduite de son véhicule, les tâches suivantes résultant de sa fiche de poste de 2012 modifiée en 2016 :
- vérifier l'état du véhicule, le chargement de marchandises, la connexion des modules et le plombage,
- prendre en charge les consignes et les documents liés au chargement (ordre de mission....),
- veiller à la transmission des documents à chaque étape du trajet,
- restituer les documents (annotés si nécessaire) dont l'ordre de mission à son agence,
- veiller au bon fonctionnement et à l'état général du véhicule, et du matériel fourni,
- respecter les consignes en matière de sécurité et d'hygiène,
- respecter le matériel et l'environnement de travail.
Les chauffeurs navette doivent aussi savoir faire un diagnostic de panne et effectuer des dépannages simples sur leur véhicule.
Or, M. [L] ne démontre pas que les opérations de vérification du chargement et du véhicule auxquelles il doit procéder, telles que décrites dans la fiche de poste, présentent en elles-mêmes un caractère salissant.
Il n'est pas établi non plus que M. [L] en sa qualité de conducteur navette serait tenu d'effectuer des tâches de manutention.
Enfin, M. [L] ne justifie pas de ce que, personnellement, il serait en contact journalier avec des matières dangereuses ou conduit à en manipuler et travaillerait ainsi dans des conditions insalubres ou salissantes.
La tenue de travail est une tenue normale (pantalon, tee-shirt, sweat shirt). Elle est portée sous un blouson et une parka. Elle est lavée une fois par semaine, chaque salarié disposant de deux pièces de vêtement, à l'exception des tee-shirts (cinq, soit un par jour) et d'une seule polaire, ce qui confirme que les tâches effectuées ne sont pas salissantes.
Rien ne démontre que les chaussures de sécurité doivent impérativement être mises et portées sur le site de l'entreprise.
L'entreprise disposant de casiers, M. [L] n'établit pas la réalité d'une carence de l'employeur à mettre des vestiaires à sa disposition qui expliquerait qu'il soit contraint de s'habiller et se déshabiller à son domicile.
En conséquence, la demande aux fins de compensation du temps d'habillage et de déshabillage doit être rejetée et le jugement qui l'a accueillie sera infirmé.
sur la demande de dommages et intérêts fondée sur le non-respect des règles d'hygiène et de sécurité
L'article L. 4221-1 du code du travail énonce que les établissements et locaux de travail sont tenus dans un état constant de propreté et présentent les conditions d'hygiène et de salubrité propres à assurer la santé des intéressés.
M. [L] invoque une question des délégués du personnel posée lors de la réunion du 11 avril 2016 au sujet d'un manque d'entretien des vestiaires et douches de l'atelier et d'odeurs d'égoût.
La société KUEHNE+NAGEL ROAD produit une attestation de Monsieur [J] [B], son responsable achats, selon laquelle "lors du dernier contrôle qualité contradictoire avec le prestataire de nettoyage GOM, aucun grief n'a été remonté sur la propreté des locaux sociaux (douches, sanitaires). Un constat de non qualité vitrerie et dessous de casiers de vestiaires a été fait. La vitrerie a été refaite le 04/11/2016, les vestiaires seront désinfectés le 28/12/2016", ce qui démontre qu'elle s'est occupée du problème et a respecté son obligation en matière d'hygiène au travail.
Aux termes de l'article L.4121-1 du code du travail, dans sa version applicable du 11 novembre 2010 au 1er octobre 2017 :
L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
1° Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ;
2° Des actions d'information et de formation ;
3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.
L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.
En application de l'article L. 4121-2 du code du travail, l'employeur met en oeuvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1, notamment en évitant les risques, en évaluant les risques qui ne peuvent pas être évités et en combattant les risques à la source.
Il appartient à l'employeur de prouver qu'il s'est acquitté de son obligation de moyens renforcée en matière de préservation de la santé et de la sécurité de ses travailleurs.
Si des manquements sont établis à l'encontre de l'employeur, le salarié doit prouver qu'il a subi personnellement un préjudice en lien avec lesdits manquements.
En l'espèce, M. [L] fait état de manquements à caractère général qu'aurait commis l'employeur, faisant valoir que la société KUEHNE+NAGEL ROAD aurait dû instituer un CHSCT d'établissement sur le site de [Localité 7], qu'elle n'a pas respecté les préconisations de l'inspection du travail en matière de prévention des accidents du travail et qu'elle n'a entrepris aucune mesure, ni action afin de réduire la gravité des accidents du travail.
Il produit à cet effet un courrier du servicedes risques professionnels de l'assurance maladie du 2 mars 2017 faisant suite à la visite du site d'[Localité 5], décrivant un certain nombre de risques professionnels (risque de chute de hauteur, risques liés aux manutentions lourdes et répétitives, risques de blessure grave et une liste des mesures correctrices demandées) et une lettre du service des risques professionnels de l'assurance maladie du 10 novembre 2017 concernant le site de [Localité 4].
Or, ces courriers concernent d'autres sites que celui de [Localité 7] et ne suffisent pas à établir en tout état de cause que les mesures correctrices préconisées n'ont pas été prises.
L'inspecteur du travail a certes fait observer à la société KUEHNE+NAGEL ROAD dans son courrier 29 mars 2013 qu'il était difficile pour les membres du CHSCT de mener rapidement des enquêtes sur les accidents du travail en raison du nombre important d'établissements et de l'éloignement des membres du CHSCT.
Mais en réponse au courrier de l'inspection du travail envoyé au directeur de l'agence d'[Localité 5] le 12 octobre 2015 demandant l'organisation d'élections de membres du comité d'établissement, au motif que les critères caractérisant un établissement distinct lui semblaient réunis, la société KUEHNE+NAGEL ROAD a indiqué que cette agence ne disposait pas d'un degré d'autonomie suffisant permettant de l'assimiler à un établissement distinct au sens de l'article L.4611-1 du code du travail.
Il n'a pas été donné d'autre injonction sur ce point à la société KUEHNE+NAGEL ROAD, de sorte que le salarié ne peut reprocher à la société de n'avoir pas mis en place de comité d'hygiène et de sécurité et des conditions de travail sur le site de [Localité 7].
La société KUEHNE+NAGEL ROAD verse également aux débats les bilans hygiène/sécurité/environnement/conditions de travail présentés à son CHSCT pour les années 2012, 2014,2015, 2016 et 2017 et la liste des moyens et actions qu'elle a mis en place, éléments dont il ne peut être déduit que les accidents du travail sur le site de [Localité 7] sont en augmentation constante ou d'une gravité croissante, ni que la société n'a pas respecté les dispositions des articles L4121-1 et L4121-2 du code du travail.
La société KUEHNE+NAGEL ROAD montre ainsi qu'elle a accompli ses obligations en matière de santé et de sécurité au travail sur le site de [Localité 7] où travaille M. [L].
C'est à juste titre en conséquence que le conseil de prud'hommes a rejeté la demande de dommages et intérêts de M. [L] fondée sur un manquement de l'entreprise à son obligation d'hygiène et de sécurité à son égard.
Sur le repos compensateur
Le décompte des heures supplémentaires est différent selon que l'on applique à la relation de travail le régime juridique des conducteurs de messagerie ou celui du transport routier dit classique. Par ailleurs, le nombre des heures supplémentaires effectuées a des conséquences sur les droits au repos compensateur.
Au sens de l'article 5 du décret du 26 janvier 1983, les conducteurs de messagerie sont des personnels roulants affectés, à titre principal, à des services organisés de messagerie, d'enlèvement et de livraison de marchandises ou de produits dans le cadre de tournées régulières nécessitant, pour une même expédition de domicile à domicile, des opérations de groupage et de dégroupage, et comportant des contraintes spécifiques de délais de livraison et ce, indépendamment du type de véhicule utilisé, du volume et du conditionnement de la marchandise transportée.
Le groupage consiste à prendre en charge des colis ou lots dans une zone géographique de chargement, puis à les grouper par grandes zones géographiques de destinations. Le dégroupage désigne la réception de marchandises ou lots d'une ou plusieurs destinations qui sont dégroupés afin d'être répartis dans des tournées de livraisons qui les achemineront vers le destinataire final.
Au contraire, le transport de marchandises consiste à acheminer des lots d'un client expéditeur à un client destinataire, sans rupture de charge.
Il appartient au salarié qui le revendique de démontrer que l'activité principale de la société remplit les critères de la messagerie.
L'extrait d'immatriculation de la société KUEHNE+NAGEL ROAD montre que son activité principale est le transport routier de marchandises, affrêtement, commissionnaire de transport en douanes.
Son code APE est le 49.41 B, ce qui correspond au transport routier de fret et non à l'activité de messagerie dont le code APE est le 52.29 A
La société KUEHNE+NAGEL ROAD produit un document de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement daté du 27 janvier 2011 annonçant une opération de contrôle de l'entreprise dans le cadre du contrôle de l'Etat sur les réglementations applicables aux entreprises effectuant du transport public routier de marchandises, laquelle a donné lieu à un procès-verbal de constatations concernant la règlementation des conditions de travail dans les transports routiers (dépassements des temps de conduite et non-respect des pauses réglementaires pour certains conducteurs).
L'activité de la société reprise au procès-verbal de l'administration est celle de commissionnaire de transport et de transport routier de marchandises en compte d'autrui.
Par lettre en date du 22 novembre 2016, la société KUEHNE+NAGEL ROAD interrogée à ce sujet a répondu à la DIRECCTE Rhône-Alpes que ses chauffeurs n'étaient pas juridiquement des conducteurs de messagerie même si elle utilisait le terme de messagerie pour plus de visibilité y compris interne et a notamment expliqué que presque les deux tiers du poids de la marchandise livrée en une journée correspondaient à des livraisons de plus de trois tonnes et qu'il arrivait fréquemment que les chauffeurs effectuent des opérations de livraison avec un client unique par camion.
Cette réponse n'a pas été remise en cause par l'administration.
La lecture de la liste de chargement d'une tournée mensuelle montre que le conducteur effectue des livraisons chez plusieurs clients différents, situés dans une même localité ou des localités voisines les unes des autres, dont la plupart ne sont visités qu'une ou deux fois dans le mois.
Les ordres de mission remis aux conducteurs distributeurs et les plannings hebdomadaires et annuels produits par le salarié ne permettent pas de déterminer que les conducteurs de la société KUEHNE+NAGEL ROAD procèdent à des enlèvements et des livraisons de marchandises dans les conditions définies par l'article 5 du décret du 26 janvier 1983.
En conséquence, Monsieur [L] ne démontre pas qu'il était affecté à des services organisés de messagerie, de sorte qu'il convient de confirmer le jugement qui l'a débouté de sa demande relative à l'indemnisation de repos compensateurs non pris.
Sur la demande de dommages et intérêts fondée sur l'exécution fautive du contrat de travail
A supposer que l'absence de contribution de l'employeur aux frais d'entretien de la tenue de travail antérieurement à 2013 constitue une exécution fautive du contrat de travail, ce qui n'est pas démontré, M. [L] ne prouve pas qu'il a subi un préjudice distinct de celui qui se trouve réparé par l'allocation d'une indemnité et des intérêts de retard sur le rappel d'indemnité alloué par le présent arrêt.
Le jugement qui a rejeté la demande de dommages et intérêts formée du chef d'une exécution fautive du contrat de travail sera confirmé.
La société KUEHNE+NAGEL ROAD devra remettre à M. [L] un bulletin de salaire mentionnant le rappel des indemnités d'entretien tel que fixé par le présent arrêt, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette obligation d'une astreinte.
Compte-tenu de la solution apportée au litige, il convient de confirmer le jugement en ses dispositions relatives aux dépens et de réduire l'indemnité de procédure de première instance à la somme de 300 euros.
Chacune des parties conservera la charge de ses dépens d'appel et de ses frais irrépétibles d'appel.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement :
CONFIRME le jugement, sauf en ce qu'il a dit que les demandes de M. [L] étaient recevables à compter de mai 2011, sur le montant de l'indemnité d'entretien de la tenue de travail, en ce qu'il a fixé une une contrepartie en temps de travail au titre de l'habillage et du déshabillage et sur le montant de l'indemnité de procédure
L'INFIRME sur ces chefs
STATUANT Ã nouveau,
DIT que les demandes de M. [F] [L] sont recevables à compter du 6 juin 2011
CONDAMNE la société KUEHNE+NAGEL ROAD à payer à M. [F] [L] la somme de 656 euros pour la période de juin 2011 à novembre 2018 inclus, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 7 juin 2016, à titre d'indemnité d'entretien de la tenue de travail
DIT que les intérêts sur ladite somme dûs pour une année entière à la date de la demande produiront eux-mêmes intérêt en application de l'article 1154 ancien du code civil
REJETTE la demande de contrepartie en temps de travail au titre de l'habillage et du déshabillage
ORDONNE à la société KUEHNE+NAGEL ROAD de remettre à M. [L] un bulletin de salaire mentionnant le rappel des indemnités d'entretien tel que fixé par le présent arrêt
REJETTE la demande d'astreinte
CONDAMNE la société société KUEHNE+NAGEL ROAD à payer à M. [L] la somme de 300 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile de première instance
DIT que chacune des parties conservera la charge de ses dépens d'appel
REJETTE les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
Le Greffier La Présidente
Manon FADHLAOUIJoëlle DOAT