La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

16/01/2020 | FRANCE | N°19/00773

France | France, Cour d'appel de Lyon, 3ème chambre a, 16 janvier 2020, 19/00773


N° RG 19/00773


N° Portalis DBVX-V-B7D-MFMK














Décision du Tribunal de Commerce de SAINT-ETIENNE


Au fond


du 22 janvier 2019





RG : 2018f00210











R...





C/





Y...


SELARL O...








RÉPUBLIQUE FRANÇAISE


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS








COUR D'APPEL DE LYON





3ème chambre A





AR

RÊT DU 16 Janvier 2020











APPELANTS :





M. S... R...


né le [...] à MONTBRISON (42600)


[...]


[...]





Représenté par Me Nathalie ROSE, avocat au barreau de LYON, toque : 1106 et ayant pour avocats plaidants, Me Guy ALBERT-BRUNET et Me Thierry DUMOULIN, avocats au barreau de LYON





M. N... Y...


né ...

N° RG 19/00773

N° Portalis DBVX-V-B7D-MFMK

Décision du Tribunal de Commerce de SAINT-ETIENNE

Au fond

du 22 janvier 2019

RG : 2018f00210

R...

C/

Y...

SELARL O...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE LYON

3ème chambre A

ARRÊT DU 16 Janvier 2020

APPELANTS :

M. S... R...

né le [...] à MONTBRISON (42600)

[...]

[...]

Représenté par Me Nathalie ROSE, avocat au barreau de LYON, toque : 1106 et ayant pour avocats plaidants, Me Guy ALBERT-BRUNET et Me Thierry DUMOULIN, avocats au barreau de LYON

M. N... Y...

né le [...] à SAINT JUST SAINT RAMBERT

[...]

[...]

Représenté par Me Céline SAMUEL de la SELAS SAMUEL AVOCAT, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE

INTIMÉ :

SELARL [...], représentée par Me D... O..., ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL [...]

[...]

[...]

Représentée par Me Brice LACOSTE de la SELARL LACOSTE CHEBROUX BUREAU D'AVOCATS, avocat au barreau de LYON, toque : 1207

En présence du ministère public, en la personne de Monsieur Fabrice TREMEL, substitut général,

* * * * * *

Date de clôture de l'instruction : 14 Novembre 2019

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 21 Novembre 2019

Date de mise à disposition : 16 Janvier 2020

Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

- Anne-Marie ESPARBÈS, président

- Hélène HOMS, conseiller

- Pierre BARDOUX, conseiller

assistés pendant les débats de Jessica LICTEVOUT, greffier

A l'audience, U... L... a fait le rapport, conformément à l'article 785 du code de procédure civile.

Arrêt Contradictoire rendu par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Anne-Marie ESPARBÈS, président, et par Jessica LICTEVOUT, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * *

EXPOSÉ DU LITIGE

La S.A.R.L. [...] ([...]) qui a exercé une activité de réalisation de travaux publics et agricoles, la location, la vente et l'achat de matériel connaissait initialement un capital social réparti entre M. S... R... à hauteur de 50%, Mme V... R... à hauteur de 25% et Mme P... R... à hauteur de 25%.

En septembre 2013, M. R... a cédé une partie de ses parts à M. N... Y....

Par acte du 28 janvier 2015, l'URSSAF Rhône Alpes a fait assigner la société [...] en redressement judiciaire en faisant état d'une créance de 55 287'€ du 26 décembre 2014 et par déclaration de cessation des paiements du 17 février 2015, cette société a sollicité sa liquidation judiciaire en déclarant sa cessation des paiements.

Par jugement du 25 février 2015, le tribunal de commerce de Saint-Etienne a prononcé la liquidation judiciaire de la société [...], fixant la date de cessation des paiements au 17 février 2015.

Par acte du 31 janvier 2018, la SELARL [...], liquidateur judiciaire de la société [...], a fait assigner MM. R... et Y... aux fins de les voir condamner solidairement au paiement du montant de l'insuffisance d'actif ressortant de la liquidation judiciaire et de voir prononcer à leur encontre une mesure de faillite personnelle d'une durée de 10 ans.

Par jugement contradictoire du 22 janvier 2019, le tribunal de commerce de Saint-Etienne a :

- dit que M. Y... était dirigeant de droit et que M. R... était dirigeant de fait de la société [...],

- dit que le lien de causalité entre les fautes de gestion de MM. R... et Y... et le préjudice subi par la société [...] est établi,

- condamné MM. R... et Y... solidairement à la responsabilité pour insuffisance d'actif et au comblement du passif,

- condamné M. Y... à verser à la SELARL [...] la somme de 270 514,44'€,

- condamné M. R... a versé à la SELARL [...] la somme de 502'389,98'€,

- prononcé une mesure de faillite personnelle pour une durée de 10 ans à l'encontre de MM. R... et Y...,

- ordonné l'exécution provisoire,

- condamné solidairement MM. R... et Y... aux entiers dépens.

M. R... a interjeté appel par acte du 31 janvier 2019, intimant M. Y... et la SELARL [...]. Par acte du 5 février 2019, M. Y... a également formé appel intimant M. R... et la SELARL [...]. Ces deux appels ont été joints.

L'affaire a été fixée à l'audience du 21 novembre 2019 en application de l'article 905 du code de procédure civile.

Par ordonnance du 17 avril 2019, la juridiction du premier président a rejeté les demandes présentées par MM. R... et Y... en suspension de l'exécution provisoire attachée au jugement entrepris.

Dans le dernier état de ses conclusions déposées le 7 novembre 2019, au visa des articles L. 651-2 et R. 662-12 du code de commerce et 16 du code de procédure civile, M. R... demande à la cour de :

- statuer ce qu'il appartiendra sur la demande de nullité du jugement entrepris formée par M. Y... pour absence de communication [de son rapport] de la part du juge-commissaire,

- rejeter la demande, nécessairement subsidiaire, formée par M. Y... tendant à un sursis à statuer en attendant la clôture des trois enquêtes faisant suite aux plaintes déposées par M. Y..., par les commissaires-priseurs B... et F..., et par la société BNP Paribas lease,

- déclarer son appel recevable et bien fondé,

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il :

· a dit qu'il était dirigeant de fait de la société [...],

· l'a condamné solidairement avec M. Y... à la responsabilité pour insuffisance d'actif et au comblement du passif de la société [...],

· l'a condamné à verser à la SELARL [...], ès qualités, une somme de 502'383,98'€,

· a prononcé une mesure de faillite personnelle pour une durée de 10 ans à son encontre,

· l'a condamné à payer à la SELARL [...] la somme de 5'000'€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouter la SELARL [...] de l'intégralité de ses demandes à son encontre, comme infondées,

- le décharger de toutes les condamnations et dispositions prononcées contre lui par le jugement entrepris,

à titre infiniment subsidiaire, et pour le cas où la cour estimerait qu'il était gérant de fait et engageait sa responsabilité :

- dire en ce cas que la SELARL [...] ne démontre pas l'existence d'une insuffisance d'actif, et a fortiori son montant et la débouter de ses demandes,

en tout état de cause,

- condamner la SELARL [...], ès qualités, à lui payer une somme de 10'000'€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens, avec droit de recouvrement direct.

Dans le dernier état de ses conclusions déposées le 18 octobre 2019, au visa des articles 378 et 379 du code de procédure civile, des articles 15, 16 et 132 du même code et des articles L.'621-9, L. 651-2 et suivants et L. 653-2 et suivants, R.'662-12 du code de commerce, M. Y..., ayant formé appel incident, demande à la cour de :

avant dire droit,

- ordonner d'office un sursis à statuer dans l'attente du résultat des enquêtes pénales en cours par suite des plaintes de la SCP [...] commissaire-priseur judiciaire à la liquidation judiciaire de la société [...],

- ordonner la radiation du rôle des affaires de la chambre et dire qu'elle sera remise au rôle sur saisine de la partie la plus diligente,

au fond,

- annuler le jugement entrepris en toutes ses dispositions ou pour le moins l'infirmer en ce qu'il':

· a dit que le lien de causalité entre ses fautes de gestion et celles de M. R... et le préjudice subi par la société [...] est établi,

· l'a condamné solidairement à la responsabilité pour insuffisance d'actif et au comblement du passif de la société [...],

· l'a condamné à verser à la société [...], la somme de 270'514,44'€,

· a condamné M. R... à verser à la SELARL [...], ès qualités, la somme de 502'383,98'€,

· a prononcé une mesure de faillite personnelle pour une durée de 10 ans à son encontre,

· l'a débouté de l'ensemble de ses demandes,

· l'a condamné avec M. R... à payer chacun à la SELARL [...] la somme de 5'000'€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

· a dit que les publicités du présent jugement concernant la mesure de faillite personnelle seront faites d'office par le greffier,

· a dit qu'en application des dispositions des articles L. 128-1 et suivants et R. 128-1 et suivants du code de commerce, cette sanction fera l'objet d'une inscription au fichier national des interdits de gérer, dont la tenue est assurée par le conseil national des greffiers des tribunaux de commerce,

· l'a condamné solidairement avec M. R... aux entiers dépens de l'instance,

· ordonné l'exécution provisoire,

statuant à nouveau,

- juger que la SELARL [...] ne fait pas la preuve :

· des fautes de gestion qu'elle invoque,

· de l'imputabilité des fautes de gestion à son encontre,

· du lien de causalité entre les fautes de gestion et l'insuffisance d'actif qu'elle allègue,

- juger que les faits qui lui sont reprochés constituent de simples négligences dans la gestion de la société liquidée au sens de l'article L. 651-2 nouveau du code de commerce ne permettant pas de retenir sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif,

- juger qu'aucun n'acte de nature à entraîner le prononcé d'une sanction personnelle à son égard n'a été commis,

- débouter la SELARL [...] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions dirigées à son encontre,

- condamner la SELARL [...] et/ou M. R... à payer la somme de 2'000'€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de l'instance.

Dans le dernier état de ses conclusions déposées le 13 novembre 2019, au visa des articles L. 651-2 et suivants, L. 653-1 et suivants du code de commerce, la SELARL [...], ayant formé appel incident, demande à la cour de':

in limine litis,

- juger que le jugement entrepris n'est pas entaché de nullité,

à titre subsidiaire, si par extraordinaire, le jugement rendu était entaché de nullité,

- juger que devant la cour, le rapport du juge-commissaire n'est pas exigé et du fait de l'effet dévolutif de l'appel, la cour demeure saisie et doit trancher le litige qui lui est soumis,

sur le sursis à statuer,

- juger que la demande de sursis à statuer est présentée par M. Y... pour la première fois en cause d'appel, et n'a pas été présentée avant toute défense au fond par M. Y...,

- juger M. Y... irrecevable et mal fondé en sa demande de sursis à statuer,

sur la responsabilité pour insuffisance d'actif,

- juger que MM. R... et Y... sont dirigeants de la société [...] au sens des dispositions de l'article L. 651-2 du code de commerce,

- juger que MM. R... et Y... ont commis des fautes de gestion,

- juger que l'insuffisance d'actif subie par la liquidation judiciaire de la société [...] s'élève à 992 335,69'€, sauf à parfaire,

- juger que la société [...] a subi un préjudice dont elle peut se prévaloir au nom des créanciers de la procédure collective, et que ce préjudice est indiscutablement lié aux fautes de gestion commises par MM. R... et Y...,

à titre principal,

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a':

· dit que le montant du passif définitif s'établit à une somme de 772'898,42'€,

· condamné M. Y... à lui verser une somme de 270'514,44'€ au titre de sa contribution à l'insuffisance d'actif,

· condamné M. R... à lui verser une somme de 502 383,98'€ au titre de sa contribution à l'insuffisance d'actif,

et statuant à nouveau,

- condamner MM. R... et Y..., in solidum, à lui verser solidairement le montant de l'intégralité de l'insuffisance d'actif ressortant de la liquidation judiciaire, à savoir la somme de 992'335,69'€, sauf à parfaire,

à titre subsidiaire,

- confirmer, en tout état de cause, le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

sur la faillite personnelle,

- juger que MM. R... et Y... ont poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la société [...],

- juger que MM. R... et Y... ont fait des biens ou du crédit de la société [...] un usage contraire à l'intérêt de celle-ci pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé,

- juger que MM. R... et Y... ont détourné une partie de l'actif de la société [...] et ont augmenté son passif,

- juger que c'est à bon droit que les premiers juges ont prononcé une mesure de faillite personnelle pour une durée de 10 ans à l'encontre de MM. R... et Y...,

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

en tout état de cause,

- débouter MM. R... et Y... de l'ensemble de leurs demandes, moyens et prétentions,

- condamner MM. R... et Y... à lui verser la somme de 10 000'€ chacun sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner in solidum les mêmes aux dépens de première instance et d'appel, avec droit de recouvrement direct.

Le ministère public sollicite la confirmation dans ses observations régulièrement communiquées aux parties du 4 avril 2019.

MOTIFS

Sur la nullité invoquée du jugement entrepris

M. Y... soutient, au visa des articles 15 et 16 du code de procédure civile, la nullité du jugement entrepris qui a été rendu sans que le rapport du juge-commissaire prévu par l'article R. 662-12 du code de commerce ait été débattu devant les premiers juges et soumis à la contradiction en ce qu'il n'a pas été communiqué aux parties à l'instance ou produit aux débats.

M. R... ne considère pas de son côté avoir subi une rupture du contradictoire concernant le rapport du juge-commissaire, mais fait valoir que ce rapport n'a pas été lu à l'audience et que ce juge n'y était pas présent.

En application de cet article R 662-12, le tribunal statue sur rapport du juge-commissaire sur tout ce qui concerne la sauvegarde, le redressement et la liquidation judiciaires, l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif, la faillite personnelle ou l'interdiction prévue à l'article L. 653-8.

Le rapport du juge-commissaire, qui peut être écrit ou oral, est une formalité substantielle dont l'absence emporte la nullité du jugement. Lorsqu'il est écrit, ce rapport n'a pas à être communiqué aux parties, qui ont en tout cas la possibilité d'en prendre connaissance au greffe du tribunal, dès lors que le juge-commissaire n'est pas une partie, ne rend pas un avis et qu'aucun texte ne prévoit cette communication.

En effet, la SELARL [...] fait valoir à juste titre que ce rapport ne constitue pas une pièce et qu'aucun texte ne lui imposait de le communiquer.

Les dispositions de l'article 15 du code de procédure civile sont en l'espèce inopérantes comme ne régissant que l'échange des moyens de fait et éléments de preuve entre les parties et le nécessaire contradictoire dans cet échange, le juge-commissaire comme le tribunal de commerce n'étant pas des parties.

Les premiers juges ont motivé que 'le juge-commissaire dans son rapport du 18 septembre 2018 a fait droit à la demande de sanctions de la SELARL [...]' et ont visé ce rapport au dispositif de leur décision.

Il ne résulte pas du jugement entrepris que le juge-commissaire était présent ou que son rapport a été lu lors de l'audience, ce qui n'est pas discuté par les parties, et ses motifs établissent en revanche que ce rapport a été pris en compte par les premiers juges.

Cette absence de respect du contradictoire par les premiers juges qui ont statué sur un élément qui n'a pas été porté à la connaissance des parties doit conduire au prononcé de la nullité de leur jugement.

La nullité n'affectant pas l'acte de saisine du tribunal de commerce, l'effet dévolutif attaché à l'appel doit conduire la cour à statuer sur le litige. Le liquidateur judiciaire relève avec pertinence que le rapport du juge-commissaire n'est pas une formalité substantielle à cet examen de l'affaire par la cour.

Sur le sursis à statuer

M. Y... qui n'avait pas saisi les premiers juges d'une telle demande soutient la nécessité d'un sursis à statuer dans l'attente du résultat d'enquêtes pénales en cours et consécutives aux plaintes déposées tant par lui que par le commissaire-priseur judiciaire et la société BNP Paribas lease et demande à la cour de l'ordonner «d'office».

La SELARL [...] soutient l'irrecevabilité de cette demande qui n'a pas été présentée par M. Y... avant toute défense au fond ou toute fin de non recevoir, qui n'a pas été présentée aux premiers juges. Elle souligne que M. Y... ne justifie pas des suites données à ces plaintes depuis l'année 2015.

M. R... s'oppose à ce sursis à statuer en faisant valoir que le résultat des plaintes n'aurait aucune influence sur les débats actuels qui portent sur la responsabilité alléguée de dirigeants de fait ou de droit.

S'agissant du respect de l'article 74 du code de procédure civile invoqué par le liquidateur judiciaire, l'annulation du jugement entrepris conduit à rendre sans objet cette exception au titre du comportement procédural de M. Y... devant les premiers juges.

Ce dernier a bien présenté cette exception de procédure avant toute défense au fond devant la cour dans ses premières écritures déposées le 10 mars 2019 et sa demande de sursis à statuer est recevable.

Les plaintes déposées par M. Y... ont été décrites dans un courrier du ministère public du 3 septembre 2019 comme étant alors à «l'étude chez le parquetier» pour la seconde déposée en 2015.

Elles concernaient suivant un courrier précédent du ministère public :

- pour la plainte déposée le 3 octobre 2014 une infraction de destruction du bien d'autrui par moyen dangereux dite commise dans la nuit du 2 au 3 octobre 2014 qui a fait l'objet de poursuites contre M. H... Q... et d'un jugement du tribunal de commerce de Saint-Etienne du 7 mars 2016, comme d'un arrêt de cette cour du 13 avril 2017, cette dernière décision n'étant pas produite par M. Y...,

- pour l'autre déposée le 26 mai 2015 une infraction de vol d'une pelleteuse dite commise sur la période du 1er mars au 30 avril 2015 indiquée comme faisant l'objet d'une enquête toujours en cours et d'une relance.

Seul un procès-verbal de gendarmerie du 12 juin 2015 enregistrant la plainte pour vol de cette pelleteuse déposée par la SCP [...] , commissaire priseur est produit, document qui ne permet pas de déterminer ses suites.

Concernant la plainte indiquée comme déposée par la société BNP Paribas lease contre le dirigeant pour abus de confiance, aucun élément postérieur à la réponse manuscrite de cette société du 30 novembre 2018 au courrier du liquidateur judiciaire ne précise le sort réservé à cette plainte par le ministère public.

En l'état des griefs opposés à M. Y... par le liquidateur judiciaire, sans rapport avec le vol de pelleteuse ayant fait l'objet des plaintes du 26 mai et 12 juin 2015 comme celle de la BNP Paribas lease, et alors que seule la plainte déposée par le commissaire priseur est invoquée à son soutien, la demande de sursis à statuer doit être rejetée.

Sur les qualités de gérant de droit et/ou de fait opposées à MM. R... et Y...

En application de l'article L. 651-2 du code de commerce, les dirigeants de droit ou de fait des personnes morales sont susceptibles d'être condamnés à supporter tout ou partie de l'insuffisance d'actif de celles-ci.

La qualité de gérant de fait ne suppose pas nécessairement que les agissements du dirigeant conduisent à priver le gérant de droit de ses pouvoirs, mais découle d'une immixtion et d'une indépendance dans la gestion, l'administration et la direction de la société.

Au regard des mentions de l'extrait du BODACC de la société [...], M. R... a cessé ses fonctions de gérant le 11 septembre 2013, date à laquelle M. Y... lui a succédé en cette qualité, aucune pièce du débat ne venant établir une fin antérieure de ce mandat social alléguée comme remontant au 24 juillet 2013.

La SELARL [...] soutient la qualité de gérant de fait de M. R... caractérisée selon elle notamment par la disposition de moyens de paiement de la société et par sa présentation en qualité de co-gérant devant les journalistes couvrant un incendie survenu dans les locaux de l'entreprise en octobre 2014.

Il n'est pas discuté que M. R... a bénéficié jusqu'à la liquidation judiciaire d'un contrat de travail de conducteur de travaux avec un maintien, dans un premier temps, des rémunérations égales à celles qu'il connaissait en qualité de dirigeant de droit.

Il ressort des pièces du débat et des éléments de comparaison fournis par les parties concernant sa signature que M. R... a :

- signé plusieurs chèques sur le compte Caisse d'épargne de l'entreprise en juin, août et septembre 2014 pour des montants respectifs de 928,90'€, 1'185,09'€ et 1'244,80'€ et antérieurement au regard des numéros de chèques pour 1'892,74'€ et 9'678,15'€, tous ces chèques ayant été au bénéfice de sa fille I... qui n'était pas une associée,

- signé la commande du 16 décembre 2013 au nom de la société [...] d'un véhicule utilitaire Mercedes d'une valeur de 105'000'€ HT avec reprise d'un précédent véhicule,

- obtenu une rémunération plus de deux fois supérieure à celle prévue initialement dans son contrat de travail à compter de novembre 2014 jusqu'à la liquidation judiciaire et alors que l'entreprise ne disposait d'aucune trésorerie,

- été considéré par deux salariés de l'entreprise, MM. X... et L... comme «dirigeant personnellement l'entreprise pendant les années 2013 et 2014 et début 2015» et comme «étant présent dans l'entreprise durant les années 2013-2014 et début 2015» et comme étant «seul avec ses filles» en possession des télécommandes du portail et que les clés de l'entreprise lui ont été rendues le 25 février 2015 date du licenciement des salariés,

- été décrit par un autre salarié, M. W... comme étant jusqu'en 2015 celui qui «[donnait] le travail [qu'il] devait faire le lendemain».

Cette capacité maintenue d'engager la société, cette direction effective et indépendante par l'intermédiaire des instructions directes données aux salariés, confirmées par un contrôle capitalistique par l'intermédiaire de ses filles et par un article de presse l'ayant qualifié de dirigeant, manifestent clairement la qualité de dirigeant de fait de M. R....

M. Y... ne conteste pas sa qualité de gérant de droit mais affirme n'avoir disposé que d'un pouvoir de direction qu'il dit illusoire, M. R... étant qualifié de seul maître à bord.

Le liquidateur judiciaire intimé fait valoir à bon droit que le fait qu'une partie de la gérance ait été assurée par M. R... ne permet pas au dirigeant de droit de se soustraire à ses obligations. De nombreuses pièces notamment produites par M. R... confirment d'ailleurs que M. Y... a effectivement exercé son pouvoir de direction, particulièrement lorsque la déclaration de cessation des paiements du 12 février 2015 a été faite par lui-même et qu'il a comparu devant le tribunal de commerce pour la soutenir.

Sur le montant de l'insuffisance d'actif

L'insuffisance d'actif est déterminée au jour où le juge statue par la déduction de l'actif réalisé du passif déclaré antérieur à l'ouverture de la procédure collective.

Le passif déclaré et admis à hauteur de 1'021'462,30'€ n'est pas discuté.

La SELARL [...] soutient que l'insuffisance d'actif de la société [...] ne peut être inférieure à la somme de 992'335,69'€ sans déduction des créances dites non définitives et de la valeur d'une pelleteuse mise à disposition dans le cadre d'un crédit-bail et retrouvée postérieurement à l'ouverture de la procédure collective.

Il souligne que M. Y... a précisé au moment de la déclaration de cessation des paiements que les créances impayées s'élevaient à 1'200'€ et qu'un montant total de 24'907,81'€ a été recouvré.

M. R... fixe le montant maximal de cette insuffisance d'actif à 318'555'€ sous déduction de la valeur de la pelleteuse récupérée, de celle de la pelleteuse dérobée alors qu'elle se trouvait sous la responsabilité du commissaire-priseur, des travaux en cours non facturés et payés et du montant qu'il a été dans l'obligation de supporter en sa qualité de caution. Il ajoute que les conséquences préjudiciables de l'incendie criminel jugé notamment le 7 mars 2016 doivent être déduites comme évalué par M. Y... et s'élevant à 449'320'€.

S'appuyant sur les investigations qu'il a demandées à M. M..., expert comptable, M. Y... désapprouve le montant retenu par le tribunal de commerce, en mettant en avant l'absence d'indication fournie par le liquidateur judiciaire sur le sort des créances clients de 288'467'€ et l'absence de prise en compte des travaux en cours.

Tout d'abord la valeur de la pelleteuse de 14 tonnes récupérée postérieurement à l'ouverture de la liquidation judiciaire ne peut être déduite de l'insuffisance d'actif à hauteur de 150'600,14'€, car ce matériel a été récupéré par son crédit-bailleur ce qu'il a confirmé dans son courriel du 28 novembre 2018 en indiquant que sa valeur de revente n'est pas venue diminuer le montant de l'indemnité de résiliation déclarée au passif de la société [...].

L'autre pelleteuse non retrouvée et dérobée postérieurement à la décision de liquidation judiciaire et à l'inventaire du commissaire-priseur, ne peut voir sa valeur nominale inscrite à nouveau à l'actif social en l'état de ce qu'elle était mise à disposition dans le cadre d'un crédit-bail et du fait de l'absence même d'allégation de l'existence d'une assurance en couvrant le risque de vol bénéficiant au crédit-preneur.

Concernant les travaux en cours, MM. Y... et R... procèdent par allégation sans offre de preuve concernant l'encours de facturation au moment du prononcé de la liquidation judiciaire et ne visent aucune pièce ni aucun élément alors porté à la connaissance du liquidateur judiciaire.

Les réponses faites par M. Y... au questionnaire du liquidateur judiciaire, outre qu'elles limitaient le montant des créances à recouvrer à 1'200'€, n'ont pas informé ce mandataire de l'existence de chantiers en cours de facturation, le gérant ayant noté que les facturations avaient été émises.

L'analyse du grand livre de l'exercice clos au 31 décembre 2014 ne permet pas plus d'identifier autre chose que des créances clients dites douteuses pour 32'352,56'€.

Concernant les conséquences de l'incendie, les indemnités d'assurance versées ne permettent pas d'opérer une quelconque déduction sur le montant de l'insuffisance d'actif.

S'agissant enfin des créances dites non définitives d'un montant de 68'849,80'€, l'état des créances du 9 avril 2019 fourni par le liquidateur judiciaire ne fait état que de rejets de créances pour un total de 21'582,38'€, déjà déduits du passif déclaré, cette somme de 68'849,80'€ ne pouvant en être retirée en l'état de son admission prononcée par le juge-commissaire.

Le paiement fait par M. R... au titre d'un engagement de caution à hauteur de 23'431,15'€ au bénéfice du Crédit agricole n'a pas à être déduit du passif vérifié, mais uniquement noté comme diminuant les droits de ce créancier dans les répartitions passées ou à venir.

L'insuffisance d'actif doit dès lors être fixée à'992'335,69'€ après déduction du passif déclaré de l'actif recouvré de 29'126,61'€.

Sur les fautes de gestion articulées contre les gérants de droit et de fait

Il appartient à la SELARL [...] de rapporter la preuve des agissements ou des négligences fautifs qu'elle impute aux dirigeants poursuivis.

Sur la poursuite abusive d'une activité déficitaire

La seule constatation d'exercices déficitaires étant insuffisante à caractériser une faute de gestion et une poursuite abusive d'activité, la SELARL [...] doit démontrer la carence fautive des dirigeants à prendre les décisions nécessaires pour restructurer l'activité ou le cas échéant, pour obtenir plus précocement la protection du tribunal de commerce.

Comme le relève M. Y..., la date de cessation des paiements fixée par le jugement de liquidation judiciaire au 17 février 2015, et non le 12 février 2015 comme il l'indique par erreur, n'a pas été ensuite modifiée à la demande du liquidateur judiciaire.

Il ressort des chiffres avancés par le liquidateur judiciaire que la société [...] a connu en 2011 et 2012 des exercices faiblement déficitaires, puis un résultat bénéficiaire en 2013 de 16'223'€ au regard d'un résultat d'exploitation de 123'744'€.

Sur l'exercice 2014 d'une durée de 15 mois et allant du 1er octobre 2013 au 31 décembre 2014, ont été notés la perte des capitaux propres de -456'266'€, avec un résultat d'exploitation de 14'829'€ expliquant un résultat net de 472'521'€.

La propre courbe d'évolution de la trésorerie dite fin de mois pour cet exercice, établie par M. M... et citée par le liquidateur judiciaire en page 23 de ses écritures, révèle sa fluctuation avec uniquement deux mois en positif et une tendance nette de trésorerie négative se dégageant dès l'automne 2014.

La situation s'est avérée objectivement obérée au cours de l'été 2014, moment où des éléments d'actifs sont cédés pour récupérer une trésorerie et particulièrement en septembre 2014 au moment de l'incendie de trois camions subi par l'entreprise et malgré le versement d'indemnités d'assurance pour plus de 60'000'€.

La poursuite de l'activité s'explique par la propension de M. R... à bénéficier alors d'un salaire largement majoré à compter de novembre 2014 et à tenter de récupérer le montant de son compte courant.

Cette poursuite abusive dans l'intérêt des deux dirigeants, au regard de ce qui est relevé plus bas, est caractérisée à compter de l'automne 2014.

Sur la dissimulation d'une partie des actifs

La SELARL [...] fait état d'une prisée effectuée par le commissaire-priseur à hauteur de 220'€ au jour de l'ouverture de la procédure collective et de matériels permettant l'activité limités à une pelleteuse de 18 tonnes en crédit-bail et deux véhicules, estimés largement insuffisants pour assumer une activité de chantier en gros oeuvre.

La discussion concernant les biens mis à disposition par le biais de crédits-baux est ici inopérante, car ils n'entraient pas dans l'actif de l'entreprise et les déclarations de créance faites par leurs bailleurs n'en sont pas impactées.

S'agissant de la pelleteuse de 18 tonnes, son crédit-bailleur, la BNP Paribas lease, a déclaré une créance au titre de l'indemnité de résiliation à hauteur de 128'314,58'€ HT sur un total de 130'6428,50'€ HT, rendant vains les débats sur la responsabilité des dirigeants ou du commissaire-priseur sur les circonstances de son vol, qui ne sont pas établies et pour lesquelles le liquidateur judiciaire a estimé à juste titre qu'il n'était pas nécessaire d'attendre le résultat des investigations en cours.

Le liquidateur judiciaire allègue des détournements d'actifs sur la base du témoignage d'un salarié, dans un courriel émis par M. K... le 29 mars 2015, faisant état de transfert de nombreux matériels de l'entreprise, tels des camions et des engins lourds de travaux, à une nouvelle activité dite dirigée par Mme P... R... associée de la société [...].

M. R... produit une décision récemment rendue par la cour d'appel de Lyon l'ayant opposé à M. K... révélatrice d'un conflit manifeste entre ces personnes et ne permettant pas d'accréditer sans autre élément extérieur ces accusations de dissipation de l'actif de la société [...] au profit d'un membre de sa famille.

La comparaison entre l'état des immobilisations au 30 septembre 2013 et celui au jour de la liquidation judiciaire objective l'absence au 25 février 2015 de matériels d'une valeur résiduelle en 2013 de 20'623,29'€, mais les comptes de l'exercice 2014 révèlent des cessions de matériels inscrites en comptabilité pour 77'574,37'€ (extrait du grand livre de l'exercice clos au 31 décembre 2014) concernant notamment ceux notés dans l'état 2013, tels la pelle Liebherr et le «tracto JCB» cédés à la valeur supérieure à celle de leur amortissement.

En revanche, aucun élément de la comptabilité remise au liquidateur judiciaire n'a établi que cette somme de 77'574,37'€ a été effectivement portée au crédit de la société [...], M. Y... se bornant à affirmer que différents versements enregistrés sur les comptes de la société en janvier et février 2015 «pourraient correspondre à ces cessions de matériels».

Surtout les deux dirigeants ne tentent pas d'expliquer comment l'entreprise a été à même de continuer son activité sur les premières semaines de l'année 2015 sans disposer des matériels dont la comptabilité note la réalisation les 30 novembre et 31 décembre 2014 ou de donner les raisons pour lesquelles ils n'ont pas tenté de bénéficier d'une procédure collective.

L'absence totale de trésorerie à l'automne 2014 suffit à expliquer la résiliation du bail commercial, raison d'ailleurs invoquée dans le courrier du 10 octobre 2014 et mettait fin de fait à l'activité au 31 décembre 2014. Cette situation était connue par M. R... dirigeant de la SCI bailleresse et pour son implication directe dans la gestion de la société [...].

Cette absence totale et non expliquée de tels matériels et de locaux depuis la fin de l'année 2014 privant l'entreprise de toute capacité d'exploitation établit la faute de gestion que le liquidateur judiciaire oppose aux appelants, en ce qu'ils n'ont pas tiré immédiatement les conséquences d'une décision de cessation d'activité.

Sur les détournements et prélèvements imputés aux dirigeants

La SELARL [...] considère que les dirigeants sont fautifs en ce qu'ils ont privé l'entreprise de toute trésorerie et leur reproche également':

- d'avoir détourné la trésorerie au profit personnel de M. Y...,

- d'avoir fait fonctionner irrégulièrement leurs comptes courants d'associés,

- de s'être accordés et payés une rémunération excessive ou d'avoir fait prendre en charge des dépenses personnelles.

M. Y... ne conteste d'abord pas qu'il a fait financer l'acquisition des 35 % de parts de la société [...] par l'intermédiaire d'emprunts souscrits par cette société, et se borne à alléguer de manière inopérante qu'ils ont été «relativement neutres» sur la trésorerie du fait qu'ils se substituaient à d'autres prêts et que ses salaires étaient laissés sur son compte courant pour les couvrir.

Ces prêts auprès du Crédit agricole d'un montant total de 75'000'€, contractés pour une dette personnelle d'un associé, sont venus grever le passif et leur objet n'était manifestement pas conforme à l'intérêt social. Le propre technicien désigné par M. Y..., M. M... révèle dans ses investigations que ces prêts contractés en octobre 2013 et janvier 2014 ont eu un impact négatif sur la trésorerie d'environ 12'000'€ et que leur solde était de 62'951,96'€ au 31 décembre 2014.

Les remboursements dits opérés à la fin de l'année 2014 et au début de l'année 2015 n'ont pas pour effet de priver ces opérations irrégulières de leur caractère fautif.

Concernant son compte courant d'associé, M. Y... ne discute pas qu'il était négatif de 46'146,63'€ au 31 décembre 2014, moment où l'entreprise cessait de fait toute activité, et tente d'expliquer ce débit par l'opération irrégulière portant sur la prise en charge par la société des prêts finançant son entrée dans le capital, qui viennent d'être examinés dans leurs conséquences.

Il n'explique pas le retrait de 1'400'€ qu'il a effectué en octobre 2014, tout en soutenant avoir renoncé à toute rémunération pour couvrir ces prêts.

Ces fautes ont conduit à priver de plus fort la société de la trésorerie nécessaire à son activité comme également la prise en charge, établie par les pièces 23 et 30 de M. R..., des sommes au titre de livraisons à hauteur de 1'910,34'€ de mazout et pour 2'851'€ de vins.

Le propre compte courant d'associé de M. R... était créditeur de 21'480'€ en septembre 2013 mais est dit par le liquidateur judiciaire comme ayant été utilisé «comme s'il s'agissait de son compte bancaire personnel» par l'imputation de dépenses personnelles ou de prélèvements non conformes à l'intérêt social.

M. R... reconnaît s'être fait rembourser son compte courant par l'imputation en toute connaissance de cause de dépenses personnelles et ne peut s'abriter derrière une appréciation pour le moins étonnante qui qualifie de «bizarre» ce procédé de remboursement d'une dette sociale.

Cet usage qualifié à juste titre de frauduleux par la SELARL [...] a conduit à priver la société de la trésorerie nécessaire au cours de l'année 2014, uniquement et faiblement positive en avril et septembre 2014, le solde de ce compte courant étant au 31 décembre 2014 de 680,57'€, trésorerie insusceptible de permettre le remboursement de ce compte courant.

Cette attitude fautive est à rapprocher de l'obtention de salaires mensuels de 4'458'€ en novembre 2014, de 4'454'€ en décembre 2014 et de 4'272,55'€ en janvier 2015 bien supérieur à son salaire prévu en juillet 2013 de 2'049,21'€, que l'entreprise n'était plus susceptible de supporter surtout au début de l'année 2015 sans locaux ni matériels d'exploitation.

M. R... ne tente pas d'expliquer les chèques sur le compte Caisse d'épargne de l'entreprise qu'il a signés en juin, août et septembre 2014 pour des montants respectifs de 928,90'€, 1'185,09'€ et 1'244,80'€ et antérieurement pour 1'892,74'€ et 9'678,15'€, soit au total 14'929,68'€ payés à sa fille I... qui n'était pas une associée de la société.

Concernant la rémunération servie à M. Y..., versée en grande partie sur son compte courant, pour n'avoir pas été autorisée en assemblée générale, irrégularité qui est indifférente dans le débat sur la contribution à l'insuffisance d'actif, le liquidateur judiciaire n'a pas indiqué que son montant nominal était excessif.

En revanche, son maintien à l'automne 2014, au moment où la trésorerie faisait gravement défaut et où les capitaux propres étaient négatifs, manifeste une autre faute de gestion de ce dirigeant.

Sur la contribution de ces fautes à l'insuffisance d'actif

Toutes les fautes ci-dessus retenues sont issues d'un comportement volontaire et insusceptibles de correspondre à la simple négligence prévue par la fin de l'alinéa 1er de l'article L.'651-2 du code de commerce.

Il résulte des éléments qui viennent d'être relevés que les agissements des deux dirigeants ont directement contribué à l'insuffisance d'actif :

- l'absence de décision de gestion consécutive à une activité s'étant terminée à la fin du mois de décembre 2014 et irrémédiablement compromise dès l'automne 2014 imputable aux deux dirigeants,

- le prélèvement d'une rémunération par M. Y... à compter de septembre 2014 et celle perçue par M. R..., et majorée, à compter de novembre 2014,

- l'utilisation des fonds sociaux par M. Y... pour financer l'acquisition de ses parts de la société,

- la cession des matériels essentiels à l'activité dont le prix n'a pas bénéficié à la société,

- le remboursement frauduleux du compte courant de M. R...,

- les chèques émis en faveur de la fille de M. R....

S'agissant de la poursuite abusive de l'activité, l'examen de l'état des créances révèle que les créances suivantes ont été générées ou demeurées chroniquement impayées depuis le mois de septembre 2014 :

- 85'218,12'€ à l'égard de l'URSSAF,

- 106 630,58'€ à l'égard des fournisseurs et bailleurs,

l'absence de production des déclarations de créance ne permettant pas de repérer l'ancienneté des autres dettes de l'entreprise.

La participation conjointe des deux dirigeants à l'utilisation irrégulière du compte courant de M. R... ou par la perception de salaires ou de rémunérations a contribué à l'insuffisance d'actif à hauteur des montants suivants :

-13'184,55'€ au titre des salaires perçus par M. R... entre novembre 2014 et janvier 2015,

- 9'526,68'€ au titre des rémunérations perçues par M. Y... entre septembre 2014 et janvier 2015 calculé sur la base annuelle de 22'860,04'€,

- l'absence de passage au crédit des comptes de la société [...] de la somme de 77'574,37'€ au titre de la réalisation du matériel d'exploitation,

- le remboursement frauduleux du compte courant de M. R... pour 20'799,43'€ (21'480 - 680,57).

De son côté, M. Y... doit supporter le solde déclaré des deux prêts contractés par la société pour financer l'acquisition de ses parts soit 62'951,96'€ comme les commandes de vins et de fuel.

M. R... n'a pas tenté de justifier les motifs des chèques versés à sa fille au cours de l'année 2014 pour un total de 14'929,68'€.

Les deux appelants doivent en conséquence être condamnés solidairement à supporter l'insuffisance d'actif à hauteur de 312'663,73'€, M. Y... étant condamné seul à supporter en sus la somme totale de 67'713,30'€ et M. R... à supporter seul en sus la somme de 14'929,68'€.

La solidarité prononcée résulte de la participation commune des deux dirigeants aux fautes ou négligences fautives ayant contribué à l'insuffisance d'actif.

Sur la faillite personnelle

En application de l'article L.'653-4 du code de commerce, une faillite personnelle peut être prononcée à l'encontre de tout dirigeant, de droit ou de fait, d'une personne morale, contre lequel a été relevé l'un des faits suivants :

1° Avoir disposé des biens de la personne morale comme des siens propres ;

2° Sous le couvert de la personne morale masquant ses agissements, avoir fait des actes de commerce dans un intérêt personnel ;

3° Avoir fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement';

4° Avoir poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale ;

5° Avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale.

La SELARL [...] reproche à MM. R... et Y... :

- d'avoir poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la société [...],

- d'avoir fait des biens ou du crédit de la société [...] un usage contraire à l'intérêt de celle-ci pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé,

- d'avoir détourné une partie de l'actif de la société [...] et augmenté son passif.

Tout d'abord s'agissant de la poursuite abusive d'une exploitation déficitaire, il ressort des motifs pris plus haut que les deux dirigeants ont délibérément poursuivi une activité déficitaire et dans leur intérêt personnel.

Cet intérêt personnel de M. R... est caractérisé par la perception d'un salaire majoré, y compris au mois de janvier 2015 où aucune activité ne demeurait possible sans matériels d'exploitation et par l'obtention d'un remboursement de son compte courant en période de trésorerie exsangue.

Concernant M. Y..., cet intérêt personnel ressort du maintien d'une rémunération et du maintien frauduleux d'un compte courant débiteur qu'il a tenté de rembourser uniquement au début de l'année 2015 alors que la situation de l'entreprise était irrémédiablement compromise.

Ensuite, s'agissant du détournement ou de la dissimulation de tout ou partie de l'actif ou de l'augmentation frauduleuse du passif de la société [...], il résulte de la motivation des fautes de gestion ayant conduit à une insuffisance d'actif que les deux dirigeants ont disposé des biens de la société à des fins personnelles, par l'intermédiaire de l'utilisation frauduleuse notamment de leurs comptes courants et n'ont pas veillé à l'inscription en comptabilité du produit de la cession des matériels de l'entreprise.

Enfin, les deux dirigeants contestent avoir fait des biens ou du crédit de la société [...] un usage contraire à l'intérêt de celle-ci dans le but de favoriser une autre entreprise.

La SELARL [...] procède par allégations sans offre de preuve concernant le bénéficiaire des matériels cédés, l'implication de M. R... ou d'un membre de sa famille dans la création de sociétés n'ayant d'ailleurs pas une activité de travaux publics étant insusceptible d'établir sa mauvaise foi par présomption.

Aucun élément concret n'accrédite en outre les suppositions de ce liquidateur judiciaire concernant le vol d'une des pelleteuses de l'entreprise.

Les fautes personnelles retenues contre MM. Y... et R... et leur propension à disposer comme il leur semblait des biens de l'entreprise dans leur intérêt personnel à un moment où elle périclitait doit motiver le prononcé d'une sanction de faillite personnelle d'une durée de dix années.

Cette durée est proportionnée à la gravité de leur comportement qui doit conduire à les écarter durablement de l'activité de gestion d'une entreprise.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile

Les appelants succombent en leur appel et doivent en supporter solidairement les dépens, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, comme indemniser le liquidateur judiciaire intimé des frais qu'il a engagés devant la cour.

Les dépens de première instance doivent demeurer à la charge du Trésor public.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement et par arrêt contradictoire,

Annule le jugement entrepris,

Dit que les dépens de première instance demeurent à la charge du Trésor public,

et statuant sur le litige,

Déclare recevable mais rejette la demande de sursis à statuer formée par M. N... Y...,

Dit que M. S... R... était dirigeant de fait de la S.A.R.L. [...] ,

Condamne solidairement MM. N... Y... et S... R... à verser à la SELARL [...], liquidateur judiciaire de la S.A.R.L. [...] , à titre de contribution à son insuffisance d'actif la somme de 312'663,73'€,

Condamne M. N... Y... à verser en sus à la SELARL [...], liquidateur judiciaire de la S.A.R.L. [...] , à titre de sa contribution personnelle à l'insuffisance d'actif la somme de 67'713,30'€,

Condamne M. S... R... à verser en sus à la SELARL [...], liquidateur judiciaire de la S.A.R.L. [...] , à titre de sa contribution personnelle à l'insuffisance d'actif la somme de 14'929,68'€,

Prononce une mesure de faillite personnelle d'une durée de dix années à l'encontre de :

- M. S... R... né le [...] à Montbrison (42)

- M. N... Y... né le [...] à Saint-Just-Saint-Rambert (42)

Rappelle que cette faillite personnelle emporte interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute entreprise ayant toute autre activité indépendante et toute personne morale,

Condamne solidairement MM. N... Y... et S... R... à verser à la la SELARL [...], liquidateur judiciaire de la S.A.R.L. [...] , une indemnité de 5'000'€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne solidairement MM. N... Y... et S... R... aux dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : 3ème chambre a
Numéro d'arrêt : 19/00773
Date de la décision : 16/01/2020
Sens de l'arrêt : Annulation

Références :

Cour d'appel de Lyon 3A, arrêt n°19/00773 : Annule la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-01-16;19.00773 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award