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18/12/2019 | FRANCE | N°17/06031

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale a, 18 décembre 2019, 17/06031


AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE







N° RG 17/06031 - N° Portalis DBVX-V-B7B-LGPD





Société CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE RHONE ALPES



C/

[D]







APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON

du 20 Juillet 2017

RG : F15/01613





COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE A



ARRÊT DU 18 DECEMBRE 2019





APPELANTE :



Société CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE R

HONE ALPES

[Adresse 1]'

[Localité 3]/FRANCE



Me Jean-jacques FOURNIER de la SCP FROMONT BRIENS, avocat au barreau de LYON







INTIMÉE :



[Y] [D]

chez Maître Ingrid GERAY [Adresse 5]

[Adresse 5]

[Localité 2]



Me Ingri...

AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE

N° RG 17/06031 - N° Portalis DBVX-V-B7B-LGPD

Société CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE RHONE ALPES

C/

[D]

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON

du 20 Juillet 2017

RG : F15/01613

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE A

ARRÊT DU 18 DECEMBRE 2019

APPELANTE :

Société CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE RHONE ALPES

[Adresse 1]'

[Localité 3]/FRANCE

Me Jean-jacques FOURNIER de la SCP FROMONT BRIENS, avocat au barreau de LYON

INTIMÉE :

[Y] [D]

chez Maître Ingrid GERAY [Adresse 5]

[Adresse 5]

[Localité 2]

Me Ingrid GERAY, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE, Me Nathalie ROSE, avocat au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 15 Octobre 2019

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Joëlle DOAT, Présidente

Evelyne ALLAIS, Conseiller

Nathalie ROCCI, Conseiller

Assistés pendant les débats de Manon FADHLAOUI, Greffier.

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 18 Décembre 2019, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Joëlle DOAT, Présidente, et par Manon FADHLAOUI, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*************

Suivant contrat de travail à durée indéterminée signé le 16 juillet 2008, à effet du 9 septembre 2008, la CAISSE D'EPARGNE RHONE ALPES a engagé Madame [Y] [D] en qualité de responsable de clientèle particuliers à la classification TM 4.

Le 3 septembre 2010, la société CAISSE D'EPARGNE RHONE ALPES a confié à Madame [D] une mission 'changement de métier' à compter du 21 septembre 2010 jusqu'au 20 novembre 2010 sur un poste de directeur adjoint d'agence II, au sein de l'agence de DECINES et cette nomination a été confirmée à compter du 21 novembre 2010.

Le 19 août 2011, la société CAISSE D'EPARGNE RHONE ALPES a confié à Madame [D] une mission changement de métier à compter du 20 septembre 2011 jusqu'aux 18 février 2012 sur un poste de directeur d'agence I (CM6), au sein de l'agence [Localité 7] 2 et cette nomination a été confirmée à compter du 1er février 2012.

Le 28 février 2013, la société CAISSE D'EPARGNE RHONE ALPES a confié à Madame [D] une mission changement de métier à compter du 12 mars 2013 jusqu'au 30 septembre 2013 sur l'emploi de directeur d'agence II (CM7) au sein de l'agence [Localité 4] à [Localité 6], cette mission ayant été prolongée jusqu'au 31 décembre 2013, puis jusqu'au 30 juin 2014.

Le 14 février 2014, la société CAISSE D'EPARGNE RHONE ALPES a annoncé à Madame [D] qu'elle était informée de faits la concernant de nature à nuire à ses intérêts et à perturber son fonctionnement et qu'elle était contrainte d'envisager à son encontre une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement. Elle l'a convoquée à un entretien fixé au 25 février 2014.

Le 26 février 2014 Madame [D] a déposé une déclaration d'accident du travail et a été placée en arrêt de travail.

Conformément à l'article 2 de l'accord du 12 juillet 2013, Madame [D] a saisi le conseil de discipline national, le 6 mars 2014.

Lors de la réunion du 8 avril 2014, le conseil de discipline national a rendu les avis suivants :

- délégation salariale : avis défavorable à la demande de licenciement

- délégation employeur : la mesure de licenciement envisagée est justifiée.

Le 30 avril 2014, la société CAISSE D'EPARGNE RHONE ALPES a prononcé le licenciement de Madame [Y] [D] pour faute grave.

Par requête en date du 23 avril 2015, Madame [Y] [D] a saisi le conseil de prud'hommes de Lyon aux fins de voir condamner la société CAISSE D'EPARGNE RHONE ALPES à lui verser diverses sommes à titre d'indemnités et de dommages-intérêts consécutifs à un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et de dommages et intérêts pour harcèlement moral.

Par jugement en date du 20 juillet 2017, le conseil de prud'hommes a :

' condamné la CAISSE D'EPARGNE RHONE ALPES à payer à Madame [D] la somme de 28.000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral

' dit que le licenciement de Madame [D] est nul

' condamné la CAISSE D'EPARGNE RHONE ALPES à payer à Madame [D] les sommes suivantes :

7.170,82 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 797,08 euro au titre des congés payés afférents

3.214,16 euros à titre d'indemnité de licenciement

22.000 eurosà titre de dommages-intérêts pour licenciement nul

' débouté Madame [D] du surplus de ses demandes

' rappelé les règles relatives à l'exécution provisoire de plein droit des condamnations, précisant que la moyenne brute des salaires des trois derniers mois était fixés à la somme de 2.878,35 euros

' ordonné, en application des dispositions de l'article L 1235-4 du code du travail, le remboursement par la CAISSE D'EPARGNE RHONE ALPES aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées à Madame [D] du jour de son licenciement au jour du prononcé du jugement, dans la limite de trois mois d'indemnités de chômage

' débouté la CAISSE D'EPARGNE RHONE ALPES de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile

' condamné la CAISSE D'EPARGNE RHONE ALPES à payer à Madame [D] la somme de 1.600 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

' débouté la CAISSE D'EPARGNE RHONE ALPES de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile

' condamné la CAISSE D'EPARGNE RHONE ALPES aux dépens de l'instance.

La société CAISSE D'EPARGNE RHONE ALPES a interjeté appel de ce jugement, le 17 août 2017.

Dans ses dernières conclusions notifiées le 10 septembre 2019, la société CAISSE D'EPARGNE RHONE ALPES demande à la cour :

à titre principal,

' d'infirmer le jugement

' de débouter Madame [D] de l'ensemble de ses demandes

' de condamner Madame [D] à lui payer la somme de 3.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens

à titre subsidiaire,

' de fixer le montant des dommages-intérêts au minimum légal

' de débouter Madame [D] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions notifiées le 10 septembre 2019, Madame [Y] [D] demande à la cour :

' de débouter la société CAISSE D'EPARGNE RHONE ALPES de son appel principal

' de confirmer le jugement, sauf sur le montant des dommages-intérêts qui lui ont été alloués pour licenciement nul

' faisant appel incident sur ce point, de condamner la société lui verser la somme de 35.000 euros nets à titre de dommages-intérêts

' à titre subsidiaire et infiniment subsidiaire, de dire, d'une part que son licenciement repose sur des fait prescrits et n'a pas été prononcé dans un délai restreint, d'autre part que la faute grave n'est pas caractérisée

en tout état de cause,

' de condamner la société CAISSE D'EPARGNE RHONE ALPES à lui payer la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens, les dépens d'appel étant distraits au profit de Maître GERAY, avocat, sur son affirmation de droit.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions visées ci-dessus.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 septembre 2019.

SUR CE :

Sur le harcèlement moral

En vertu de l'article L1152-1ancien du code du travail, 'aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel'.

L'article L1154-1 dispose que 'lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L1152-1 à L1152-3 et L1153-1 à L1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles'.

En vertu de ce dernier texte, il pèse sur le salarié l'obligation de rapporter la preuve d'éléments précis et concordants ; ce n'est qu'à cette condition que le prétendu auteur du harcèlement doit s'expliquer sur les faits qui lui sont reprochés.

La société CAISSE D'EPARGNE RHONE ALPES fait valoir au soutien de son appel que Madame [D] ne produit aux débats aucun élément laissant supposer l'existence d'agissements de harcèlement moral de la part du directeur de région, Monsieur [J].

À l'appui de sa demande, Madame [D], qui fait état d'une dégradation importante de ses conditions de travail à compter de mars 2013, date à laquelle elle a été affectée dans une agence plus importante, sous la direction régionale de Monsieur [G] [J], invoque les éléments suivants :

' une tentative de déstabilisation et de nombreuses accusations portées à son encontre de manière totalement injustifiée en mai et en juin 2013

' une surcharge de travail liée à la situation de sous-effectif de l'agence dont elle assurait la direction

' une pression exercée sur elle par Monsieur [J] en vue d'obtenir toujours de meilleurs résultats commerciaux

' un arrêt maladie pour la période du 6 août au 4 septembre 2013, en raison d'un 'burn out' diagnostiqué

' l'absence de prise en compte d'une préconisation de changement de région formulée par le médecin du travail

' la dégradation de son état de santé, puisqu'elle a été victime d'un malaise sur son lieu de travail le 26 février 2014 pris en charge au titre de la législation relative aux risques professionnels.

Les deux premiers griefs ne sont étayés par aucun document.

L'échange de courriel entre M. [J] et Mme [E], daté du 15 octobre 2013, où l'on voit M. [J] utiliser à deux reprises des lettres majuscules de couleur rouge ne saurait à lui seul établir la réalité de pressions exercées par M. [J] sur Mme [D].

Il apparaît au contraire que M. [J] a envoyé à Mme [D] en juin 2013 et janvier 2014 des courriels de félicitations.

Les pièces relatives aux méthodes de 'benmark' utilisées par la société CAISSE D'EPARGNE RHONE ALPES, à savoir un arrêt de la cour d'appel de LYON du 21 février 2014 dans un litige opposant la CAISSE D'EPARGNE RHONE ALPES aux syndicats au sujet d'une situation collective antérieure à l'année 2011 et un article de presse commentant cet arrêt, ne concernent pas Mme [D] personnellement.

Le motif médical mentionné sur l'arrêt de travail du 6 août 2013 au 4 septembre 2013 est 'réaction à situation éprouvante' et ne constitue pas en lui-même la preuve de ce que Mme [D] a été victime d'un épuisement professionnel.

Lors de la visite de reprise du 12 septembre 2013, le médecin du travail a émis un avis d'aptitude en précisant 'à suivre, à revoir dans un mois'.

La fiche de visite du 15 novembre 2013 conclut que Mme [D] est apte au poste de directrice d'agence, et mentionne que la salariée demande un changement de région pour risque santé, en tenant compte de la distance et du temps de trajet.

Ainsi, au vu de ces avis, aucune urgence n'apparaît caractérisée, de sorte qu'il ne peut être reproché à la société CAISSE D'EPARGNE RHONE ALPES de n'avoir pas pris en compte les difficultés de Mme [D] et de n'avoir pas pris de mesure.

Il y a lieu de relever que l'arrêt de travail du 26 février 2014 est survenu le lendemain de l'entretien diciplinaire du 25 février 2014 et que, compte-tenu de ces circonstances, le courriel adressé le 8 décembre 2014 par le psychologue de Mme [D] au médecin traitant, décrivant une problématique professionnelle (harcèlement moral + burn out) et personnelle (épuisement psychique, crises d'angoisse, anxiété et absence de confiance en soi) ne permet pas d'imputer à la société CAISSE D'EPARGNE RHONE ALPES la responsabilité de l'état de santé de Mme [D].

En conséquence, les éléments produits par Mme [D] n'établissent pas la matérialité de faits dont elle aurait été victime de la part de son employeur, lesquels, pris dans leur ensemble, laisseraient présumer l'existence d'un harcèlement moral commis par ce dernier.

Dans ces conditions, c'est à tort que le conseil de prud'hommes a retenu que la hiérarchie de Mme [D] s'était comportée comme si de rien n'était alors que le management aurait dû être adapté pour tenir compte des problèmes de la salariée et que cette dernière avait subi un management inadapté.

La demande de dommages et intérêts formée par Mme [D] en réparation du harcèlement moral allégué sera rejetée et le jugement qui l'a accueillie sera infirmé.

Sur le licenciement

Le conseil de prud'hommes a dit qu'il importait peu que les faits reprochés à la salariée soient avérés ou non, qu'ils relèvent d'une faute ou d'une insuffisance professionnelle puisqu'ils étaient la conséquence de l'inaction de l'employeur devant un événement qu'il avait l'obligation de prévenir, qu'il ne pouvait donc reprocher à la salariée des fautes découlant de sa propre négligence coupable, que la salariée avait été licenciée alors qu'elle était en arrêt pour accident du travail et qu'elle était victime d'un harcèlement moral, et qu'en conséquence, le licenciement était nul.

Or, il a été dit ci-dessus que le harcèlement moral n'était pas démontré.

La demande en nullité du licenciement pour un tel motif sera rejetée.

Aux termes de la lettre de licenciement, la société CAISSE D'EPARGNE RHONE ALPES reproche à Mme [D] les faits suivants :

- la violation des règles prudentielles élémentaires en matière de lutte anti-blanchiment (dossiers [A], SARL YBERA, [L], ECLIP'S, KESLASSY)

- la violation des directives internes aux réserves d'encaissement de chèques (clients [A], SARL YBERA, ECLIP'S)

- la violation des règles internes relatives à l'octroi de découvert et au conflit d'intérêt

- la violation des règles relatives à l'octroi de crédit, à la conservation et à l'archivage des dossiers.

Mme [D] soutient qu'il lui est ainsi reproché d'avoir fait preuve de carences, de n'avoir pas su mettre en oeuvre correctement les règles internes de la société CAISSE D'EPARGNE RHONE ALPES, d'avoir fait preuve de légèreté s'agissant de la gestion du portefeuille clients qui lui a été confié et de ne pas avoir su appliquer les règles internes prudentielles applicables à la CAISSE D'EPARGNE RHONE ALPES, que ce sont donc des carences constitutives d'incompétence qui lui sont reprochées, des erreurs de gestion des risques, un manque de rigueur et des négligences constitutives d'une insuffisance professionnelle.

La délégation salariale du conseil de discipline national a estimé que les faits reprochés ne relevaient pas d'un licenciement mais d'une insuffisance professionnelle.

Or, comme le fait justement remarquer la société CAISSE D'EPARGNE RHONE ALPES, il résulte de la lettre de licenciement que l'employeur s'est clairement placé sur le terrain disciplinaire en reprochant à Mme [D] d'avoir contrevenu aux dispositions du règlement intérieur de l'entreprise, aux notes de directives et aux procédures mises en place répondant à ses impératifs de sécurisation de l'activité de l'entreprise et de ses collaborateurs.

Mme [D], qui était directrice d'agence bancaire depuis le 20 septembre 2011 après avoir exercé la fonction de directrice adjointe à compter du 21 septembre 2010, la société CAISSE D'EPARGNE RHONE ALPES produisant la liste des formations suivies par elle depuis 2010 (20 formations au total d'une durée d'une heure pour la majorité d'entre elles, deux heures, sept heures, dix heures ou quatorze heures) ne peut prétendre avoir ignoré les règles et directives de la société et avoir agi par ignorance, négligence, manque de rigueur ou incompétence.

Le non-respect de ces règles, directives et procédures, dont il appartient à la société CAISSE D'EPARGNE RHONE ALPES de démontrer l'existence, est bien de nature à caractériser un manquement fautif et non pas une insuffisance professionnelle.

Par ailleurs, les faits reprochés à Mme [D] ne sont pas prescrits, contrairement à ce qu'elle soutient, dans la mesure où ils n'ont pu être appréhendés dans leur matérialité et leur ampleur qu'à la date de remise de l'enquête réalisée par la société, le 16 janvier 2014, la procédure de licenciement ayant été engagée le 14 février 2014, et le licenciement ayant ensuite été prononcé dans un bref délai , soit 22 jours après l'avis du conseil de discipline national.

premier et second grief

La société CAISSE D'EPARGNE RHONE ALPES montre que Mme [D] a procédé à des encaissements de chèques sans respecter la réserve d'encaissement de dix jours pour les chèques des particuliers d'une valeur supérieure à 1.500 euros:

- pour le compte de M. [A]: 6.300 euros le 17 juillet 2013, 15.000 euros le 14 septembre 2013, 30.000 euros le 4 octobre 2013 et, en ce qui concerne un chèque de 20.000 euros déposé le 11 octobre 2013 par M. [A], Mme [D] est revenue de ses congés pour annuler le 15 octobre 2013 la réserve d'encaissement mise en place par son adjointe

- pour le compte de M. [H] : 6.000 euros, le 2 juillet 2013, 6.000 euros le 13 juillet 2013, 10.000 euros et 12.000 euros le 31 juillet 2013, 5.000 euros le 8 août 2013 et 3.000 euros le 2 octobre 2013

- pour le compte de la société ECLIP'S : 65.000 euros le 6 juillet 2013, alors que son gérant , M. [L], avait fait l'objet d'une alerte du SLAB (service de lutte anti-blanchiment) le 27 juin 2013, le risque de l'absence d'une réserve d'encaissement s'étant réalisé puisque ledit chèque de 65.000 euros a été rejeté.

Mme [D] explique qu'elle a dérogé à la réserve d'encaissement mise en place par son adjointe en ce qui concerne le dépôt du chèque de 20.000 euros par M. [A], car elle avait obtenu de la banque émettrice du chèque un 'avis de sort', à savoir un document interne entre deux banques qui certifie que le chèque sera bien payé, de sorte que ce n'est qu'une fois la garantie de solvabilité obtenue qu'elle a levé la réserve d'encaissement et réalisé le virement, qu'elle justifie également de 'l'avis de sort' obtenu de la banque émettrice du chèque de 15.000 euros du 14 septembre 2013.

Elle fait valoir que, bien qu'ayant reçu une alerte du service de lutte anti-blanchiment depuis le 28 juin 2013, il ne lui appartenait pas en sa qualité de directrice d'agence de résilier les relations commerciales avec M. [A], le compte étant autorisé à fonctionner normalement.

En ce qui concerne M. [H], elle affirme qu'elle n'a levé les réserves d'encaissement que sur justification d'un avis de sort systématique, ce client étant titulaire de revenus importants (plus de 12.000 euros nets par mois) et percevant des avances sur commissions et une rémunération sous la forme de 'montants ronds'.

Or, comme le fait observer la société CAISSE D'EPARGNE RHONE ALPES, 'l'avis de sort' du 11 octobre 2013 (date à laquelle Mme [D] était en congés) relatif à un chèque n°8964701 (dont le montant n'est pas précisé) , qui émanerait de la BNP PARIBAS de Lyon Guillotière, figure sur un papier à en-tête de la CAISSE D'EPARGNE, si bien que l'authenticité de ce document est douteuse.

En ce qui concerne le chèque de 15.000 euros émis par M. [S] au profit de M. [A] , Mme [D] produit un courriel de Mme [C], de la banque BNP PARIBAS, dont on ignore la fonction en l'absence de toute signature professionnelle, qui lui confirme le 14 septembre 2013 que ce chèque 'sera bien provisionné', de sorte que Mme [D] ne peut soutenir qu'elle s'était assurée de ce que la provision figurait bien au compte à la date à laquelle le chèque a été débité.

Mme [D] justifie simplement en définitive de ce que les deux chèques d'un montant de 6.300 euros et de 30.000 euros étaient des chèques de banque dont le paiement était dès lors garanti.

Mais pour le surplus des chèques encaissés sans réserve d'encaissement, elle n'apporte aucune justification.

Mme [D] avait reçu une alerte anti-blanchiment concernant la société ECLIP'S en date du 27 juin 2013 et un courriel du 6 juillet 2013 émanant du directeur de région, M. [J], expliquant qu'il ne fallait rien valider sans s'assurer du bien-fondé des opérations et de l'origine des fonds.

Mme [D] ayant également été destinataire de deux alertes anti-blanchiment en date du 27 juin 2013 relatives à M. [A] et à la société YBERA, il lui appartenait, comme elle l'indique elle-même, de 'gérer le suivi du risque avec la plus grande attention' à compter de cette date, ce qu'elle n'a pas fait.

Il ressort enfin de l'enquête interne de CAISSE D'EPARGNE RHONE ALPES qu'il existait des liens entre la société YBERA gérée par M. [A] et la société ECLIP'S gérée par M. [L], plusieurs virements ayant été effectués du compte de la société YBERA vers le compte de la société ECLIP'S (20.000 euros le 12 mars 2013, 15.000 euros le 14 mai 2013, 30.000 euros le 28 mai 2013, 30.000 euros le 21 juin 2013) qui ne pouvaient échapper à la directrice d'une agence bancaire.

Les griefs de violations multiples des dispositions relatives à la réserve d'encaissement et de non-respect des règles prudentielles en matière de lutte contre le blanchiment sont en conséquence caractérisés.

troisième grief

La société CAISSE D'EPARGNE RHONE ALPES reproche à Mme [D] d'avoir accordé à Mme [F] des découverts au-delà du délai de 90 jours autorisé, sans rapport avec ses capacités financières (2.600 euros le 13 mars 2013, 3.500 euros le 12 juin 2013, 3.500 euros le 8 septembre 2013, 3.200 eurs le 1er décembre 2013), de sorte que le compte de Mme [F] a fonctionné en débit constant pendant plus de 90 jours, ainsi que des remises de frais non causées pour un montant de 222,69 euros.

Mme [D] indique qu'à la demande de Mme [F] qui connaissait des difficultés financières, elle lui a accordé des autorisations exceptionnelles de découvert pour une durée déterminée de 90 jours et qu'à ce jour, cette dame a régularisé la situation.

Elle ajoute que le directeur d'agence bénéficie d'un pouvoir de décision s'agissant de la remise de frais bancaires, dans la limite de 350 euros, et qu'elle a ainsi agi dans la limite de sa délégation.

Cependant, Mme [D] n'a pas respecté la directive du 30 août 2011 sur l'octroi de découverts négociés limitant à trois mois le remboursement de ces découverts et ne démontre pas quels frais ont fait l'objet de la remise accordée.

La société CAISSE D'EPARGNE RHONE ALPES justifie en outre de ce que Mme [D] avait des liens d'amitié avec la famille de Mme [F], qu'elle avait en effet effectué un virement personnel au profit de l'une des filles de Mme [F] le 28 novembre 2013 et qu'en raison d'un conflit potentiel d'intérêt, elle n'aurait pas dû accorder de découvert à cette cliente.

Le grief est dès lors établi.

quatrième grief

La société CAISSE D'EPARGNE RHONE ALPES expose que le dossier du prêt de 15.000 euros accordé le 17 mai 2013 à Mme [I], salariée de la société DATEC gérée par Mme [L], mère du gérant de la société ECLIP'S, n'a pas été retrouvé, si bien qu'elle est dans l'impossibilité de vérifier que cette dame a bien signé le contrat, d'autant plus qu'à la date de l'émission de l'offre, le 17 mai 2013, des opérations ont été passées sur sa carte bancaire en Irlande et qu'aucune déclaration de perte ou de vol de sa carte bancaire n'a été enregistrée, ce qui signifie qu'elle ne se trouvait pas en France à la date de signature dudit contrat.

Elle fait également observer que, la somme de 15.000 euros ayant été versée sur le compte de Mme [I] le 24 mai 2013, une somme de 13.000 euros a été virée dès le lendemain sur le compte de M. [L].

Mme [D] explique que le dossier n'a pu être retrouvé, mais que Mme [I] était bien présente lors de la souscription de ce crédit à la consommation.

Or, l'attestation de M. [V], 'en charge d'un portefeuille de clients particuliers entre le 2 mai et le 6 juillet 2013 à l'agence de [Localité 4], en intérim de M. [B] directeur adjoint d'agence', selon laquelle il a reçu avec Mme [D] une cliente nommée [M] [I] qui a contracté un prêt de 15.000 euros, ne saurait valoir preuve de la signature par Mme [I] du contrat de prêt litigieux.

En cas de litige, la preuve de la souscription par Mme [I] de ce contrat ne pouvait être rapportée.

Le grief tenant au non-respect des règles relatives à l'octroi de crédit, à l'établissement d'un dossier et à son archivage est établi.

C'est à juste titre que la société CAISSE D'EPARGNE RHONE ALPES conclut dans la lettre de licenciement qu'en sa qualité de directeur d'agence, Mme [D] ne pouvait ignorer qu'en agissant ainsi, elle portait gravement atteinte aux intérêts de son employeur et qu'en mettant en place au bénéfice de ses clients des usages contraires aux procédures de l'entreprise, elle aggravait le risque d'incivilités pour ses collègues respectueux des directives et des consignes de l'entreprise et manquait à son devoir d'exemplarité vis à vis de ses collaborateurs.

Les griefs imputés à Mme [D] étant établis, de même que leur gravité, c'est à juste titre que la société CAISSE D'EPARGNE RHONE ALPES a prononcé le licenciement de Mme [D] pour faute grave.

Il convient d'infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société CAISSE D'EPARGNE RHONE ALPES à payer à Mme [D] des indemnités et des dommages et intérêts consécutifs à son licenciement.

Le jugement sera également infirmé en ses dispositions relatives aux dépens et à l'indemnité de procédure.

Mme [D], partie perdante, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et sera par voie de conséquence déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

Il n'y a pas lieu de mettre à sa charge les frais irrépétibles de première instance et d'appel supportés par la société CAISSE D'EPARGNE RHONE ALPES.

PAR CES MOTIFS:

Statuant publiquement par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement :

INFIRME le jugement

STATUANT à nouveau,

REJETTE la demande en dommages et intérêts fondée sur le harcèlement moral

REJETTE la demande en nullité du licenciement

DIT que le licenciement pour faute grave est justifié

REJETTE les demandes en paiement consécutives au licenciement formées par Mme [Y] [D]

CONDAMNE Mme [Y] [D] aux dépens de première instance et d'appel

REJETTE la demande de la société CAISSE D'EPARGNE RHONE ALPES fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

Le Greffier La Présidente

Manon FADHLAOUIJoëlle DOAT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale a
Numéro d'arrêt : 17/06031
Date de la décision : 18/12/2019

Références :

Cour d'appel de Lyon SA, arrêt n°17/06031 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-12-18;17.06031 ?
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