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05/12/2019 | FRANCE | N°17/08865

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale c, 05 décembre 2019, 17/08865


AFFAIRE PRUD'HOMALE



DOUBLE RAPPORTEUR











N° RG 17/08865 - N° Portalis DBVX-V-B7B-LNHT



[K]



C/

SAS SOUCHON BOISSONS SERVICES





APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de saint Etienne

du 28 Novembre 2017

RG : F16/00346







COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE C



ARRET DU 05 Décembre 2019





APPELANTE :



[M] [K]

née le [Date nais

sance 1] 1956 à [Localité 1]

[Adresse 1]

[Adresse 1]



représentée par Me Stéphane TEYSSIER de la SELARL STEPHANE TEYSSIER AVOCAT, avocat au barreau de LYON



INTIMEE :



SAS SOUCHON BOISSONS SERVICES

[Adresse 2]

[Adresse 2]



représentée par ...

AFFAIRE PRUD'HOMALE

DOUBLE RAPPORTEUR

N° RG 17/08865 - N° Portalis DBVX-V-B7B-LNHT

[K]

C/

SAS SOUCHON BOISSONS SERVICES

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de saint Etienne

du 28 Novembre 2017

RG : F16/00346

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE C

ARRET DU 05 Décembre 2019

APPELANTE :

[M] [K]

née le [Date naissance 1] 1956 à [Localité 1]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Stéphane TEYSSIER de la SELARL STEPHANE TEYSSIER AVOCAT, avocat au barreau de LYON

INTIMEE :

SAS SOUCHON BOISSONS SERVICES

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me Laurent LIGIER de la SCP ELISABETH LIGIER DE MAUROY & LAURENT LIGIER AVOUÉS ASSOCIÉS, avocat au barreau de LYON

Ayant pour avocat plaidant Me Nelly COUPAT, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE

DEBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 26 Septembre 2019

Présidée par Laurence BERTHIER, conseiller et Bénédicte LECHARNY, conseiller, magistrats rapporteurs (sans opposition des parties dûment avisées) qui en ont rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistés pendant les débats de Elsa SANCHEZ, greffier

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

- Elizabeth POLLE-SENANEUCH, président

- Laurence BERTHIER, conseiller

- Bénédicte LECHARNY, conseiller

ARRET : CONTRADICTOIRE

rendu publiquement le 05 Décembre 2019 par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Elizabeth POLLE-SENANEUCH, président, et par Elsa SANCHEZ, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

****

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Mme [M] [K] a été embauchée en contrat à durée déterminée à temps plein en date du 23 novembre 1987 par la SAS SOUCHON BOISSONS SERVICES en qualité de secrétaire.

La relation de travail s'est poursuivie selon contrat à durée indéterminée à compter du 1er avril 1988.

Le contrat est soumis à la convention collective nationale des distributeurs conseils hors domicile.

Au dernier état de sa collaboration, MADAME [K] percevait un salaire brut moyen de 1990,89 euros.

Madame [K] souffre depuis 2009 d'un syndrome anxiodépressif et a été placée en arrêt de travail de droit commun du 9 février 2009 au 5 juillet 2010, date à laquelle, elle a bénéficié d'un mi-temps thérapeutique jusqu'au 1er avril 2011.

Elle a dénoncé en août 2013 l'attitude grossière d'un responsable de bureau, qui s'est avéré être Mme [P], embauchée depuis 1997 au sein de la société et promue responsable des secrétaires commerciales en 2007.

Mme [K] a été à nouveau placée en arrêt de travail à compter du 3 janvier 2014 et a dénoncé à nouveau, selon courrier du 29 octobre 2014, ses mauvaises relations avec Mme [P], se plaignant également de ses conditions de travail ( horaires, tâches).

A l'issue de deux visites médicales qui se sont tenues les 17 septembre et 1er octobre 2015, le médecin du travail a déclaré Mme [K] inapte à son poste dans les termes suivants:

« inapte totalement et définitivement à son poste de travail. Salariée en invalidité 1ère catégorie depuis le 1/08/2015. Je ne peux préconiser de reclassement ou d'aménagement du poste de travail en adéquation avec l'état de santé constaté à ce jour ».

Le 9 octobre 2015, le médecin du travail interrogé par l'employeur lui a indiqué :

«Je confirme que l'état de santé de cette salariée ne permet pas, ce jour, de vous suggérer un reclassement ou un aménagement de poste dans votre établissement situé à [Localité 2] Si votre entreprise se déploie sur un autre site géographique il est alors possible de faire une proposition éventuelle sur un poste d'employée administrative à mi- temps, si vous disposez d'un poste vacant ou à créer. ».

Par courrier en date du 13 octobre 2015, la société SOUCHON BOISSONS SERVICES a adressé un courrier à la salariée pour lui notifier l'impossibilité de la reclasser, en précisant: 'Malgré cet avis catégorique, en tenant compte de ces éléments, nous avons recherché au sein de la société et de la holding, toutes les possibilités de reclassement qui pouvaient vous être offertes qui soient à la fois compatibles avec vos aptitudes physiques et vos capacités professionnelles, en envisageant, le cas échéant, un aménagement de poste.

Il est malheureusement ressorti de cette étude que compte tenu des préconisations du médecin du travail, il nous est impossible de vous proposer un reclassement.'

L'employeur a convoqué la salariée à un entretien préalable à un licenciement fixé le 27 octobre.

Par courrier du même jour, la société SOUCHON BOISSONS SERVICES a convoqué une réunion extraordinaire du Comité d'Entreprise fixée le 28 octobre 2015 , Madame [K] étant en effet salariée protégée en tant qu'ancienne élue au Comité d'Entreprise.

La société SOUCHON BOISSONS SERVICES a demandé le 2 novembre 2015 l'autorisation de licencier Madame [K] à l'inspection du travail, laquelle, par décision du 9 novembre 2015, a rejeté la demande en raison de la fin de la protection au moment de la réception du courrier.

Par lettre en date du 13 novembre 2015, la société SOUCHON BOISSONS SERVICES a notifié à Mme [K] son licenciement pour inaptitude avec impossibilité alléguée de reclassement.

Mme [K] a saisi le conseil des prud'hommes de SAINT ETIENNE aux fins de voir déclarer le licenciement nul ou à tout le moins sans cause réelle et sérieuse et condamner l'employeur au paiement de dommages et intérêts.

Pat jugement du 28 novembre 2017, le conseil des prud'hommes a débouté Mme [K] de ses demandes.

Madame [K] a régulièrement interjeté appel de ce jugement et, selon conclusions régulièrement notifiées, demande à la Cour de :

REFORMER les chefs du jugement du conseil de Prud'hommes ayant débouté Madame [K] de ses demandes :

de dommages et intérêts pour licenciement nul

de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

de dommages et intérêts pour harcèlement moral

d'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents

de dommages et intérêts pour violation statut protecteur

de dommages et intérêts pour non respect obligation de formation et d'adaptation

de dommages et intérêts pour absence de toute évolution professionnelle durant près de 30 ans

de dommages et intérêts pour manquement obligation de sécurité résultat

de sa demande d'article 700 du code de procédure civile,

STATUER A NOUVEAU sur ces chefs du jugement,

DIRE ET JUGER que l'employeur a violé le statut protecteur de la salariée en attendant la fin de la période de protection pour saisir l'inspection du travail.

DIRE ET JUGER que la salariée fournit des faits laissant présumer qu'elle a subi des faits de harcèlement moral de la part de sa supérieure pour lesquels il n'est pas apporté aucune justification objective.

DIRE ET JUGER que l'employeur a manqué à son obligation de reclassement

DIRE ET JUGER nul et subsidiairement sans cause réelle et sérieuse le licenciement pour inaptitude.

DIRE ET JUGER que l'employeur a manqué à son obligation de formation et d'adaptation de l'emploi.

DIRE ET JUGER que l'employeur a exécuté de manière fautive le contrat de travail en privant Madame [K] de toute évolution professionnelle.

CONDAMNER la société SOUCHON BOISSONS SERVICES à verser à Madame [K] les sommes suivantes :

outre intérêts de droit à compter de la demande en justice

-54 884 euros de dommages et intérêts pour licenciement nul ou à tout le moins sans cause réelle et sérieuse

- 5 157 euros bruts d'indemnité compensatrice de préavis

- 515 euros au titre des congés payés afférents

-15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation du statut protecteur.

-15 000 euros nets de dommages et intérêts pour harcèlement moral

-20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour absence de toute évolution de carrière durant près de 30 ans.

-20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquements à l'obligation de formation et d'adaptation.

-5 000 euros nets de dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat s'agissant de la santé au travail

ORDONNER la capitalisation des intérêts sur les sommes dues en vertu de l'article 1154 du code civil

CONDAMNER la société SOUCHON BOISSONS SERVICES à remettre à Madame [K] son attestation POLE EMPLOI rectifiée dans un délai de 15 jours passé la notification du jugement et passé ce délai sous astreinte de 150 euros par jour de retard

SE RESERVER le contentieux de la liquidation de l'astreinte

CONDAMNER la société SOUCHON BOISSONS SERVICES à payer à Madame [K] une indemnité de 2500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile qui sera payée en frais privilégiés de procédure

CONDAMNER la société SOUCHON BOISSONS SERVICES aux dépens

FIXER le salaire de référence à 1990,89 euros bruts.

Le société SOUCHON BOISSONS SERVICES, selon conclusions régulièrement notifiées, demande à la Cour de confirmer la décision déférée et de débouter Mme [K] de l'ensemble de ses demandes, de la condamner, à titre reconventionnel, au paiement de la somme de 3000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 25 juin 2019.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé, pour un plus ample exposé des moyens des parties, aux conclusions qu'elles ont régulièrement notifiées.

MOTIVATION.

Sur le licenciement.

Mme [K] soutient que le licenciement est nul dès lors que celui-ci est intervenu en violation de son statut protecteur.

Elle reproche en effet à l'employeur, alors que la période de protection expirait le 31 octobre 2015 à minuit, d'avoir volontairement attendu le 2 novembre 2015 pour saisir l'inspection du travail, étant alors sûr que cette dernière se déclarerait incompétente.

Elle demande la condamnation de l'employeur au paiement de la somme de 15 000 € à titre de dommages et intérêts de ce chef.

L'employeur rétorque que la seconde visite médicale étant intervenue 1er octobre 2015 , il a fait diligence pour convoquer la salariée ainsi que les membres du CE, organiser la tenue de la réunion et solliciter l'autorisation de l'inspection du travail, de sorte qu'il n'est pas à l'origine du prononcé de l'inaptitude à quelques jours de la fin de la période de protection, tout étant en effet conditionné par la fin de l'arrêt de travail et les visites médicales de reprise.

En l'espèce, il apparaît que alors que l'inaptitude de la salariée n'a été connue de l'employeur que le 1er octobre 2015, date de l'avis du médecin du travail, il ne peut lui être reproché d'avoir adressé à l'inspection du travail la demande d'autorisation du licenciement le 29 octobre 2015, soit à quelques jours de la fin de la période de protection et ce alors que dans l'intervalle, il a également convoqué une réunion extraordinaire des membres du CE, a convoqué la salariée à entretien préalable et a interrogé le médecin du travail sur les possibilités de reclassement.

Le licenciement n'est donc pas intervenu en violation du statut protecteur puisque l'employeur a bien sollicité l'autorisation de l'inspection du travail pendant la période de protection et qu'il ne connaissait pas la cause du licenciement avant le 1er octobre 2015.

Mme [K] sera donc déboutée de ses demandes de ce chef, par confirmation de la décision déférée.

Mme [K] soutient ensuite la nullité du licenciement pour harcèlement moral au travail et manquement à l'obligation de sécurité de résultat s'agissant de sa santé.

L'employeur estime que le dossier de Mme [K] est vide sur ces différents points.

L'article L. 1152-1 du code du travail , dans sa version applicable au présent litige dispose:

« Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel » ;

L'article L. 1154-1 suivant, dans sa version applicable au litige, fixe ainsi qu'il suit les règles de preuve en matière de harcèlement:

'Lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit les faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles'.

Selon l'article L 4121-1 du code du travail, l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailluers, notamment pat la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

Mme [K] soutient que le syndrome anxio-dépressif dont elle souffre depuis 2009 trouve son origine dans les multiples changements organisationnels et hiérachiques qu'elle a subis en lien avec l'affectation au poste de responsable du service facturation de Mme [P] et à la restructuration en cours de la société qui a accru son chiffre d'affaires ainsi que son résultat tout en diminuant ses effectifs.

Elle soutient ainsi qu'elle a vu ses horaires constamment changer, ne pouvant plus faire du co-voiturage et a été personnellement agressée, dénigrée par sa supérieure, l'objectif étant de la faire craquer. Elle soutient par ailleurs que dès 2013, l'employeur connaissait cette situation mais va alors la changer de poste pour l'affecter au standard téléphonique, poste où elle était très exposée, que le 2 janvier 2014, elle a été victime d'un malaise sur le lieu de travail .

Mme [K] produit aux débats de nombreux comptes rendus de visites médicales effectuées par la médecine du travail faisant état :

* le 26 novembre 2009 : 'poste de secrétariat mais de multiples changements organisationnels et hiérachiques rendent la sécu au travail très douloureuse. Fort risque d'inaptitude à redouter...',

* le 2 juillet et le 15 juillet 2010 : 'nombreux changements d'horaires, changement de chef, plus de co-voiturage possible...se sentait assez agressée personnellement mais cela ne touche pas qu'elle. Nombreux pleurs, a eu de nombreux postes et se sent très humiliée. Le syndrome dépressif est bien présent lié au travail.'

* le 31 mars 2011:

'Maladie $gt; 21 jours a repris le 7 juillet mi temps thérapeutique le mercredi et jeudi de 8h à 17H cela a fait beaucoup d'un coup ... du 15/07/2010

Maladie $gt; 21 jours va tenter de reprendre son travail mercredi, se voit contrainte de reprendre par la CPAM son travail , toujours suivie par le psy , a de nouveau des soucis familiaux avec son père de 85 ans qui a fait un IDM Va avoir un MTT , ne va travailler que 2 journées par semaine, mercredi et jeudi , de 8H30 à 17H30 Va s'occuper des manifestations et le jeudi accueil du 02/07/2010

Maladie $gt; 21 jour arrêt de travail depuis le mois de février 2009, nombreux décès successifs dont celui de sa maman et de sa soeur (cancer du duodénum)

et surtout problèmes au travail car fatigue, énervement, sa collègue de travail a été nommée chef de bureau et cela passe assez mal.

Nombreux changements d'horaires, changement de chef, plus de co-voiturage possible... se sentait assez agressée personnellement mais cela ne touche pas qu'elle

Nombreux pleurs, a eu de nombreux postes et se sent très humiliée; le syndrome dépressif est bien présent lié au travail',

Il est cependant clair à la lecture de ces comptes-rendus de visites que le médecin du travail ne fait que rapporter les propos de Mme [K] et son vécu au regard du travail mais également en relation avec des évènements familiaux douloureux.

Le 19 août 2013 puis le 29 octobre 2014, Mme [K] a adressé à son employeur des courriers aux fins de dénoncer les propos désobligeants et attitude grossière de Mme [P] envers tout le personnel ( bureau mais aussi chauffeurs). Elle rapporte ainsi dans le dernier courrier que Mme [P] lui a dit ' ferme ta gueule', lorsqu'elle a refusé un travail supplémentaire que celle-ci lui demandait d'exécuter.

Force est cependant de relever que Mme [K] ne produit aucun élément rapportant des faits répétés qui pris dans leur ensemble permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral de la part de Mme [P], la seule démonstration d'une tendance de cette dernière à tenir des propos grossiers envers l'ensemble du bureau n'étant pas suffisante pour établir le harcèlement moral allégué à l'encontre de la salariée. Il n'est par ailleurs pas démontrée par un quelconque élément extérieur que les propos de Mme [P] auraient eu des conséquences sur la santé de Mme [K] ( syndrome anxio-dépressif, paralysie faciale ) ni que Mme [P] aurait bousculé cette dernière le 2 janvier 2014 .

Concernant le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, il résulte des éléments versés aux débats par ce dernier sur lequel pèse la charge de la preuve du respect de cette obligation, a le 5 septembre 2013, rappelé à l'ordre Mme [P] sur la nécessité d'entretenir des relations polies voire même cordiales avec l'ensemble des salariés et ce alors qu'il lui avait été rapporté par deux fois par des personnes différentes de ce qu'elle avait parfois un langage irrespectueux, choquant ses collègues de travail.

Mme [K] évoque dans son courrier du 29 octobre 2014 le malaise qu'elle a fait suite à une énième réflexion désobligeante de Mme [P] mais également le fait que celle-ci l'a bousculée le 2 janvier 2014, ce qui a entraîné une paralysie faciale suivie de malaises, toutefois, l'employeur dans sa réponse du 6 novembre 2014 évoque, sans être contredit, le fait que les relations entre ces deux personnes ont cessé d'être sereines pour des raisons de mésentente personnelle, alors que voisines, elles se fréquentaient en dehors du travail.

En tout état de cause, les allégations de Mme [K] ne caractérisent pas un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, alors que la réponse faite par ce dernier démontre au contraire que, informé de la situation de Mme [K], il lui a proposé de la rencontrer pour trouver la solution la plus bénéfique pour elle et l'entreprise, de même les attestations [B], [Y], [G], [N], démontrent que l'employeur était soucieux du bien-être de ses salariés et qu'il n'existait pas de climat de pressions ou de harcèlement.

Sur les changements organisationnels, il n'est par ailleurs pas démontré par Mme [K], en dehors de ce qu'elle affirme dans son courrier du 29 octobre 2014, que son affectation au standard lui aurait été imposée, alors que d'une part l'attestation [B] démontre qu'elle a demandé à changer de poste et a été à sa demande transférée à un poste à l'accueil, que d'autre part, la production des plannings de mars à décembre 2013 signés par elle, démontre son acceptation des horaires de travail.

L'employeur produit également aux débats les photographies prises à l'occasion d'un repas d'entreprise du 14 septembre 2013, dont il n'est pas contredit par l'appelante qu'elle en a été une des principales organisatrices et qu'elle y a participé avec plaisir.

Enfin, il est démontré par l'employeur que Monsieur [P] n'a pas été embauché sur le poste de Mme [K].

Il s'en déduit, ainsi qu'en ont décidé les premiers juges que le licenciement ne saurait être déclaré nul à raison de faits de harcèlement moral ni sans cause réelle et sérieuse pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.

Mme [K] soutient enfin que le licenciement doit être dit sans cause réelle et sérieuse pour manquement de l'employeur à son obligation de reclassement.

Elle soutient en effet que les avis d'inaptitude rendus par le médecin du travail les 17 septembre et 1er octobre 2015 ne mentionnent aucune date d'étude de poste et qu'en outre, l'employeur ne s'est laissé pour effectuer les recherches de reclassement qu'un seul jour ouvré entre le 9 octobre 2015, date alléguée à laquelle il a reçu l'avis du médecin du travail et le 13 octobre 2015, date d'envoi informant la salariée de l'impossibilité de reclassement, ce qui démontre que les recherches de reclassement n'ont été ni sérieuses ni effectives.

L'employeur rétorque que :

* ce n'est que depuis le 1er janvier 2017 que le médecin du travail ne peut rendre un avis d'inaptitude sans avoir procédé à une étude de poste,

* selon l'avis du médecin du travail, seul un poste à mi-temps sur un autre site géographique pouvait être proposé, or, le site de [Localité 2] est le seul et unique site sur lequel se déploie la société SOUCHON BOISSONS SERVICES.

En application des dispositions de l'article L 1226-2 du code du travail, il appartient à l'employeur, après que le salarié a été déclaré inapte à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, de proposer à ce dernier un autre emploi approprié à ses capacités, en prenant en compte les conclusions du médecin du travail et les indications formulées, et en proposant un emploi aussi comparable que possible à celui précédemment occupé, au besoin par la mise en 'uvre de mesures telles que mutations, transformations de postes de travail ou aménagements du temps de travail.

Les recherches aux fins de reclassement doivent être sérieuses, loyales et personnalisées, et s'effectuer au sein de l'entreprise mais aussi du groupe auquel elle appartient parmi les entreprises entre lesquelles une permutation en tout ou partie du personnel est possible.

En l'espèce, Mme [K] ne peut reprocher à l'employeur l'absence d'étude de poste en amont de l'avis d'inaptitude, alors que la disposition à laquelle elle se réfère issue de la loi du 8 août 2016, n'est applicable que depuis le 1er janvier 2017.

En tout état de cause, l'employeur a bien interrogé le médecin du travail, conformément à la législation du travail, sur le reclassement et l'adaptation du poste, au regard de l'avis d'inaptitude.

Ensuite, il apparaît que Mme [K] démontre, sans être contredite, qu'au moment de son licenciement, la société SOUCHON BOISSONS SERVICES se déployait outre sur le site de [Localité 2], sur celui de la [Localité 3] et de [Localité 4], ainsi que le démontre la production d'un Kbis à jour au 30 juin 2016, de sorte qu'à l'époque du licenciement,

il existait bien des sites extérieurs à celui de [Localité 2], consacrée à la même activité et sur lesquels Mme [K] aurait pu être reclassée, ce qui aurait pu permettre un reclassement tel que préconisé dans l'avis d'inaptitude.

Du reste l'employeur qui aujourd'hui affirme que seul le site de [Localité 2] était ouvert, indiquait dans son courrier du 13 octobre 2015, c'est-à-dire adressé à Mme [K] de manière très rapide après l'avis d'inaptitude, qu'il était impossible de la reclasser au regard des préconisations du médecin du travail, sans toutefois détailler les possibilités notamment géographiques pouvant s'offrir et ne produit aujourd'hui que le registre du personnel du site de [Localité 2].

Il convient au surplus de souligner que l'employeur qui affirmait dans son courrier du 13 octobre 2015 avoir recherché au sein de la société et de la holding, toutes les possibilités de reclassement qui pouvaient être offertes à la salariée et qui soient à la fois compatibles avec ses aptitudes physiques et ses capacités professionnelles, en envisageant, le cas échéant, un aménagement de poste, n'apporte pas la preuve des recherches effectives qu'il dit avoir effectuées.

Il convient dès lors de retenir que, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, le licenciement pour inaptitude intervenu sans recherche sérieuse de reclassement se trouve dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Il convient dès lors de statuer sur la demande de dommages et intérêts formulée par Mme [K] de ce chef , laquelle ne demande pas sa réintégration, en lui allouant la somme de 47 760 euros à titre de dommages et intérêts, et ce au regard de la rupture intervenue après 25 années d'ancienneté au sein de la société SOUCHON BOISSONS SERVICES, qui compte plus de 11 salariés, et alors qu'elle était âgée de 59 ans.

Il convient par ailleurs d'allouer à Mme [K] la somme de 5157 € au titre de l'indemnité de préavis outre 515 € au titre des congés payés afférents.

Sur la demande de dommages et intérêts pour manquements de l'employeur à son obligation de formation , d'adaptation et d'évolution professionnelle.

Mme [K] demande des dommages et intérêts à hauteur de 20 000 € tant en raison du manquement de l'employeur à son obligation de formation et d'adaptation qu'en raison de l'absence de toute évolution de carrière pendant plus de 25 ans.

Il convient de rappeler que la formation professionnelle continue a pour objet de favoriser l'insertion et la réinsertion professionnelle des travailleurs, leur permettre leur maintien dans l'emploi, de favoriser le développement de leurs compétences et l'accès aux différents niveaux de la qualification professionnelle, de contribuer au développement économique et culturel, à la sécurisation des parcours professionnels et à leur promotion sociale.

Il appartient à l'employeur de démontrer les offres de formation et d'adaptation faites à Mme [K] tout au long de sa carrière, une obligation supplémentaire existant en outre au cas d'espèce telle que prévue dans la convention collective applicable pour les salariés de plus de 55 ans .

Il apparaît qu'en l'espèce, l'employeur qui se borne à soutenir qu'il a toujours fait en sorte d'adapter le poste de la salariée à ses besoins personnels, alors qu'il n'évoque que l'adaptation faite après les arrêts maladie de la salariée, ne justifie pas de formations et d'entretiens ou actions aux fins d'adaptation concernant Mme [K], de sorte qu'il apparaît que cette dernière n'a pas bénéficié de formation professionnelle régulière particulièrement après l'âge de 55 ans et ne s'est pas vue proposer des adaptations de postes.

Il résulte de ce manquement un préjudice qui doit être indemnisé à hauteur de la somme de 8000 € à titre de dommages et intérêts.

Sur la demande de dommages et intérêts pour absence de toute évolution de carrière.

Mme [K] demande la somme de 10 000 € à titre de dommages et intérêts de ce chef en soulignant qu'en plus de 25 ans d'ancienneté, elle est toujours restée au même poste et à la même qualification.

L'employeur soutient que la salariée n'a jamais demandé un autre poste à commencer par bénéficier de son DIF.

Il apparaît toutefois que l'absence de formation professionnelle n'a pas permis à la salariée de pouvoir faire évoluer sa carrière professionnelle, de sorte qu'il en résulte un préjudice qui doit être indemnisé à hauteur de la somme de 2000 € à titre de dommages et intérêts.

Sur le remboursement des indemnités de chômage

En application de l'article 1235-4 du code du travail, il convient d'ordonner d'office le remboursement par l'employeur aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées à la salarié licencié, du jour de son licenciement, dans la limite de trois mois d'indemnisation .

Sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Il serait contraire à l'équité de laisser Mme [K] supporter seule la charge de ses frais irrépétibles.

En revanche la société SOUCHON BOISSONS SERVICES sera déboutée de sa demande de ce chef.

Sur les dépens

La société SOUCHON BOISSONS SERVICES sera justement condamnée aux dépens de la procédure.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et après en avoir délibéré,

CONFIRME la décision déférée en ce qu'elle a déboutée Mme [M] [K] de ses demandes relatives au harcèlement moral et au manquement de l'employeur à son obligation de sécurité,

LA REFORME en ce qu'elle a dit l'obligation de reclassement et celle de formation et d'adaptation remplies par l'employeur ainsi que sur les dépens de première instance,

Statuant à nouveau,

DIT que la société SOUCHON BOISSONS SERVICES n'a pas rempli son obligation de reclassement,

DIT en conséquence le licenciement intervenu sans cause réelle et sérieuse,

CONDAMNE la société SOUCHON BOISSONS SERVICES à payer à Mme [M] [K] les sommes suivantes :

* 5157 € au titre de l'indemnité de préavis,

* 515 € au titre des congés payés afférents,

* 47 760 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

DIT que la société SOUCHON BOISSONS SERVICES n'a pas respecté son obligation de formation et d'adaptation à l'égard de Mme [M] [K],

LA CONDAMNE en conséquence à payer à Mme [M] [K] la somme de 8000 € à titre de dommages et intérêts de ce chef outre celle de 2000 € pour absence d'évolution de carrière,

ORDONNE d'office le remboursement par la société SOUCHON BOISSONS SERVICES aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées à la salarié licencié, du jour de son licenciement, dans la limite de trois mois d'indemnisation,

CONDAMNE la société SOUCHON BOISSONS SERVICES à payer à Mme [M] [K] la somme de 2000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

LA DEBOUTE de sa demande de ce chef,

LA CONDAMNE aux dépens de première instance et d'appel.

La GreffièreLa Présidente

Elsa SANCHEZElizabeth POLLE-SENANEUCH


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale c
Numéro d'arrêt : 17/08865
Date de la décision : 05/12/2019

Références :

Cour d'appel de Lyon SC, arrêt n°17/08865 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-12-05;17.08865 ?
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