La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

25/10/2019 | FRANCE | N°17/05421

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale b, 25 octobre 2019, 17/05421


AFFAIRE PRUD'HOMALE



RAPPORTEUR





N° RG 17/05421 - N° Portalis DBVX-V-B7B-LFAO





[W]



C/

SAS HIQ CONSULTING







APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOURG EN BRESSE

du 11 Juillet 2017

RG : F16/00166



COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE B



ARRÊT DU 25 OCTOBRE 2019







APPELANT :



[R] [W]

né le [Date naissance 1] 1961 à [Localité 1]
>[Adresse 1]

[Adresse 1]



Représenté par Me Philippe NOUVELLET de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON

Ayant pour avocat plaidant Me Nathalie PALIX, avocat au barreau de LYON







INTIMÉE :



SAS HIQ CON...

AFFAIRE PRUD'HOMALE

RAPPORTEUR

N° RG 17/05421 - N° Portalis DBVX-V-B7B-LFAO

[W]

C/

SAS HIQ CONSULTING

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOURG EN BRESSE

du 11 Juillet 2017

RG : F16/00166

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE B

ARRÊT DU 25 OCTOBRE 2019

APPELANT :

[R] [W]

né le [Date naissance 1] 1961 à [Localité 1]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représenté par Me Philippe NOUVELLET de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON

Ayant pour avocat plaidant Me Nathalie PALIX, avocat au barreau de LYON

INTIMÉE :

SAS HIQ CONSULTING

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Xavier BONTOUX de la SELARL FAYAN-ROUX, BONTOUX ET ASSOCIES, avocat au barreau de LYON

Ayant pour avocat plaidant Me NICOLAS GRARE de la SELARL BLB ET ASSOCIÉS AVOCATS, avocat au barreau de PARIS

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 12 Septembre 2019

Présidée par Natacha LAVILLE, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Gaétan PILLIE, Greffier.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

- Olivier GOURSAUD, président

- Natacha LAVILLE, conseiller

- Sophie NOIR, conseiller

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 25 Octobre 2019 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Olivier GOURSAUD, Président et par Gaétan PILLIE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

********************

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

La société HIQ CONSULTING (également dénommée la société AGAP 2 - HIQ CONSULTING) exerce une activité d'ingénierie et de conseil opérationnel dans le domaine de l'énergie. Elle applique la Convention Collective Nationale applicable au Personnel des Bureaux d'Études Techniques, des Cabinets d'Ingénieurs-Conseils et des Sociétés de Conseils, dite 'convention collective SYNTEC'.

Suivant contrat à durée indéterminée, la société HIQ CONSULTING a engagé [R] [W], domicilié à [Localité 2], en qualité d'ingénieur consultant, statut cadre position 3.2. coefficient 210, à compter du 28 septembre 2011 à temps complet moyennant une rémunération annuelle brute de 50 000 € payable en 12 mensualités outre une prime de vacances versée au mois de juin.

Il a été prévu une période d'essai d'une durée de quatre mois renouvelable une fois.

[R] [W] a été placé sous la subordination hiérarchique de [R] [G].

Par courrier du 03 octobre 2011, soit durant la période d'essai, l'employeur a fait savoir à [R] [W] qu'il envisageait de le détacher provisoirement au sein de la société AGAP2 SUISSE et a proposé au salarié un avenant au contrat de travail en ce sens, [R] [W] disposant d'un délai jusqu'au 07 octobre 2011 pour se décider.

Il s'agissait pour l'employeur de confier à [R] [W] une mission à effectuer pour le compte de la société AGAP2 SUISSE (qui est une filiale de la société HIQ CONSULTING) auprès du client CONVERTEAM à [Localité 3].

L'avenant stipulant un détachement au sein de la société AGAP2 SUISSE à [Localité 3] n'a pas été signé par [R] [W].

Nonobstant, le salarié est parti en octobre 2011 à [Localité 3] réaliser ladite mission qui a pris fin en avril 2013.

[R] [W] ayant pris à bail un logement à [Localité 4], la société HIQ CONSULTING a refusé de prendre en charge les frais exposés par [R] [W] à l'occasion de cette mission, hormis les frais de déplacement hors du site, que le salarié lui avait réclamés dès le mois de juin 2012.

Le 12 avril 2013, les parties ont conclu une rupture conventionnelle.

Par courrier du 27 avril 2013, [R] [W] a régulièrement fait usage de son droit de rétractation et a donné sa démission avec un préavis de trois mois.

Le 16 juin 2016, [R] [W] a saisi le conseil de prud'hommes de BOURG-EN-BRESSE pour obtenir le remboursement de ses frais professionnels, le paiement de dommages et intérêts pour harcèlement moral et exécution déloyale du contrat de travail.

Par jugement rendu le 11 juillet 2017, le conseil de prud'hommes de BOURG-EN-BRESSE a:

- dit que l'action en remboursement des frais de déplacement est prescrite,

- dit qu'il n'y a ni harcèlement moral ni exécution déloyale du contrat de travail et débouté [R] [W] de sa demande de ce chef,

- débouté la société HIQ CONSULTING de sa demande sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné [R] [W] aux dépens.

La cour est saisie de l'appel interjeté le 19 Juillet 2017 par [R] [W].

Par ses dernières conclusions régulièrement notifiées, [R] [W] demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et:

- de juger que l'action en remboursement des frais professionnels n'est pas prescrite,

- de condamner la société HIQ CONSULTING à lui payer les sommes suivantes:

* 25 540 € en remboursement des frais professionnels,

* 20 000 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral et exécution déloyale du contrat de travail,

* 2 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ses dernières conclusions régulièrement notifiées, la société HIQ CONSULTING demande à la cour de confirmer le jugement entrepris, de débouter [R] [W] de ses demandes et de le condamner au paiement de la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 26 juin 2019.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.

MOTIFS

1 - sur les frais professionnels

1.1. sur la prescription

La loi n°2013-504 du 14 juin 2013 entrée en vigueur le 17 juin 2013 a réduit de cinq à trois ans le délai de la prescription applicable aux actions en paiement ou en répétition du salaire qui s'exerce à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer conformément à l'article L3245-1 du code du travail.

Il résulte des dispositions transitoires de la loi du 14 juin 2013 que les principes ci-dessus s'appliquent aux prescriptions en cours à compter du 17 juin 2013, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder cinq ans.

La prescription applicable à toute action afférente au salaire s'applique également à une action tendant au paiement de frais professionnels liés à l'exécution d'un travail salarié.

La démission entraîne la rupture automatique et définitive du contrat de travail, lequel se trouve donc rompu au jour où la démission a été donnée.

En l'espèce, la société HIQ CONSULTING fait valoir au soutien de sa fin de non-recevoir que la demande est prescrite en ce que le délai de prescription de 3 ans a commencé à courir le 27 avril 2013, date de la démission de [R] [W] et donc de la rupture du contrat de travail, pour expirer le 27 avril 2016.

[R] [W] demande à la cour de rejeter la fin de non-recevoir en ce que le contrat de travail a été rompu le 28 juillet 2013 à l'issue du préavis de démission et qu'il a saisi le conseil de prud'hommes dans le délai de 3 ans à compter de cette date; l'appelant ajoute que si on retient la date de rupture du contrat de travail au 27 avril 2013 comme point de départ du délai de prescription, le salarié disposait d'un délai de 5 ans pour agir en paiement des frais professionnels soir jusqu'au 26 avril 2018.

La cour dit que le contrat de travail a été rompu le 27 avril 2013, date de la démission de [R] [W].

Le délai de prescription applicable à cette action a donc commencé à courir le 27 avril 2013.

A la date du 17 juin 2013, qui correspond à la promulgation de la loi du 14 juin 2013 réduisant le délai de prescription de 5 à 3 ans, la prescription de l'action de [R] [W] était indiscutablement en cours de sorte que ce délai a expiré le 17 juin 2016.

[R] [W] ayant agi en paiement de frais professionnels le 16 juin 2016 en remboursement de frais professionnels, la prescription de cette action n'était donc pas acquise.

Infirmant le jugement déféré, la cour rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription et déclare [R] [W] recevable en sa demande au titre du remboursement des frais professionnels.

1.2. sur le fond

L'article 50 de la convention collective SYNTEC dispose que:

'Les déplacements hors du lieu de travail habituel nécessités par le service ne doivent pas être pour le salarié l'occasion d'une charge supplémentaire ou d'une diminution de salaire.

L'importance des frais dépend du lieu où s'effectuent les déplacements, ils ne sauraient être fixés d'une façon uniforme. Ils seront remboursés de manière à couvrir les frais d'hôtel et de restaurant du salarié. Ils pourront faire l'objet d'un forfait préalablement au départ, soit par accord particulier, soit par règlement spécifique approprié.

(...)'.

L'article 53 de ladite convention collective dispose que:

' Le salarié dont la lettre d'engagement mentionne qu'il doit travailler tout ou partie de l'année en déplacement continu aura droit, outre son salaire, à une indemnité de remboursement de frais pendant la durée de ce déplacement.

Cette indemnité sera :

- soit forfaitaire, auquel cas, elle représentera la différence entre les frais de séjour et les dépenses normales du salarié s'il vivait au lieu où il a été engagé, et sera fixée par accord préalable entre l'employeur et le salarié, sauf règlement spécifique conformément à l'article 50;

- soit versée sur pièces justificatives.'

Et l'article 6.2 du contrat de travail stipule que:

'6.2 - Conditions d'exercice des fonctions

6.2.1 ' Lieu d'exercice

L'activité de Conseil de la Société s'exerce principalement dans les locaux des clients et plus rarement à partir des locaux de la Société.

Dès lors, le Salarié exercera ses fonctions à partir des bureaux de la Société, et/ou du Client {usines, centres informatiques, laboratoires, centre d'essai ... } sis en France et à l'étranger, étant souligné que le lieu d'exercice sera le site habituel d'Intervention et pourra être modulé par la Société, ce que le Salarié accepte d'ores et déjà.

Le Salarié accepte le principe d'une clause de mobilité permettant à la Société de modifier le lieu d'exercice en fonction des nécessités de service liées à l'exécution des missions.

Toute modification du site habituel d'intervention fera l'objet d'un ordre de mission.

Le refus d'accepter un tel changement serait susceptible d'entraîner un licenciement pour cause réelle et sérieuse.

6.2.2 ' Déplacements

Si, dans le cadre de ses activités pour la compte de la Société, le salarié vient à effectuer un déplacement hors du site habituel d'intervention (en France ou à l'étranger) il doit au préalable, dès qu'il en a connaissance, prévenir le Service du Personnel au moyen de la "Fiche de Déplacement" en vigueur.

Le Service du Personnel prendra alors tes mesures obligatoires (assurance, maintien d'affiliation à la Sécurité Sociale, établissement de l'ordre de mission)

Si ce déplacement entraîne des frais particuliers, la Société les remboursera au Salarié dans les conditions en vigueur en son sein:

-sur présentation d'un Décompte de frais" en vigueur dans la Societé, accompagné des justificatifs,

-après accord du Responsable hiérarchique de la Société,

-sous réserve de la déclaration préalable ci-dessus.

L'usage du propre véhicule du Salarié pour les besoins du service est strictement Interdit, sauf souscription par les soins du Salarié d'une police d'assurance garantissant expressément l'usage "professionnel" '.

[R] [W] demande à la cour de condamner la société HIQ CONSULTING à lui payer la somme de 25 540 € à titre de remboursement des frais professionnels qu'il a exposés à l'occasion de la mission qu'il a effectuée d'octobre 2011 à avril 2013 pour le compte de la société AGAP2 SUISSE (qui est une filiale de la société HIQ CONSULTING) auprès du client CONVERTEAM à [Localité 3].

La société HIQ CONSULTING conteste la demande en faisant valoir que le lieu de travail habituel se situait dans les locaux de la CONVERTEAM à [Localité 3], que [R] [W] a été engagé pour effectuer cette mission et que les dépenses en cause ne sont ni justifiées ni démontrées.

Force est de constater qu'à l'occasion de la mission réalisée pour le compte de la société AGAP2 SUISSE (qui est une filiale de la société HIQ CONSULTING) auprès du client CONVERTEAM à [Localité 3] d'octobre 2011 à avril 2013, [R] [W] se trouvait hors de son lieu de travail habituel dès lors qu'il est intervenu au sein d'une société qui n'est pas le client de son employeur de sorte que le droit à remboursement de ses frais professionnels est ouvert au profit de ce salarié pour l'indemniser des frais qu'il avait exposés durant cette mission par application des principes susvisés.

Sur le montant de ces frais, [R] [W] produit en pièce n°18 un décompte qui comprend pour chaque année de 2011 à 2013, déduction faite des frais déjà remboursés par l'employeur:

- les repas du soir,

- les trajets entre son lieu d'hébergement à [Localité 4] où il habitait en location et [Localité 3],

- les péages d'autoroutes.

La cour dit que les pièces versées aux débats par [R] [W] (quittances de loyer et reçus de péage) corroborent son décompte.

Il s'ensuit que [R] [W] est bien fondé en sa demande.

Infirmant le jugement déféré, la cour condamne la société HIQ CONSULTING à payer à [R] [W] la somme de 25 540 € au titre des frais professionnels, cette somme produisant des intérêts au taux légal à compter du 18 juin 2016, date de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation.

2 - sur le harcèlement moral

En application des dispositions des articles L1152-1 et L 1154-1 du code du travail dans leur rédaction applicable au litige, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet des dégradations de ses conditions de travail susceptible notamment d'altérer sa santé physique ou mentale.

En cas de litige reposant sur des faits de harcèlement moral, le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants qui pris dans leur ensemble permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral; il incombe ensuite à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement; le juge forme alors sa conviction.

En l'espèce, [R] [W] fait valoir à l'appui de sa demande à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral les faits suivants pour étayer sa réclamation:

- l'employeur a modifié le contrat de travail sans son consentement en ce qu'il a exercé ses fonctions en-dehors des locaux de la société HIQ CONSULTING et en-dehors des locaux de ses clients;[R] [W] a en effet effectué une mission d'octobre 2011 à avril 2013 pour le compte de la société AGAP2 SUISSE (qui est une filiale de la société HIQ CONSULTING) auprès du client CONVERTEAM à [Localité 3] sans qu'aucun avenant ne soit signé par [R] [W];

- la société HIQ CONSULTING a refusé de rembourser les frais professionnels exposés par le salarié à l'occasion de cette mission;

- les frais de déplacement hors du site de la société CONVERTEAM acceptés par la société HIQ CONSULTING ont été réglés avec retard;

- la société HIQ CONSULTING s'est abstenue durant près d'une année d'équiper [R] [W] en chaussures de sécurité;

- la société HIQ CONSULTING a refusé que [R] [W] bénéficie d'une formation Word 2010;

- [R] [G] a souhaiter organiser l'entretien annuel d'évaluation de [R] [W] le vendredi 09 novembre 2012 à 17h00 à [Localité 5], soit en un lieu éloigné du domicile de [R] [W] et en-dehors de ses horaires de travail; ensuite, le salarié ayant fait part de son indisponibilité pour avoir prévu de rentrer à [Localité 1] ce jour-là, [R] [G] lui a proposé la date du jeudi 15 novembre 2012 à 18h00 à [Localité 5] empêchant ainsi [R] [W], qui effectuait un chantier à [Localité 6], de regagner son logement avant 22 ou 23h.00;

- [R] [G] a contraint [R] [W] à préparer son entretien pendant son temps de repos;

- [R] [G] prenait régulièrement contact avec [R] [W] sur le téléphone personnel du salarié et durant les heures de repas et en soirée;

- [R] [G] a demandé à [R] [W] lors de l'entretien annuel d'évaluation qui a finalement eu lieu le 11 décembre 2012 de présenter sa démission et suite au refus du salarié il lui a demandé de conclure une rupture conventionnelle, alors que [R] [W] venait d'annoncer à son employeur qu'il devait subir une intervention chirurgicale urgente nécessitant un arrêt de travail de 6 semaines que [R] [W] avait spontanément proposé de réduire à 3 semaines;

- la rupture conventionnelle a de nouveau été proposée par [F] [Q], directeur de l'entreprise, en avril 2013 à [R] [W] qui a alors accepté la rupture sous pression en ce que ce salarié avait achevé sa mission à [Localité 3], qu'il revenait d'arrêt maladie et qu'il allait se trouver en intercontrat.

La cour relève après analyse des pièces du dossier que:

- les faits reposant sur l'organisation de l'entretien annuel d'évaluation 2012 ne sont pas établis dès lors que [R] [W] reconnaît dans ses écritures que cet entretien a 'finalement' été organisé le 11 décembre 2012 et qu'il ne fait état d'aucune critique à l'égard de cette dernière date, ces éléments laissant présumer que le supérieur hiérarchique de [R] [W] a entendu les doléances de [R] [W];

- les faits reposant sur l'obligation de préparer l'entretien annuel d'évaluation durant le temps de repos du salarié et sur l'intrusion de [R] [G] dans le temps personnel de [R] [W] ne sont pas établis dès lors que ces faits ne ressortent d'aucun des courriels dont se prévaut [R] [W];

- les faits reposant sur la formation WORD ne sont pas établis dès lors que [R] [W] ne produit aucune pièce aux débats et procède seulement par voie d'affirmation;

- les faits reposant sur les pressions exercées sur [R] [W] pour présenter sa démission puis conclure une rupture conventionnelle ne sont pas établis dès lors qu'ils ne ressortent d'aucune des pièces du dossier, les circonstances invoquées par [R] [W] étant insuffisantes à elles seules pour justifier de la réalité des pressions;

- les faits reposant sur le paiement tardif de certains frais professionnels ne sont pas établis dès lors que [R] [W] verse aux débats son courriel du 25 juin 2012 par lequel il interroge à 19h07 [R] [G] sur le non remboursement de ses frais du mois de mars 2012, ainsi que le courriel en réponse du même jour à 21h48 par lequel [R] [G] fait part de son étonnement et invite [R] [W] à lui signaler rapidement toute nouvelle difficulté de cet ordre qui pourrait à nouveau survenir;

- les faits reposant sur la modification unilatérale du contrat de travail sont établis dès lors qu'il n'est pas contesté que [R] [W] n'a pas travaillé, comme il était prévu à son contrat de travail, pour le compte de la société HIQ CONSULTING entre le mois d'octobre 2011 et le mois d'avril 2013 puisqu'en réalité durant cette période il a effectué une mission pour le compte de la société AGAP2 SUISSE (qui est une filiale de la société HIQ CONSULTING) auprès du client CONVERTEAM à [Localité 3] sans qu'aucun avenant au contrat de travail ne soit signé par le salarié;

- les faits reposant sur la fourniture tardive de chaussures de sécurité sont établis; en effet, [R] [W] produit un courriel qu'il a envoyé à son employeur le 25 juin 2012 pour se plaindre de ce qu'il utilise ses chaussures de sécurité personnelles depuis 9 mois; le caractère tardif de la fourniture de chaussures de sécurité est confirmé par le courriel de [R] [G] qui répond à [R] [W] le 26 juin 2012 comme suit: '(...) si tu as besoin de chaussures rapidement je t'invite à les acheter à et les passer en frais (...)'.

- les faits reposant sur l'absence de remboursement des frais professionnels sont établis au vu de ce qui précède.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que les faits reposant sur la modification unilatérale du contrat de travail, sur le non-paiement des frais professionnels et sur la fourniture tardive de chaussures de sécurité sont établis de sorte que [R] [W] établit la matérialité de faits précis et concordants qui, pris dans leur ensemble, sont de nature à laisser présumer l'existence d'un harcèlement moral en ce qu'ils auraient eu pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible notamment d'altérer sa santé physique ou mentale.

Sur les faits qui étayent la demande de harcèlement moral, la société HIQ CONSULTING rétorque que:

- [R] [W] a accepté de réaliser la mission pour le compte de la société AGAP2 SUISSE (qui est une filiale de la société HIQ CONSULTING) auprès du client CONVERTEAM à [Localité 3]; de plus, il n'a jamais remis en cause cette intervention;

- [R] [W] n'a à aucun moment de la relation contractuelle sollicité auprès de la société HIQ CONSULTING le remboursement de ses frais professionnels, auxquels ce salarié n'avait d'ailleurs pas droit en ce que [R] [W] a été engagé pour effectuer la mission réalisée pour le compte de la société AGAP2 SUISSE (qui est une filiale de la société HIQ CONSULTING) auprès du client CONVERTEAM à [Localité 3] dès octobre 2011;

- il appartenait à [R] [W] d'acquérir les chaussures de sécurité en faisant passer l'achat en frais.

La cour observe que:

- la circonstance que [R] [W] n'a pas manifesté un refus d'exécuter la mission pour le compte de la société AGAP2 SUISSE (qui est une filiale de la société HIQ CONSULTING) auprès du client CONVERTEAM à [Localité 3] ne peut caractériser le consentement du salarié à la modification de son contrat de travail; il convient d'ailleurs de relever que la contrainte qui lui a été imposée par la société HIQ CONSULTING pour réaliser cette mission est d'autant plus indiscutable que la modification en cause est intervenue alors qu'il se trouvait en période d'essai et que ce salarié n'était ainsi pas en situation de négocier avec son employeur;

- le droit de [R] [W], qui n'était pas sur son site habituel d'intervention lorsqu'il a réalisé la mission auprès du client CONVERTEAM à [Localité 3] d'octobre 2011 à avril 2013, consistant à pouvoir obtenir de la société HIQ CONSULTING le remboursement de ses frais professionnels est acquis et il ne saurait être remis en cause par le fait qu'il n'a pas réclamé ce remboursement durant l'exécution de la mission en cause;

- la société HIQ CONSULTING, qui ne conteste pas son obligation de fournir les chaussures de sécurité à [R] [W], ne discute pas le caractère tardif de cette fourniture à l'égard de ce salarié.

Il s'ensuit que la société HIQ CONSULTING ne prouve pas que ses agissements ne sont pas constitutifs d'un harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En conséquence, il y a lieu de dire que [R] [W] a subi des agissements de harcèlement moral imputables à la société HIQ CONSULTING.

Les éléments de la cause permettent à la cour de fixer le préjudice subi par [R] [W] du fait de ce harcèlement moral à la somme de 5 000 €.

Infirmant le jugement déféré, la cour condamne la société HIQ CONSULTING à payer à [R] [W] la somme de 5 000 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral, cette somme produisant des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt conformément à l'article 1153-1 alinéa 2 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

3 - sur l'exécution déloyale du contrat de travail

Tout contrat de travail comporte une obligation de loyauté qui impose à l'employeur d'exécuter le contrat de bonne foi.

En l'espèce, [R] [W] se prévaut à l'appui de sa demande à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail (curieusement présentée concurremment à celle de dommages et intérêts pour harcèlement moral) de faits strictement identiques à ceux qu'il a présentés pour étayer sa demande au titre du harcèlement moral.

Il résulte de ce qui précède que sont établis les faits reposant sur la modification unilatérale du contrat de travail, sur le non-paiement des frais professionnels et sur la fourniture tardive de chaussures de sécurité.

Les manquements de l'employeur sont donc établis.

Toutefois, faute pour [R] [W] de justifier d'un préjudice résultant des manquements allégués qui ne soit pas déjà réparé par l'indemnité allouée ci-dessus au titre du harcèlement moral, la cour dit que la demande n'est pas fondée de sorte que le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a débouté de ce chef de demande

4 - sur les demandes accessoires

L'équité et les situations économiques respectives des parties justifient qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais de première instance et d'appel dans la mesure énoncée au dispositif.

Les dépens de première instance et d'appel, suivant le principal, seront supportés par la société HIQ CONSULTING .

PAR CES MOTIFS,

La Cour,

CONFIRME le jugement déféré en ce qu'il a débouté [R] [W] de sa demande à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

L'INFIRME en toutes ses autres dispositions,

STATUANT à nouveau sur les chefs infirmés et Y AJOUTANT,

REJETTE la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande au titre des frais professionnels,

DECLARE [R] [W] recevable en cette demande,

CONDAMNE la société HIQ CONSULTING à payer à [R] [W] la somme de 25 540 € avec intérêts au taux légal à compter du 18 juin 2016 au titre des frais professionnels,

CONDAMNE la société HIQ CONSULTING à payer à [R] [W] la somme de 5 000 € avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

CONDAMNE la société HIQ CONSULTING à payer à [R] [W] la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais de première instance et d'appel,

CONDAMNE la société HIQ CONSULTING aux dépens de première instance et d'appel.

Le GreffierLe Président

Gaétan PILLIEOlivier GOURSAUD


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale b
Numéro d'arrêt : 17/05421
Date de la décision : 25/10/2019

Références :

Cour d'appel de Lyon SB, arrêt n°17/05421 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-10-25;17.05421 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award