AFFAIRE PRUD'HOMALE
RAPPORTEUR
N° RG 17/04896 - N° Portalis DBVX-V-B7B-LD25
SASU BASF BEAUTY CARE SOLUTIONS FRANCE SAS
C/
[L]
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON
du 13 Juin 2017
RG : 15/02657
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE A
ARRÊT DU 23 OCTOBRE 2019
APPELANTE :
SASU BASF BEAUTY CARE SOLUTIONS FRANCE
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Me Virginie DEVOS de la SCP AUGUST & DEBOUZY ET ASSOCIES, avocat plaidant au barreau de PARIS,
Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat postulant au barreau de LYON
INTIMÉ :
[A] [L]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Me Sonia MECHERI de la SCP VUILLAUME-COLAS & MECHERI, avocat au barreau de [Localité 1]
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 20 Mai 2019
Présidée par Joëlle DOAT, Président magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Elsa MILLARY, Greffier placé.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
- Joëlle DOAT, président
- Evelyne ALLAIS, conseiller
- Annette DUBLED VACHERON, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 23 Octobre 2019 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Joëlle DOAT, Président et par Manon FADHLAOUI, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
********************
Monsieur [A] [L] a été embauché par la société BIOETICA à compter du 1er février 1989 pour une durée indéterminée en qualité d'ouvrier qualifié OQ2, suivant lettre d'engagement du 9 février 1989.
Le 18 septembre 2013, la société BEAUTY CARE SOLUTIONS FRANCE a informé Monsieur [L] que la suppression de son poste pour motif économique interviendrait le 31 mai 2015.
Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 29 mai 2015, la société BEAUTY CARE SOLUTIONS FRANCE a notifié à Monsieur [L] son licenciement à la suite de la suppression de son poste, afin de sauvegarder la compétitivité du secteur d'activité auquel elle appartenait.
Par requête en date du 8 juillet 2015, Monsieur [A] [L] a saisi le conseil de prud'hommes de [Localité 1] en lui demandant de condamner la société BEAUTY CARE SOLUTIONS FRANCE à lui payer des dommages et intérêts au motif de l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement et des dommages et intérêts en raison de l'exécution déloyale du contrat de travail.
Par jugement en date du 13 juin 2017, le conseil de prud'hommes a :
- dit que le licenciement prononcé à l'encontre de Monsieur [A] [L] n'est pas fondé sur un motif économique réellement et sérieusement avéré
- condamné la société BEAUTY CARE SOLUTIONS FRANCE à payer à Monsieur [A] [L] la somme de 45.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la 'notification' de la décision
- ordonné le remboursement d'office par la société BEAUTY CARE SOLUTIONS FRANCE aux organismes concernés des indemnités de chômage perçues par Monsieur [A] [L] à hauteur de 3 mois d'indemnités, en application de l'article L1235-4 du code du travail
- débouté Monsieur [L] de ses autres demandes
- débouté la société BEAUTY CARE SOLUTIONS FRANCE de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile
- condamné la société BEAUTY CARE SOLUTIONS FRANCE à payer à Monsieur [L] la somme de 1.200 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la 'notification' de la décision
- condamné la société BEAUTY CARE SOLUTIONS FRANCE aux dépens.
La société BEAUTY CARE SOLUTIONS FRANCE a interjeté appel de ce jugement, le 3 juillet 2017.
Elle demande à la cour :
- d'infirmer le jugement qui l'a condamnée pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi qu'à verser à Monsieur [L] une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
- de débouter Monsieur [L] de ses demandes
en tout état de cause,
- de confirmer le jugement pour le surplus
- de condamner Monsieur [L] aux dépens.
Elle soutient :
- qu'elle intervient dans le secteur d'activité des ingrédients actifs cosmétiques correspondant à la 'business unit' Beauty Creations EMR, que le marché concerné est celui de la cosmétique et se distingue des autres marchés composant la 'business unit' Care Chemicals, qu'elle développe des produits spécifiques, à savoir des ingrédients actifs d'origine végétale, à distinguer de l'activité uniquement chimique de la 'business unit' Personal Care EMC, qu'elle a des concurrents spécifiques, que les clients ont des attentes différentes, que son activité repose sur l'innovation et qu'il s'agit d'une activité particulière et unique
- que les éléments économiques communiqués justifient de la situation du secteur d'activité du groupe auquel elle appartient
- que le motif économique de sauvegarde de la compétitivité du secteur est parfaitement avéré, le conseil de prud'hommes ayant procédé à une analyse contestable en se fondant uniquement sur le rapport Syndex établi au moment de l'adoption du PSE en mars 2013 concernant l'exercice 2012
- qu'il y a lieu de constater une chute constante et rapide des ventes et du chiffre d'affaires, la situation dont elle justifie incluant bien le site de [Localité 2]aux Etats-Unis, une innovation insuffisante, une concurrence exacerbée et des coûts structurels importants
- qu'une réorganisation était nécessaire, se traduisant par : un regroupement de la production sur le seul site de [Localité 3], une réorganisation des activités recherche et développement sur deux sites, la mise en place du modèle agent et une intégration des fonctions support sur des sites déterminés, que les deux ateliers de production de [Localité 1] devaient être transférés vers le site de [Localité 3] entre 2014 et 2015, la deuxième phase du transfert s'étant achevée le 30 juin 2015
- que le poste de Monsieur [L] a bien été supprimé et que, contrairement à ce que soutient ce dernier, il n'y a pas d'erreur dans la lettre de licenciement quant à l'intitulé de son poste
- qu'elle a parfaitement respecté son obligation de reclassement, que Monsieur [L] a refusé le principe d'une proposition de reclassement impliquant une mobilité géographique à PULNOY en ne jugeant pas utile de réceptionner le courrier qu'elle lui avait envoyé, qu'elle a vérifié à chaque publication de la liste des postes actualisés s'il pouvait être proposé à Monsieur [L] un poste au sein du groupe, que les seuls postes disponibles à proximité concernaient les sociétés BASF AGRIPRODUCTION et BASF AGRO, que la permutabilité de ses salariés au sein de ces entités était particulièrement difficile, voire impossible en raison de la spécificité de son activité et qu'aucun poste disponible dans ces sociétés ne pouvait dès lors lui être proposé, d'autant plus que Monsieur [L] connaissait de graves difficutés de santé depuis plusieurs années, ainsi qu'il l'a été rappelé par le cabinet de reclassement
- qu'à titre subsidiaire, tous ses sites ont été pris en considération pour la fixation des catégories professionnelles, que les critères d'ordre fixés par le plan de sauvegarde de l'emploi sont conforme aux critères légaux et qu'elle en a fait une stricte application, Monsieur [L] n'ayant jamais justifié de ses charges de famille et n'en justifiant pas non plus devant la cour.
Monsieur [A] [L] demande à la cour::
- de confirmer le jugement qui a dit que son licenciement est dénué de cause réelle et que la société BASF BEAUTY CARE SOLUTIONS a manqué à son obligation de reclassement
subsidiairement,
- de dire que l'ordre des licenciements n'a pas été respecté
- de condamner la société BASF BEAUTY CARE SOLUTIONS à lui payer la somme de 98.000 euros à titre de dommages et intérêts
- de lui allouer la somme de 2.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en sus de la somme de 1.200 euros allouée en première instance
- de condamner la société BASF BEAUTY CARE SOLUTIONS aux dépens.
Il soutient :
- qu'étant observé que le motif économique doit s'apprécier à la date du licenciement intervenu le 29 mai 2015, le bilan déficitaire de l'exercice 2012 est exclusivement imputable à l'enregistrement de la provision relative au projet de restructuration ainsi qu'il ressort du rapport de l'expert mandaté par le comité d'entreprise, remis en mars 2013, que le bilan de l'exercice 2013 fait apparaître un bénéfice de 3.117.000 euros et le bilan de l'exercice 2014 un bénéfice de 14.328.000 euros, soit une augmentation de 400 %, ceci, cinq mois avant son licenciement, que même si, comme le soutient la société BASF BEAUTY CARE SOLUTIONS , ce bénéfice a été artificiellement augmenté par la vente d'un fonds de commerce et la récupération d'une provision au titre de la réorganisation, le bénéfice réel revendiqué (6.482.000 euros) a en tout état de cause atteint plus du double du bénéfice enregistré lors de l'exercice 2013, tandis que, sept mois après son licenciement, au 31 décembre 2015,le bénéfice avait encore augmenté de 25 %, puisqu'il s'élevait à 7.936.000 euros
- que la société BASF BEAUTY CARE SOLUTIONS ne produit aucun bilan relatif au site de Long Island qu'elle intègre dans son secteur d'activité
- que le rapport de l'expert comptable déposé en mars 2013 conclut que la société BASF BEAUTY CARE SOLUTIONS FRANCE ne justifie pas d'un motif économique justifiant des licenciements économiques, constatant que le groupe BASF, malgré un environnement économique difficile, continue son développement et conserve un niveau de profitabilité élevé, que la société BEAUTY CARE SOLUTIONS FRANCE se place parmi les sociétés les plus rentables du groupe et que le projet de réorganisation des activités de la société ne repose pas sur un motif économique valable mais sur la volonté d'imiter le modèle allemand
- qu'en mars 2015, le groupe BASF a annoncé la distribution d'une prime exceptionnelle d'un montant global de 100 millions d'euros pour fêter les 150 ans du groupe et il a été distribué plus de deux millions d'euros de dividendes aux actionnaires
- que, bien que l'employeur ait disposé d'un délai de près de deux ans et demi pour effectuer une recherche de reclassement sur l'ensemble du territoire national, il n'a jamais reçu aucune proposition de reclassement, que l'employeur a lui-même reconnu qu'il n'avait pas eu connaissance de la proposition qui lui aurait été adressée le 25 novembre 2013 sur un poste d'assistant de gestion de données de production à PULNOY, puisqu'il n'avait pas reçu le courrier, mais qu'il ne lui pas envoyé de nouveau ladite proposition, que les exemples de listes de postes communiqués ne correspondent pas à une recherche de reclassement de la part de la société, mais qu'ils montrent que de nombreux postes étaient disponibles et susceptibles de lui être proposés, notamment des postes de magasinier/cariste, agent logistique, opérateur de production sur le site de [Localité 4], le 17 avril 2015, soit antérieurement à son licenciement
- subsidiairement, que la société BASF BEAUTY CARE a donné une définition trop restrictive de la catégorie professionnelle à laquelle il appartenait et n'a pas pris en compte la totalité de ses sites et que les critères d'ordre n'ont pas été respectés puisqu'il avait une ancienneté supérieure à celle de son collègue et deux enfants à charge.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 11 avril 2019.
SUR CE :
Sur le motif économique
Aux termes des articles L.1233-2 et L.1233-3 du code du travail, tout licenciement pour motif économique doit être justifié par une cause réelle et sérieuse et constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel de son contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques.
Une réorganisation de l'entreprise constitue un motif économique autonome de licenciement.
Il appartient au juge de de vérifier qu'une telle mesure était destinée à sauvegarder la compétitivité de l'entreprise.
Lorsqu'une entreprise fait partie d'un groupe, les difficultés économiques de l'employeur doivent s'apprécier tant au sein de la société, qu'au regard de la situation économique du groupe de sociétés exerçant dans le même secteur d'activité.
Le juge prud'homal est tenu de contrôler le caractère réel et sérieux du motif économique du licenciement, de vérifier l'adéquation entre la situation économique de l'entreprise et les mesures affectant l'emploi ou le contrat de travail envisagées par l'employeur, mais il ne peut se substituer à ce dernier quant aux choix qu'il effectue dans la mise en 'uvre de la réorganisation.
Dans son courrier en date du 18 septembre 2013 aux termes duquel elle annonce à Monsieur [L] que son poste sera supprimé le 31 mai 2015, la société BASF BEAUTY CARE SOLUTIONS FRANCE expose notamment que :
- les fluctuations du marché, l'évolution des besoins des clients et l'environnement particulièrement concurrentiel sont autant d'éléments clés pour redéfinir les structures de BASF BEAUTY CARE SOLUTIONS
- les premières mesures indispensables qui ont été prises s'avérant insuffisantes, de nouvelles mesures ont été envisagées pour assurer la compétitivité de la société sur le long terme et lui permettre de retrouver une organisation compétitive, recentrée sur ses clients, afin de de demeurer un acteur significatif du marché, selon quatre axes : l'intégration plus poussée qu'actuellement au modèle d'organisation de BASF, une fusion des 'business units' PERSONAL CARE et BEAUTY CREATIONS, la régionalisation de l'approche marché de BEAUTY CREATIONS, la mise en oeuvre de ces trois axes ayant pour conséquence la nécessité de changements organisationnels tant au niveau global ( 'global business unit GBU BEAUTY CREATIONS') qu'au niveau local au sein de l'entité BASF BEAUTY CARE SOLUTIONS FRANCE.
Dans la lettre de licenciement notifiée le 29 mai 2015, après avoir indiqué que le chiffre d'affaires de la 'GBU' (global business unit) BEAUTY CREATIONS, gérée au niveau mondial, déclinait depuis les cinq dernières années, la baisse du chiffre d'affaires entre 2010 et 2014 étant de l'ordre de 18 %, qu'avec des ventes stagnantes, voire en baisse ces dernières années et un investissement élevé en recherche et développement, il était inéluctable que les résultats de BEAUTY CREATIONS se détériorent fortement, que ce n'était que grâce à des mesures d'économie, notamment sur les coûts de production, ainsi que par une gestion des prix plus agressive qu'il avait été jusqu'à présent possible de maintenir les marges, que le ratio du résultat opérationnel sur le chiffre d'affaires était stabilisé depuis cinq ans, mais à un niveau insuffisant au regard de la nature des activités et du taux de réinvestissement indispensable dans cette branche, qu'un risque élevé nécessitait des résultats élevés pour survivre et que la compétitivité de la société était en danger, la société BASF BEAUTY CARE SOLUTIONS FRANCE a précisé que le projet de réorganisation se traduisait par :
- un regroupement de la production sur le seul site de production de PULNOY
- une réorganisation des activités recherche et développement sur deux sites
- la mise en place du 'modèle agent'
- une intégration des fonctions support sur des sites déterminés et que, dans le cadre de ce plan de restructuration, le poste de superviseur de fabrication de Monsieur [L] était supprimé.
Le comité central d'entreprise a donné un avis' extrêmement défavorable au projet de réorganisation et de licenciements économiques' au motif, notamment, que le groupe BASF avait vu son chiffre d'affaires progresser de +7,1 % en 2012 et que la société BASF BEAUTY CARE SOLUTIONS FRANCE figurait parmi les sociétés les plus rentables avec un niveau de profitabilité bien supérieur à celui du groupe alors qu'elle ne représentait que 0,11 % du chiffre d'affaires de celui-ci.
Cependant, les bilans et comptes de résultat 2012, 2013 et 2014 de la société BASF BEAUTY CARE SOLUTIONS FRANCE font apparaître :
- un chiffre d'affaires qui augmente en 2012 par rapport à 2011 et en 2013 par rapport à 2012, puis qui diminue en 2014
- un résultat d'exploitation stable en 2011 et 2012, qui augmente en 2013 puis est divisé par deux en 2014
- un bénéfice en 2011, une perte en 2012, dont il est précisé qu'elle est liée à la provision du PSE et un bénéfice en 2014 quatre fois supérieur à celui de 2013.
Le rapport d'expertise comptable de décembre 2015 mentionne que les ventes depuis BASF BEAUTY CARE SOLUTIONS se sont repliées de 8 % en 2014.
La société produit également ses états de gestion de l'exercice de l'année 2015 montrant qu'entre 2014 et 2015, son chiffre d'affaires a légèrement baissé, que son résultat d'exploitation a diminué de 25 % et son bénéfice de 44,61 %.
Si, comme le fait observer Monsieur [L], la société n'a pas versé aux débats les bilans de l'unité basée à LONG ISLAND, société de droit américain qui appartient à la même 'business unit', il ressort d'une attestation rédigée par Monsieur [Q], responsable de contrôle de gestion des filiales PERSONAL CARE, en date du 8 septembre 2015 que les ventes globales des deux sociétés du secteur d'activité, LONG ISLAND et BASF BEAUTY CARE SOLUTIONS FRANCE, ont connu une baisse cumulée de plus de 10 % sur la période 2012-2014
Par ailleurs, le document d'information sur le projet de licenciement et les mesures d'accompagnement, en vue de la réunion de consultation du comité central d'entreprise et des comités d'établissement de [Localité 1] et PULNOY du 7 juin 2013, énonce que le projet portait sur 63 modifications de contrats de travail et la suppression de 59 postes, le rapport de suivi du plan de sauvegarde de l'emploi actualisé au 30 novembre 2015 établissant qu'il a finalement été procédé à 81 notifications de licenciement pour motif économique.
L'inspecteur du travail a délivré des autorisations de licenciement pour motif économique de salariés protégés, par plusieurs décisions rendues le 25 juillet 2014.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, la société BASF BEAUTY CARE SOLUTIONS FRANCE justifie de ce que la réorganisation a été mise en oeuvre pour prévenir des difficultés économiques à venir, dont la preuve résulte des indicateurs ci-dessus décrits par elle, liées aux spécificités de son secteur d'activité, et que ladite réorganisation était nécessaire pour préserver sa compétitivité.
S'agissant de sauvegarder la compétitivité d'un secteur d'activité et non du groupe, le versement d'une prime exceptionnelle aux salariés du groupe BASF n'est pas de nature à remettre en cause le caractère réel et sérieux du motif économique du licenciement de Monsieur [L].
C'est à tort en conséquence que le conseil de prud'hommes a dit que le licenciement de Monsieur [L] n'était pas fondé sur un motif économique réel et sérieux.
Sur l'obligation de reclassement
L'article L1233-4 du code du travail dispose que "le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré dans l'entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel l'entreprise appartient. Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'opère sur un emploi d'une catégorie inférieure. Les offres de reclassement proposées au salarié doivent être écrites et précises".
La tentative de reclassement est donc un préalable nécessaire à tout licenciement économique.
C'est à l'employeur d'établir la preuve de l'impossibilité d'affecter le salarié dans un autre emploi.
Si l'obligation de reclassement n'est qu'une obligation de moyens, encore faut-il que l'employeur démontre avoir mis en 'uvre tous les moyens à sa disposition pour trouver une solution afin d'éviter le licenciement.
Lorsque l'employeur n'a pas satisfait à son obligation de reclassement, le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
La société BASF BEAUTY CARE SOLUTIONS FRANCE indique dans la lettre de licenciement du 29 mai 2015 qu'elle a entrepris des recherches aux fins de reclasser M. [L], mais qu'il n'a pas souhaité donner suite aux propositions qui lui avaient été adressées.
Toutefois, elle ne reprend pas le détail 'des' propositions qu'elle aurait faites à M. [L] tandis qu'il apparaît qu'elle a adressé à ce dernier une seule proposition relative à un poste d'assistant de gestion de données de production situé à PULNOY, par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 25 novembre 2013 présentée le 13 décembre 2013 et non remise à son destinataire, revenue avec la mention 'non réclamé'.
Monsieur [L] avait répondu le 1er août 2013 au questionnaire du 11 juillet 2013 qu'il souhaitait privilégier un reclassement dans une société externe au groupe.
La société BASF BEAUTY CARE SOLUTIONS FRANCE ne justifie pas non plus, au moyen des listes de postes disponibles au sein du groupe en FRANCE qu'elle verse aux débats, d'une part qu'elle a communiqué des propositions de reclassement à Monsieur [L] sur la base de ces postes, d'autre part qu'au regard de l'expérience et des compétences de Monsieur [L], aucun poste disponible ne pouvait lui être proposé, éventuellement sur un emploi de catégorie inférieure, dans une autre société du groupe.
Le licenciement est intervenu le 29 mai 2015, soit dix-huit mois après la seule proposition de reclassement effectuée, mais dont Monsieur [L] n'avait pas eu personnellement connaissance.
Dans ces conditions, c'est à juste titre que le conseil de prud'hommes a dit que la société BASF BEAUTY CARE SOLUTIONS FRANCE n'avait pas rempli son obligation de recherche sérieuse et loyale de reclassement.
Il convient de confirmer le jugement qui a dit que le licenciement de Monsieur [L] était dépourvu de cause réelle et sérieuse, mais en lui substituant le motif ci-dessus à celui retenu par lespremiers juges.
Le préjudice causé au salarié par la perte de son emploi, au regard de son ancienneté dans l'entreprise (26 ans), de son âge à la date du licenciement (47 ans), du montant de son salaire mensuel brut moyen ( 3.700 euros au vu des bulletins de salaire de décembre 2014 et janvier à juin 2015) et des circonstances dans lesquelles cette mesure est intervenue, Monsieur [L] justifiant en outre de ce qu'au 31 octobre 2017, il percevait toujours les allocations de chômage, a été inexactement apprécié par le conseil de prud'hommes.
Il convient de porter à 60.000 euros le montant des dommages et intérêts au paiement desquels la société BASF BEAUTY CARE SOLUTIONS FRANCE a été condamnée.
La somme ainsi allouée supportera, s'il y a lieu, le prélèvement des cotisations et contributions sociales et sera augmentée des intérêts au taux légal sur la somme de 45.000 euros à compter du jour du jugement dont appel et sur le surplus à compter du présent arrêt.
Le recours de la société BASF BEAUTY CARE SOLUTIONS FRANCE étant rejeté, cette dernière sera condamnée aux dépens d'appel et à payer à Monsieur [L] la somme de 1.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement
CONFIRME le jugement, sauf à dire que le licenciement de Monsieur [A] [L] est dépourvu de cause réelle et sérieuse en raison du non-respect par l'employeur de son obligation de reclassement et en ce qui concerne le montant des dommages et intérêts alloués à ce titre,
STATUANT à nouveau,
CONDAMNE la société BASF BEAUTY CARE SOLUTIONS FRANCE à payer à Monsieur [A] [L] la somme de 60.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par son licenciement, augmentée des intérêts au taux légal sur la somme de 45.000 euros à compter du jour du jugement et sur le surplus à compter du présent arrêt
Y AJOUTANT,
DIT que les dommages et intérêts alloués supporteront, s'il y a lieu, le prélèvement des cotisations et contributions sociales
CONDAMNE la société BASF BEAUTY CARE SOLUTIONS FRANCE aux dépens d'appel
CONDAMNE la société BASF BEAUTY CARE SOLUTIONS FRANCE à payer à Monsieur [A] [L] la somme de 1.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
Le greffier Le president
Manon FADHLAOUIJoëlle DOAT