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03/07/2019 | FRANCE | N°17/01355

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale a, 03 juillet 2019, 17/01355


AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE







N° RG 17/01355 - N° Portalis DBVX-V-B7B-K3VN





[C]



C/

Société DAIKIN CHEMICAL EUROPE GMBH







APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de lyon

du 09 Février 2017

RG : F 15/03817











COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE A



ARRÊT DU 03 JUILLET 2019









APPELANT :



[X] [C]

[Adress

e 1]

[Adresse 1]



Me Sylvie RUCHON, avocat au barreau de LYON





INTIMÉE :



Société DAIKIN CHEMICAL EUROPE GMBH

[Adresse 2]

[Adresse 2] ALLEMAGNE



Me Brice paul BRIEL, avocat au barreau de LYON



DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 05 Mars 2019



COMPOSIT...

AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE

N° RG 17/01355 - N° Portalis DBVX-V-B7B-K3VN

[C]

C/

Société DAIKIN CHEMICAL EUROPE GMBH

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de lyon

du 09 Février 2017

RG : F 15/03817

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE A

ARRÊT DU 03 JUILLET 2019

APPELANT :

[X] [C]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Me Sylvie RUCHON, avocat au barreau de LYON

INTIMÉE :

Société DAIKIN CHEMICAL EUROPE GMBH

[Adresse 2]

[Adresse 2] ALLEMAGNE

Me Brice paul BRIEL, avocat au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 05 Mars 2019

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Joëlle DOAT, Présidente

Evelyne ALLAIS, Conseiller

Annette DUBLED VACHERON, Conseiller

Assistés pendant les débats de Manon FADHLAOUI, Greffier.

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 03 Juillet 2019, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Joëlle DOAT, Présidente, et par Manon FADHLAOUI, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

************

La société DAIKIN CHEMICAL EUROPE GMBH-DCE , société de droit allemand, appartient au groupe japonais DAIKIN spécialisé dans l'air conditionné et les pompes à chaleur et la chimie.

La société DCE commercialise en Europe des produits chimiques fabriqués au Japon, en Chine, en Allemagne et en France.

M. [X] [C] a été embauché sans période d'essai par la société DCE à compter du 1er octobre 2007 suivant contrat à durée indéterminée, en qualité de Business Manager and Sales Manager pour l'Europe, l'Amérique et le Moyen Orient.

Son contrat, de droit français, fixait son lieu de travail à [Localité 1] 'dans les locaux de DAIKIN CHEMICAL France ' et prévoyait une clause de non concurrence d'une durée de 24 mois. La convention collective est celle du commerce de gros Cadre.

M. [X] [C] a été victime d'un syndrome d'épuisement professionnel et a été placé en arrêt maladie à compter du 30 mars 2015.

Le 28 juillet 2015, il a passé, à sa demande, une visite de pré-reprise au terme de laquelle le médecin du travail l'a déclaré : «Dans le cadre de l'article R4624-31 du code du travail, inapte à tout poste dans l'entreprise en raison d'un danger immédiat pour la santé du salarié. Pas de deuxième visite».

M. [X] [C] a été licencié par la société DAIKIN CHEMICAL EUROPE par lettre du 27 aout 2015 pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Considérant que son licenciement pour inaptitude avait pour origine des faits constituant des agissements de harcèlement et résultait aussi de manquements graves de la société à son obligation de sécurité, et subsidiairement à son obligation de reclassement, [X] [C] a contesté la rupture et a saisi le conseil de prud'hommes de Lyon par requête du 14 octobre 2015.

Il demandait au conseil de condamner la société Daikin Chemical Europe à lui payer les sommes suivantes :

- 87.032 euros outre la somme de 8.703 euros pour les congés payés afférents à titre de rappel de salaires au titre de son bonus contractuel

- 21.739,75 euros à titre de solde de congés payés

- 55 .313,64 euros outre les congés payés afférents soit 5 531 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis.

- 120.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul et/ou sans cause réelle et sérieuse.

- 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

outre intérêts à compter de la date de saisine du conseil avec capitalisation

conformément à l'article 1154 du code civil,

avec exécution provisoire et délivrance des bulletins de paye portant mention de son véritable employeur.

Par jugement du 9 février 2017, le conseil de prud'hommes de Lyon a débouté M. [C] de l'intégralité de ses demandes et la société DCE de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

M. [X] [C] a relevé appel de cette décision par acte du 20 février 2017.

Aux termes de ses écritures, il demande à la cour :

- d'infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions

- dire que son licenciement pour inaptitude ayant pour origine les agissements de harcèlement moral est nul.

à titre subsidiaire,

- de dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse comme résultant des manquements de l'employeur à son obligation de sécurité et de protection de la santé physique et mentale des salariés.

à titre encore plus subsidiaire,

- de dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse pour manquement à l'obligation de reclassement.

en conséquence, en toute hypothèse :

- de condamner DAIKIN CHEMICAL EUROPE GMBH à lui payer :

la somme de 55 313,64 euros outre les congés payés afférents soit 5 531 euros au titre de l'indemnité

compensatrice de préavis contractuelle.

la somme de 120 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse

la somme de 21 739,75 euros au titre d'un solde de 60 jours de congés payés

le solde du bonus contractuel qui aurait dû lui être payé à hauteur de 87.032 euros outre la somme de 8 703 euros pour les congés payés afférents

- de juger que les condamnations financières porteront intérêts à compter de la date de saisine du Conseil avec capitalisation conformément à l'article 1154 du code civil

- d'ordonner la délivrance de l'attestation pôle emploi portant mention des dispositions de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la notification de la décision

- de débouter DAIKIN CHEMICAL EUROPE GMBH de toutes ses demandes,

contraires.

- de condamner DAIKIN CHEMICAL EUROPE GMBH à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 et aux entiers dépens.

M. [C] fait valoir que le licenciement est nul dès lors que son inaptitude procède de faits de harcèlement dont il a été victime.

Il indique que de 2007 à octobre 2013 il a pu exécuter les missions pour lesquelles il avait été recruté, dans des conditions de travail normales; qu'il exerçait une activité prenante et exigeante en termes de disponibilité, sans jamais se plaindre de la charge de travail, étant passionné par ses missions et motivé par les résultats qu'il obtenait.

Il souligne qu'à la fin de l'année 2013, le Président Directeur Général du Groupe DAIKIN INDISUTRIE Ltd., M. [J], l'a félicité publiquement pour les excellents résultats du secteur des PPA qu'il avait développés depuis 6 années et a annoncé sa nomination comme Responsable Mondial des additifs plastiques (et plus seulement des PPA) au sein de Daikin Chemical.

Il soutient que cette promotion a marqué le début de comportements hostiles et de brimades à son encontre dues au fait que sa nomination faisait ombrage au directeur général M. [H] et à son équipe.

Il assure que M. [H] n'a rien fait pour lui permettre de s'installer dans ses nouvelles fonctions et a rapidement dévoilé sa volonté de récupérer les additifs plastiques ; qu'il ne lui a pas permis de prendre son poste de responsable monde des additifs plastiques et l'a dépossédé de pans entiers de ses responsabilités pour les PPA; qu'aucun avenant n'est venu formaliser sa promotion; que M. [H] n'a jamais répondu ni validé ses propositions relatives à l'organisation du groupe «' additifs plastiques »; qu'il a ainsi progressivement été évincé de son poste.

Il ajoute que dans ce contexte hostile il a du faire face à une pression accrue de M. [A] qui a exigé qu'il voyage partout dans le monde pour « garder la place » ; qu'il a été soumis avec son équipe à des exigences inatteignables et à une pression insupportable encore accrues par la filiale allemande DCE .

Il indique que les PPA commercialisés chez DAIKIN fonctionnaient à vitesse standard et qu'il était possible de développer des PPA fonctionnant à plus haute vitesse : les HSR; qu'il a poussé en vain le laboratoire japonais à travailler sur ce produit ; qu'il a ensuite décidé de faire faire ce développement au laboratoire de [Localité 1] et déposé une demande de certification EFSA en décembre 2014, ce qui a mécontenté le laboratoire japonais qui a obligé DC France à lui remettre les documents à l'aide desquels la demande de certification avait été déposée, l'a sommé de retirer la demande faite par le laboratoire de [Localité 1], pour déposer ensuite « sa » propre demande de certification un jour après, écartant ainsi le laboratoire de [Localité 1].

Il précise que M. [S] conseiller de M. [B], n°3 mondial du Groupe, comprenant que le développement commercial des HSR était bloqué pour de mauvaises raisons par DAIKIN CHEMICAL Japon a envoyé un courriel le 13 mars 2015 à M. [H] pour le mettre face à ses responsabilités quant au blocage du HSR et lui demander de lever les obstacles, rappelant que tout était en place pour l'exploitation de ce nouveau produit et qu'il ne comprenait pas les raisons obscures pour lesquelles la haute direction bloquait le lancement des ventes;

que M. [H] a alors exigé la production sous huit jours d'un rapport complet sur le business PPA avec explications quant à la « non-atteinte des objectifs » du budget, ainsi qu'un business plan pour l'année prochaine lui demandant également de se recentrer sur les fluoroélastomères, ce qui revenait à le priver de la possibilité de s'occuper des HSR. Il indique qu'étant alors en mission aux USA, il a consacré tout son weekend à répondre à M. [H] et lui a fourni les documents demandés; que cette réponse revue et commentée par [O] [A], [Z] [Y] et [T] [S], a été jugée insuffisante par M. [H].

Il ajoute que dès lors, toutes ses réalisations ou propositions ont été jugées insatisfaisantes jusqu'à ce qu'il soit mis fin à sa mission aux Etats Unis dans des conditions particulièrement vexatoires.

Il précise avoir travaillé de façon continue dans les 15 jours précédant son retour et avoir été convoqué le 30 mars pour un rapport alors qu'il était arrivé la veille à 17 heures totalement épuisé.

Il indique qu'il a alors dû consulter son médecin sur l'insistance de son épouse et que celui-ci ayant trouvé son état alarmant lui a prescrit un repos total à l'abri de toute pression et sollicitation de son employeur.

Il déclare avoir néanmoins reçu des pressions constantes pendant son arrêt maladie et cite les termes du courrier recommandé en date du 26 juin 2015, de M. [O] [A] qui jugeait incompréhensible et inadmissible le fait de « 'Réduire votre communication avec l'entreprise en général et avec moi en particulier, à un strict plan administratif «' l'invitait à prendre contact et se proposait de lui rendre visite à son domicile.

Il explique avoir dû répondre que son absence de communication résultait des conseils de son médecin.

M. [C] invite la cour à consulter les documents médicaux et à prendre connaissance des diagnostics portés par trois médecins différents. Il rappelle que le Tribunal du Contentieux de l'incapacité, a accueilli le recours formé contre la décision de la caisse primaire d'assurance maladie qui refusait la prise en charge au titre de la maladie professionnelle et jugé que son taux d'incapacité permanente partielle était au moins égal à 25 %.

M. [C] appuie ses affirmations sur le témoignage de M. [Y] avec lequel il précise avoir eu un projet de constitution de société qui n'a pas abouti.

Il fait observer que la circonstance qu'il soit un « cadre supérieur » et que son salaire soit important n'était pas une circonstance exonératoire pour l'employeur du respect de ses obligations, le respect du salarié quel que soit son statut dans l'entreprise devant être le même.

Subsidiairement il fait grief à son employeur de ne pas avoir respecté son obligation de sécurité dès lors qu'il n'était rattaché à aucun service de médecine au travail, qu'il n'a pas passé de visite médicale d'embauche ou de visites périodiques de contrôle auprès du médecin du travail alors que la société DAIKIN CHEMICAL France à [Localité 2] à laquelle il était rattaché employait non pas 3 salariés mais plus de 50 qui eux bénéficiaient du service de santé au travail et qu'un contrôle régulier aurait certainement permis au médecin du travail de tirer la sonnette d'alarme avant qu'il ne se retrouve incapable de travailler.

Il soutient en conséquence, que ce manquement fautif de la société qui n'a pas permis de vérifier de façon régulière son aptitude à son poste rend donc le licenciement pour inaptitude qui a été prononcé dénué de cause réelle et sérieuse.

Il affirme par ailleurs que son employeur a failli à son obligation de reclassement après avoir considéré que l'avis médical le dispensait définitivement de recherche alors qu'il lui appartenait d'agir activement pour tenter de proposer des solutions, d'interroger le médecin du travail sur les possibilités de reclassement.

Il précise que le médecin du travail a voulu le soustraire à une situation extrêmement dommageable pour sa santé, sans avoir eu le temps matériel de se rendre dans l'entreprise, de réaliser une étude de poste ni des conditions de travail, ce qui aurait dû conduire son employeur à lui communiquer spontanément des informations complètes sur la société, le groupe et les possibilités d'aménagement du poste du travail, avant de prétendre l'interroger sur d'éventuelles solutions de

reclassement.

Aux termes de ses écritures, la société DAIKIN CHEMICAL EUROPE GMBH demande à la cour de débouter M. [C] de toutes ses demandes et de le condamner à lui verser la somme de 3.000euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Elle indique être une société de droit allemand et avoir initialement disposé pour l'édition des bulletins de salaires de ses trois salariés basés en France, d'un bureau de liaison au sein du domicile d'un collaborateur puis à compter du 1er janvier 2016, au sein des locaux DAIKIN CHEMICAL FRANCE.

Elle précise que M. [C] était sous la responsabilité directe de M. [A], Vice-président; que pour accélérer le développement des marchés PPA sur le continent américain, il a été convenu que M. [C] soit temporairement détaché du 1er novembre 2014 au 30 juin 2015 au sein des bureaux de la société DAIKIN AMERICA situés a NEW-YORK.

Elle fait valoir que la société a consenti à M. [C] des conditions de travail particulièrement favorables, en acceptant que son épouse l'accompagne et en louant pour le couple une résidence de standing.

Elle affirme que, confronté à des difficultés d'ordre personnel, M. [C] a fait le choix de mettre un terme de manière anticipée à son détachement et d'organiser, le week-end du 28 et 29 mars 2015 son retour en France; qu'il a récupéré le 29 mars son véhicule de fonction, n'a communiqué aucun rapport sur son activité aux Etas Unis et a informé son assistant de son absence pour raisons de santé le 30 mars.

La société DAIKIN CHEMICAL EUROPE GMBH reconnaît ne pas avoir permis à M. [C] de bénéficier d'une surveillance médicale et explique ce manquement par le fait qu'elle avait délégué la gestion sociale à une entreprise externe.

Elle fait cependant observer que M. [C] n'avait pour sa part formé aucune demande.

Concernant les faits de harcèlement qui lui sont reprochés, elle affirme n'avoir jamais été informée du fait que M. [C] aurait été victime d'un burn-out et en conclut qu'il ne peut lui être fait grief de ne pas avoir pris les mesures nécessaires à l'égard de M. [C] qui l'a privé des moyens nécessaires à leur mise en oeuvre.

Elle fait observer que M. [C] ne verse au soutien de ses affirmations que deux attestations établies par M. [Y], ancien salarié et ami de M. [C], et celle de sa femme qui n'a pas été témoin de ses conditions de travail.

Elle indique que rien ne permet de prouver une quelconque éviction de M. [C] au demeurant contradictoire avec la surcharge de travail qu'il invoque; que les courriers échangés avec M. [H] font seulement état d'une demande de plus de transparence; que les médecins qui ont examiné M. [C] n'ont fait que relayer ses propos.

Elle indique qu'au niveau de responsabilité de M. [C] les éventuelles luttes d'influence sont si ce n'est normales, tout au moins insusceptibles de constituer un harcèlement moral; que M. [C] n'a jamais formulé de critique quant à ses objectifs au demeurant fixés contradictoirement à partir d'un plan d'action arrêté par ses soins.

Elle affirme avoir été informée par l'intéressé de la résiliation anticipée du bail du logement mis à sa disposition aux Etats-Unis, avoir proposé alors au salarié de louer pour lui une chambre d'hôtel pour les deux mois restants ( preuve que sa mission ne lui était pas retirée); que M. [C] a cependant préféré interrompre cette mission.

Elle fait enfin observer que ce dernier n'a pas formé de recours contre la décision de la CPAM qui a refusé une prise en charge au titre de la législation professionnelle

Elle en conclut que l'appelant ne rapporte pas la preuve qu'elle ait manqué à son obligation de sécurité de résultat et observe qu'il ne formule d'ailleurs aucune demande indemnitaire à ce titre.

Concernant le caractère réel et sérieux du licenciement, elle objecte que M. [C] ne présentait aucun symptôme dépressif dans les 4 mois précédant son inaptitude; que ce sont des difficultés d'ordre personnel qui l'ont conduit à mettre fin à sa mission et que rien n'établit que l'inaptitude aurait été directement causée par un manquement de sa part.

Elle soutient par ailleurs, que nonobstant les démarches entreprises, elle a été confrontée a l'impossibilité matérielle de proposer un poste de reclassement a M. [C]; dès lors que toute possibilité de reclassement était exclue sauf à mettre en danger la santé et la sécurité de M. [C] et que l'inaptitude concernait l'ensemble des postes de travail de l'entreprise et ceux rattachés au groupe.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 24 janvier 2019.

Par conclusions notifiées le 27 février 2019, la société DAIKIN CHEMICAL EUROPE GMBH demande à la cour d'écarter la pièce 60 communiquée par M. [C] l'avant veille de la clôture.

SUR CE:

Sur l'incident de procédure:

Il résulte du bordereau de communication de pièces N°3 transmis par le conseil de M. [C] que ce dernier a communiqué le 22 janvier 2019 une dernière attestation concernant les conditions de travail au sein de la société DAIKIN CHEMICAL EUROPE GMBH.

Cette communication tardive, deux jours avant la clôture n'a pas permis à l'intimée de faire valoir ses observations sur le contenu de cette attestation.

Cette pièce sera donc écartée des débats.

Sur la validité du licenciement:

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Il résulte de l'article L.1154-1 que lorsque le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, le juge doit apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral; dans l'affirmative, il appartient à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, M. [C] invoque un harcèlement pendant l'exécution de son contrat de travail caractérisé par:

le fait d'avoir été privé de la possibilité de prendre son poste de responsable monde des additifs plastiques et d'avoir été dépossédé de pans entiers de ses responsabilités pour les PPA

une charge de travail excessive

l'hostilité de la direction japonaise et les entraves à la bonne fin de ses projets et de ceux de son équipe

la fin brutale de sa mission aux Etats-Unis dans des conditions vexatoires

une pression continue de sa direction à son retour

un harcèlement et des pressions subies pendant son arrêt de travail

son état de santé.

M. [C] décrit une lutte d'influence au sein de la société dont il aurait fait les frais. Les pièces produites ne permettent cependant pas de distinguer d'actes positifs et répétés émanant de sa direction dont le but ou les effets auraient été de l'évincer du poste auquel il avait été promu.

Le travail réalisé pour M. [H] au mois de mars 2015 fait suite aux questions posées à M. [C] sur son appréciation (es qualités de Global Business Manager) de la situation de la société au regard des pertes enregistrées sur les plus grandes ventes.

Le travail demandé, s'il était conséquent, ne peut participer de faits de harcèlement et entrait dans les responsabilités confiées à M. [C].

L'arrêt maladie de ce dernier fait suite à son retour des Etats-Unis. Dans un mail daté du 15 décembre 2014, il exprimait sa satisfaction de se trouver à New-York en ces termes :'«'...la région de NY c'est plutôt sympa. Les gens de DAI de façon générale aussi. En fait j'aurais du venir plus tôt.'»

M. [C] ne verse aucun document permettant de considérer qu'il a été mis fin à sa mission aux Etats-Unis de façon vexatoire.

Il est en revanche établi qu'à son retour des Etats-Unis, le 29 mars 2015, il était dans un état de santé nécessitant un arrêt de travail immédiat.

Le certificat d'arrêt de travail initial, daté du 30 mars 2015 mentionne comme cause de l'arrêt un stress lié au travail.

Le certificat suivant permet de constater que le médecin traitant de M. [C] a évalué une éventuelle cause cardiaque avant de considérer que seul le stress était à l'origine de l'état de son patient.

Le 2 juillet 2015, le Dr [P], médecin du travail, a adressé M. [C] en consultation spécialisée auprès du Dr [O]. Il précisait dans son courrier que le patient était dépourvu d'antécédent psychiatrique; qu'il était en grande souffrance et présentait lors de l'entretien une anxiété généralisée avec des propos confus, logorrhéiques et un envahissement de la pensée par la problématique professionnelle.

Ces constatations objectives montrent que M.[C] était envahi psychologiquement par sa situation professionnelle ce qui a pu conduire ses médecins à lui prescrire de couper toute relation avec son milieu professionnel.

Alors que M. [C] était en grande difficulté psychologique, et en arrêt de travail, la société DAIKIN CHEMICAL EUROPE GMBH lui a adressé de nombreux courriers alternant paradoxalement paroles réconfortantes, récriminations et injonctions.

Ainsi, M. [A], vice-président a, dans un premier courriel du 16 avril 2015, témoigné de la sollicitude à M. [C] tout en lui demandant de tenir compte de sa propre problématique (assurer la continuité de l'activité PPA), en acceptant de le voir ou de lui parler au téléphone. Il se proposait notamment de passer le voir en fin de matinée ou en début d'après midi.

Mme [C] atteste avoir reçu plusieurs appels de la société , au point de décider de bloquer les appels. Elle affirme avoir confirmé à Mme [U] (DRH) que son époux était en burn out.

Mme [U] affirme avoir téléphoné par pure sympathie à deux reprises. Elle conteste le fait que le terme «'burn out'» ait été employé mais reconnaît que Mme [C] lui a indiqué que le médecin avait préconisé de proscrire les contacts avec l'entreprise.

Le fait que Mme [C] ait bloqué les appels de l'entreprise témoignent cependant de l'insistance de la société à l'égard de son époux.

Le 17 juin 2015, alors que M. [C] était toujours en arrêt, M. [A] a adressé à ce dernier un courrier recommandé dont le ton contrastait avec son premier message.

Il lui faisait le reproche d'avoir adressé son arrêt maladie par courrier et de refuser de communiquer avec lui en des termes culpabilisants «'Cette seule communication réduite à l'envoi de certificats d'arrêts de travail n'est pas admissible.'Je voudrais vous rappeler mon mail du 16 avril dernier, ce dernier appelait un retour de votre part, même à minima et au besoin de façon informelle, compte-tenu des relations que nous avons pu entretenir pendant plus de 7 années et compte-tenu des responsabilités que vous exercez dans notre entreprise. Tout en respectant le secret médical et votre besoin de repos, je reste surpris( pour ne pas dire choqué) par le mutisme dont vous faites preuve, tant à mon égard qu'à l'égard des équipes que votre absence questionne.'» Il lui proposait à nouveau de se rendre à son domicile.

Neuf jours plus tard, le 26 juin 2015, M. [A] écrivait «' réduire votre communication avec l'entreprise en général et avec moi en particulier, à un strict plan administratif est totalement incompréhensible voire comme je vous l'ai indiqué dans mon précédent courrier inadmissible. Je vous invite donc à reprendre un contact normal avec votre entreprise et avec moi même. Et je vous renouvelle ma proposition de vous rendre visite à votre domicile ou de vous rencontrer ailleurs pour prendre de vos nouvelles et si possible connaître vos intentions.'» Alors que le salarié était en arrêt, il lui faisait part de ses interrogations sur l'absence de rapport d'activité aux Etats-Unis.

Le 9 juillet 2015, M. [C] a signalé que son troisième arrêt de travail était arrivé dans les 48 heures à DF mais qu'il lui avait été renvoyé avec un message lui demandant de l'adresser à DCE, ajoutant que son avance permanente lui avait été supprimée et que sur sa feuille de salaires de juin, 27 jours de congés avaient été décomptés alors qu'il était en arrêt de travail.

Il a enfin spécifié que son absence de communication obéissait aux recommandations médicales.

En réponse, le 21 juillet 2015, M. [A] s'est «'étonné'» de cette recommandation et du temps qu'il avait fallu à M. [C] pour lui en faire part. Il ajoutait que cette prescription laissait «'place à bien des interrogations.'»et relevait qu'elle était partiellement et sélectivement respectée.

Le 29 juillet 2015, M. [A], instruit de l'inaptitude de M. [C] a fait part de sa préoccupation et de sa tristesse de savoir M. [C] «'dans une telle situation'». Pour autant , le 27 août 2015, il a réitéré dans la lettre de licenciement le reproche fondé sur le manque de communication.

La suspension du contrat de travail pendant l'arrêt maladie ne délie pas l'employeur de ses obligations. Par ailleurs, M. [C] n'était pas tenu, même en sa qualité de cadre, de communiquer avec l'entreprise pendant son arrêt de travail, notamment de justifier des raisons pour lesquelles il était en arrêt.

Les envois multiples de messages, les termes utilisés et les reproches mentionnés pendant l'arrêt de travail par l'employeur, avisé du fait que les médecins souhaitaient que M. [C] fasse une coupure avec son environnement professionnel pour pouvoir se rétablir, constituent des faits de nature à laisser présumer un harcèlement moral ayant contribué à la dégradation de l'état de santé du salarié et à son inaptitude à réintégrer le groupe.

L'intimée ne démontre pas quant à elle que ces faits étaient justifiés par des éléments objectifs.

Il s'en suit que le licenciement pour inaptitude consécutive à des faits de harcèlement est nul.

Le jugement sera donc infirmé sur ce point.

Sur les demandes en paiement de M. [C]:

- au titre du licenciement:

Aux termes de son contrat, M. [C] bénéficiait d'un préavis de 6 mois ( article 12 du contrat de travail).Le dernier salaire perçu par M. [C] s'élevait à la somme de 9.218,94euros. Celui-ci est donc bien fondé à solliciter une somme de 55.313,64 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 5.531,36 euros au titre des congés payés afférents.

Le salarié, victime d'un licenciement nul et qui ne demande pas sa réintégration, a droit, en toute hypothèse, outre les indemnités de rupture, à une indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à six mois de salaire

et ce quelle que soit l'ancienneté du salarié.

M. [C] était âgé de 58 ans au moment de son licenciement. Il était toujours au chômage le 13 mars 2017 ce qui a aura nécessairement un impact sur le montant de sa retraite.

Au regard de ces éléments et du contexte de la rupture des relations contractuelles, la société DAIKIN CHEMICAL EUROPE GMBH sera condamnée à verser à M. [X] [C] la somme de 92.000 euros à titre de dommages et intérêts.

Les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produiront eux-mêmes intérêt suivant les dispositions de l'article 1343-2 du code civil ( nouveau).

- sur les congés payés:

M.[C] soutient qu'il lui reste dû la somme de 21.739,75euros correspondant à 60 jours de congés payés. L'intimée réplique que depuis son embauche, les congés payés n'ont jamais été décomptés sur les bulletins de salaire et que M. [C] a été intégralement rempli de ses droits au titre des congés payés.

Les bulletins de salaires produits par les parties font effectivement apparaître un solde de congés payés de 60 jours.

Le décompte de l'employeur lui-même reprend un solde de 60,5 jours.

M. [C] est donc fondé à solliciter le paiement de la somme de 21.739,75euros correspondant à 60 jours de congés payés.

Le jugement sera infirmé sur ce point.

- sur l'arriéré de salaire au titre du bonus contractuel et les congés payés afférents:

M. [C] fait grief à son employeur d'avoir unilatéralement décidé de ne pas lui verser le bonus contractuel auquel il pouvait prétendre en considération de sa réussite incontestable saluée par le PDG du groupe en 2013.

L'article 4.7 de son contrat de travail rédigé en anglais prévoit le versement d'un bonus deux fois par an, dépendant des performances du salarié, ces performances étant laissées à l'appréciation de l'employeur en fonction des résultats opérationnels de l'employé et de ses efforts pour atteindre les objectifs.

En l'absence d'objectifs annuels fixés, il convient de déterminer le montant de la rémunération en fonction des critères visés au contrat et, à défaut, des données de la cause.

La société DAIKIN CHEMICAL EUROPE GMBH ne peut se soustraire à ses obligations au motifs que M. [C] n'a pas régularisé l'instrumentum qui lui a été proposé aux termes duquel est stipulé le principe et les modalités de versement du bonus alors que ledit contrat a par ailleurs été exécuté par les deux parties.

Il lui appartient de justifier des raisons pour lesquelles M. [C] n'a pu percevoir le bonus maximal.

En l'espèce, l'employeur ne précise pas les modalités selon lesquelles est octroyé le bonus et le tableau qu'il produit en pièce 40 n'est pas fidèle aux bulletins de salaire.

Il indique que la somme maximale à laquelle pouvait prétendre M. [C] s'élevait à 140.184euros.

Or, il justifie par la production des bulletins de salaires avoir versé :

- en 2009 la somme de 6.005,60euros ( et non 4.337euros) pour un salaire de base de 7.956euros

- en 2010 la somme de 20.405euros ( et non 17.620euros) pour un salaire de base de 8.195euros

- en 2011: 20.910euros pour un salaire de base de 8.450euros

- en 2012: 11.132euros ( et non 20.184euros) pour un salaire de base de 8.652euros

- en 2013: 17.484euros pour un salaire de base de 8.742euros

- en 2014: 11.840euros pour un salaire de base de 8.886euros.

soit un total de 87.776,60euros.

La société DAIKIN sera condamnée en conséquence à payer à M. [C] la somme de 52.407,40euros lui restant dûe à titre de solde de bonus contractuel (140.184euros - 87.776,60euros) et la somme de 5.240,74 euros à titre d'indemnité de congés payés afférents.

- sur la délivrance de bulletins de bulletins de paye et de l'attestation Pôle Emploi.

Il convient d'ordonner la remise des documents de travail réclamés par M. [X] [C] dans le délai maximum de 15 jours à compter de la signification de la présente décision, et passé ce délai, sous astreinte de 50 euros par jour de retard.

Sur les autres demandes

La société DAIKIN CHEMICAL EUROPE GMBH partie perdante sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de M. [C] ses frais de défense de première instance et d'appel.

La société DAIKIN CHEMICAL EUROPE GMBH sera condamnée à lui verser la somme de 3.000euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS:

La cour, statuant publiquement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe;

ECARTE des débats la pièce N°60 transmise le 22 janvier 2019 par M. [C]

INFIRME le jugement

STATUANT A NOUVEAU,

DIT que le licenciement pour inaptitude de M. [X] [C] ayant pour origine des faits de harcèlement est nul

CONDAMNE la société DAIKIN CHEMICAL EUROPE GMBH à verser à M. [X] [C] les sommes suivantes:

55.313,64 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 5.531,36 euros au titre des congés payés afférents, outre intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes

21.739,75euros au titre du solde de congés payés;

52.407,40euros au titre du rappel de bonus contractuel, outre 5.240,74euros au titre des congés payés afférents,

ces sommes étant augmentées des intérêts au taux légal à compter du ''' octobre 2015, date de réception de la convocation devant le conseil de prud'hommes par la société DAIKIN CHEMICAL EUROPE GMBH

92.000euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par la nullité du licenciement, augmentée des inétrêts au taux légal à compter du présent arrêt

DIT que les intérêts échus, dus au moins pour une année entière à compter de la demande qui en a été faite, produiront eux-mêmes intérêt au taux légal suivant les dispositions de l'article 1343-2 du code civil (nouveau)

CONDAMNE la société DAIKIN CHEMICAL EUROPE GMBH à remettre à M. [X] [C], dans le délai de quinze jours à compter de la signification de la présente décision : l'attestation POLE EMPLOI rectifiée en fonction des condamnations prononcées, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, passé ce délai, qui courra pendant une durée de six mois

CONDAMNE la société DAIKIN CHEMICAL EUROPE GMBH à verser à M. [C] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

CONDAMNE la société DAIKIN CHEMICAL EUROPE GMBH aux dépens de première instance et d'appel.

Le Greffier La Présidente

Manon FADHLAOUIJoëlle DOAT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale a
Numéro d'arrêt : 17/01355
Date de la décision : 03/07/2019

Références :

Cour d'appel de Lyon SA, arrêt n°17/01355 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-07-03;17.01355 ?
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