AFFAIRE PRUD'HOMALE
RAPPORTEUR
N° RG 18/08660 - N° Portalis DBVX-V-B7C-MCUS
SAS RENAULT TRUCKS*
C/
D...
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de LYON
du 11 Décembre 2018
RG : 18/63
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE C
ARRÊT DU 11 AVRIL 2019
APPELANTE :
SAS RENAULT TRUCKS
prise en la personne de ses représentants légaux en exercice
[...]
représentée par Me Laurent LIGIER de la SCP ELISABETH LIGIER DE MAUROY & LAURENT LIGIER AVOUÉS ASSOCIÉS, avocat au barreau de LYON et par Me Joseph AGUERA de la SCP JOSEPH AGUERA & ASSOCIÉS, avocat plaidant, avocat au barreau de LYON
INTIMÉ :
V... D...
né le [...] à VILLEFRANCHE S/SAONE
[...]
représenté par Me Slim BEN ACHOUR, avocat au barreau de PARIS, Me Thibault LAFORCADE, avocat au barreau de PARIS, avocats plaidants et par Me Philippe NOUVELLET de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON,
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 21 Février 2019
Présidée par Elizabeth POLLE-SENANEUCH, Président magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Carole NOIRARD, Greffier placé.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
- Elizabeth POLLE-SENANEUCH, président
- Laurence BERTHIER, conseiller
- Rose-Marie PLAKSINE, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 11 Avril 2019 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Elizabeth POLLE-SENANEUCH, Président et par Carole NOIRARD, Greffier placé auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
********************
FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
V... D... a été embauché depuis le 8 septembre 1997 en contrat d'apprentissage puis à compter du 1er septembre 2010 selon contrat à durée indéterminée par la société RENAULT TRUCKS sur le site de BOURG EN BRESSE, en qualité d'agent technique d'atelier, niveau III, échelon 3, position RT10 correspondant au coefficient 240.
La convention collective applicable est celle des mensuels des industries métallurgiques de l'Ain.
V... D... occupe différents mandats sous l'étiquette CGT.
Estimant faire l'objet d'une discrimination en raison de ses activités syndicales, au regard du peu d'avancement de sa carrière et de sa rémunération, il a saisi la formation des référés du conseil des prud'hommes de LYON, le 29 janvier 2018, avant toute procédure au fond, pour obtenir les informations permettant l'évaluation utile de sa situation au regard de celle des autres salariés placés dans une situation comparable.
Le conseil des prud'hommes s'est déclaré en partage des voix par ordonnance du 4 juillet 2018.
Par ordonnance du 11 décembre 2018, la formation des référés du conseil des prud'hommes de LYON, sous la présidence de son juge départiteur a :
' Enjoint à la SAS RENAULT TRUCKS de produire aux débats sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile, de communiquer les pièces suivantes à V... D... dans un délai de soixante jours suivant la notification de la présente ordonnance de référé :
- les noms et prénoms, le sexe, date de naissance, âge et date d'entrée de chacune des personnes embauchées sur le même site, la même année ou dans les deux années précédentes ou suivantes (de N-2 à N+2), dans la même catégorie professionnelle, au même niveau ou à un niveau très proche de qualification/classification et de coefficient ainsi que, pour chacun des salariés de ce panel,
- leurs diplômes à l'embauche,
- les bulletins de paie de décembre de chaque année depuis leur embauche et le dernier bulletin de salaire,
- leur lieu de travail actuel,
- les dates de changement de classification / qualification et coefficient et leur périodicité, ainsi que les bulletins de salaire et avenants correspondants,
- les dates de changements éventuels de catégorie professionnelle ainsi que les bulletins de salaire et avenants correspondants,
- les dates et montants des augmentations de salaire depuis l'embauche et leur périodicité, ainsi que les bulletins de salaire et avenants correspondants,
- leurs qualification /classification et coefficient actuels,
- les formations qualifiantes suivies et leurs dates,
- leurs entretiens individuels d'évaluation depuis l'embauche,
- le salaire net imposable et brut actuel ;
' Ordonné à la SAS RENAULT TRUCKS d'établir, pour chaque salarié du panel de comparants, un tableau récapitulant l'ensemble des informations ci-dessus ;
Le tout sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par document, à compter de l'expiration d'un délai de 60 jours suivant la notification de l'ordonnance à intervenir.
' Condamné la SAS RENAULT TRUCKS à verser à V... D... la somme de 500euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
' Condamné la SAS RENAULT TRUCKS aux dépens.
La société RENAULT TRUCKS a relevé appel de cette décision et a déposé une requête aux fins d'être autorisée à assigner à jour fixe V... D....
Elle y a été autorisée, selon ordonnance du 19 décembre 2018 pour l'audience du 21 février 2019.
Par conclusions régulièrement notifiées, qu'elle soutient oralement à l'audience de ce jour, elle demande à la Cour, de réformer l'ordonnance déférée, de débouter V... D... de ses demandes et de le condamner au paiement de la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Elle soutient pour l'essentiel que':
- en matière de discrimination, il appartient dans un premier temps au salarié d'apporter des éléments de fait susceptibles de caractériser une atteinte au principe d'égalité de traitement,
- l'article 145 du code de procédure suppose que soit justifié un motif légitime, lequel s'entend de la nécessité de conserver ou établir la preuve de fait,
- l'ampleur et la nature des documents demandés entraînent une atteinte illégitime et intolérable à la vie privée des salariés concernés ainsi qu'une impossibilité matérielle de satisfaire à la production de plus de 120'000 documents concernant 10'585 salariés, de sorte que la demande est disproportionnée.
V... D... demande en revanche à la Cour, par conclusions régulièrement notifiées soutenues à l'audience de ce jour, de confirmer la décision déférée en toutes ses dispositions sauf à ordonner la production des documents sous 8 jours et de fixer l'astreinte à la somme de 100 euros par jour et par document.
V... D... demande au surplus en cause d'appel la condamnation de l'appelant au paiement de la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
V... D... soutient pour l'essentiel que':
- la nécessité de disposer', sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, des éléments sollicités est évidente à la fois pour assurer la protection des droits de salariés, s'agissant de documents dont seul dispose l'employeur et qu'il refuse de communiquer à ceux-ci mais également, avant tout débat au fond, pour disposer des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination, de sorte qu'il ne peut être ici exigé que soit appliqué le régime probatoire de l'article L 1134-1 du code du travail,
- les mesures sollicitées ne portent nullement atteinte à la liberté de la partie adverse ni à la loi, la jurisprudence ayant clairement indiqué que le respect de la vie personnelle du salarié et le secret des affaires ne constituent pas en eux-mêmes un obstacle à l'application des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile, dès lors que le juge constate que les mesures demandées procèdent d'un intérêt légitime et sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées,
- il n'existe aucune impossibilité matérielle pour la société RENAULT TRUCKS de collecter les éléments sollicités y compris s'agissant de l'établissement de panels,
- il est justifié d'une différence de traitement subie en lien avec le critère de l'activité syndicale.
MOTIVATION
Conformément à l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution du litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé.
Si le demandeur à la mesure d'instruction n'est pas tenu, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, de caractériser le motif légitime qu'il allègue au regard des différents fondements juridiques qu'il envisage pour son action future, il doit néanmoins apporter au juge les éléments permettant de constater l'existence d'un tel motif au regard de ces fondements.
En l'espèce, le salarié caractérise ce motif légitime en produisant un tableau issu de la négociation annuelle obligatoire, dressant la moyenne des rémunérations des salariés classés dans sa catégorie et dont il résulte que, malgré son ancienneté, sa rémunération annuelle se trouve tout juste dans la moyenne, différence de traitement qu'il met en lien avec l'activité syndicale.
Il existe donc un litige potentiel susceptible d'opposer le salarié et l'employeur, lequel détient effectivement les éléments de fait pouvant servir de base au procès lié à une discrimination syndicale.
Néanmoins, le salarié, qui ne se compare pas avec des salariés nommément visés, demande communication de l'ensemble des éléments concernant les salariés embauchés sur le même site que lui, la même année ou dans les deux années précédentes et suivantes, dans la même catégorie professionnelle, au même niveau ou à un niveau très proche de qualification/classification et de coefficient ainsi que de tous les éléments de rémunération, de diplômes, de formation en lien avec l'évolution de carrière, de sorte que cette demande s'analyse en une mesure générale d'investigation, portant sur 10585 salariés et 120478 documents.
Dans ces conditions, la mesure demandée excède par sa généralité les prévisions de l'article 145 du code de procédure civile et doit être rejetée.
Il convient en conséquence d'infirmer la décision déférée.
Il serait inéquitable de laisser à la charge de la société RENAULT TRUCKS ses frais non recouvrables.
PAR CES MOTIFS
INFIRME la décision déférée,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
DÉBOUTE V... D... de sa demande de communication de pièces,
LE DÉBOUTE de sa demande formée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en première instance comme en cause d'appel,
LE CONDAMNE de ce chef à payer en cause d'appel la somme de 500 euros à la société RENAULT TRUCKS,
LE CONDAMNE aux dépens de première instance et d'appel.
Le greffier Le président
Carole NOIRARD Elizabeth POLLE-SENANEUCH