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05/04/2019 | FRANCE | N°17/04429

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale b, 05 avril 2019, 17/04429


AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE











N° RG 17/04429 - N° Portalis DBVX-V-B7B-LCU7








S...





C/


SAS CHALON MÉGARD











APPEL D'UNE DÉCISION DU :


Conseil de Prud'hommes - Formation de départage d'Oyonnax


du 06 Juin 2017


RG : 16/00034


COUR D'APPEL DE LYON





CHAMBRE SOCIALE B





ARRÊT DU 05 AVRIL 2019








APPELANT :


>

T... S...


né le [...] à


[...]





Représenté par Me Emilie BERTHOLET, avocat au barreau de LYON


Ayant pour avocat plaidant Me Christophe NOEL, avocat au barreau de PARIS








INTIMÉE :





SAS CHALON MÉGARD


[...]


[...]





Représentée par Me Françoise ROYANNEZ, avocat ...

AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE

N° RG 17/04429 - N° Portalis DBVX-V-B7B-LCU7

S...

C/

SAS CHALON MÉGARD

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation de départage d'Oyonnax

du 06 Juin 2017

RG : 16/00034

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE B

ARRÊT DU 05 AVRIL 2019

APPELANT :

T... S...

né le [...] à

[...]

Représenté par Me Emilie BERTHOLET, avocat au barreau de LYON

Ayant pour avocat plaidant Me Christophe NOEL, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉE :

SAS CHALON MÉGARD

[...]

[...]

Représentée par Me Françoise ROYANNEZ, avocat au barreau de LYON,

Ayant pour avocat plaidant Me Paul COEFFARD, avocat au barreau de POITIERS substitué par Me Heike ARMERY, avocat au barreau de POITIERS

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 07 Février 2019

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Michel SORNAY, Président

Natacha LAVILLE, Conseiller

Sophie NOIR, Conseiller

Assistés pendant les débats de Gaétan PILLIE, Greffier.

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 05 Avril 2019, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Michel SORNAY, Président, et par Gaétan PILLIE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*************

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

La SAS CHALON MEGARD est spécialisée dans l'étude, la fabrication et l'installation d'équipements destinés à la confection de fromage. Elle exerce son activité dans le monde entier.

T... S... a été embauché par la SAS CHALON MEGARD à compter du mois de janvier 2009 par contrat à durée déterminée auquel a succédé un contrat à durée indéterminée conclu à compter du 1er octobre 2009 en qualité de Chargé d'Affaires-Commercial, statut Technicien supérieur, coefficient 365, niveau 5.3 en contrepartie d'une rémunération mensuelle brute de 3150 €.

La relation de travail était alors soumise à la convention collective de la métallurgie de l'Ain

À ce titre, T... S... était en charge de prospecter et de développer les marchés de l'entreprise, y compris à l'international.

Par avenant du 27 août 2013 à effet du 1er octobre 2013, T... S... a été promu au statut agent de maîtrise, assimilé cadre.

À compter du 1er janvier 2015, il a été promu au statut de cadre, position II, indice 135 soumis à une convention en forfait jours et rattaché à la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie. Son salaire a été augmenté à la somme de 3700 € bruts mensuels.

Par courrier remis en main propre le 1er septembre 2015 faisant référence à deux entretiens individuels des 5 février et 1er juillet 2015, l'employeur a rappelé à T... S... les 3 objectifs fixés et lui a demandé de 'redresser dans les meilleurs délais la situation et de veiller à ce que [sa] prestation de travail soit désormais conforme à ce que [la] société est en droit d'attendre d'un commercial. (...)'.

Par lettre remise en main propre le 4 décembre 2015, T... S... a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement, qui s'est tenu le 15 décembre 2015 à 9 heures.

Le 18 décembre 2015 et par lettre remise en main propre, la SAS CHALON MEGARD a de nouveau convoqué T... S... un entretien préalable un éventuel licenciement pour faute grave fixé au 4 janvier 2015 (en réalité 2016) à 9 heures 'compte tenu des faits fautifs découverts ce jour (présence sur votre ordinateur de fichiers n'ayant pas à se trouver)' et a notifié au salarié sa mise à pied conservatoire immédiate.

T... S... a été licencié par lettre recommandé avec accusé réception du 18 janvier 2016 dans les termes suivants:

'Monsieur,

Nous faisons suite à notre courrier du 18 décembre 2015 évoquant un entretien préalable fixé au 4 janvier 2016.

Vous êtes venu à cet entretien accompagné de Madame Y..., représentante du personnel.

Au cours de cet entretien, nous avons repris les éléments nous ayant amenés à initier la présente procédure.

Nous avons notamment revu les différents éléments sur lesquels nous avions déjà recueilli

vos explications, lors du premier entretien préalable qui s'était tenu le 15 décembre 2015.

Nous vous avons également exposé les faits découverts le 18 décembre 2015, postérieurement à ce premier entretien, et nous ayant amenés à vous reconvoquer.

' Vous occupez au sein de notre société les fonctions de technico-commercial depuis le 16 septembre 2009.

* Le 5 février 2015, vous avez été reçu en entretien par Monsieur Q..., président de la société, pour faire un point sur la manière dont vous exécutez vos missions.

Lors de cet entretien, il a été constaté que votre prestation de travail sur 2014 avait été très insatisfaisante.

Des objectifs vous ont par conséquent été fixé au terme de cet entretien, dont notamment :

' Remporter le projet GOHL

' Réaliser davantage de déplacements sur zone

' Formuler davantage d'offres.

* Le 1er juillet 2015, Monsieur Q... a refait le point avec vous.

À cette occasion, votre attention a été attirée sur le fait que vous n'aviez pas satisfait aux objectifs qui vous avaient été fixés lors de l'entretien du 5 février 2015.

Il a ainsi été constaté :

' Que vous n'aviez pas rempli votre objectif de remporter l'affaire GOHL, sans toutefois conclure une autre affaire de niveau équivalent,

' Que le volume de vos déplacements et des offres émises demeurait nettement insuffisant.

De nouveaux axes d'amélioration vous ont été fixés.

Ces objectifs vous ont ensuite été rappelés par courrier remis en mains propres le 4 septembre 2015.

Il vous a ainsi été demandé :

' D'élaborer un plan d'action sur votre zone pour fin septembre 2015

' De mesurer votre niveau d'offres générées, afin de l'augmenter et de vous approcher du niveau de vos collègues,

' De concrétiser une ou plusieurs affaires sur le second semestre 2015, pour un montant minimum de 1M€.

* Afin de vous donner les moyens d'améliorer votre prestation de travail, vous avez également suivi une formation commerciale en septembre 2015.

Nous rappelons que vous aviez déjà suivi un stage de formation en 2013 (« mieux se connaître pour tendre vers plus de performance »).

* Au terme du second semestre 2015, il apparaît que malgré les différentes alertes que vous avez reçues, vous n'avez pas su redresser la situation.

Nous avons ainsi identifié un grand nombre de dysfonctionnements dans l'exécution de vos missions sur l'année 2015, dont notamment :

Un manque de prospection :

' Vous n'établissez pas de rapport de visite

' Vous n'êtes pas suffisamment présent sur le terrain et en clientèle.

Ainsi, en moyenne, le nombre de vos visites ne représente que 3,6 jours par mois sur 2015, soit moins de 20 % de votre temps de travail. Il apparaît que vous avez consacré moins de temps à la prospection en 2015 qu'en 2014 (où votre moyenne de visites s'élevait en moyenne à 3,8 jours par mois), alors même que votre zone géographique de prospection a été élargie en 2015 (extension à la Russie et l'Ukraine).

Un manque de suivi technique après prise de commandes :

' A titre d'exemple, vous n'avez pas opéré le suivi technique de l'affaire du client C... en Croatie, ce qui a eu pour conséquence une dégradation de la marge sur cette affaire de 26 K€, soit 42 % de la marge prévue lors de la prise de commande.

Une démarche commerciale inadéquate :

A la fin du mois d'octobre 2015, Madame G..., notre interlocutrice de France PROCESS en Russie, vous a ainsi alerté par différents mails sur le caractère très insatisfaisant de votre gestion de différents projets (dossier Parmesan et Potchinki).

Sur ces dossiers, Madame G... a identifié les anomalies suivantes :

' Vous ne maîtrisez par des paramètres techniques pourtant vus avec le client plusieurs mois auparavant

' Vous n'avez pas répondu aux questions qui vous ont été posées

' Vous ne vous êtes pas rendu sur place, alors même qu'un tel déplacement était nécessaire pour apporter des explications au client et recueillir les informations nécessaires à la finalisation du projet

' Au terme de plusieurs mois d'échanges, vous n'aviez toujours pas adressé d'offre au client concerné.

Confrontée à cette situation, Madame G... nous a directement interpellés, pour nous demander si la société CHALON MEGARD était réellement intéressée par les projets en cause.

L'ensemble de ces éléments met en évidence vos lacunes dans le traitement des dossiers à l'export, et démontrent qu'en dépit des précédentes alertes reçues, votre comportement commercial demeure inadapté.

' Nous constatons qu'en raison de ces multiples carences, vous n'avez pas atteint les objectifs qui vous avaient été fixés au début du second semestre 2015.

Ainsi, au terme de l'année :

' Votre volume de commandes s'élève à environ 247 k€, soit 4 % seulement du total de commandes de l'équipe commerciale

' Vous n'avez réalisé que 54 devis, soit une moyenne de 4,5 devis par mois ; il s'agit de la moyenne la plus faible de toute l'équipe,

' Votre nombre de devis ne représente que 8 % du nombre total de devis réalisés par l'équipe, ce qui n'est pas normal,

' Le montant de vos offres est le plus faible équipe, à savoir 11 990 K€

' Vous n'avez enregistré aucune commande significative après le 19 février 2015.

Lors de l'entretien préalable qui s'est tenu le 15 décembre 2015, vous avez reconnu le décalage existant entre votre prestation de travail et celle de vos collègues.

Nous parvenons ainsi au constat qu'en dépit des différents entretiens dont vous avez bénéficié et des axes d'amélioration qui vous ont été fixés, vous n'avez pas su rétablir une prestation de travail correspondant à ce que nous sommes légitimement en droit d'attendre d'un technico-commercial, et ce alors même que notre société est confrontée à un besoin crucial d'enregistrement de commandes.

L'ensemble des éléments justifie d'ores et déjà votre licenciement.

' Indépendamment de ces éléments, nous avons découvert des faits fautifs vous concernant.

Le 18 septembre 2015, nous avons été informés par notre responsable informatique que vous aviez procédé à une copie de fichiers appartenant à l'entreprise sur votre ordinateur portable professionnel.

Nous vous avons par conséquent demandé d'ouvrir une session de votre ordinateur portable professionnel, en présence de l'informaticienne, Madame V... D... et d'un représentant du personnel, Monsieur B... W....

En votre présence, Madame V... D... a procédé à la consultation du répertoire personnel présent sur cet ordinateur professionnel.

Il est alors apparu que des fichiers et répertoires appartenant à l'entreprise se trouvaient dans ce répertoire personnel, sans raison valable de s'y trouver.

Le 29 décembre 2015, il a été procédé à l'ouverture par huissier de justice des fichiers informatiques en cause. Bien qu'invité par courrier du 23 décembre 2015 à assister à cette ouverture, vous n'avez pas souhaité être présent lors de la réalisation de ce constat d' huissier.

Il a été constaté que vous aviez procédé le 16 décembre 2015, à au moins trois reprises, à des copies de fichiers sur des répertoires.

Ces fichiers comprenaient des données techniques propres au savoir-faire de CHALON MEGARD ainsi que des données relatives à des clients que vous ne suivez pas.

Vous avez classé ces documents dans deux répertoires personnels superposés, et vous avez tenté de les dissimuler, en utilisant une fonction de Windows permettant de dissimuler des fichiers vis l'affichage. (Sic)

L'ensemble de ces éléments démontre que de manière délibérée, vous avez tenté de vous emparer de données techniques et commerciales qui sont la propriété exclusive de l'entreprise, et dont l'utilisation par des tiers ne manquerait pas de nous causer un important préjudice.

Lors de l'entretien préalable du 4 janvier 2016, vous avez tenté de justifier ces faits par une « erreur de manipulation » ce qui n'est pas crédible notamment compte tenu des multiples copies que vous avez réalisées et de vos tentatives de dissimulation.

Ces faits fautifs nous amènent à vous notifier votre licenciement pour faute grave.

Vous ne ferez donc plus partie de notre effectif à compter de la date d'envoi du présent courrier, et votre période de mise à pied conservatoire ne vous sera pas rémunérée.(...)'.

T... S... a saisi le conseil de prud'hommes d'OYONNAX d'une contestation de ce licenciement le 15 février 2016.

Par jugement en date du 6 juin 2017, le conseil des prud'hommes d'Oyonnax a :

' rejeté les demandes de Monsieur T... S...

' rejeté les demandes présentées au titre de l'article 700 du code de procédure civile

' condamné Monsieur T... S... aux dépens

' dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

Le salarié a régulièrement interjeté appel de ce jugement le 15 juin 2017.

Dans ses dernières conclusions, T... S... demande à la cour :

' d'infirmer le jugement rendu par le conseil des prud'hommes d'Oyonnax le 6 juin 2017

Statuant à nouveau

' de juger que le licenciement prononcé pour faute grave à l'encontre de Monsieur S... le 18 janvier 2016 et dénué de cause réelle et sérieuse

' de condamner la société CHALON MEGARD à verser à Monsieur S... les somme suivante :

* rappel de salaire pour annulation de la mise à pied du 1er au 18 janvier 2016 : 3642 € outre 364 € à titre de congés payés afférents

* indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 59'612 €

* indemnité de préavis : 12'774 €, outre la somme de 1277 € à titre de congés payés afférents

* indemnité conventionnelle de licenciement : 5961 €

* article 700 du code de procédure civile : 2000 €, outre les dépens.

Dans ses dernières conclusions, la SAS CHALON MEGARD demande pour sa part à la cour:

' de confirmer en toutes ses dispositions le jugement du conseil des prud'hommes d'Oyonnax du 6 juin 2017

' de débouter Monsieur S... de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions

' de condamner Monsieur S... à verser à la société CHALON MEGARD la somme de 5000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture de la procédure est intervenue le 10 janvier 2019.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la Cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1.- Sur le bien-fondé du licenciement :

Contrairement à ce qu'allègue le salarié, il résulte des termes mêmes de la lettre de licenciement que ce dernier repose sur deux motifs de rupture distincts à savoir une insuffisance professionnelle et une faute grave.

Or, aucune disposition légale n'interdit à l'employeur d'invoquer plusieurs motifs de rupture inhérents à la personne du salarié à la condition qu'ils procèdent de faits distincts et que les règles de procédure applicables à chaque cause de licenciement soient respectées, ce qui n'est pas contesté en l'espèce et est même reconnu par l'appelant qui conteste en tout premier lieu le bien-fondé de son licenciement pour faute grave et, à titre subsidiaire, le motif tiré de l'insuffisance professionnelle.

Concernant la faute grave, il résulte de l'article L. 1232'1 du code du travail que tout licenciement individuel doit reposer sur une cause réelle et sérieuse.

Selon l'article L.1235-1 du code du travail dans sa version en vigueur, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.

Par ailleurs, il résulte des articlesL.1234-1 et L.1234-9 du code du travail que, lorsque le licenciement est motivé par une faute grave, le salarié n'a droit ni à un préavis ni à une indemnité de licenciement.

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée du préavis.

L'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve qui doit reposer sur des faits précis et matériellement vérifiables, qu'il doit reprendre dans la lettre de licenciement prévue par l'article L1232-6 du code du travail, cette lettre fixant ainsi les limites du litige.

En l'espère, il résulte des termes de la lettre de licenciement que T... S... a été licencié pour faute grave en raison des faits suivants :

- Avoir copié sur le répertoire personnel de son ordinateur professionnel le 16 décembre 2015 et à au moins trois reprises, des fichiers et répertoires appartenant à l'entreprise qui n'avaient pas de raison valable de s'y trouver et qui comprenaient des données techniques propres au savoir-faire de CHALON MEGARD ainsi que des données relatives à des clients qu'il ne suivait pas:

Pour rapporter la preuve de ces faits, la SAS CHALON MEGARD se fonde sur un procès-verbal de constat d'huissier en date du mardi 29 décembre 2015 dressé par Maître R..., Huissier de justice à Oyonnax, relatif à la consultation des documents et fichiers contenus dans le répertoire personnel de l'ordinateur professionnel de T... S....

Cependant, si les fichiers créés par le salarié à l'aide de l'outil informatique mis à sa disposition par l'employeur pour les besoins de son travail sont présumés avoir un caractère professionnel, de sorte que l'employeur est en droit de les ouvrir en dehors de sa présence, tel n'est pas le cas si ces fichiers sont identifiés comme étant personnels.

En l'espèce, il n'est pas discuté que les fichiers litigieux étaient contenus dans un dossier de la 'bibliothèque' de l'ordinateur professionnel de T... S... intitulé 'GR Perso' dont le caractère personnel est ainsi clairement indiqué et n'est d'ailleurs pas contesté.

En conséquence, ce dossier ne pouvait être ouvert par la SAS CHALON MEGARD hors la présence du salarié ou celui-ci dûment appelé.

T... S... était absent lors de l'ouverture de son ordinateur portable professionnel en présence de l'Huissier de Justice le 29 décembre 2015, opération à laquelle il a été convoqué pour 10 heures, non par Maître R..., mais par la SAS CHALON MEGARD elle-même.

Cependant, cette dernière ne produit aucun justificatif de la date d'envoi de cette lettre de convocation que T... S... justifie avoir reçue à son domicile d'ARENTHON (74800) le 29 décembre 2015, la photocopie du recommandé avec avis de réception portant la mention suivante des services postaux: 'Repasse demain' (pièce 39).

En outre, la lecture du constat révèle que l'huissier ne s'est manifestement pas assuré de la date d'envoi de la lettre de convocation et du délai suffisant, compte tenu de la période de congés de fin d'année, pour permettre à T... S... d'assister à ses opérations.

Il résulte de ce qui précède que T... S... n'a pas été dûment convoqué aux opérations d'ouverture par l'huissier de justice du dossier personnel de son ordinateur professionnel en sorte que le constat produit en pièce 16 par l'appelante ainsi que le document intitulé 'Constat fait avec M G S... le 18/12/2015" remis à l'huissier par l'employeur à l'occasion des opérations du 29 décembre 2015, constitue un mode de preuve illicite comme établi en violation des dispositions des articles 9 du Code civil et 9 du code de procédure civile.

Ce constat ainsi que les documents qui y sont annexés se trouvent donc dépourvus de toute force probante.

Cependant, T... S... indique verser aux débats les documents copiés (page 12 de ses conclusions) et reconnaît en page 10 de ses conclusions qu'il 'a donc copié et utilisé ces fichiers à l'occasion de l'exercice normal de ses fonctions (...)' ou encore que si les fichiers professionnels 'ont bien été copiés, [ils] sont toujours restés sur [son] ordinateur professionnel, de sorte qu'ils n'ont jamais été transférés au copié sur un support extérieur à l'entreprise '.

La date des opérations de copiage, à savoir le 16 décembre 2015, n'est pas non plus contestée.

Par ailleurs, T... S... qui indique en page 11 de ses conclusions que 'le caractère confidentiel et professionnel des fichiers qui sont visés dans la lettre de licenciement, n'a donc jamais été altéré, dans la mesure où ces fichiers n'ont pas quitté l'ordinateur professionnel sur lequel ils étaient stockés, ordinateur qui appartient l'entreprise' reconnaît ainsi le caractère confidentiel et professionnel des fichiers copiés.

Il est donc ainsi établi que T... S... a, le 16 décembre 2015, copié dans le dossier intitulé personnel 'GR PERSO' de son ordinateur portable professionnel des fichiers appartenant à l'entreprise comportant des données techniques et commerciales confidentielles.

Pour justifier la présence de tels fichiers dans un document personnel, T... S... fait valoir que ces fichiers techniques, qui sont des fiches de présentation commerciale, ont été téléchargés en vue d'une présentation technique du process de moulage et de pressage à la société NEUDORF laquelle avait pour objectif de lancer l'étude d'une deuxième ligne de fabrication au mois de février 2016 et avec laquelle il avait rendez-vous le 16 décembre 2015, rendez-vous qui avait été reporté au 13 janvier 2016.

Cependant, ainsi que le fait justement valoir la SAS CHALON MEGARD, le rapport d'activité de la société NEUDORF produit en pièce 34 par l'intimé révèle que, si un rendez-vous avait bien été fixé avec ce client le 9 novembre 2015 pour le 16 décembre 2015, la visite avait été reportée le 14 décembre 2015 sans nouvelle date précise, vraisemblablement 'fin janvier ou février'.

En outre, il ressort de la lecture de ce document que, si un autre rendez-vous était bien fixé avec cette entreprise pour lui présenter différents concepts et commencer à réfléchir sur des solutions relatives à un projet de fromagerie, ce rendez-vous était fixé, non pas le 13 janvier 2016, mais le 13 janvier 2017.

L'appelant fait également valoir qu'il était autorisé, à la fois par la charte informatique et par un usage en vigueur dans l'entreprise, à copier les fichiers litigieux.

De façon contradictoire, il fait également valoir que les dispositions de cette charte informatique approuvée par le Comité d'entreprise le 23 avril 2015 n'ont pas été portées à sa connaissance, information dont l'employeur ne justifie effectivement pas.

En toute hypothèse, le moyen tiré d'une autorisation de l'employeur ou de l'usage en cours dans l'entreprise autorisant les commerciaux à copier les fichiers stockés sur les serveurs de l'entreprise dans leurs ordinateurs professionnels s'avère dénué de pertinence dès lors qu'aucun motif professionnel valable ne justifiait la présence des fichiers litigieux dans l'ordinateur professionnel du salarié et encore moins dans un dossier expressément identifié comme étant personnel.

Enfin, T... S... fait valoir que les copies des fichiers litigieux qu'il verse aux débats ont été réalisées 'pour contester l'insuffisance professionnelle alléguée, pour laquelle le salarié avait été convoqué à un entretien préalable qui a eu lieu le 15 décembre (...)' et dans le but se ménager les preuves nécessaires à la défense de ses intérêts en justice. Pour autant, il ne précise ni ne justifie en quoi chacun de ces fichiers, dont il ne vise pas les numéros dans ses conclusions, était nécessaire à l'exercice de ses droits dans le cadre d'un éventuel procès à venir.

La matérialité des faits reprochés à T... S... est ainsi établie.

- En classant ces documents dans deux répertoires personnels superposés, et en tentant de les dissimuler, en utilisant une fonction de Windows permettant de dissimuler des fichiers via l'affichage:

Ces faits, dont la preuve repose sur le seul constat d'huissier réalisé sans que le salarié soit dûment convoqué aux opérations d'ouverture du dossier personnel de son ordinateur professionnel, ne sont pas établis.

- Avoir ainsi délibérément tenté de s'emparer de données techniques et commerciales qui sont la propriété exclusive de l'entreprise, et dont l'utilisation par des tiers ne manquerait pas de causer un important préjudice à l'employeur.

Contrairement à ce que soutient T... S... dans ses conclusions, la lettre de licenciement ne lui fait pas grief d'avoir détourné des fichiers informatiques appartenant à la SAS CHALON MEGARD ou d'avoir divulgué des informations confidentielles mais uniquement d'avoir tenté de s'approprier des fichiers contenant des données techniques et commerciales confidentielles appartenant à l'entreprise.

Or, même si les actes de dissimulation des fichiers contenant les données techniques et commerciales de l'entreprise ne sont pas établis, la preuve d'une tentative d'appropriation frauduleuse par le salarié est néanmoins rapportée par le cumul de plusieurs éléments.

Il effet, il est jugé plus haut que T... S... ne justifie d'aucune raison valable à la copie des fichiers litigieux dans son ordinateur professionnel, dont le jugement déféré a par ailleurs fort justement relevé qu'il était portable et donc susceptible d'être utilisé à l'extérieur de la société.

La cour relève également le contexte particulier dans lequel la copie de ces fichiers est intervenue à savoir le lendemain d'un entretien préalable à licenciement pour insuffisance professionnelle dont le jugement déféré souligne également à juste titre qu'il pouvait faire craindre au salarié de perdre son emploi.

Par ailleurs, le jugement déféré a justement relevé l'existence à l'article 11 du contrat de travail d'une clause de confidentialité-secret stipulant que le salarié 's'interdit, sauf accord préalable de la Société, de divulguer, à des tiers, non membres du groupe auquel appartient la Société et, en tout état de cause, à toute personne même membre de ce groupe, dont le rôle ne justifierait pas la communication des données en cause, de toute information, document de quelque nature que ce soit relatif notamment à l'organisation, aux méthodes, aux procédés de fabrication, au savoir-faire technique, aux projets, aux méthodes commerciales, à la stratégie marketing et plus généralement de toute information à caractère technique, commercial, financier ou social concernant la société ainsi que le groupe auquel celle-ci appartient (...)'.

La cour relève en outre que l'employeur avait fait expressément de cette obligation de confidentialité une obligation essentielle du contrat de travail.

En conséquence, T... S... ne pouvait ignorer l'importance de la confidentialité des informations et documents appartenant à l'employeur ni le fait qu'il n'était pas autorisé à copier les fichiers et encore moins dans un dossier personnel de son ordinateur professionnel.

Enfin, et contrairement à ce que soutient l'appelant, les craintes de l'employeur quant aux effets délétères pour l'entreprise d'une divulgation de ces données confidentielles apparaissent parfaitement fondées au vu de des difficultés économiques que celle-ci traversait à l'époque et dont elle avait fait part à T... S... dans son courrier du 1er septembre 2015 en évoquant 'un contexte où l'entreprise a cruellement besoin de rentrer des commandes'.

*

Aux termes de cette analyse des différents griefs imputés au salarié dans la lettre de licenciement, il apparaît que T... S... a tenté de s'emparer de données techniques et commerciales appartenant à son employeur et dont l'utilisation par des tiers était de nature à causer un important préjudice à la SAS CHALON MEGARD, ce alors qu'il ne pouvait ignorer l'importance de la confidentialité des données et des documents contenus dans ces fichiers.

Or, un tel fait, qui caractérise incontestablement un manquement à l'obligation d'exécution loyale du contrat de travail, constitue une faute grave rendant effectivement impossible toute poursuite de l'exécution du contrat de travail au sein de l'entreprise, même pendant la durée limitée du délai de préavis.

C'est donc à juste titre que le jugement déféré a rejeté les demandes de T... S... pour ce seul motif.

En conséquence, le jugement sera intégralement confirmé, sans qu'il soit nécessaire d'examiner le moyen relatif à l'insuffisance professionnelle, également contestée par le salarié.

2.- Sur les demandes accessoires:

Partie perdante, T... S... supportera la charge des dépens de première instance et d'appel.

Vu les données du litige, il ne parait pas inéquitable de laisser à chacune des parties la charge intégrale des frais de procédure et honoraires qu'elle a dû exposer pour la présente instance.

En conséquence, il n'y a donc pas lieu en l'espèce de faire application de l'article 700 du code de procédure civile, que ce soit en première instance ou en appel.

PAR CES MOTIFS,

La Cour,

CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions;

Y ajoutant :

CONDAMNE T... S... aux dépens d'appel;

REJETTE la demande présentée par la SAS CHALON MEGARD sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais et honoraires exposés en cause d'appel;

DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Le Greffier Le Président

Gaétan PILLIE Michel SORNAY


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale b
Numéro d'arrêt : 17/04429
Date de la décision : 05/04/2019

Références :

Cour d'appel de Lyon SB, arrêt n°17/04429 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-04-05;17.04429 ?
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