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13/02/2019 | FRANCE | N°16/08338

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale a, 13 février 2019, 16/08338


AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE







R.G : N° RG 16/08338 - N° Portalis DBVX-V-B7A-KV4J





X...



C/

SA OPERATRICE DE LA CHAINE EUROPEENNE MULTILINGUE D'INFORMATION EURONEWS (SOCEMIE)







APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON

du 27 Octobre 2016

RG : 15/01835











COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE A



ARRÊT DU 13 FEVRIER 2019





APPELANT :
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Belaid X...

né le [...] à EL HARRCH (ALGERIE)

[...]



comparant en personne, assisté de Me Jean-michel Y..., avocat au barreau de LYON





INTIMÉE :



SA EURONEWS Prise en la personne de son représentant légal en exercice.

[...]...

AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE

R.G : N° RG 16/08338 - N° Portalis DBVX-V-B7A-KV4J

X...

C/

SA OPERATRICE DE LA CHAINE EUROPEENNE MULTILINGUE D'INFORMATION EURONEWS (SOCEMIE)

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON

du 27 Octobre 2016

RG : 15/01835

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE A

ARRÊT DU 13 FEVRIER 2019

APPELANT :

Belaid X...

né le [...] à EL HARRCH (ALGERIE)

[...]

comparant en personne, assisté de Me Jean-michel Y..., avocat au barreau de LYON

INTIMÉE :

SA EURONEWS Prise en la personne de son représentant légal en exercice.

[...]

représentée par Me Z... Q... de la SCP FROMONT BRIENS, avocat au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 02 Octobre 2018

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ:

Joëlle DOAT, Président

Evelyne ALLAIS, Conseiller

Annette DUBLED VACHERON, Conseiller

Assistés pendant les débats de Carole NOIRARD, Greffier placé.

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 13 Février 2019, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Joëlle DOAT, Président, et par Manon FADHLAOUI, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*************

Suivant un contrat à durée indéterminée signé le 30 septembre 2008, Monsieur Belaid X... a été engagé par la société opératrice de la chaîne européenne multilingue d'information EURONEWS (SOCEMIE) pour occuper à temps plein un poste de journaliste bilingue de langue arabe à la direction de la rédaction, soumis à la convention collective nationale des journalistes.

Par requête en date du 13 mai 2015, Monsieur X... a saisi le conseil de prud'hommes de Lyon en lui demandant de prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail et de condamner la société EURONEWS à lui payer diverses sommes à titre d'indemnités et de dommages et intérêts.

Par jugement en date du 27 octobre 2016, le conseil de prud'hommes a débouté Monsieur X... de toutes ses demandes, débouté la société EURONEWS de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile et condamné Monsieur X... aux dépens de l'instance.

Monsieur Belaid X... a interjeté appel de ce jugement, le 24 novembre 2016.

Il demande à la cour :

' d'infirmer le jugement

et statuant à nouveau,

' de dire que sa demande de résiliation judiciaire est parfaitement fondée

' de condamner la société SOCEMIE à lui payer les sommes suivantes :

8.769,09 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 876,90 euros à titre de congés payés sur préavis

26.376,57 euros au titre de l'indemnité de licenciement

90.000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture de son contrat de travail

si la cour ne s'estimait pas insuffisamment informée,

' d'ordonner toutes mesures d'enquête et toute comparution des parties qu'elle jugera utiles

' de condamner la société SOCEMIE à lui payer la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

Il reproche à la société EURONEWS la détérioration de ses conditions de travail, en exposant que, dès l'année 2012, il a connu des conditions de travail difficiles, puis à nouveau en juin 2014, en raison du comportement de ses collègues à la suite de la réalisation par ses soins d'un duplex avec le rédacteur en chef d'un journal égyptien travaillant à LONDRES et de l'annulation de ce produit sans aucune explication de la part de la rédaction de la société EURONEWS, certains journalistes s'étant réjouis de cette décision et ayant poussé un cri de joie en sa présence, ce qu'il a vécu comme une manifestation de mépris, de lynchage et d'acharnement à son encontre.

Il indique qu'il a appris l'annulation du duplex en même temps que tous les journalistes, contrairement aux affirmations de la société EURONEWS, qu'il se sentait depuis quelque temps la cible de discrimination et de remarques indécentes de la part de ses collègues, qu'il est faux de prétendre que ni les délégués du personnel, ni les autres journalistes n'ont répondu à son 'appel à témoins' du 9 juin 2014, puisque plusieurs personnes lui ont écrit, qu'il s'est entretenu avec Madame A..., responsable administrative de la rédaction, et avec Madame B..., directrice des ressources humaines, mais qu'il a dû comprendre que les contestations qu'il avait élevées ne pourraient avoir de suite, qu'il a fait l'objet d'un arrêt maladie du 17 au 24 juillet 2014, qu'il a saisi l'inspection du travail laquelle a écrit au directeur de la société EURONEWS, le 23 octobre 2014, mais qu'aucune mesure n'a été prise pour améliorer sa situation.

Il explique qu'au mois de janvier 2015, bien que partageant l'émotion liée à l'événement tragique survenu le 7 janvier 2015, il avait manifesté son opposition à ce que la société EURONEWS s'abonne à P... C..., et qu'à la suite d'une déformation de ses propos lors de la traduction d'un courriel rédigé par lui en arabe et en anglais, il a été dénoncé à tort aux services de police comme ayant proféré des menaces de mort, ce qui était totalement faux.

Il fait observer que Madame D..., directrice technique de la société EURONEWS ayant effectué la dénonciation, n'a fait que se baser sur les déclarations de personnes qui souhaitaient lui nuire en donnant à ce propos une connotation menaçante et dangereuse pour autrui alors qu'il n'en était rien, que Monsieur E..., rédacteur en chef, et Monsieur F..., directeur du journal, sont impliqués dans cette dénonciation et que de nombreuses rumeurs circulaient dont la société EURONEWS avait connaissance.

Il déclare qu'il a été interpellé le 15 janvier 2015 à 20h50 par les policiers de la sûreté départementale du Rhône en association avec une équipe de 12 fonctionnaires du GIGN, puis placé sous le régime de la garde à vue, que cette arrestation,précédée d'un assaut, a été particulièrement violente puisqu'elle a occasionné une fracture de l'arc antérieur des côtes K6 et K7 justifiant une ITT de 15 jours, qu'une perquisition a été effectuée à son domicile, ainsi que dans les locaux de la société EURONEWS, qu'en définitive, le Procureur de la République a décidé de classer l'affaire sans suite.

Il conteste les griefs qui lui sont imputés dans l'avertissement que lui a notifié la société EURONEWS, par lettre recommandée en date du 5 février 2015, après un entretien du 30 janvier 2015, à savoir son absence de neutralité et d'impartialité.

Il soutient que son mail a été traduit de l'arabe en anglais par Monsieur G... qui a modifié le sens de son propos , lequel ne concernait rien d'autre que l'affirmation de ses convictions religieuses et son opposition à voir publier la Une de P... C... simplement parce qu'elle représentait le prophète Mahomet, que sa phrase sortie de son contexte a été utilisée et mal interprétée par les personnes qui ont décidé des événements qui ont suivi, à savoir son interpellation et son placement en garde à vue, mais que ces personnes ont omis de relever que dans la suite de son mail, il affirmait qu'il se présenterait dès le lendemain avec un exemplaire de P... C... et un bouquet de fleurs pour s'excuser auprès de ses collègues français.

Il ajoute qu'il cherchait depuis des mois la compassion et le soutien de ses supérieurs hiérarchiques face au harcèlement et au mépris qu'il subissait de la part de ses collègues, qu'il a finalement été l'objet d'une humiliation sans nom le 15 janvier 2015, traité comme une menace terroriste par ses collègues et les forces de police, conduit sur son lieu de travail, menotté et humilié devant tous ses collègues, alors que rien ne justifiait cette intervention car il n'avait jamais présenté le moindre danger.

Il fait valoir que le grief qui lui est reproché contredit les principes de la charte EURONEWS, que le contexte sensible auquel fait référence la lettre d'avertissement impliquait pour un journal censé être neutre dans la diffusion de l'information de ne pas prendre de position tranchée sur une question qui mettait en cause des sensibilités culturelles et religieuses différentes au sein de l'entreprise, que l'impartialité exigée par la charte était indubitablement mise en cause, dès lors que le journal EURONEWS acceptait de publier la Une du journal P... C... sans discuter au préalable des opinions de chacun quant à un sujet aussi sensible, que les décisions prises à son encontre et les réactions de chacun de ses contradicteurs ont été dictées par des préjugés et par l'émotion suscitée par les événements, que ni ses collègues, ni les dirigeants n'ont fait preuve d'impartialité et de neutralité dans leurs réactions et leurs décisions en manifestant leur soutien et leur solidarité pour le journal P... C... tandis que lui-même apparaissait fautif d'exprimer ses convictions religieuses les plus profondes, et qu'il n'y avait rien de menaçant ou d'insultant dans sa démarche.

Il précise que ses conditions de travail difficiles ont eu des conséquences sur sa santé, que, depuis ces événements, il a fait l'objet d'arrêts maladie successifs en raison de son état dépressif, qu'aucun membre de la direction ni aucun collègue membre de l'équipe EURONEWS ne lui a présenté d'excuses après le 15 janvier 2015 et que la société a refusé de lui accorder les mêmes avantages qu'aux autres salariés en ce qui concerne son logement.

La société EURONEWS demande à la cour :

' de confirmer le jugement

' de condamner Monsieur X... à lui payer la somme de 2.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

Elle estime qu'elle n'a commis aucune faute qui justifierait la résiliation judiciaire à ses torts du contrat de travail de Monsieur X... et que ce dernier n'a fait l'objet d'aucun acharnement de sa part ou de la part de ses collègues.

Elle fait observer que le médecin du travail n'a pas donné de suite à son courrier du 2 mai 2012 et que, postérieurement à cette date, Monsieur X... a été jugé apte à son poste de travail au terme de plusieurs visites médicales.

En ce qui concerne la décision prise par la direction de ne pas diffuser le duplex réalisé par Monsieur X..., elle affirme qu'elle était fondée sur des raisons d'objectivité éditoriale évidentes, que Monsieur X... ne peut substituer son appréciation à celle de la rédaction qui entend assurer une totale neutralité et est la seule à même de prendre la décision de diffusion d'une interview, que certains journalistes de l'équipe ont exprimé leur soulagement de ne pas avoir à traiter ce sujet complexe et délicat, que ni les délégués du personnel, ni les autres journalistes n'ont répondu à l'appel à témoin adressé le 9 juin 2014 par Monsieur X... à la direction de la rédaction, à la direction des ressources humaines, ainsi qu'à l'ensemble des journalistes de la chaîne et des délégués du personnel, soit près de 200 personnes, pour déterminer « les véritables causes » de ces prétendus cris de joie, et que la réaction de Monsieur X... telle qu'exposée dans son courriel de réponse particulièrement virulent à Madame H..., journaliste, apparaît disproportionnée, enfin que les représentants du personnel n'ont pas jugé utile de porter le cas de Monsieur X... auprès de la direction.

Elle précise qu'elle avait bien apporté à Monsieur X... une explication quant à la décision de ne pas diffuser le duplex réalisé, qu'il n'y avait dans cette décision aucune volonté de lui nuire ou de le priver de sa liberté d'expression, que ce que Monsieur X... qualifie d'atteinte à sa liberté d'expression ne consiste en réalité qu'en une juste application du pouvoir de direction exercé par ses supérieurs hiérarchiques, qu'elle a immédiatement réagi au courriel du 9 juin 2014, que deux entretiens ont eu lieu, le 11 juin et le 15 juillet 2014, qu'elle a envoyé à Monsieur X... une réponse circonstanciée sur les événements du 4 juin 2014, par courrier du 24 juillet 2014, qu'elle a apporté à l'inspecteur du travail à la suite de son courrier du 23 octobre 2014 toutes les explications utiles à la bonne compréhension des événements et que l'arrêt de travail de Monsieur X... n'a aucun rapport avec ses conditions de travail et le prétendu comportement irrespectueux de ses collègues puisqu'il a été prescrit en raison d'une intervention chirurgicale.

Elle soutient que l'avertissement notifié à Monsieur X... était justifié, précisant que le débat devant la cour ne porte pas sur le point de savoir si la direction de la rédaction a eu raison ou pas de diffuser à l'antenne la Une de P... C... à la suite des attentats, cette appréciation relevant de la seule autorité compétente, le Conseil supérieur de l'audiovisuel, et que le débat ne porte pas non plus sur les opinions personnelles de Monsieur X..., bien qu'elles n'aient pas à être diffusées au moyen de la messagerie professionnelle d'entreprise.

Elle fait valoir en effet qu'il résulte de l'ensemble des échanges intervenus entre Monsieur X..., son responsable de langue arabe et supérieur hiérarchique, Monsieur I..., et les journalistes de langue arabe de la chaîne, que Monsieur X... a remis ouvertement en cause, en la critiquant de manière particulièrement provocatrice, la ligne éditoriale adoptée au sein de la société, qu'il a ouvertement manqué à l'obligation de neutralité inhérente à ses fonctions de journaliste en exprimant au moyen de la messagerie professionnelle une position personnelle susceptible de porter atteinte à un climat professionnel serein, qu'il a abusé manifestement et ouvertement de sa liberté d'expression et que la direction n'a pas d'obligation de s'expliquer auprès de Monsieur X... sur ses choix éditoriaux et sur leur compatibilité avec la charte éditoriale en vigueur au sein de la société.

Elle explique qu'à la suite des attentats de janvier 2015, des consignes particulières de vigilance ont été données à l'ensemble des médias français, et notamment celle de transmettre tout fait, propos ou comportement « singulier » aux autorités policières en cas de doute, que dans ces conditions, confrontée à la teneur plus que douteuse des propos de Monsieur X..., qu'il s'agisse de la traduction qui en a été faite ou de celle que propose ce dernier, la différence entre les deux apparaissant subtile, elle n'a eu d'autre choix que de les signaler aux autorités compétentes qui ont été seules à apprécier la suite qu'elles voulaient lui donner et qu'il ne peut lui être reproché les conditions dans lesquelles les forces de police sont intervenues, qui sont parfaitement indépendantes de sa volonté.

Elle ajoute que la plainte de Monsieur X... pour dénonciation calomnieuse a été classée sans suite, qu'aucune condamnation n'est à ce jour intervenue sur ce point et que ce n'est pas la phrase selon laquelle il viendra avec un bouquet de fleurs afin de présenter ses excuses à ses collègues français qui pourrait retirer leur gravité à ses propos précédents.

Elle indique qu'à la suite d'une visite de reprise en date du 27 avril 2015, le médecin du travail a estimé que Monsieur X... était apte à reprendre son poste à temps plein, qu'à la suite de la visite médicale du 28 mai 2015, il a été déclaré apte sans aucune réserve par le médecin du travail, que Monsieur X... en conséquence ne rapporte pas la preuve d'une dégradation de son état de santé qui lui serait imputable, et que, finalement, Monsieur X... a bénéficié de l'avantage logement.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 13 septembre 2018.

SUR CE :

Aux termes de l'article 1184 ancien du code civil applicable au présent litige, la condition résolutoire est toujours sous entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l'une des deux parties ne satisfera point à son engagement. Dans ce cas, le contrat n'est point résolu de plein droit. La partie envers laquelle l'engagement n'a point été exécuté, a le choix ou de forcer l'autre à l'exécution de la convention lorsqu'elle est possible, ou d'en demander la résolution avec dommages et intérêts. La résolution doit être demandée en justice et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances.

Il appartient au salarié qui sollicite la résiliation judiciaire de rapporter la preuve de manquements suffisamment graves par l'employeur à ses obligations contractuelles pour empêcher la poursuite du contrat de travail et ainsi justifier la rupture à ses torts.

En premier lieu, aux termes d'un courrier daté du 2 mai 2012, le médecin du travail signale à la directrice des ressources humaines de la société EURONEWS que M. X... lui a indiqué au cours de la visite médicale périodique qu'il vivait une situation difficile dans le cadre de son travail et lui demande ce qu'elle en pense et ce qui peut être fait pour modifier cette situation de travail.

Ce courrier, seule pièce produite à l'appui de l'argumentation de M. X... à ce sujet, ne permet pas d'établir la réalité de la dégradation de ses conditions de travail à cette date, telle qu'il l'invoque, en l'absence de description d'un ou plusieurs faits précis.Il n'est par ailleurs justifié d'aucune autre intervention du médecin du travail postérieurement audit courrier et il résulte des fiches de visite médicale produites par la société EURONEWS que M. X... a été déclaré apte à l'issue des visites du 25 juillet 2012 et du 7 juin 2013.

Le grief n'est dès lors pas caractérisé.

En second lieu, en ce qui concerne les faits du 4 juin 2014, M. X... produit son courriel adressé à ses supérieurs hiérarchiques, aux délégués du personnel et aux journalistes le 9 juin 2014, destiné à les informer de ce que la rédaction a annulé 'à la dernière minute' le duplex qu'il avait réalisé avec le rédacteur en chef du journal ALARABY AL JADID situé à LONDRES 'sans donner aux journalistes une explication adéquate à ce qui s'est passé ce jour-là'.

Il explique dans son courriel que le script avait été traduit en français de manière professionnelle, mais que certains collègues ont rencontré des difficultés de compréhension quant à certains des termes utilisés dans l'interview, que ses collègues allemande, russe, portugaise, italienne et française se sont exprimées de manière véhémente à ce sujet et qu'à la suite de la décision prise par la direction de la rédaction d'annuler le duplex , 'quelques collègues de l'équipe, français, allemand, italien, russe ont poussé un cri de joie, signe d'acharnement, de lynchage et de mépris à mon encontre, et ceci pour célébrer en quelque sorte l'annulation du produit, tout cela en présence de M. Stéphane J..., rédacteur en chef adjoint.'

Il demande à la responsable administrative de la rédaction 'de mener une enquête interne pour identifier les individus qui ont été à l'origine de l'abandon du duplex,' indique 'qu'il juge cette décision arbitraire au motif que personne de la direction n'a pris la peine de demander à voir le duplex en entier pour pouvoir porter un jugement objectif' et 'lance un appel à témoins à tous les collègues qui ont assisté à cette scène pour apporter un témoignage objectif afin d'aider à déterminer les véritables causes de ces cris de joie et des applaudissements et de donner des élémentsà qui de droit pour statuer sur le constat des faits et procéder ainsi'.

Il conclut en ces termes : 'en ce qui me concerne, je trouve qu'un tel comportement porte préjudice à ma dignité humaine et professionnelle'.

M. X... reproche ainsi à son employeur :

- l'annulation sans motif valable et sans le prévenir du duplex qu'il avait réalisé

- les réactions de joie qui ont accueilli cette décision d'annulation en sa présence

- l'absence de suite donnée à ces agissements de ses collègues journalistes à son égard.

Dans le courrier qu'elle a adressé à M. X... le 24 juillet 2014, Mme A..., responsable administrative de la rédaction, a retracé la chronologie et les circonstances de l'événement du 4 juin 2014, indiquant notamment que M. E..., vers 18 heures 30, avait informé le journaliste qu'il décidait finalement de ne pas diffuser ce duplex, en lui expliquant que la qualité de son travail n'était en aucun cas remise en cause, mais qu'il s'agissait d'un choix purement éditorial de la direction, et que sa décision avait été immédiatement communiquée à l'équipe.

Le fait que, dans son courriel envoyé le 10 juin 2014, Mme Sophie K..., responsable du service français, écrit qu'elle ne comprend pas ce qui a posé problème à l'équipe, que certes, la personne interrogée par M. X... était 'anti Sissi' mais qu'un duplex 'politique' est toujours un point de vue de l'une des parties qu'il suffit de présenter comme tel et que le problème selon elle n'était pas le duplex, mais l'équipe sur laquelle 'est tombé' M. X..., dont elle indique qu'il est un journaliste consciencieux, fiable et sérieux, ne suffit pas à remettre en cause le bien-fondé de la décision d'annulation qui relève du pouvoir d'appréciation de la direction de la rédaction.

Sur ce point, les délégués du personnel se sont contentés de répondre à M. X..., par courriel du 13 juin 2014, qu'ils voulaient savoir s'il avait obtenu des informations supplémentaires et s'il avait eu une réponse concernant cette annulation. Or, cette réponse a été apportée par la lettre du 24 juillet 2014.

La décision d'annulation du duplex prise par le rédacteur en chef ne peut en conséquence être qualifiée de fautive en elle-même, alors que le travail des journalistes s'effectue sous son contrôle et qu'il assume la responsabilité des émissions diffusées par la chaîne.

En ce qui concerne les 'cris de joie', dont la réalité n'est pas discutée par la société EURONEWS, M. X... verse aux débats le courriel de M. Aissa L... qui écrit le 10 juin 2014 qu'ayant été présent quand l'incident s'est produit, il est prêt à apporter son témoignage objectif à qui de droit afin d'aider les enquêteurs à mener à bien les investigations appropriées et celui de M. M... N..., journaliste, qui déclare 'je suis désolé de ce qui s'est passé, je comprends tout à fait ton regard et malheureusement, ce genre de comportement, on le voit souvent'.

La société EURONEWS démontre quant à elle qu'elle a réagi à ces événements puisqu'à la suite du courriel du 9 juin 2014, la responsable administrative de la direction, Mme A..., et la directrice des ressources humaines, Mme B..., ont reçu M. X... en entretien, le 11 juin 2014 et le 15 juillet 2014 et que Mme A... lui a écrit la lettre du 24 juillet 2014 ci-dessus mentionnée.

Mme A... précise ainsi à M. X... qu'après discussion avec ses collègues et l'encadrement de la rédaction, elle peut lui affirmer 'que cette joie n'était qu'une manifestation de leur soulagement, qu'en aucun cas, ses collègues n'ont porté de jugement sur son travail, ni ne le dénigrent, qu'ils étaient simplement reconnaissants de ne pas avoir à traiter un sujet qu'ils considèrent complexe et délicat', tout en reconnaissant le caractère inapproprié de ces réactions. Elle fait également observer au journaliste que son courriel adressé à l'ensemble de la rédaction est rédigé dans des termes excessifs et parfois irrespectueux pour ses collègues et lui demande à l'avenir d'adresser ce type de mail uniquement à la direction de l'entreprise.

M. X... a ensuite rencontré Mme A... le 5 décembre 2014 puis, par courriel du 8 décembre 2014, a écrit à celle-ci que l'affaire du 4 juin 2014 n'était pas en état d'être clôturée, qu'il réclamait une réparation, que sa collègue Michèle H... et ses collègues allemande (Lena), russe (Irina) et italienne (Sabrina) devaient lui présenter des excuses officielles par mail, avec copie à tous les journalistes car les faits s'étaient déroulés à la salle de rédaction devant les journalistes, puis, le 5 janvier 2015, il a de nouveau demandé un rendez-vous à Mme A..., avec pour objet 'affaire du 4 juin', rendez-vous qui lui a été accordé.

La société EURONEWS a répondu le 31 décembre 2014 au courrier de l'inspectrice du travail en date du 23 octobre 2014 par lequel elle lui demandait des explications sur cette situation dénoncée par M. X... et lui rappelait les dispositions de l'article L4121-1 du code du travail selon lesquelles l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Il n'est pas justifié de ce que l'inspection du travail ait jugé ces explications insuffisantes ou sollicité de l'entreprise des investigations et des actions complémentaires.

Dans son courriel ci-dessus du 8 décembre 2014, M. X... déclare qu'il se sent toujours déstabilisé et blessé , qu'il vit en permanence harcelé, traumatisé, ce qui lui cause une nuisance préjudiciable au quotidien qui influence gravement sa vie privée, professionnelle et son état de santé.

Il ne produit néanmoins aucun élément médical relatif à son état de santé à cette date.

Il est certes établi au moyen des éléments ci-dessus que M. X... a très mal ressenti l'annulation de son duplex et la réaction inappropriée de certaines journalistes qui s'en est suivie, ce que confirme sa réponse au courriel explicatif que lui a envoyé Mme H... le 16 juin 2014.

En effet, Mme H... reconnaissant qu'elle avait applaudi quand le rédacteur en chef leur avait annoncé 'qu'on laissait tomber le duplex, tellement j'étais soulagée de ne pas m'arracher davantage les cheveux pour faire une traduction correcte', indiquant également que 'pour une raison que j'ignore, Belaid a ressenti nos questions comme des agressions', M. X... lui a écrit le 19 juin 2014, avec copie à Mme A..., aux délégués du personnel et aux journalistes, en exprimant son indignation et sa déception face au contenu de ce courriel, en qualifiant les termes utilisés par Mme H... à son endroit d'attaque personnelle et de tentative de disqualification et en écrivant notamment 'chaque jour, nous rencontrons des difficultés dans des duplex d'autres collègues, mais je pense que toi, Michèle, tu veux régler tes comptes avec moi. J'estime que ta haine contre moi, tu l'as programmée de telle façon pour attendre le bon moment pour me descendre professionnellement; tu peux justifier les cris de joie et les applaudissements comme tu le souhaites, mais les faits pour moi ne sont autres qu'une haine, du dénigrement, du mépris et de la Hogra pure'.

Cependant, la société EURONEWS ayant établi qu'elle avait pris les mesures qui lui incombaient à la suite des alertes de son salarié, la preuve d'une faute qu'elle aurait commise en ce qui concerne l'événement du 4 juin 2014 et ses conséquences n'est pas rapportée.

En troisième lieu, M. X... reproche à la société EURONEWS une dénonciation calomnieuse, qui a conduit à son interpellation, sa garde à vue, la perquisition de son domicile et celle de son bureau devant tous les journalistes, alors qu'il avait simplement exprimé, dans des courriels ayant suivi l'attentat du 7 janvier 2015, ses convictions et sa position à propos de la question de la publication de la Une de P... C... et il conteste le bien-fondé de l'avertissement qui lui a été notifié le 5 février 2015.

Il résulte des courriels adressés les 13 et 14 janvier 2015, par M. X... à M. I..., son supérieur hiérarchique, responsable de langue, que celui-ci lors d'une réunion concernant le sujet du journal et la publication de la couverture du journal P... C..., a présenté des objections à la diffusion de la caricature 'offensante' du prophète Mahomet et qu'il a écrit à plusieurs reprises pour manifester son opposition à une telle publication, par exemple, le 14 janvier 2015 : 'je n'ai vu aucune chaîne qui a diffusé ces caricatures méprisables, mis à part notre chaîne respectable et ses consoeurs françaises qui semble-t-il se sont retrouvées seules à défendre la liberté d'expression selon la notion de P... et ses semblables; les chaînes britanniques, américaines, allemandes ont fait preuve de professionnalisme et d'objectivité car elles ont bien compris le sale jeu de P... C..., en évitant habilement de tomber dans le piège d'un journal stupide, provocateur et extrémiste, comme l'a écrit le journal britannique Financial Times (...)'

M. X... a également envoyé le 14 janvier 2015 un courriel circulaire à M. I... et aux journalistes en écrivant : 'les irrégularités sont les suivantes:il est inacceptable de dessiner ou de comparer le prophète Mahomet, prophète de Dieu ou d'en réaliser un caractère pour un film ; est-il possible que le prophète Mahomet dise 'je suis P...' N'est-ce pas là une provocation directe aux musulmans ' Les dessins caricaturaux s'attaquent aux gens sur le plan religieux et ethnique, ce qui est inacceptable dans les lois internationales'

M. I... a alors demandé à M. X... de mettre un terme à ce genre de lettres 'qui ne font qu'aggraver les sensibilités autour de cette affaire' et lui a rappelé l'existence de la clause de conscience du journaliste, ce à quoi M. X... lui a répondu qu'il n'avait pas très bien compris de quelle sensibilité il parlait, que les non-musulmans devaient respecter leur religion et leurs croyances et 'qu'en ce qui concerne la politique éditoriale de la chaîne, le grand problème était que la chaîne n'avait pas de politique éditoriale et qu'elle était dirigée par le lobby français hégémonique au sein de la chaîne'.

M. I... a aussi écrit aux journalistes, au soir de ces échanges, pour leur expliquer qu'il avait rencontré le rédacteur en chef, M. E..., et le directeur de l'information, M. F..., qu'il avait été confirmé que la décision de publier la photo de couverture ne constituait pas un changement de la ligne éditoriale de la chaîne, que la plupart des chaînes avaient diffusé cette couverture, que le Conseil supérieur de l'audiovisuel en France n'y avait pas vu une violation du code de déontologie et qu'il proposait à tous ses collègues qui avaient encore quelques préoccupations ou souhaitaient exposer leur point de vue auprès de la rédaction de lui écrire pour qu'ils s'y rendent ensemble en tant que délégation de la section arabe.

Le 15 janvier 2015, M. X... a expliqué à M. I... qu'il n'avait attaqué personne, insulté, blessé, ni offensé qui que ce soit, mais qu'il avait exprimé son point de vue et exercé son droit à la liberté d'expression, qu'il ne pensait même pas entrer dans le bureau du rédacteur en chef et qu'il n'avait envie de voir aucun d'entre eux et encore moins de discuter avec eux.

Il a terminé son courriel de la manière suivante :

'Franchement Monsieur, je ne comprends pas pourquoi vous me menacez de sanctions sévères. Quel crime ai-je commis' Est-ce parce que j'ai défendu le prophète' Je suis prêt à subir la peine de mort pour défendre l'Islam, les musulmans et mon bien-aimé Mahomet. J'apporte demain une copie de P... hebdo avec un bouquet de fleurs pour m'excuser (auprès) de mes collègues français.'

M. X... affirme que ses propos ont été mal traduits de l'arabe en anglais, et il présente lui-même la traduction suivante 'je suis prêt à être condamné à mort pour la défense de l'Islam, des musulmans et de mon R... Mohamed'.

En tout état de cause, au vu des nombreux courriels que M. X... a rédigés sur un très court laps de temps pour manifester son opposition vis à vis du choix éditorial du journal dont il était le salarié, des critiques violentes qu'il a proférées à l'égard du journal P... C... et des termes qu'il a utilisés, il ne peut être reproché à la direction de la chaîne d'avoir signalé aux services de police ses propos inquiétants, dépassant le droit d'expression et la liberté d'opinion du journaliste, dans le contexte de menace terroriste, de surveillance particulière des organes de presse et de vive émotion créée par l'attaque meurtrière au sein des locaux de P... C....

Ce signalement ne peut être analysé comme une faute commise par la société EURONEWS à l'égard de son salarié dans le cadre de la relation de travail.

La décision d'interpeller M. X... et les circonstances de son interpellation, certes brutales, ainsi que le montre le certificat médical du 23 janvier 2015, et humiliantes, ne sont pas imputables à la société EURONEWS.

La plainte déposée entre les mains du Procureur de la République le 12 novembre 2015 pour dénonciation calomnieuse a fait l'objet d'une décision de classement sans suite, le 12 janvier 2016, pour le motif suivant 'affaire civile'.

M. X... a donc fait assigner M. E..., rédacteur en chef, M. F..., directeur du journal, et Mme D..., directrice technique du journal, devant le tribunal de grande instance de LYON, pour les voir condamner in solidum à lui verser des dommages et intérêts, au motif qu'ils avaient commis une faute en le dénonçant mensongèrement ou imprudemment.

Pour le surplus, l'avertissement du 5 février 2015 était justifié, puisqu'il se fonde sur le fait qu'en écrivant les courriels repris ci-dessus au sujet de la décision par la société EURONEWS de publier la une du magazine P... C..., M. X... a manqué à son devoir de neutralité et d'impartialité, grief dont le bien-fondé a été établi.

En l'absence de faute commise par la société EURONEWS dans l'exécution du contrat de travail, M. X... ne peut attribuer à cette dernière la responsabilité de l'atteinte à sa santé dont la réalité ressort des certificats médicaux du docteur O... en date du 16 février 2015 et du 29 juin 2015 , de l'attestation de consultation au centre psychanalytique datée du 14 avril 2015, de l'attestation du psychologue en date du 12 mars 2015 et de ses certificats d'arrêt de travail du 19 janvier 2015 au 24 avril 2015 lesquels mentionnent la présence d'un syndrome dépressif réactionnel, puis de ses arrêts de travail à compter du 1er juillet 2016, postérieurs au terme du congé sabbatique qui lui a été accordé à sa demande pour la période du 24 juillet 2015 au 23 juin 2016, à l'issue de ses congés payés du 1er juin 2015 au 23 juillet 2015.

Pour l'ensemble de ces motifs, sans qu'il soit nécessaire d'ordonner une enquête, il y a lieu de confirmer le jugement qui a rejeté la demande de M. X... aux fins de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur et ses demandes en paiement consécutives.

L'équité ne commande pas de mettre à la charge de M. X..., dont le recours est rejeté et qui sera condamné aux dépens d'appel, les frais irrépétibles d'appel exposés par la société EURONEWS.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement par arrêt mis à disposiiton au greffe et contradictoirement:

CONFIRME le jugement

CONDAMNE Monsieur Belaid X... aux dépens d'appel

REJETTE la demande de la société EURONEWS fondée sur l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

Le Greffier Le Président

Manon FADHLAOUI Joëlle DOAT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale a
Numéro d'arrêt : 16/08338
Date de la décision : 13/02/2019

Références :

Cour d'appel de Lyon SA, arrêt n°16/08338 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-02-13;16.08338 ?
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