R.G : 16/00526
Décision du tribunal de grande instance de Lyon
Au fond du 26 novembre 2015
1ère chambre
RG : 13/07499
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
1ère chambre civile A
ARRET DU 26 Avril 2018
APPELANTS :
M. [U] [B]
né le [Date naissance 1] 1944 à [Localité 1] (ALPES-MARITIMES)
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 2]
représenté par la SELARL ANDRES & ASSOCIES, avocat au barreau de LYON
assisté de la SELARL GASTAUD LELLOUCHE HANOUNE MONNOT, avocat au barreau de NICE
Mme [Y] [K] épouse [B]
née le [Date naissance 2] 1952 à [Localité 3] (BOUCHES-DU-RHONE)
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par la SELARL ANDRES & ASSOCIES, avocat au barreau de LYON
assistée de la SELARL GASTAUD LELLOUCHE HANOUNE MONNOT, avocat au barreau de NICE
INTIMES :
SA MMA IARD
[Adresse 2]
[Localité 4]
Mutuelle MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES société d'assurance mutuelle à cotisations fixes
[Adresse 2]
[Localité 4]
venant l'une et l'autre aux droits de COVEA RISKS, dont le siège social est situé [Adresse 3], immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Nanterre sous le N° 378 716 419, par suite de transferts partiels de portefeuille de contrats de société d'assurances et de transferts par voie de fusion absorption publiés au JORF 16 décembre 2015 (décision n° 2015-C-83 du 22 octobre 2015 portant approbation des transferts)
représentées par la SCP TACHET, AVOCAT, avocat au barreau de LYON
M. [I] [G] dont le dernier domicile connu est
[Adresse 4]
[Localité 5]
défaillant
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Date de clôture de l'instruction : 07 mars 2017
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 28 février 2018
Date de mise à disposition : 26 avril 2018
Audience tenue par Aude RACHOU, président et Vincent NICOLAS, conseiller, qui ont siégé en rapporteurs sans opposition des avocats dûment avisés et ont rendu compte à la Cour dans leur délibéré,
assistés pendant les débats de Audrey PERGER, greffier placé
A l'audience, Aude RACHOU a fait le rapport, conformément à l'article 785 du code de procédure civile.
Composition de la Cour lors du délibéré :
- Aude RACHOU, président
- Françoise CLEMENT, conseiller
- Vincent NICOLAS, conseiller
Arrêt par défaut rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Aude RACHOU, président, et par Marion COUSTAL, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
****
M. [B] et Mme [K], épouse [B], (les époux [B]), ont été assistés par M. [G], avocat au barreau de Lyon, dans une procédure les opposant à l'administration fiscale visant à contester les redressements effectués sur le fondement de l'article 168 du code général des impôts pour les années 1991 à 1993 et 1994 à 1996 à hauteur d'un montant total de 1 662 000 euros.
Par jugement du 12 juin 2003, le tribunal administratif de Nice a rejeté leurs demandes, jugement confirmé par arrêt de la cour administrative de Marseille du 28 mars 2006 et le Conseil d'Etat ayant déclaré le pourvoi non admis par décision du 14 décembre 2007.
Les époux [B] ont alors indiqué à leur conseil leur volonté de saisir la Cour européenne des droits de l'homme.
M. [G] s'est abstenu de toute démarche en ce sens.
Par jugement réputé contradictoire du 26 novembre 2015, le tribunal de grande instance de Lyon, saisi par les époux [B] d'une action en responsabilité dirigée contre M. [G] et la société Covea risks, a :
- débouté les époux [B] de leurs demandes
- condamné ceux ci à payer à la société Covea risks la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Les époux [B] ont régulièrement interjeté appel de cette décision le 22 janvier 2016.
Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par RPVA le 15 février 2017, ils demandent à la cour la confirmation du jugement en ce qu'il a retenu une faute à l'encontre de M. [G] et son infirmation pour le surplus.
Ils concluent à la condamnation in solidum de M. [G] et de la société Covea risks à leur payer la somme de 1 329 600 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice, outre 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par RPVA le 5 janvier 2017, les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles (les sociétés MMA) venant aux droits de la société Covea risks, demandent à la cour la confirmation de la décision, outre 2 000 euros en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
M. [G] a fait l'objet d'un procès-verbal de recherches infructueuses.
La décision sera rendue par défaut.
Vu l'ordonnance de clôture du 7 mars 2017 ;
A l'audience, la cour a demandé aux époux [B], par note en délibéré et sans opposition de la part des sociétés MMA, de rectifier leurs conclusions dirigées à l'encontre de la société Covea riks.
Les époux [B] ont déposé la note en délibéré le 5 mars 2018.
Sur ce :
Attendu que les époux [B] soutiennent en premier lieu que le seul fait d'être privé de la chance d'obtenir une décision favorable de la Cour européenne des droits de l'homme constitue un préjudice indemnisable ;
qu'en second lieu, ils soutiennent l'inconventionnalité de l'article 168 du code général des impôts en ce qu'il entraîne une rupture d'égalité devant les charges publiques, ledit article ayant été en partie invalidé par le Conseil constitutionnel dans une décision du 21 janvier 2011 ;
que cette rupture d'égalité peut être sanctionnée au regard des articles 8 et 14 de Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que de l'article 1 du protocole additionnel n°1 ;
que cet article qui permet une imposition à partir du train de vie porte atteinte au respect de la vie privée et institue une différence de traitement entre les contribuables ;
qu'ils ont été imposés sur le fondement du 2° de l'article 168 du code général des impôts déclaré inconstitutionnel ;
qu'ils ont justifié que les éléments de leur train de vie provenaient de la réalisation de leur patrimoine et non pas de revenus occultes ;
Attendu que les sociétés MMA concluent à la confirmation de la décision, rappelant que la perte de chance de faire un procès n'est pas indemnisable en soi et que seule la chance raisonnable peut être indemnisée ;
qu'elles soulignent qu'il appartenait aux époux [B], eu égard aux dispositions de l'article 168 du code général des impôts dans la version applicable à l'époque des faits, de justifier de l'utilisation de leur capital ou du recours à l'emprunt, à défaut de revenus, pour assurer leur train de vie, ce qu'ils n'ont pas fait ;
que l'article 168 ne contrevient en rien aux dispositions de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales s'agissant de la perception de l'impôt, la Cour européenne des droits de l'homme s'assurant seulement que la mesure fiscale respecte un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général et la protection des droits fondamentaux des individus ;
que les époux [B] ne démontrent pas au regard de quelles dispositions de la convention ils auraient pu obtenir la condamnation de la France à raison de l'article 168 du code général des impôts ;
qu'enfin, la décision du Conseil constitutionnel est sans incidence sur une éventuelle décision de la Cour européenne des droits de l'homme ;
qu'en tout état de cause, le préjudice invoqué ne peut être assimilé au remboursement des impositions contestées et s'apprécie devant la Cour européenne des droits de l'homme en une satisfaction équitable ;
Attendu au préalable que le tribunal de grande instance de Lyon a retenu dans sa motivation la faute de M. [G] ;
que les sociétés MMA ne contestent pas la faute commise ;
que la décision déférée sera complétée en ce qu'il sera indiqué dans ses motifs que la faute de M.[G] est établie ;
Attendu que les époux [B] concluent à tort que le seul fait d'être privé d'exercer un recours constitue un préjudice indemnisable ;
que seule peut constituer un tel préjudice la perte de chance raisonnable d'obtenir une décision favorable ;
Attendu qu'il convient en conséquence d'examiner si les époux [B] avaient une chance de voir leur demande accueillie par la Cour européenne des droits de l'homme ;
Attendu que les époux [B] ont fait l'objet de redressements fiscaux pour les années 1991 à 1993 et 1994 à 1996 fondés sur l'article 168 du code général des impôts pour un montant total de 1 662 000 euros ;
Attendu que les dispositions de cet article permettent à l'administration, lorsqu'une disproportion marquée entre le train de vie d'un contribuable et ses revenus déclarés existe, de procéder à une évaluation forfaitaire minimale du revenu soumis à l'impôt par la prise en compte de certains éléments du train de vie définis dans un barème ;
que l'article précise en son 3° que le contribuable peut apporter la preuve que ses revenus ou l'utilisation de son capital ou les emprunts qu'il a contractés lui ont permis d'assurer son train de vie ;
Attendu que par décision du 21 janvier 2011, le Conseil constitutionnel a censuré le 2° de l'article 168 du code général des impôts qui disposait que la somme forfaitaire déterminée en application du barème est majorée de 50 % lorsqu'elle est supérieure ou égale à deux fois le seuil fixé au 1° et lorsqu'elle inclut plus de six éléments du train de vie précité ;
Attendu que si les époux [B] concluent à juste titre que les redressements fiscaux ont été calculés en tenant compte du 2 ° de l'article 168 du code général des impôts, ils ne peuvent pour autant en tirer la conclusion que la Cour européenne des droits de l'homme saisie aurait nécessairement fait droit à leur requête ;
qu'il convient d'examiner le bien fondé de leur requête au regard de la saisine de la Cour européenne des droits de l'homme ;
Attendu que les époux [B] se fondent sur la violation des articles 8 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du protocole additionnel n° 1 ;
Attendu que l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales consacre le droit au respect de la vie privé et encadre l'ingérence de l'autorité publique dans l'exercice de ce droit ;
Attendu qu'en l'espèce, la Cour européenne des droits de l'homme a constamment jugé que l'ingérence dans l'exercice par le requérant de son droit au respect de sa vie privée et de son domicile doit être appréciée au regard du but légitime poursuivi, à savoir la protection du bien-être économique du pays, et nécessaire dans une société démocratique ;
qu'en l'espèce, la lutte contre la fraude fiscale permet cette ingérence de l'Etat sans quoi aucune fraude ne pourrait être détectée ;
Attendu que la violation de l'article 14 relatif à l'interdiction de discrimination doit s'apprécier au regard de la violation de l'article 8 ;
qu'en l'espèce, le principe d'égalité devant les charges publiques impose une répartition égale de la contribution commune entre tous les citoyens en raison de leurs facultés ;
qu'un contribuable dont le train de vie est en disproportion caractérisée avec les revenus déclarés n'est pas dans la même situation qu'un contribuable dont le train de vie est en rapport avec ses revenus déclarés ;
que dès lors, il est ménagé un juste équilibre entre la sauvegarde des intérêts de la communauté et le respect des droits et libertés garantis au requérant en se fondant sur les éléments du train de vie pour apprécier la capacité contributive des contribuables, ces dispositions instituant une différence de traitement en rapport avec l'objet de la loi qui est de lutter contre la fraude fiscale ;
Attendu qu'enfin, si l'article 1 du protocole additionnel garantit le droit au respect de ses biens, il n'en reste pas moins qu'en matière fiscale, la Cour européenne des droits de l'homme a toujours reconnu aux Etats un large pouvoir d'apréciation tout en précisant que doit être respecté un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la protection des droits fondamentaux de l'individu ;
Attendu en conséquence qu'il convient d'examiner si le redressement opéré s'inscrit dans cette exigence de proportionnalité ;
Attendu qu'en l'espèce, le but recherché étant d'assurer une égalité devant l'impôt, les époux [B] ne peuvent soutenir que les dispositions de l'article 168 du code général des impôts seraient contraires aux droits garantis par la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, étant observé qu'il ne s'agit pas d'un impôt confiscatoire, la majoration de 50 % prévue étant fondée sur la détermination d'une somme supérieure ou égale à deux fois le seuil fixé au 1° de l'article et incluant plus de six éléments du train de vie ;
qu'ils sont mal fondés à soutenir que ces redressements conduisaient à les taxer au delà de leur revenus annuels puisque c'est justement la modicité de leurs revenus déclarés par rapport à leur train de vie qui a été la cause de ces redressements visant à reconstituer leurs revenus exacts pour assurer l'égalité de tous devant l'impôt ;
qu'enfin, les dispositions de cet article ménagent le droit des contribuables en leur permettant d'apporter la preuve que leurs revenus ou l'utilisation de leur capital ou les emprunts qu'ils ont contractés leur ont permis d'assurer leur train de vie, peu important à cet égard l'usage qu'ont fait de ces dispositions les époux [B] ;
Attendu qu'en conséquence, les époux [B] seront déboutés de leur demande, ne rapportant pas la preuve de la chance raisonnable qu'ils avaient d'avoir gain de cause devant la Cour européenne des droits de l'homme eu égard à la jurisprudence de celle ci à la date du recours qui aurait été engagé ;
Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la charge des sociétés MMA les frais irrépétibles engagés ; qu'il convient de leur allouer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;
Par ces motifs :
La cour statuant publiquement, par défaut et en dernier ressort,
Confirme la décision déférée,
y ajoutant,
Condamne M.[B] et Mme [K], épouse [B], à payer la somme de 2 000 euros sur le fondement l'article 700 du code de procédure civile aux sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles,
Condamne M. [B] et Mme [K], épouse [B], aux dépens et accorde aux avocats de la cause qui peuvent y prétendre le droit de recouvrement conforme aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIERLE PRESIDENT
Marion COUSTAL Aude RACHOU