AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE
R.G : 15/08067
[C]
C/
Association MULTI SERVICE DÉVELOPPEMENT (MSD)
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON
du 08 Octobre 2015
RG : F 13/04546
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE B
ARRÊT DU 23 MARS 2018
APPELANTE :
[W] [C]
née le [Date naissance 1] 1965 à NEUILLY SUR SEINE (92200)
[Adresse 1]
[Localité 1]
Comparante en personne, assistée de Me Pascale DRAI-ATTAL, avocat au barreau de LYON
INTIMÉE :
Association MULTI SERVICE DÉVELOPPEMENT (MSD)
[Adresse 2]
[Localité 2]
Représentée par Me Nathalie PALIX, avocat au barreau de LYON
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 01 Février 2018
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Michel SORNAY, Président
Natacha LAVILLE, Conseiller
Sophie NOIR, Conseiller
Assistés pendant les débats de [J] PILLIE, Greffier.
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 23 Mars 2018, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Michel SORNAY, Président, et par [J] PILLIE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*************
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
[W] [C] a été embauchée par l'association MULTI SERVICE DÉVELOPPEMENT (MSD) le 27 janvier 2003 en qualité d'agent de développement économique et social, au statut cadre, par contrat de travail à durée indéterminée. Au dernier état de la relation, elle occupait les fonctions de responsable de service dans cette entreprise.
Le 25 avril 2013, l'association MSD a informé [W] [C] que suite à l'alerte écrite émise par une salariée s'estimant victime d'un harcèlement moral de sa part, elle avait décidé de lancer une enquête interne avec les délégués du personnel et que, dans l'attente des résultats de cette enquête, elle la dispensait de présence sur son lieu de travail, sa rémunération étant maintenue.
Le 4 juillet 2013, l'association MSD a adressé à [W] [C] un courrier recommandé la convoquant, 'suite aux termes de l'enquête menée par les délégués du personnel', à un entretien fixé au 15 juillet 2013 préalable à une éventuelle sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement.
Cet entretien a été reporté au 26 juillet 2013 à la demande de la salariée.
En suite de cet entretien, l'employeur a adressé le 7 août 2013 à [W] [C] une lettre recommandée AR lui notifiant son licenciement pour faute et la dispensant de l'exécution de son préavis de 3 mois.
Par courrier du 24 septembre 2013, [W] [C] a contesté les motifs de ce licenciement.
Elle a saisi le 3 octobre 2013 le conseil de prud'hommes de Lyon afin de voir déclarer nulle la procédure de licenciement dont elle a fait l'objet ou à titre subsidiaire de voir déclarer ce licenciement sans cause réelle et sérieuse, les faits étant prescrits. Elle sollicitait donc notamment la condamnation de l'association MSD à lui payer 79'050 € de dommages-intérêts pour licenciement sans cause et sérieuse, 15'000 € de dommages-intérêts pour préjudice moral et 5000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, le tout sous le bénéfice de l'exécution provisoire.
Par jugement du 8 octobre 2015, le conseil de prud'hommes de Lyon a débouté [W] [C] la totalité de ses demandes et l'a condamnée aux dépens.
[W] [C] a interjeté appel de cette décision le 15 octobre 2015.
*
Par ses dernières conclusions, [W] [C] demande à la cour d'appel de :
'infirmer dans sa totalité la décision rendue par le conseil de prud'hommes le 8 octobre 2015,
'à titre principal, dire et juger que le licenciement de [W] [C] est prescrit et que l'ensemble des griefs allégués est donc purement et simplement irrecevable,
'à titre subsidiaire, dire et juger que le licenciement notifié à [W] [C] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
'en conséquence, condamner l'association MSD au paiement à [W] [C] des sommes suivantes :
79'050 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
15'000 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral, liée aux conditions abusives et vexatoires de la rupture,
5000 €au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
'condamner l'association MSD au entiers dépens.
Pour sa part, l'association MULTI SERVICE DÉVELOPPEMENT (MSD) demande par ses dernières écritures à la cour d'appel de :
' confirmer le jugement déféré et en conséquence de : dire et juger que le licenciement de [W] [C] repose sur une cause réelle et sérieuse,
'débouter [W] [C] la totalité de ses demandes,
'condamner [W] [C] aux entiers dépens ainsi qu'à verser à l'association MSD la somme de 3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la Cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées, qu'elles ont fait viser par le greffier lors de l'audience de plaidoiries et qu'elles ont à cette occasion expressément maintenues et soutenues oralement en indiquant n'avoir rien à y ajouter ou retrancher.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1.' Sur le bien-fondé du licenciement :
Par application de l'article L. 1232'1 du code du travail, tout licenciement individuel doit reposer sur une cause réelle et sérieuse.
Selon l'article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.
Ainsi l'administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties, l'employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables, qu'il doit reprendre dans la lettre de licenciement prévue par l'article L1232-6 du code du travail, cette lettre fixant ainsi les limites du litige.
En l'espèce, la lettre de licenciement notifié le 7 août 2013 à [W] [C] était ainsi motivée :
« Vous avez été reçue le 26 juillet 2013 pour l'entretien préalable au licenciement que nous envisagions de prononcer à votre encontre.
A votre demande, vous avez consulté un nouveau, en présence de Madame [K] qui vous assistait, le courrier reçu de Madame [W] ainsi que les témoignages recueillis par les délégués du personnel.
Vous a ensuite été exposé le constat de la situation, dénoncée par une série de témoignages convergents, au sein du service dont vous avez la responsabilité. En effet, votre attitude colérique, blessante, voire méprisante ou dénigrante à l'égard de certains collaborateurs de l'équipe permanente, mais aussi de salariés en insertion suivis par l'association ont détérioré les conditions de travail et les relations interpersonnelles au sein du service, dégradé l'état de santé d'une de vos collaboratrices, conduit à des stratégies d'évitement vis-à-vis de vous de la part de salariés en insertion ou de partenaires de l'association.
En substance, vos explications consistaient à détailler l'incompétence de Madame [W], puis vous avez reconnu être très exigeante envers les nouveaux embauchés.
Il a également été accepté que Madame [K] complète son témoignage, lequel a principalement consisté à appuyer l'argumentaire d'incompétence de Madame [W], tout en estimant que le comportement de Madame [W] avait contribué au mal-être d'autres salariés du service.
Toutefois, l'éventuelle incompétence de Madame [W] ne constitue en aucun cas un justificatif a une attitude colérique, blessante, méprisante ou dénigrante vis-à-vis d'elle-même ou d'autres collaborateurs ou de salariés en insertion, qui plus est de la part d'un responsable de service.
Les conséquences de ce comportement au sein de l'association imposent une rupture de votre contrat de travail. Par égard pour votre ancienneté, nous avons décidé de vous notifier un licenciement avec préavis et indemnité de licenciement.
Toutefois la situation nous contraint à vous dispenser de l'exécution de ce préavis de 3 mois, qui sera donc payé aux échéances habituelles de la paie. (') »
Il résulte clairement des termes de ce courrier que l'accusation initiale de harcèlement au préjudice de [V] [W] a ainsi été abandonnée par l'employeur au profit d'un grief unique reposant sur une attitude colérique, blessante, méprisante ou dénigrante vis-à-vis des collaborateurs de l'association ou de salariés en insertion suivis par la structure, attitude qui aurait détérioré les conditions de travail et les relations interpersonnelles au sein du service et dégradé l'état de santé d'une des collaboratrices.
[W] [C] conteste le bien-fondé de ce grief et fait valoir qu'en tout état de cause son employeur en avait connaissance bien plus de 2 mois avant l'introduction le 4 juillet 2013 de la procédure disciplinaire ayant abouti à son licenciement, si bien que la faute ainsi alléguée ne saurait fonder utilement son licenciement.
L'association MSD conteste avoir eu connaissance des faits ainsi reprochés à [W] [C] avant le compte rendu de la réunion des délégués du personnel du 10 juin 2013 au cours de laquelle ceux-ci ont restitué à l'employeur le résultat de leur enquête consécutive au courrier d'alerte pour harcèlement établi le 30 mars 2013 par [V] [W].
L'article L 1332'4 du code du travail dispose qu'aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de 2 mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.
La simple lecture (pièce 2 de l'employeur) du courrier de [Q] [P] adressé le 15 avril 2013 à [Y] [T], alors directrice de MSD, pour lui expliquer les raisons de sa démission (dont la date précise demeure en l'état inconnu de la cour) permet toutefois de constater que cette salariée, alors directrice adjointe de MSD et supérieure hiérarchique directe de [W] [C], était dès cette époque en mesure de fournir des éléments précis et circonstanciés de nature à étayer le reproche ici formulé à l'encontre de cette dernière reposant sur ses attitudes colériques, blessantes, méprisantes ou dénigrantes vis-à-vis des collaborateurs de l'association ou de salariés en insertion.
Il en résulte que la direction de MSD a eu au plus tard à la réception de ce courrier le 16 ou le 17 avril 2013 une connaissance suffisante de cette attitude éventuellement fautive de [W] [C] pour initier la procédure disciplinaire de ce chef, et qu'elle n'avait sur ce plan aucunement eu besoin pour ce faire d'attendre le résultat de la pseudo enquête effectuée par les délégués du personnel sur le harcèlement moral allégué par [V] [W].
Il en résulte que ce licenciement n'est fondé en l'espèce que sur des faits qui étaient connus de l'employeur depuis plus de 2 mois lorsqu'il a initié la procédure disciplinaire, et que [W] [C] en déduit à juste titre que ces faits ne peuvent utilement constituer une cause réelle et sérieuse de ce licenciement.
La rupture du contrat de travail doit donc ici être déclarée abusif, sans même qu'il soit besoin d'examiner plus avant la réalité de la faute alléguée.
2.' Sur les demandes indemnitaires de [W] [C] :
En application des articles L 1235-3 du code du travail, [W] [C] ayant eu une ancienneté supérieure à deux ans dans une entreprise occupant habituellement onze salariés au moins, peut prétendre, en l'absence de réintégration dans l'entreprise, à une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise (25 salariés au 31 décembre 2012 selon l'attestation destinée à Pôle Emploi), des circonstances précitées de la rupture, du montant de la rémunération versée à [W] [C] au jour du licenciement (3040 € bruts par mois), de son âge au jour de son licenciement (47 ans), de son ancienneté à cette même date (9 ans et 6 mois), de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels que ces éléments résultent des pièces et des explications fournies, il y a lieu de lui allouer, en application de l'article L.1235-3 du code du travail, une somme de 37'000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
[W] [C] sollicite en outre la condamnation de son employeur à lui verser la somme de 15'000 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral qu'elle dit avoir subi du fait des conditions abusives et vexatoires de la rupture. En ce sens, elle fait valoir qu'elle a fait l'objet d'une mise à pied à titre conservatoire pour de prétendus faits graves de harcèlement, qu'elle n'a jamais pu réintégrer son activité ni son bureau depuis le 25 avril 2013 et qu'elle a été éjectée de l'entreprise comme une vulgaire voleuse alors que le harcèlement allégué n'a jamais été établi.
La cour estime toutefois qu'en l'état des accusations de harcèlement moral clairement portées par sa salariée [V] [W] dans son courrier du 30 mars 2013 (pièce 1 de l'employeur), l'association MSD, qui était tenu d'une obligation de veiller à la santé et la sécurité de ses salariés, n'a pas eu d'autre choix que de dispenser d'activité professionnelle [W] [C] dans l'attente du résultat de l'enquête pour harcèlement qu'elle avait demandée aux délégués du personnel.
Contrairement à ce que soutient [W] [C] dans ses écritures, celle-ci n'a pas fait l'objet d'une mise à pied conservatoire, mais seulement d'une dispense de service avec maintien du paiement de son salaire.
Par ailleurs, il y a lieu également de relever que l'employeur, ayant constaté le caractère peu concluant des investigations des délégués du personnel, a abandonné immédiatement le reproche de harcèlement moral dans le cadre de la procédure disciplinaire litigieuse.
En l'état de ces éléments, s'il s'avère effectivement que le licenciement prononcé contre [W] [C] ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse mais sur des faits prescrits, rien n'établit en l'état le caractère vexatoire de la procédure de licenciement allégué par cette salariée .
Cette demande de dommages-intérêts sera donc rejetée comme mal fondée.
Enfin, s'agissant d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, il y a lieu d'ordonner d'office, par application de l'article L 1235'4 du code du travail, le remboursement par l'association MSD à Pôle Emploi des indemnités de chômage payées à [W] [C] à la suite de la rupture de son contrat de travail, dans la limite de six mois de prestations.
3.- sur les demandes accessoires:
Partie perdante, l'association MSD supportera la charge des dépens de première instance et d'appel.
[W] [C] a dû pour la présente instance exposer tant en première instance qu'en appel des frais de procédure et honoraires non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser intégralement à sa charge.
L'association MSD sera donc condamnée à lui payer la somme de 3000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La Cour,
INFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau,
DIT que le licenciement litigieux n'est pas fondé sur une cause réelle et sérieuse,
CONDAMNE en conséquence l'association MULTI SERVICE DÉVELOPPEMENT (MSD) à payer à [W] [C] de la somme de 37'000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;
ORDONNE le remboursement par l'association MULTI SERVICE DÉVELOPPEMENT (MSD) à Pôle Emploi des indemnités de chômage payées à [W] [C] à la suite de son licenciement, dans la limite de six mois de prestations ;
CONDAMNE l'association MULTI SERVICE DÉVELOPPEMENT (MSD) aux entiers dépens de première instance et d'appel,
CONDAMNE l'association MULTI SERVICE DÉVELOPPEMENT (MSD) à payer à [W] [C] la somme de 3000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Le GreffierLe Président
[J] PILLIEMichel SORNAY