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30/01/2018 | FRANCE | N°16/05328

France | France, Cour d'appel de Lyon, Sécurité sociale, 30 janvier 2018, 16/05328


AFFAIRE DE SÉCURITÉ SOCIALE



COLLÉGIALE



RG : 16/05328





SAS MECANO TECHNIQUE



C/

[F]

CPAM DU RHÔNE







APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de LYON

du 02 Juin 2016

RG : 20142678











COUR D'APPEL DE LYON



Sécurité sociale



ARRÊT DU 30 JANVIER 2018

















APPELANTE :



SAS MECANO TECHNI

QUE

[Adresse 1]

[Adresse 1]



représentée par Me Nathalie ROINE, avocat au barreau de PARIS, substitué par maître Cédric DAVID, avocat au même barreau







INTIMÉS :



[V] [F]

[Adresse 2]

[Adresse 2]



représenté par Me Emilie CONTE-JANSEN de la SCP REVEL MAHUSSIER & ASSOCIES, avo...

AFFAIRE DE SÉCURITÉ SOCIALE

COLLÉGIALE

RG : 16/05328

SAS MECANO TECHNIQUE

C/

[F]

CPAM DU RHÔNE

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de LYON

du 02 Juin 2016

RG : 20142678

COUR D'APPEL DE LYON

Sécurité sociale

ARRÊT DU 30 JANVIER 2018

APPELANTE :

SAS MECANO TECHNIQUE

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Nathalie ROINE, avocat au barreau de PARIS, substitué par maître Cédric DAVID, avocat au même barreau

INTIMÉS :

[V] [F]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représenté par Me Emilie CONTE-JANSEN de la SCP REVEL MAHUSSIER & ASSOCIES, avocat au barreau de LYON substituée par Me Alexandra MANRY, avocat au barreau de LYON

CPAM DU RHÔNE

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentée par Madame [M] [C], munie d'un pouvoir

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 19 Décembre 2017

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Elizabeth POLLE-SENANEUCH, Président

Laurence BERTHIER, Conseiller

Thomas CASSUTO, Conseiller

Assistés pendant les débats de Malika CHINOUNE, Greffier.

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 30 Janvier 2018 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Elizabeth POLLE-SENANEUCH, Président et par Malika CHINOUNE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*************

Monsieur [V] [F] a été embauché le 6 septembre 1982 par la société SAS MECANO TECHNIQUE en qualité de régleur opérateur.

Il a présenté des problèmes de santé liés à des acouphènes bilatéraux, surdité bilatérale légèrement plus marquée à gauche et vertiges, à compter de janvier 2006.

Il a établi une déclaration de maladie professionnelle le 24 janvier 2011 en joignant un certificat médical initial établi le 22 octobre 2010 par le Docteur [R].

La caisse primaire d'assurance maladie a refusé la prise en charge de la maladie au titre de la législation professionnelle, tableau n°42 (Atteinte auditive provoquée par les bruits lésionnels. Hypoacousie de perception par lésion cochléaire irréversible, accompagnée ou non d'acouphènes. Cette hypoacousie est caractérisée par un déficit audiométrique bilatéral, le plus souvent symétrique et affectant préférentiellement les fréquences élevées).

Monsieur [F] a saisi la commission de recours amiable qui par décision du 22 novembre 2012 a reconnu le caractère professionnel de l'affection. Les lésions ont été déclarées consolidées au 23 octobre 2010 avec attribution d'un taux d'incapacité permanente partielle de 18 %.

Il a été déclaré inapte et licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 12 mai 2014.

Monsieur [F] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Lyon le 10 juillet 2014 aux fins de voir reconnaître la faute inexcusable de l'employeur dans la survenance de la maladie prise en charge au titre du tableau n°42.

Le tribunal des affaires de sécurité sociale a, le 2 juin 2016, rendu le jugement suivant :

- Déclare que la maladie professionnelle déclarée le 24 janvier 2011 par Monsieur [F] au titre du tableau n°42 est imputable à la faute inexcusable de la société MECANO TECHNIQUE ;

- Ordonne la majoration de sa rente au taux maximum

Statuant avant dire droit sur l'indemnisation,

- Ordonne une expertise médicale de Monsieur [F] [Z],

- Désigne pour y procéder le Docteur [M] [S] lui donne mission, après avoir convoqué les parties, de :

se faire communiquer le dossier médical de Monsieur [F] [Z],

- examiner Monsieur [F] [Z],

- détailler les lésions consécutives à la maladie professionnelle déclarée le 24 janvier 2011 au titre du tableau n 42,

- décrire précisément les séquelles consécutives à la maladie professionnelle, et indiquer les actes et gestes devenus limités ou impossibles,

- indiquer la durée de l'incapacité totale de travail,

- indiquer la durée de l'incapacité temporaire partielle de travail et évaluer le taux de cette incapacité,

- indiquer la durée de la période pendant laquelle la victime a été dans l'incapacité totale de poursuivre ses activités personnelles,

- indiquer la durée de la période pendant laquelle la victime a été dans l'incapacité partielle de poursuivre ses activités personnelles et évaluer le taux de cette incapacité,

- dire si l'état de la victime nécessite ou a nécessité l'assistance constante ou occasionnelle d'une tierce personne, et, dans l'affirmative, préciser la nature de l'assistance et sa durée quotidienne,

- dire si l'état de la victime nécessite ou a nécessité un aménagement de son logement, un aménagement de son véhicule,

- donner tous éléments permettant de vérifier si la victime a perdu une chance de promotion professionnelle,

- évaluer les souffrances physiques et morales consécutives à l'accident,

- évaluer le préjudice esthétique consécutif à l'accident,

- évaluer le préjudice d'agrément consécutif à l'accident,

- évaluer le préjudice sexuel consécutif à l'accident,

- dire si la victime subit une perte de chance de réaliser un projet de vie familiale, dire si la victime subit des préjudices exceptionnels et s'en expliquer, dire si l'état de la victime est susceptible de modifications,

- Dit que l'expert déposera son rapport au secrétariat du Tribunal des Affaires de la Sécurité Sociale dans les trois mois de sa saisine, et au plus tard le 15 septembre 2016, et en transmettra une copie à chacune des parties,

- Déclare que les conséquences financières de la maladie professionnelle imputable à la faute inexcusable de l'employeur sont opposables à la société SAS MECANO TECHNIQUE;

- Fixe à 3 000,00 € le montant de la provision, dont la Caisse Primaire d'Assurance Maladie du Rhône devra faire l'avance ;

- Déboute la société SAS MECANO TECHNIQUE de l'ensemble de ses demandes ;

- Ordonne l'exécution provisoire de la présente décision ;

- Condamne la société SAS MECANO TECHNIQUE à payer à Monsieur [F] la somme de 1 000,00 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

- Dit que la Caisse Primaire d'Assurance Maladie devra faire l'avance des frais de l'expertise;

- Statue sans frais ni dépens ;

La SAS MECANO TECHNIQUE a régulièrement interjeté appel du jugement.

Par ses dernières conclusions déposées le 19 décembre 2017 et reprises oralement lors de l'audience, la société SAS MECANO TECHNIQUE demande à la Cour de :

Vu la circulaire DSS/2C n 2009-267 du 21 août 2009 relative à la procédure d'instruction des déclarations d'accidents du travail et maladies professionnelles, Vu l'article 480 du Code de procédure civile,

Vu les articles L.452-2 et L.452-3, L.442-8 et R.141-7 du code de la Sécurité Sociale et 144-10 du Code de la Sécurité Sociale,

- Infirmer le Jugement rendu le 2 juin 2016 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de Lyon,

Et statuant à nouveau,

- À titre principal

- Dire et juger que la décision de refus de prise en charge notifiée le 9 mai 2011 reste acquise au profit de l'employeur, en l'espèce la société MECANO TECHNIQUE,

- Dire et juger, par suite, que la décision de prise en charge de la maladie au titre de la législation des risques professionnels procédant de la décision du 22 novembre 2012 de la Commission de Recours Amiable est inopposable à la société MECANO TECHNIQUE,

- Dire et juger qu'il appartiendra donc à la caisse primaire d'assurance maladie du RHONE de supporter toutes les conséquences financières attachées à l'éventuelle reconnaissance de faute inexcusable,

À titre subsidiaire,

- Dire et juger que Monsieur [F] ne rapporte pas la preuve, dont la charge lui incombe, de ce que la maladie professionnelle du 23 mai 2011, résulte de la faute inexcusable de son employeur, en conséquence le débouter de l'ensemble de ses demandes.

À titre plus subsidiaire,

1)Dire que la société MECANO TECHNIQUE ne saurait être condamnée, en cas de reconnaissance de la faute inexcusable, à rembourser à la caisse primaire d'assurance maladie les indemnités correspondant à la majoration de la rente servie à son taux maximum et aux préjudices personnels, du fait de l'inopposabilité de la décision de prise en charge de la maladie de Monsieur [F],

2)Dire que l'expertise médicale qui serait ordonnée ne peut porter que sur les postes de préjudices suivants :

- déficit fonctionnel temporaire,

- souffrances physiques et morales endurées dans la mesure où elles ne sont pas d'ores et déjà Indemnisées au titre de l'IPP,

- préjudice esthétique,

- préjudice d'agrément, tel que défini par la Cour de cassation dans ses arrêts des 28 février 2013 et 28 mai 2014, à savoir l'impossibilité de pratiquer une activité sportive ou de loisir,

- perte ou de la diminution de chances de promotion professionnelle, du déficit fonctionnel temporaire,

- des frais d'aménagement du véhicule et/ ou du logement, sous réserve que Monsieur [F] justifie de l'existence de ces derniers en leur principe.

3)Débouter Monsieur [F] de sa demande formulée au titre des frais irrépétibles de première instance à l'encontre de la Société MECANO TECHNIQUE,

Et en tout état de cause,

- Confirmer le jugement entrepris pour le surplus,

- Rejeter toute demande plus ample ou contraire dirigée à l'encontre de la société MECANO TECHNIQUE devant la Cour,

- Dire et juger qu'en application des dispositions de l'article L.452-3 du Code de la Sécurité Sociale, la CPAM du RHONE sera tenue de faire l'avance des sommes allouées à [F],

- Débouter Monsieur [F] de sa demande au titre des frais irrépétibles,

- Débouter Monsieur [F] de sa demande relative aux dépens, la procédure étant gratuite et sans frais

Par ses dernières conclusions déposées le 27 mars 2017 et reprises oralement lors de l'audience, Monsieur [F] demande à la Cour de :

- DIRE ET JUGER que la maladie professionnelle dont a été victime Monsieur [F] le 22 octobre 2010 2009 est due à la faute inexcusable de la SAS MECANO TECHNIQUE.

- PORTER la rente versée par la CPAM à Monsieur [V] [F] à son taux maximum.

- DÉSIGNER avant dire droit l'expert qu'il plaira à la Cour afin de déterminer l'ensemble des préjudices subis par Monsieur [V] [F] avec pour mission de :

- Après avoir recueilli les éléments nécessaires sur l'identité de la victime et sa situation, les conditions de son activité professionnelle, sou niveau scolaire, son statut et/ou sa formation, son mode de vie antérieur à l'accident et sa situation actuelle.

- Après avoir recueilli les déclarations et les doléances de la victime, au besoin de ses proches et de tout sachant.

- Après avoir interrogé la victime sur les conditions d'apparition des lésions, l'importance des douleurs, la gêne fonctionnelle subie et leurs conséquences. Après avoir consulté l'ensemble des documents médicaux fournis.

- Après avoir procédé, en présence des médecins mandatés par les parties avec l'assentiment de la victime, à un examen clinique détaillé en fonction des lésions initiales et des doléances exprimées par la victime,

Il conviendra de :

- Déterminer les dépenses de santé actuelle, restées à charge

- Evaluer les frais divers, (les frais administratifs, frais de trajets par exemple)

- Evaluer les pertes de gains professionnels actuels : indiquer les périodes pendant lesquelles la victime a été du fait de son déficit fonctionnel temporaire dans l'incapacité d'exercer totalement ou partiellement son activité professionnelle et en cas d'incapacité partielle, préciser le taux et la durée

- Evaluer les dépenses de santé futures, le cas échéant

- Dire s'il existe des frais de logement adaptés à venir

- Dire si la victime va devoir avoir besoin d'un véhicule adapté et déterminer les frais engendrés par cet aménagement

- Dire s'il est nécessaire que la victime dispose d'une assistante par tierce personne et en évaluer le coût.

- Fixer la perte de gain professionnelle future : indiquer notamment si le déficit fonctionnel permanent entraîne l'obligation pour la victime de cesser totalement ou partiellement son activité professionnelle ou/et changer d'activité professionnelle

- Déterminer l'incidence professionnelle : indiquer notamment si le déficit fonctionnel permanent entraîne d'autres répercussions sur son activité professionnelle actuelle ou future (obligation de formation pour un reclassement professionnel, pénibilité accrue dans son activité, dévalorisation sur le marché du travail...)

- Déterminer s'il existe un préjudice scolaire, universitaire ou de formation

- Fixer le déficit fonctionnel temporaire en indiquant les périodes pendant lesquelles la victime a été du fait de son déficit fonctionnel temporaire dans l'incapacité totale ou partielle de poursuivre ses activités personnelles habituelles, en cas d'incapacité partielle, préciser le taux et la durée.

- Fixer les souffrances endurées : décrire les souffrances physiques, psychiques ou morales découlant des blessures subis pendant la maladie traumatique, les évaluer distinctement dans une échelle de un à sept.

- Fixer le préjudice esthétique temporaire

- Fixer le déficit fonctionnel permanent indiquer si après la consolidation, la victime subie un déficit fonctionnel permanent définit comme une altération permanente d'une ou plusieurs fonctions physiques sensorielles, mentales ainsi que des douleurs permanentes ou tout autre trouble de santé entraînant une limitation d'activité ou une restriction de participation à la vie en société subie au quotidien par la victime dans son environnement, en évaluer l'importance et en chiffre le taux

- Fixer le préjudice d'agrément : indiquer notamment que la victime est empêchée

en toute ou partie de se livrer à des activités spécifiques de sport ou de loisirs

- Déterminer le préjudice esthétique permanent : donner un avis sur l'existence, la

nature et l'importance du préjudice esthétique en attribuant une note fixée de 1 à 7

- Déterminer le préjudice sexuel

- Déterminer le préjudice d'établissement

- Déterminer s'il existe des préjudices permanents exceptionnels

- ALLOUER à Monsieur [V] [F] la somme de 5 000 euros à titre d'indemnité provisionnelle.

- CONDAMNER la SAS MECANO TECHNIQUE la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile à verser à Monsieur [V] [F].

- CONDAMNER la SAS MECANO TECHNIQUE aux entiers dépens de l'instance.

Par ses dernières conclusions déposées le 28 novembre 2017 et reprises oralement lors de l'audience, la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône indique qu'elle s'en remet sur l'existence de la faute inexcusable et qu'elle procédera au recouvrement de l'intégralité des sommes avancées au titre de la faute inexcusable (majoration de rente et préjudices y compris des frais d'expertise diligentée).

***

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la Cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées, qu'elles ont fait viser par le greffier lors de l'audience de plaidoiries et qu'elles ont à cette occasion expressément maintenues et soutenues oralement en indiquant n'avoir rien à y ajouter ou retrancher.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la faute inexcusable

En vertu du contrat de travail le liant à son salarié et en matière de sécurité, l'employeur est tenu envers ce dernier d'une obligation de résultat. Le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable au sens de l'article L 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

L'article L4121-1 du code du travail énonce que : 'L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels ;

2° Des actions d'information et de formation ;

3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.'

L'article L4121-2 précise que : 'L'employeur met en oeuvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :

1° Eviter les risques ;

2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;

3° Combattre les risques à la source ;

4° Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;

5° Tenir compte de l'état d'évolution de la technique ;

6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;

7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral, tel qu'il est défini à l'article L. 1152-1 ;

8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;

9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.'

L'article L4121-3 précise que : 'L'employeur, compte tenu de la nature des activités de l'établissement, évalue les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs, y compris dans le choix des procédés de fabrication, des équipements de travail, des substances ou préparations chimiques, dans l'aménagement ou le réaménagement des lieux de travail ou des installations et dans la définition des postes de travail.

A la suite de cette évaluation, l'employeur met en oeuvre les actions de prévention ainsi que les méthodes de travail et de production garantissant un meilleur niveau de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs. Il intègre ces actions et ces méthodes dans l'ensemble des activités de l'établissement et à tous les niveaux de l'encadrement.'

Par ailleurs, le titre 3 du Livre IV du code du travail prévoit des dispositions de prévention des risques d'exposition au bruit.

Monsieur [F] fait valoir qu'il a travaillé au sein de la SAS MECANO TECHNIQUE dans un environnement très bruyant du fait de l'usinage de pièces en acier et de la vitesse de rotation des machines, et ce durant plus de trente ans.

Sa surdité a été constatée par un certificat médical initial de maladie professionnelle du 22 octobre 2010, la date de première constatation de la maladie étant fixée au 16 mai 2006.

Il fait observer que l'employeur ne produit pas le document unique d'évaluation des risques professionnels de l'époque mais uniquement une version partielle datant du 12 octobre 2012. En revanche, un document établi le 2 avril 2007 par le médecin du travail établit que l'employeur ne pouvait ignorer le risque. Or, il soutient n'avoir jamais reçu de formation à la sécurité, ne pas avoir bénéficié d'un équipement individuel de protection adéquat et aussi que l'employeur n'a pas tout mis en oeuvre pour faire diminuer le bruit qui émanait de l'atelier où il travaillait.

La SAS MECANO TECHNIQUE rappelle quant à elle qu'il incombe au salarié de démontrer que son employeur avait conscience du danger et que par ailleurs il n'avait pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver. Or, elle prétend que l'évaluation des risques professionnels a bien été faite et qu'un document unique a été établi dans l'entreprise. Elle ajoute que la pathologie présentée par Monsieur [F] est sans lien avec une quelconque manutention quotidienne des charges, objet des formations à la sécurité des travailleurs. Les mesures du bruit réalisées dans l'atelier montrent selon elle que le bruit de l'environnement était compris entre 75 et 85 db de sorte qu'aucune protection auditive n'était nécessaire mais que dans un souci de prévention et de protection, des casques et/ou bouchons d'oreille ont été mis à disposition des salariés. Elle soutient que les salariés ne pouvaient ignorer la nécessité d'utiliser des protections auditives qui leur avaient été remises et qui avaient été spécialement moulées pour assurer leur protection.

La caisse primaire d'assurance maladie s'en remet à justice sur l'appréciation de la faute inexcusable.

***

La SAS MECANO TECHNIQUE n'invoque pas devant la Cour d'autres moyens que ceux soumis aux premiers juges auxquels ceux-ci ont répondu par des motifs pertinents qu'il y a lieu d'adopter en relevant notamment que :

- Il est constant que Monsieur [F] a travaillé pendant de très nombreuses années dans un atelier où fonctionnaient des machines bruyantes et qu'il utilisait en outre des soufflettes (embout monté sur des pistolets ou tuyaux du système utilisé pour pousser de l'air comprimé, source de bruit supplémentaire).

- Les mesures de bruit réalisées le 27 mars 2006 au sein de l'entreprise ont mis en évidence des bruits variant entre 75 à 85 dB, voire 99 dB lors du polissage par la roue à lamelle, et 105 à 107 lors du meulage, nécessitant une protection auditive.

- L'employeur avait connaissance de la nécessité de la protection auditive des salariés eu égard aux explications qui lui avaient été données par le médecin du travail à tout le moins dans la fiche d'entreprise réalisée le 2 avril 2007 et il lui appartenait de prendre les mesures nécessaires pour assurer la protection des salariés.

- Trois salariés ou anciens salariés attestent que :

- Tous les salariés ne disposaient pas, avant 2007, de protection auditives et par la suite des protections en silicone plus performantes ont été attribuées mais à certains d'entre eux seulement.

- Il n'est justifié de la délivrance d'aucune information relative aux nuisances sonores et à la protection des salariés.

- Aucune mesure n'a été entreprise pour tenter de réduire le bruit provoqué par les machines au sein de l'atelier.

- Aucune consigne ou directive n'a été émise par l'employeur quant à l'usage de protections auditives avant ou après 2007 et en tout cas antérieurement à la déclaration de la maladie professionnelle de Monsieur [F] (l'extrait du document présenté comme le document unique d'évaluation des risques professionnels datant du 12 octobre 2012).

- La production de facture d'achat de protections auditives ne suffit pas à établir leur remise aux salariés et plus particulièrement à Monsieur [F].

La faute inexcusable de l'employeur doit donc être retenue ainsi que l'a dit le tribunal.

Sur la demande d'inopposabilité de la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie de Monsieur [F]

La SAS MECANO TECHNIQUE fait valoir qu'elle a reçu de la Caisse notification du refus de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie du salarié de sorte que cette décision lui reste acquise conformément au principe d'indépendance des parties. Dans ces conditions, selon elle, la prise en charge pouvant intervenir suite au recours en faute inexcusable par le salarié ne lui sera pas opposable et les dépenses ne seront pas imputables à son compte. Elle soutient que les dispositions de l'article L.452-3-1 du code de la sécurité sociale ne visent que l'hypothèse d'un non respect de la procédure d'instruction par l'organisme social des demandes de prises en charge au titre de la législation professionnelle et n'est pas applicable à la présente instance.

Elle fait observer que le tribunal a, de manière contradictoire, rappelé que la maladie ne pourrait faire l'objet d'une tarification sur le compte employeur de la SAS MECANO TECHNIQUE, la décision initiale de refus de prise en charge étant acquise, tout en rejetant sa demande tendant à voir dire que la Caisse devrait supporter toutes les conséquences financières attachées la reconnaissance de la faute inexcusable.

Monsieur [F] soutient que l'article L.452-3-1 du code de la sécurité sociale entré en vigueur au 1er janvier 2013 ne permet plus à l'employeur de se prévaloir de l'inopposabilité, la reconnaissance de la faute inexcusable emportant dans tous les cas, obligation pour celui-ci de s'acquitter des sommes dont il est redevable à ce titre auprès des caisses.

La caisse primaire d'assurance maladie s'oppose à la demande de l'employeur puisqu'il convient selon elle de distinguer les indemnités versées par la caisse au titre de la reconnaissance du caractère professionnel d'un accident ou d'une maladie des indemnités dues par l'employeur suite à la reconnaissance de la faute inexcusable et les sommes dues au titre de la majoration de rente qui relèvent exclusivement de la responsabilité quasi-délictuelle de l'employeur et des règles de droit commun qui s'y attachent. Elle estime que l'article L.452-3-1 du code de la sécurité sociale est applicable à l'espèce et pose comme unique condition à l'obligation de l'employeur de rembourser les sommes avancées par la caisse que sa responsabilité soit reconnue par un jugement passé en force de chose jugée et ce quelles que soient les conditions d'information à l'égard de l'employeur.

***

Aux termes de l'article L. 452-3-1 du Code de la sécurité sociale issu de la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012 : 'Quelles que soient les conditions d'information de l'employeur par la caisse au cours de la procédure d'admission du caractère professionnel de l'accident ou de la maladie, la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur par une décision de justice passée en force de chose jugée emporte l'obligation pour celui-ci de s'acquitter des sommes dont il est redevable à raison des articles L. 452-1 à L. 452-3".

Cette disposition invoquée au soutien de leurs prétentions par l'assuré et la caisse primaire concerne exclusivement l'incidence sur l'action en remboursement des caisses primaires en cas de reconnaissance de l'existence d'une faute inexcusable d'un non-respect par celles-ci de la procédure d'instruction des demandes de prise en charge au titre de la législation professionnelle des accidents et maladies.

En l'espèce, la discussion ne porte pas sur un prétendu non-respect par la caisse de la procédure d'instruction de la demande de prise en charge au titre de la législation professionnelle dont les modalités ne font l'objet d'aucune contestation.

La Caisse a en effet refusé la prise en charge de la maladie de Monsieur [F] au titre de la législation professionnelle, tableau n°42 et il est constant que cette décision est définitivement acquise à l'employeur.

Ce texte ne saurait par ailleurs autoriser la caisse à considérer que les sommes dues au titre de la faute inexcusable, notamment la majoration de la rente, relèveraient de la responsabilité quasi délictuelle de l'employeur et des règles de droit commun qui s'y attachent dès lors que le régime de la faute inexcusable de l'employeur, permettant au salarié d'obtenir une indemnisation complémentaire, est une procédure spécifique organisée par le code de la sécurité sociale et dérogatoire au droit commun comme le précise d'ailleurs l'article L. 451-1 du Code de la sécurité sociale qui interdit à la victime ou à ses ayants droit d'exercer contre l'employeur une action en réparation selon les règles de droit commun.

La validité de ce régime d'indemnisation et de son caractère dérogatoire au droit commun a été confirmée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 18 juin 2010.

En revanche, l'employeur est en droit d'opposer tous les moyens de défense tirés de ses relations avec la caisse.

L'article L. 452-2 du Code de la sécurité sociale indique qu'en cas de reconnaissance de l'existence d'une faute inexcusable de l'employeur, la victime ou ses ayants droits reçoivent une majoration des indemnités qui leur sont dues en vertu du livre IV. Le versement des prestations de sécurité sociale dues en vertu du livre IV incombe aux caisses d'assurance maladie selon les modalités fixées aux articles L. 431-1 et suivants et R. 431-1 et suivants du Code de la sécurité sociale.

Le débiteur de la majoration de la rente n'étant pas l'employeur mais la caisse, celle-ci dispose uniquement d'un recours en remboursement à l'encontre de l'employeur ainsi que le précise le dernier alinéa, de l'article L. 452-2 du Code de la sécurité sociale : 'La majoration est payée par la caisse, qui en récupère le capital représentatif auprès de l'employeur dans des conditions déterminées par décret.'.

Cet article ne mentionne pas un droit direct du salarié au règlement de la majoration de la rente à l'encontre de l'employeur, ni l'obligation pour la caisse de faire l'avance du versement de cette majoration de la rente pour le compte de l'employeur.

Le recours des caisses, seules tenues du règlement de la majoration de rente au salarié en cas de reconnaissance de l'existence d'une faute inexcusable, aux fins d'être remboursées de cette majoration par l'employeur, est donc fondé sur un droit personnel de la caisse à l'encontre de l'employeur aux fins de remboursement de cette prestation complémentaire de sécurité sociale.

Il s'agit dès lors d'un recours récursoire en garantie et non d'un recours subrogatoire.

La SAS MECANO TECHNIQUE est donc fondée à s'opposer au recouvrement à son encontre par la caisse de la majoration de rente servie à l'assuré du fait de la reconnaissance de la faute inexcusable, eu égard à la décision de refus de prise en charge de la maladie professionnelle qui lui est acquise, dans ses rapports avec la Caisse.

Il n'est pas contestable par contre que le recours de la caisse à l'encontre de l'employeur prévu par l'article L. 452-3 du Code de la sécurité sociale est un recours subrogatoire.

Cet article L. 452-3 énonce en effet que : 'Indépendamment de la majoration de rente qu'elle reçoit en vertu de l'article précédent, la victime a le droit de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle . Si la victime est atteinte d'un taux d'incapacité permanente de 100 %, il lui est alloué, en outre, une indemnité forfaitaire égale au montant du salaire minimum légal en vigueur à la date de consolidation.(...)

La réparation de ces préjudices est versée directement aux bénéficiaires par la caisse qui en récupère le montant auprès de l'employeur. '

En vertu de ce texte, l'employeur est donc le seul débiteur des indemnités dues au salarié en réparation de ses préjudices personnels liés à la reconnaissance de l'existence d'une faute inexcusable, la caisse faisant uniquement l'avance du versement de ces sommes pour le compte de l'employeur.

La caisse est effectivement subrogée, à due concurrence des sommes versées, dans les droits que possède le salarié victime contre l'employeur responsable de la faute inexcusable. L'employeur ne peut invoquer à cet égard la décision de la caisse de refus de prise en charge de la maladie professionnelle qui est indifférente dans ses rapports avec l'assuré dans le cadre de l'action en reconnaissance de la faute inexcusable.

Le jugement doit donc être infirmé en ce qu'il a déclaré que les conséquences financières de la maladie professionnelle imputable à la faute inexcusable de l'employeur sont entièrement opposables à la SAS MECANO TECHNIQUE et il doit être plutôt dit qu'elles ne sont opposables qu'au titre des préjudices personnels subis par Monsieur [F] et non des prestations de sécurité sociale servies par la caisse dont la majoration de la rente.

Sur la demande d'expertise médicale et de provision

La SAS MECANO TECHNIQUE demande que la mission d'expertise soit circonscrite aux postes visés à l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale et à ceux non couverts par le Livre IV dudit code et qu'ainsi il y a lieu d'exclure de la mission :

- Le déficit fonctionnel permanent ou IPP et l'incidence professionnelle, les dépenses de santé actuelles et futures et l'assistance par une tierce personne permanente, dont l'indemnisation est prévue par le code de la sécurité sociale ;

- Le préjudice d'agrément dès lors que Monsieur [F] n'en justifie pas ;

- Le préjudice sexuel et le préjudice d'établissement puisqu'une surdité ne peut en être la cause ;

- Les préjudices permanents exceptionnels, non justifiés ;

Monsieur [F] rappelle que par sa décision du 10 juin 2010, le Conseil Constitutionnel a laissé le soin aux juridictions de l'ordre judiciaire de déterminer quels sont les préjudices complémentaires à ceux prévus à l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale dont la victime peut demander réparation. Il sollicite que la mission soit d'ordre général incluant notamment les postes litigieux.

***

Il convient de rappeler qu'il appartient au juge chargé de la liquidation des préjudices, au vu des éléments recueillis dans le cadre de l'expertise et de ceux que produit la victime au soutien de ses demandes, d'apprécier le bien fondé de celles-ci.

Le jugement qui a confié à l'expert la mission de fournir son avis sur les lésions consécutives à la maladie professionnelle et notamment, la durée de l'incapacité totale et partielle de travail, l'assistance d'une tierce personne, la nécessité d'aménagement son logement et son véhicule, la perte de chance de promotion professionnelle, les souffrances physiques et morales consécutives à l'accident, les préjudice esthétique, d'agrément et sexuel consécutifs à l'accident, la perte de chance de réaliser un projet de vie familiale, les préjudices exceptionnels, doit être confirmé dès lors qu'il n'y a pas lieu de dire à ce stade de la procédure quels postes de préjudices sont ou non établis.

Il y a lieu toutefois de rectifier le jugement qui comporte une erreur matérielle en ce qu'il a mentionné que le prénom de l'assuré était '[Z]' au lieu de '[V]'.

***

C'est par une juste appréciation des éléments de la cause que les premiers juges ont alloué une provision de 3.000 euros qui sera confirmée.

Sur les frais et indemnité procédurale

La procédure est sans frais en application de l'article R144-10 du code de la sécurité sociale.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la SAS MECANO TECHNIQUE à verser la somme de 1.000 euros à Monsieur [F] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Au vu des circonstances de la cause il n'y a pas lieu d'octroyer une indemnité procédurale complémentaire en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoire et en dernier ressort,

Confirme le jugement sauf en ce qu'il a déclaré que les conséquences financières de la maladie professionnelle imputable à la faute inexcusable de l'employeur sont entièrement opposables à la SAS MECANO TECHNIQUE.

Et statuant à nouveau sur le chef infirmé,

Dit que les conséquences financières de la maladie professionnelle imputable à la faute inexcusable de l'employeur ne sont opposables à la SAS MECANO TECHNIQUE qu'au titre des préjudices personnels subis par Monsieur [F] et non des prestations de sécurité sociale servies par la Caisse dont la majoration de la rente.

Le rectifiant,

Dit que le prénom de l'assuré figurant dans la mission d'expertise est '[V]' et non '[Z]' et ordonne la modification du jugement en ce sens.

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel.

Dit n'y avoir lieu à dépens ou à paiement de droit en application de l'article R144-10 du code de la sécurité sociale.

LA GREFFIÈRELA PRESIDENTE

Malika CHINOUNE Elizabeth POLLE-SENANEUCH


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Sécurité sociale
Numéro d'arrêt : 16/05328
Date de la décision : 30/01/2018

Références :

Cour d'appel de Lyon 51, arrêt n°16/05328 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-01-30;16.05328 ?
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