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27/10/2017 | FRANCE | N°16/07760

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale c, 27 octobre 2017, 16/07760


AFFAIRE PRUD'HOMALE



RAPPORTEUR





R.G : 16/07760





[W]



C/

SAS COMEFOR INDUSTRIES







APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINT-ETIENNE

du 30 Septembre 2015

RG : F 14/00532











COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE C



ARRÊT DU 27 OCTOBRE 2017







APPELANT :



[D] [W]

né le [Date naissance 1] 1956 à [Localité 1]r>
[Adresse 1]

[Adresse 1]



représenté par Me Ingrid GERAY, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE







INTIMÉE :



SAS COMEFOR INDUSTRIES

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Adresse 2]



représentée par Me Cécile AZOULAY de la SELARL CAPSTAN RHONE ALPES, avocat au barr...

AFFAIRE PRUD'HOMALE

RAPPORTEUR

R.G : 16/07760

[W]

C/

SAS COMEFOR INDUSTRIES

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINT-ETIENNE

du 30 Septembre 2015

RG : F 14/00532

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE C

ARRÊT DU 27 OCTOBRE 2017

APPELANT :

[D] [W]

né le [Date naissance 1] 1956 à [Localité 1]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représenté par Me Ingrid GERAY, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE

INTIMÉE :

SAS COMEFOR INDUSTRIES

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me Cécile AZOULAY de la SELARL CAPSTAN RHONE ALPES, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE substituée par Me GHEURBI, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 21 Septembre 2017

Présidée par Laurence BERTHIER, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Emmanuelle BONNET, Greffier.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

- Elizabeth POLLE-SENANEUCH, président

- Laurence BERTHIER, conseiller

- Thomas CASSUTO, conseiller

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 27 Octobre 2017 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Elizabeth POLLE-SENANEUCH, Président et par Emmanuelle BONNET, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

********************

Monsieur [D] [W] a été embauché le 7 avril 1980 comme opérateur de commande numérique par la société DUHAMEL aux droits de laquelle se trouve la société COMEFOR depuis 1986.

Monsieur [W] a été nommé en 2008, responsable d'atelier avec le statut de cadre, puis responsable technique, en 2010. Au dernier état de la relation contractuelle, il percevait un salaire mensuel de 4.013,55 euros.

La société COMEFOR lui a adressé un courrier le 6 janvier 2012 lui reprochant une attitude qualifiée de 'regrettable' qu'elle l'invitait à ne plus reconduire,.

Par la suite, une procédure disciplinaire a été engagée le 22 juin 2012, avant d'être annulée le 5 juillet 2012.

Enfin, un avertissement lui a été notifié le 29 août 2012.

Le 5 septembre 2012, Monsieur [W] a été placé en arrêt de travail.

Sur avis du médecin du travail, la société COMEFOR a reçu Monsieur [W] en février 2013 en présence du médecin du travail afin d'envisager sa reprise. Une proposition a été faite à Monsieur [W] en tant que responsable de centre d'usinage.

L'arrêt de travail de celui-ci a été renouvelé durant six mois.

Lors de la visite médicale de reprise, le 5 septembre 2013, Monsieur [W] a été déclaré 'inapte au poste, apte à un autre : inapte définitivement à son poste de responsable technique'.

Lors de la seconde visite médicale du 20 septembre suivant, le médecin du travail a confirmé l'inaptitude de Monsieur [W] à son poste ('Inaptitude confirmée au poste. Inapte totalement et définitivement à son poste de responsable technique. Inapte au poste de responsable usinage proposé dans le courrier du 12 septembre 2013. Je ne peux faire, ce jour, de proposition de poste dans l'entreprise').

La société COMEFOR a contesté l'avis d'inaptitude, le 7 octobre 2013. Les contacts avec Monsieur [W] et le médecin du travail se sont poursuivis pour trouver une solution de reclassement ou d'aménagement de poste, sans succès.

Monsieur [W] a été convoqué par lettre du 18 novembre 2013 à un entretien préalable à une éventuelle mesure de licenciement et le 3 décembre 2013, la société COMEFOR a notifié à Monsieur [W] son licenciement pour inaptitude non professionnelle dans les termes suivants :

'Nous avons pris la décision de vous licencier au motif de votre inaptitude à votre poste et de l'impossibilité de vous reclasser.

Nous vous en rappelons les motifs :

Vous occupez un poste de responsable technique.

A la suite de vos arrêts de travail, le Docteur [Q], Médecin du Travail, vous a reçu dans le cadre d'une première visite médicale de reprise le 5 septembre 2013, elle a déclaré : 'Inapte au poste, apte à un autre : inapte définitivement à son poste de responsable technique'

Puis, lors d'une seconde visite médicale en date du 20 septembre 2013, le médecin du travail a indiqué : 'Inaptitude confirmée au poste. Inapte totalement et définitivement à son poste de responsable technique. Inapte au poste de responsable d'usinage proposé dans courrier du 12 septembre 2013. Je ne peux pas faire, ce jour, de proposition de poste dans l'entreprise'.

Nous avons effectué des recherches de reclassement au sein de notre entreprise, ainsi que dans les autres entités du groupe, en collaboration étroite avec le Médecin du travail et en tenant compte des restrictions médicales.

Dans un souci constant de favoriser votre reclassement, après des recherches au sein de la société et des sociétés du groupe auquel nous appartenons et après divers échanges intervenus avec le médecin du travail, par courrier en date du 18 octobre 2013, la société a proposé au Médecin du travail une solution de reclassement.

Par courrier en réponse, le Médecin du travail a indiqué qu'il convenait de vous proposer ce poste de reclassement.

Par courrier en date du 22 octobre 2013, nous vous avons proposé le poste de responsable d'usinage que vous avez refusé en ne répondant pas à notre proposition.

Par ailleurs, suite à la contestation de l'avis d'inaptitude, l'inspecteur du travail a confirmé cet avis d'inaptitude rendu par le Docteur [Q], le 22 novembre 2013, en concluant à une inaptitude à tout poste au sein de l'entreprise.

Malgré nos investigations et notre volonté de vous conserver dans nos effectifs, notre Société se trouve dans l'impossibilité de vous proposer un autre emploi, à titre de reclassement au sein de la société et des autres sociétés du groupe auquel nous appartenons. L'étude par nos soins et par le Médecin du travail des postes existants dans l'entreprise, aboutissant malheureusement au constat suivant : aucun autre poste de travail dans notre entreprise n'est compatible à ce jour avec votre état de santé actuel et ce même par la mise en 'uvre de mutations, transformations de postes de travail ou aménagements du temps de travail.

Ainsi, malgré toutes nos recherches pour tenter de vous reclasser, cela s'avère malheureusement impossible.

Dans ces conditions nous vous notifions par la présente votre licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement (...)'.

Monsieur [D] [W] a saisi le Conseil de Prud'hommes de Saint-Etienne le 29 mai 2013 afin de solliciter la résiliation judiciaire de son contrat de travail. L'affaire a été radiée pour défaut de diligences.

Il a saisi de nouveau la juridiction le 7 août 2014, afin de solliciter la nullité des avertissements notifiés et à titre principal, la nullité de son licenciement. À titre subsidiaire, Monsieur [W] demandait que son licenciement soit jugé sans cause réelle ni sérieuse.

Par jugement du 30 septembre 2015, le conseil de prud'hommes de Saint-Etienne a :

- Confirmé la légalité du licenciement pour inaptitude d'origine non professionnelle de Monsieur [D] [W].

- Débouté Monsieur [D] [W] de l'ensemble de ses demandes.

- Condamné Monsieur [D] [W] à régler à la SAS COMEFOR 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- Condamné Monsieur [D] [W] aux entiers dépens de l'instance.

Monsieur [W] a interjeté appel le 12 octobre 2015 du jugement notifié le 8 octobre 2015.

L'instance a fait l'objet d'une radiation le 21 octobre 2016 et a été réenrôlée le 27 octobre suivant.

Par ses dernières conclusions déposées le 21 septembre 2017 et reprises oralement lors de l'audience, Monsieur [W] demande à la Cour de :

- Infirmer le jugement du Conseil de prud'hommes de SAINT-ETIENNE, du 30 septembre 2015,

- Condamner la Société COMEFOR à lui verser 10 000 euros nets à titre de dommages et intérêts au titre du harcèlement moral,

À titre principal,

- Dire et juger que la procédure de licenciement pour inaptitude de Monsieur [W] est irrégulière,

- Condamner la Société COMEFOR au paiement de la somme de 5 843,92 euros au titre de rappel d'indemnité spéciale de licenciement,

À titre subsidiaire,

- Dire et juger que le licenciement de Monsieur [W] est nul,

À titre infiniment subsidiaire,

- Dire et juger que le licenciement pour inaptitude de Monsieur [W] ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse,

En tout état de cause,

- Condamner la Société COMEFOR à verser à Monsieur [W] la somme de 120 000 euros nets de dommages et intérêts au titre de l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement,

- Condamner la Société COMEFOR à verser à Monsieur [W] les sommes de 23 725,50 euros au titre de l'indemnité de préavis et de 2 375,55 euros au titre des congés payés afférents,

- Condamner la Société à verser à Monsieur [W] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ses dernières conclusions déposées le 27 avril 2016 et reprises oralement lors de l'audience, la société COMEFOR demande à la Cour de :

Vu les articles L1152-1 et suivants, L1226-10 et suivants et L1226-2 et suivants du Code du Travail,

A titre principal, sur la nullité du licenciement

- Dire qu'aucun agissement constitutif de harcèlement moral n'est susceptible d'être imputé à la société

- En conséquence, dire que le licenciement n'encourt pas la nullité et débouter Monsieur [W] de l'intégralité de ses demandes de ce chef.

A titre subsidiaire, sur le prétendu non-respect de la procédure de licenciement

- Dire que l'avis d'inaptitude délivré par le Médecin du Travail et confirmé par l'Inspecteur du Travail est d'origine non professionnelle

- Constater qu'à la date du licenciement, aucune décision définitive ne qualifiait l'inaptitude d'inaptitude professionnelle

- Constater que la Société n'avait donc pas à respecter la procédure spécifique aux inaptitudes d'origine professionnelle

- En conséquence, débouter Monsieur [W] de l'intégralité de ses demandes de ce chef.

- Constater que la Société a tout mis en 'uvre pour tenter de procéder au reclassement de Monsieur [W], tant en interne qu'au sein des sociétés du Groupe

A titre infiniment subsidiaire, sur les recherches de reclassement

- Constater qu'aucun poste compatible tant avec les compétences de Monsieur [W] qu'avec les prescriptions restrictives de la Médecine du Travail n'était disponible

- En conséquence, débouter Monsieur [W] de ses demandes de ce chef

En tout état de cause,

Accueillant la demande reconventionnelle de l'employeur,

- Condamner Monsieur [W] à lui verser 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

***

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la Cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées, qu'elles ont fait viser par le greffier lors de l'audience de plaidoiries et qu'elles ont à cette occasion expressément maintenues et soutenues oralement en indiquant n'avoir rien à y ajouter ou retrancher.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l'article L.1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

L'article L.1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il résulte de ces textes que lorsque le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral; dans l'affirmative, il appartient à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il est de principe que le licenciement d'un salarié pour inaptitude médicalement constatée est nul lorsque cette inaptitude trouve sa cause directe et certaine dans des actes de harcèlement moral commis par l'employeur.

Monsieur [W] soutient qu'il a été victime de harcèlement moral de la part de son employeur, et ce depuis la prise de fonction de Madame [H] en qualité de présidente en septembre 2010, en ce que :

- Il a été l'objet d'insultes et de propos dégradants.

- Il a été soumis à de nombreux reproches entre fin 2010 et début 2012, sources d'un climat de pressions lui laissant craindre pour la pérennité de son emploi. Ainsi, il a reçu un avertissement le 6 janvier 2012, puis a subi une procédure disciplinaire finalement annulée le 22 juin 2012 et a reçu un second avertissement le 29 août 2012, ne reposant sur aucun élément sérieux.

- Il a été mis à l'écart dès lors qu'on lui a demandé de ne plus participé aux réunions de production et de lancement de nouvelles fabrications à compter de la nomination de Madame [H].

- Lorsque sa reprise du travail a été envisagée, sa réintégration n'a pas été prévue sur son ancien poste ou un emploi similaire mais sur un poste de catégorie inférieure, afin de l'évincer de toute responsabilité et de tout poste d'encadrement.

- Les agissements de son employeur ont altéré sa santé mentale ainsi qu'en attestent les éléments médicaux versés au débat.

La société COMEFOR fait valoir en réponse que :

- Monsieur [W] ne s'est jamais plaint pendant le cours de l'exécution de son contrat de travail d'un quelconque harcèlement moral.

- La société a favorisé l'évolution professionnelle de Monsieur [W] qui est passé d'un poste d'opérateur à un poste de cadre.

- Le médecin du travail a prononcé une inaptitude pour un motif non professionnel.

- Le courrier du 6 janvier 2012 ne comportait pas de sanction disciplinaire mais un témoignage de la déception de la société COMEFOR face au manque de solidarité et à son devoir d'exemplarité affichée de Monsieur [W] à l'occasion du départ d'un magasinier qui avait refusé au dernier moment le renouvellement de son contrat de travail à durée déterminée.

- La procédure disciplinaire engagée en juin 2012 à la suite d'une violente dispute entre Monsieur [W] et un autre salarié n'a pas eu de suite compte tenu des témoignages recueillis lors de l'enquête menée et Monsieur [W] a bénéficié du même traitement que l'autre protagoniste. - L'avertissement du 29 août 2012 était justifié au regard des erreurs et fautes commises par Monsieur [W] à l'occasion de l'installation de nouvelles machines et au titre du plan de maintenance du 10 août 2012 témoignant d'une absence de suivi régulier des opérations.

- Monsieur [W] ne justifie par aucun élément des insultes et propos dégradants qu'il aurait subis de la part de Madame [H] et Monsieur [V] et le reconnaît d'ailleurs dans ses écritures.

- Elle conteste également la mise à l'écart qu'il allègue soutenant que le salarié était convié aux réunions le concernant ainsi que toute rétrogradation dans la proposition du poste de responsable usinage.

***

Monsieur [W] soutient avoir subi une insulte par un de ses collègues et des remarques inappropriées de la part de Madame [H], présidente, dont il ne justifie par aucune pièce, ce qu'il admet d'ailleurs dans ses écritures (page 7).

Monsieur [W] prétend par ailleurs qu'il a été l'objet d'une mise à l'écart car il n'aurait plus été convié aux réunions de production et de lancement, ce dont il ne justifie par aucune pièce. Or, l'employeur verse aux débats les comptes-rendus de sept réunions (pièces 32 à 38) auxquelles Monsieur [W] a participé en 2011 et 2012 et dans le cadre desquelles des missions lui ont été confiées. Monsieur [W] admet qu'il était présent aux dites réunions mais prétend que c'était uniquement au sujet de la problématique 'outils', ce faisant, il n'établit pas la mise à l'écart dont il dit être victime à ce titre.

En revanche, Monsieur [W] verse encore au débat au soutien de sa demande :

- Le courrier de l'employeur du 6 janvier 2012 rédigé dans les termes suivants : 'j'ai bien noté votre refus de suppléer en partie au poste de magasinier d'outillage. En effet, les prévisions de chiffre d'affaires pour l'année 2012 ne nous permettent pas d'embaucher un nouveau magasinier (le contrat de travail à durée déterminée de M. [D] n'ayant pas été renouvelé au 31/12/2011). J'avais donc prévu une répartition temporaire des tâches de magasinier entre le chef d'atelier, vous-même et les opérateurs. Votre refus m'oblige donc à envisager le recrutement d'une nouvelle personne, qui économiquement n'est pas censé. Votre fonction de responsable technique devrait vous impliquer beaucoup plus fortement dans la bonne marche de notre société. En espérant que votre attitude regrettable ne se reproduise plus'.

Monsieur [W] a formellement contesté ce courrier par lettre du 20 janvier 2012, qu'il a qualifié de 'sanction injustifiée', et celui-ci peut en effet s'analyser comme tel, eu égard aux propos employés par l'employeur qui use manifestement d'un avertissement au regard d'un fait précis reproché au salarié.

Le salarié faisait valoir dans son courrier en réponse qu'il avait, depuis le départ de Monsieur [D], pris en charge la fourniture aux opérateurs des plaquettes, outils et l'affûtage afin que la production ne soit pas arrêtée et ce, alors que ces tâches ne relèvent pas de ses fonctions. Il rappelait sa complète implication dans l'entreprise depuis de nombreuses années. Il exposait ne pas pouvoir 'cependant accepter de nouvelles tâches supplémentaires ne relevant pas de [sa] fonction car cette dernière serait alors totalement vidée de sa substance' et que par ailleurs 'le temps passé à réaliser ce nouveau travail supplémentaire ne lui permettrait pas de 'réaliser correctement le travail attaché à [sa] fonction de responsable technique'.

L'employeur n'a ni répondu à ce courrier, ni remis en cause les explications fournies par Monsieur [W].

- Un courrier du 22 juin 2012 de convocation à un entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire finalement annulée, sans plus de précisions, par courrier du 5 juillet suivant.

- Un courrier adressé à Monsieur [W] le 29 août 2012 qui fait part de divers griefs tenant à une incapacité de celui-ci à superviser le déplacement d'une machine 'MAX MULLER' et diverses erreurs de maintenance et qui lui notifie un avertissement.

Monsieur [W] soutient à juste titre que les griefs ne concernent toutefois qu'une insuffisance professionnelle supposée qui ne peut donner lieu à sanction disciplinaire.

En effet, il n'est question dans le courrier de l'employeur que de 'l'incapacité' de Monsieur [W] d'effectuer certaines tâches ou de ses 'erreurs' dans le suivi de maintenance de certaines machines mais d'aucun fait fautif, abstention fautive ou négligence délibérée du salarié.

L'employeur ne pouvait donc délivrer à cet égard une sanction disciplinaire d'avertissement.

- Dans la lettre d'avertissement du 29 août 2012 l'employeur indique en outre : 'Une personne de la société SODEREMO+ est venue me voir en me disant qu'il y avait un problème, nous avons eu une altercation au milieu de l'atelier car je ne pouvais pas à nouveau concevoir une telle incapacité dans votre travail (...)'.

- Monsieur [W] fait valoir que lorsque sa reprise du travail a été envisagée au début de l'année 2013, sans qu'aucun avis d'inaptitude n'ait été émis à l'époque, le poste proposé par l'employeur de 'responsable centre d'usinages' consistait en une rétrogradation car comprenant des responsabilités fortement réduites s'agissant d'un travail posté sur machine qu'aucun autre cadre n'effectuait dans l'entreprise et correspondant à ce qu'il faisait en 1998. Il précisait qu'ainsi il ne se voyait plus confier la gestion de la production et des problématiques afférentes et que cet emploi était donc de catégorie inférieure, sans responsabilité ni encadrement.

- Des éléments médicaux et notamment :

- un arrêt de travail le 5 septembre 2012 pour 'dépression' puis 'état anxio-dépressif'

- un certificat du médecin du travail du 10 septembre 2012 constatant une 'grande souffrance au travail. L'arrêt devra être long...au moins jusqu'en début 2013...il faut augmenter le traitement et proposer un suivi psychologique ou psychiatrique'.

- un courrier du 14 septembre 2012 de demande de prise en charge par le médecin traitant au médecin psychiatre pour 'dépression profonde depuis trois mois avec un harcèlement moral au travail'.

- plusieurs ordonnances de médicaments anxiolytiques, antidépresseurs et somnifères prescrits régulièrement à compter du 5 septembre 2012.

Ces faits répétés et ces circonstances, pris dans leur ensemble, sont de nature à laisser présumer l'existence d'une situation de harcèlement moral.

Or, la société COMEFOR n'établit pas que ses décisions et agissements étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement dès lors que :

- La société COMEFOR soutient que le courrier du 6 janvier 2012 ne constitue pas une sanction, ce qui ne peut être admis ainsi qu'il a été observé ci-dessus. Par ailleurs, elle ne peut valablement prétendre que la sanction disciplinaire du 29 août 2012 est fondée s'agissant de reproches tenant à une insuffisance professionnelle ('l'incapacité' du salarié à assurer ses fonctions).

- Elle se contente de répliquer ensuite que le niveau de responsabilité proposé par le poste de responsable de centre d'usinages était le même puisque Monsieur [W] aurait alors eu la responsabilité du 'démarrage des machines' et qu'il conservait le même niveau de classification sans formuler toutefois aucune observation quant à la perte de responsabilité dans la gestion de la production, l'encadrement d'équipiers et la prise d'un travail posté sur une machine.

- L'employeur fait encore valoir qu'il souhaitait conserver Monsieur [W] dans ses effectifs tel qu'il ressort de ses propos élogieux tenus à son égard devant le médecin inspecteur du travail au cours de son enquête, ce qui ne peut toutefois suffire au vu des éléments produits par ailleurs et apparaît même contradictoire au regard de l'altercation survenue au coeur même de l'atelier motivée, d'après l'employeur lui'même par 'l'incapacité', de Monsieur [W] dans son travail.

Il doit donc être retenu au vu de ces éléments que Monsieur [W] a été victime d'un harcèlement moral de la part de son employeur. Il est fondé à solliciter la réparation du préjudice subi à ce titre.

Monsieur [W] invoque en particulier l'état dépressif qui était le sien à compter du mois de septembre 2012 dont il justifie par les pièces médicales qu'il produit.

La société COMEFOR sera condamnée à ce titre à verser à Monsieur [W] la somme de 3.000 euros en réparation du préjudice subi.

Sur la rupture du contrat de travail

Il est de principe que le licenciement d'un salarié pour inaptitude médicalement constatée est nul lorsque cette inaptitude trouve sa cause directe et certaine dans des actes de harcèlement moral commis par l'employeur.

Tel est le cas en l'espèce au vu des motifs qui précèdent, les arrêts de travail et l'inaptitude déclarée de Monsieur [W] étant en lien avec le harcèlement moral dont il a été victime. Celui-ci est donc fondé à invoquer la nullité de son licenciement.

Sur la demande au titre du non respect de la procédure de licenciement

Aux termes de l'article L.1226-10 du code du travail : 'Lorsque, à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à un accident du travail ou à une maladie professionnelle, le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités.

Cette proposition prend en compte, après avis des délégués du personnel, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise.

L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes ou aménagement du temps de travail.'

Monsieur [W] soutient que l'employeur n'a pas respecté la procédure applicable à l'inaptitude d'origine professionnelle.

La société COMEFOR fait toutefois observer à juste titre que l'employeur n'avait pas connaissance de l'origine professionnelle non expressément reconnue, ni sollicitée au moment du licenciement.

Celle-ci n'a en effet été retenue que par la Cour.

Il n'y a pas lieu de faire droit à la demande d'indemnité de licenciement spéciale formée par l'appelant à ce titre.

Sur les demandes indemnitaires

Le salarié victime d'un licenciement nul et qui ne réclame pas sa réintégration a droit, d'une part, aux indemnités de rupture, d'autre part, à une indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à celle prévue par l'article L. 1235-3 du Code du travail.

Monsieur [W] sollicite l'octroi d'une somme de 120 000 euros à titre de dommages et intérêts à raison du préjudice subi du fait de son licenciement. Il invoque le préjudice considérable subi eu égard à sa grande ancienneté de plus de 34 ans, de son âge au moment du licenciement, du salaire de 4 013 euros qu'il percevait, non compensé par l'indemnité de chômage de 2 205 euros et de sa vaine recherche d'emploi en dépit de ses diligences.

Compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à Monsieur [W] âgé de 57 ans lors de la rupture, de son ancienneté, de ce qu'il n'a pu retrouver un nouvel emploi avant son départ à la retraite, la Cour estime que le préjudice résultant pour ce dernier de la rupture doit être indemnisé par la somme de 72 000 euros.

L'employeur ayant par ailleurs commis des faits de harcèlement moral qui ont contribué à l'apparition de l'affection justifiant les arrêts de travail pour maladie et le licenciement de Monsieur [W] qui n'a pu effectuer son préavis, celui-ci peut prétendre au versement d'une indemnité compensatrice, l'inexécution du préavis étant imputable à l'employeur. En revanche, eu égard au caractère indemnitaire de cette indemnité, le salarié ne peut prétendre à l'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis.

Il sera fait droit dans ces conditions à la demande de condamnation au titre de l'indemnité compensatrice de préavis pour un montant de 23 725,50 euros, telle que réclamée étant rappelé que l'article 27 de la convention collective des ingénieurs et cadres de la métallurgie prévoit un préavis de 6 mois pour les cadres ou ingénieurs âgés de 55 ans ou plus et de plus d'un an d'ancienneté. La demande au titre des congés payés sur préavis sera en revanche rejetée.

Sur les dépens et l'indemnité procédurale

Le jugement qui a condamné Monsieur [W] aux dépens et au versement d'une indemnité procédurale sera infirmé.

La société intimée qui succombe sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et au versement d'une indemnité procédurale de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoire et en dernier ressort,

Infirme le jugement.

Et statuant à nouveau,

Condamne la SAS COMEFOR à verser à Monsieur [D] [W] la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre du harcèlement moral.

Déclare nul le licenciement de Monsieur [D] [W].

Condamne la SAS COMEFOR à verser à Monsieur [D] [W] les sommes de :

- 72 000 euros nets de dommages et intérêts

- 23 725,50 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis.

Dit que les sommes allouées supporteront s'il y a lieu les cotisations ou contributions sociales.

Rejette les demandes plus amples ou contraires.

Condamne la SAS COMEFOR à verser à Monsieur [D] [W] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Le GreffierLe président

Emmanuelle BONNETElizabeth POLLE-SENANEUCH


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale c
Numéro d'arrêt : 16/07760
Date de la décision : 27/10/2017

Références :

Cour d'appel de Lyon SC, arrêt n°16/07760 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-10-27;16.07760 ?
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