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27/10/2017 | FRANCE | N°16/04553

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale c, 27 octobre 2017, 16/04553


AFFAIRE PRUD'HOMALE



RAPPORTEUR





R.G : 16/04553





SARL B2M PERFORMANCE



C/

[J]







APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MONTBRISON

du 31 Mai 2016

RG : F 15/00187











COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE C



ARRÊT DU 27 OCTOBRE 2017







APPELANTE :



SARL B2M PERFORMANCE

[Adresse 1]

[Adresse 1]



représentée par Me Olivier LACROIX de la SELARL CEFIDES, avocat au barreau de LYON







INTIMÉE :



[O] [J]

née le [Date naissance 1] 1962 à [Localité 1]

[Adresse 2]

[Adresse 3]



comparante en personne, assistée de Me Stéphane TEYSSIER de la SELARL STEPHANE TEYSSIER AV...

AFFAIRE PRUD'HOMALE

RAPPORTEUR

R.G : 16/04553

SARL B2M PERFORMANCE

C/

[J]

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MONTBRISON

du 31 Mai 2016

RG : F 15/00187

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE C

ARRÊT DU 27 OCTOBRE 2017

APPELANTE :

SARL B2M PERFORMANCE

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Olivier LACROIX de la SELARL CEFIDES, avocat au barreau de LYON

INTIMÉE :

[O] [J]

née le [Date naissance 1] 1962 à [Localité 1]

[Adresse 2]

[Adresse 3]

comparante en personne, assistée de Me Stéphane TEYSSIER de la SELARL STEPHANE TEYSSIER AVOCAT, avocat au barreau de LYON substituée par Me Yann BARRIER, avocat au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 21 Septembre 2017

Présidée par Laurence BERTHIER, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Malika CHINOUNE, Greffier.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

- Elizabeth POLLE-SENANEUCH, président

- Laurence BERTHIER, conseiller

- Thomas CASSUTO, conseiller

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 27 Octobre 2017 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Elizabeth POLLE-SENANEUCH, Président et par Emmanuelle BONNET, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

********************

Madame [O] [J] a été embauchée le 12 septembre 2008 par contrat à durée indéterminée en tant qu'hôtesse de vente au sein de l'établissement du [Adresse 1] sur le communes des [Localité 2] par la société ARGEDIS (Filiale du groupe Total).

Le 1er février 2013, la SARL B2M PERFORMANCE a repris l'exploitation de la station sous l'enseigne 'Shell'.

Le 10 juin 2014, Madame [J] a reçu un éclat de gravier (ou un brin d'herbe selon l'employeur) dans l'oeil. L'accident n'a pas été déclaré et par courrier du 4 août 2014 Madame [J] a indiqué à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie qu'elle renonçait à voir reconnaître le caractère professionnel de l'accident 'afin de ne pas rentrer inutilement en conflit avec mon employeur'.

À compter du 15 septembre 2014, Madame [J] a été placée en arrêt maladie.

Par courrier recommandé du 2 juin 2015, Madame [J] qui était alors toujours en arrêt de travail a indiqué qu'elle souhaitait rencontrer son employeur au siège de la société, à [Localité 3], en raison des 'difficultés relationnelles' avec Madame [I], manager. Elle évoquait sa dépression 'générée par ce souci de communication'.

Par lettre du 8 juin 2015, l'employeur, contestant avoir refusé de communiquer et évoquant l'absence de toute mention de telles difficultés par le passé par Madame [J], a pris acte de son état médical et lui a proposé un rendez-vous le 3 juillet 2015 sur son lieu de travail en présence de Madame [I].

Madame [J] a répondu par courrier du 1er juillet qu'elle déclinait ce rendez vous "n'étant pas prête émotionnellement à rencontrer son employeur et sa manager" et évoquant un 'harcèlement moral' de Madame [I].

Par courrier du 10 juillet 2015 en réponse, la SARL B2M PERFORMANCE a déploré cette absence et a répondu aux griefs de Madame [J] quant à son prétendu accident du travail du 10 juin 2014 et ses difficultés relationnelles avec Mesdames [V] et [I].

Par courrier du 9 septembre 2015 en réponse à un courrier de Madame [J] daté du 30 juillet 2015, la SARL B2M PERFORMANCE a mis en place une enquête auprès de l'ensemble des salariés de l'établissement concernant les accusations de harcèlement moral portées à l'encontre de Madame [I].

Madame [J] a saisi le conseil de prud'hommes de MONTBRISON le 21 septembre 2015 afin de solliciter douze mois de salaire à titre de dommages et intérêts sur un fondement non précisé.

Une première visite médicale de reprise du 20 octobre 2015 suivie d'une seconde visite le 6 novembre 2015 ont conclu que Madame [J] ne pouvait pas reprendre son poste de travail et l'ont déclarée inapte à son poste de travail habituel et 'apte à tout poste hors du contexte actuel et habituel de l'entreprise'.

Par courrier recommandé du 16 novembre 2015, la SARL B2M PERFORMANCE a informé Madame [J] de la recherche de postes de reclassement et lui a fait deux propositions. Ce courrier est resté sans réponse.

Dans un courrier de relance du 24 novembre 2015, elle rappelait les deux propositions de reclassement formulées.

Par courrier du 28 novembre 2015, Madame [J] a précisé qu'elle n'était pas en état psychologique pour prendre une décision ce jour.

Par courrier recommandé du 7 décembre 2015, la SARL B2M PERFORMANCE a convoqué Madame [J] [O] à un entretien préalable à une mesure de licenciement le 17 décembre 2015.

Madame [J] s'est rendue à cet entretien et a refusé les propositions de reclassement qui lui ont été faites.

Par lettre datée du 22 décembre 2015 Madame [J] a été licenciée pour inaptitude dans les termes suivants :

'Nous faisons suite à l'entretien préalable du 17 décembre 2015 au cours duquel vous avez été assistée d'un conseiller salarié affilié CGT.

Au cours de cet entretien, nous avons discuté des points suivants :

1/Déclaration d' inaptitude :

A la suite d'une longue période d'arrêt maladie, vous avez passé une visite le 20 octobre 2015 auprès du Docteur [J] [T], de la médecine du travail, au cours duquel l'avis

suivant a été rendu : 'Suite à arrêt de travail, la reprise au poste habituel est impossible

compte tenu de (votre) état de santé actuel.(...) Apte à un poste excluant les contre-

indications citées sur la demande d'aménagement de poste'.

Les contre-indications sont les suivantes : 'Ne peut pas travailler dans le contexte actuel et

habituel de l'entreprise'.

Le 6 novembre 2015, vous avez passé une seconde visite auprès du Docteur [N] [W] de la médecine du travail, qui a conclu à votre inaptitude définitive à votre poste d'hôtesse de vente dans les termes suivants :

'Compte tenu de l'état de santé actuel, la reprise au poste habituel est impossible. La salariée doit être considérée comme inapte définitif à son poste habituel. Mais apte à tout poste hors du contexte-actuel et habituel de l'entreprise',

2/ Nos recherches de reclassement

Nous avons pris bonne note de cette inaptitude et des réserves émises par la médecine du travail. Nous avons donc procédé à des recherches de reclassement sur l'ensemble des postes existants au sein de notre société dans ces différents établissements qui ont tous pour activité l'exploitation de station-service SHELL.

A ce titre, nous vous avons adressé le 17 novembre 2015 un courrier recommandé sous pli n° lA 115 319 54960 vous informant de nos recherches de reclassement.

Nous avons exclu l'établissement sis[Adresse 1] dans lequel vous travaillez dans la mesure où vous ne pouvez plus travaillez dans le contexte actuel selon les conclusions de la médecine du travail.

Nos recherches ont donc porté sur les établissements suivants :

- Etablissement sis [Adresse 1]

- Etablissement sis [Adresse 4]

- Etablissement sis [Adresse 5]

- Etablissement sis [Adresse 6].

Nous avons également étendu nos recherches au nouvel établissement sis [Adresse 7] que nous avons pris en location gérance le 30 novembre 2015.

Au sein de ces cinq établissements, les postes existants sont les suivants :

- Employé de station ou Hôte de vente

- Agent d'entretien

- Assistant administratif

- Employé administratif

- Adjoint manager

- Manager

Sur les postes de type administratif (assistant administratif, employé administratif, adjoint manager et Manager), nous n'avons pas de poste disponible. De plus, ces postes requièrent des qualifications particulières.

Sur les autres postes, et notamment sur le poste d'employé de station, nous vous avons fait deux propositions de reclassement sur des postes disponibles :

3/Proposition de reclassement :

- Première proposition. de reclassement : Poste d'employé de station au sein de

l'établissement [Adresse 1]

Fonctions : identiques à celle que vous occupez actuellement

Temps de travail : temps complet à 35 heures par semaine avec horaires selon planning, essentiellement de 22h à 6h.

Particularité : Statut de travailleur de nuit

Echelon : 3

Salaire mensuel : 1.580,86 € brut + contreparties lies au statut de travailleur de nuit Disponibilité du poste: immédiate

- Deuxième proposition de reclassement: Poste d'employé de station au sein du futur établissement sis [Adresse 7]

Fonctions : identiques à celle que vous occupez actuellement

Temps de travail temps partiel à 18,50 heures par semaine

Particularité : néant

Échelon

Salaire mensuel : 835.58 € brut

Disponibilité du poste: 30 novembre 2015.

Nous avons soumis en parallèle les propositions de reclassement à la médecine du travail

afin de nous assurer de la compatibilité avec l'avis rendu le 20 octobre 2015.

Par courrier en date du 20 novembre 2015, le docteur [J] [T] nous a précisé : 'les postes proposés sont compatibles avec le profil d'aptitude énoncé par le Dr [W]'. Il a également été précisé que dans l'hypothèse d'une réponse positive de votre part à ces propositions de reclassement, vous seriez revu par la médecine du travail.

4/Vos réponses à nos propositions de reclassement :

N'ayant pas eu de réponse à notre courrier du 17 novembre 2015, que vous avez pourtant retiré le 19 novembre 2015, et compte tenu de l'avis favorable de la médecine du travail, nous vous avons adressé un second courrier dans les mêmes termes, le 24 novembre 2015, sous pli recommandé n° 1A 095 116 1255.

Dans ce courrier, nous vous demandions de bien vouloir nous donner une réponse avant le 2 décembre 2015, compte tenu des postes à pourvoir et de la nécessité de pouvoir nous engager sur le recrutement du personnel.

Toujours sans réponse de votre part, nous vous avons adressé un dernier courrier le 3 décembre 2015 Sous pli recommandé n° 1A 162 664 3427, en vous précisant qu'à défaut de réponse de votre part au 7 décembre ou en cas de refus, vous vous exposerez à un licenciement dans la mesure où nous n'avions pas d'autres postes disponibles à vous proposer.

Lors de nos échanges au cours de l'entretien préalable du 14 décembre 2015, vous nous avez indiqué que vous n'étiez pas intéressée par le poste de nuit sur rétablissement de [Adresse 1] et que le poste sur l'établissement de ROUSSILLON était trop loin de votre domicile personnel.

5/Procédure de licenciement

En conséquence de tout ce qui précède, nous vous informons que nous sommes contraints de vous licencier pour le motif suivant : inaptitude au poste avec refus des propositions de reclassement.

Du fait de votre inaptitude, vous ne serez pas en mesura d'effectuer votre préavis. Celui-ci vous sera intégralement payé conformément à la convention collective de l'Automobile, sous déduction des éventuelles indemnités de sécurité sociale et IPSA (...)'.

Par jugement du 31 mai 2016, le conseil de prud'hommes a rendu la décision suivante :

- CONDAMNE la SARL B2M PERFORMANCE à verser à Madame [J] [O] les sommes suivantes :

- 9 485,16 Euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

- 9 485,16 Euros pour dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 700,00 Euros au titre de l'article 700 du CODE DE PROCÉDURE CIVILE,

- DÉBOUTE la SARL B2M PERFORMANCE de sa demande reconventionnelle sur le fondement de l'article 700 du CODE DE PROCÉDURE CIVILE,

- CONDAMNE la SARL B2M PERFORMANCE aux entiers dépens de l'instance,

La SARL B2M PERFORMANCE a interjeté appel le 10 juin 2016 du jugement notifié le 2 juin 2016.

Par ses dernières conclusions déposées le 18 septembre 2017 et reprises oralement lors de l'audience, la SARL B2M PERFORMANCE demande à la Cour de :

- REFORMER le Jugement du Conseil de Prud'hommes de Montbrison du 31 mai 2016.

STATUANT A NOUVEAU :

- CONSTATER l'absence de tout acte de harcèlement moral sur la personne de Madame [O] [J].

- LA DEBOUTER de sa demande de dommages et intérêts à ce titre laquelle n'est fondée ni dans son principe ni, a fortiori, dans son quantum.

- DIRE le licenciement de Madame [O] [J] valable.

- DIRE que le licenciement de Madame [O] [J] repose sur une cause réelle et sérieuse.

- DEBOUTER Madame [O] [J] de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions.

Subsidiairement,

- DEBOUTER Madame [O] [J] de toute demande de dommages et intérêts qui excèderait le strict seuil fixé à l'article L1235-3 du Code de du travail.

- CONSTATER que le licenciement de Madame [O] [J] repose sur une cause réelle et sérieuse.

- DEBOUTER Madame [O] [J] de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions.

- CONDAMNER Madame [O] [J] au paiement de la somme de 2.500 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

- CONDAMNER la même aux entiers dépens de l'instance.

Par ses dernières conclusions déposées le 21 septembre 2017 et reprises oralement lors de l'audience, Madame [J] demande à la Cour de :

- JUGER recevable et bien fondée l'argumentation qu'elle a développée.

- CONFIRMER le Jugement du Conseil de Prud'hommes de MONTBRISON en date du 31 mai 2016 en ce qu'il a reconnu le harcèlement moral subi par Madame [J], jugé son licenciement abusif et condamné la Société B2M PERFORMANCE à lui verser 700 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile

- INFIRMER le Jugement sur le quantum des condamnations pour harcèlement moral et licenciement abusif

Statuant à nouveau,

A TITRE PRINCIPAL

- DIRE et JUGER que Madame [J] établit des faits faisant présumer l'existence d'un harcèlement moral.

- DIRE et JUGER que Madame [J] a été victime d'un harcèlement moral et qu'en conséquence le licenciement est nul

A TITRE SUBSIDIAIRE

- DIRE et JUGER sans cause réelle et sérieuse le licenciement faute d'invoquer et d'établir une impossibilité de reclassement

- DIRE et JUGER sans cause réelle et sérieuse le licenciement causé directement par les manquements de l'employeur à ses obligations

DANS TOUS LES CAS

- CONDAMNER la Société B2M PERFORMANCE à verser à Madame [J] les sommes suivantes* :

*outre intérêts de droit à compter de l'arrêt

- 35 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ou à tout le moins sans cause réelle et sérieuse.

- 15 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;

- ORDONNER la capitalisation des intérêts en vertu de l'article 1343-2 du code civil

- CONDAMNER la Société B2M PERFORMANCE à remettre à Madame [J] des bulletins de salaire rectifiés conformes à la décision, dans les 15 jours de la notification de l'arrêt et passé ce délai sous astreinte de 150 euros par jour de retard

- SE RESERVER le contentieux de la liquidation de l'astreinte

- CONDAMNER la Société B2M PERFORMANCE à payer à Madame [J] une indemnité de 2 500 euros au titre des frais de la procédure d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

- CONDAMNER la Société B2M PERFORMANCE aux dépens de l'instance

***

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la Cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées, qu'elles ont fait viser par le greffier lors de l'audience de plaidoiries et qu'elles ont à cette occasion expressément maintenues et soutenues oralement en indiquant n'avoir rien à y ajouter ou retrancher.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le harcèlement moral

Selon l'article L.1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

L'article L.1154-1 du même code prévoit que lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, Madame [J] soutient que Madame [I], sa supérieure hiérarchique lui demandait dans des termes offensants, d'effectuer des tâches ingrates qui ne correspondaient pas à sa fonction d'hôtesse de vente comme de nettoyer les toilettes, le regard extérieur des toilettes, les poubelles ou les parkings. Elle ajoute que sa manager a proféré des propos déplacés, humiliants ou encore racistes à son encontre et lui reprochait régulièrement des griefs infondés, comme la grivèlerie de carburants par des automobilistes, ce dont elle n'était pas responsable. Elle soutient qu'elle avait alerté sa direction sur le harcèlement moral subi mais que celle-ci n'a rien fait, sauf lui proposer un entretien en présence de Madame [I].

Elle ajoute que l'employeur n'a fait procéder à une enquête que plusieurs mois après qu'elle ait évoqué les faits et suite à l'intervention d'un syndicat, enquête qu'elle a orienté complètement en sa défaveur, les autres salariés ne pouvant attester qu'en présence de l'employeur, sous la pression.

La SARL B2M PERFORMANCE réplique que ce n'est qu'à compter du mois de février 2013 que Madame [I] a occupé les fonctions de manager et non avant et que Madame [J] n'a jamais émis la moindre plainte durant sa période de travail avec la société ARGEDIS SARL, contrairement à ce qu'elle indique. Elle prétend que les témoignages qu'elle produit de deux anciens salariés sont manifestement de complaisance et irréguliers. Elle assure que les accusations prétendues sont purement mensongères, fantaisistes et calomnieuses. Elle fait observer que Madame [J] ne s'est plainte que neuf mois après son arrêt de travail pour la première fois de harcèlement moral et que l'enquête auprès des salariés n'a rien révélé de tel.

La SARL B2M PERFORMANCE ajoute qu'elle a formé un recours contrat la décision de reconnaissance de la maladie professionnelle émise par l'organisme social.

***

Madame [J] verse aux débats au soutien de sa prétention les attestations émanant de Monsieur [F] [G] du 17 septembre 2015 et de Monsieur [B] [F] du 21 octobre 2015 (pièces 19 et 21) qui ne répondent pas aux exigences prévues par l'article 202 du code de procédure civile, par défaut des mentions des date et lieu de naissance, profession de leur auteur ainsi que, s'il y a lieu, leur lien de parenté ou d'alliance avec les parties, de subordination à leur égard, de collaboration ou de communauté d'intérêts avec elles, outre la mention qu'elles sont établies en vue de leur production en justice et leur auteur a connaissance qu'une fausse attestation de sa part l'expose à des sanctions pénales.

Toutefois, ces courriers constituent des éléments de preuve et ne peuvent être écartés des débats au seul motif qu'ils ne sont pas conformes à l'article 202 du code de procédure civile.

Il ressort de ces documents que Monsieur [G] a, lors de ses postes du soir, constaté que Madame [J] 'n'était pas très appréciée' par Madame [I] et que cette dernière 'lui a manqué de respect plus d'une fois', qu'il l'a ainsi entendu dire 'Ferme ta gueule'. Il ajoute : 'je l'ai entendue dénigrer Madame [J] auprès de nos autres collègues et de moi même en expliquant qu'elle l'aurait bien faite virer, que c'était facile de trouver une faute pour une caissière mais qu'il fallait la garder parce qu'elle rapportait du fric grâce à ses scores de ventes (primes collectives)... Je l'ai entendue au cours d'une conversation...lui dire 't'es pas là pour penser, va plutôt faire les chiottes ils doivent en avoir besoin'.

Monsieur [F] indique quant à lui avoir été le collègue de Madame [J] durant une année et avoir constaté : 'les brimades dont a été victime Mme [J] de la part de Mme [I] qui occupait le poste d'assistante du manager. Mme [I] ne manquait pas une occasion de déstabiliser ma collègue en multipliant les remontrances sur de prétendues fautes de caisses qu'elle ne commettait pas en vérité. Ainsi, elle lui rappelait très souvent que s'il y avait trop d'argent dans la caisse et que les prélèvements n'étaient pas faits régulièrement, elle serait virée, qu'en cas d'erreur de caisse, elle recevrait un courrier d'avertissement et qu'au bout de trois avertissements, elle serait là aussi virée...Mme [I] s'adressait toujours à Mme [J] sur un ton sec et hautain, je l'ai même entendu dire : 'ta gueule, ferme là'.

Madame [J] produit des éléments médicaux et notamment un courrier du 9 novembre 2014 du Docteur [Y] qui indique qu'elle présente 'une décompensation thymique (mot illisible) réactionnelle à un conflit avec son supérieur hiérarchique' (pièce 24) ainsi qu'un courrier du Docteur [N], psychiatre du 19 septembre 2015 qui rapporte qu'il suit Madame [J] depuis quelques mois 'dans un contexte de trouble anxio-dépressif (mot illisible) secondaires à une situation de souffrance au travail évoluant sur une problématique (mot illisible) plus ancienne'.

Elle verse en outre un courrier de reconnaissance d'une maladie professionnelle du 15 septembre 2014 par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la Loire du 12 mai 2017.

Ainsi, Madame [J] présente ainsi des faits qui pris dans leur ensemble, sont de nature à laisser supposer l'existence d'une situation de harcèlement moral.

La SARL B2M PERFORMANCE fait valoir néanmoins que :

- Madame [J] n'a jamais, avant son arrêt de travail du 15 septembre 2014, fait état d'un problème de harcèlement moral, auprès de son employeur, ni même auprès du médecin du travail, et n'a évoqué pour la première fois dans son courrier du 1er juillet 2015 que des 'difficultés relationnelles' avec Madame [I].

L'employeur a alors répondu en contestant formellement le refus de communiquer qui lui était reproché par la salarié précisant : 'pour preuve, vous vous êtes entretenue à deux reprises avec la direction avant votre arrêt maladie.

Entretien avec Madame [I] en juin 2014 : (...) lors duquel vous avez fait part de vos difficultés avec l'assistante Madame [V] qui selon vos dires, en avait après vous et qui avait une manière hautaine de vous affecter des tâches de travail. Madame [I] vous a convoqué en même temps que Madame [V] pour une explication en direct. Vous ne pouvez donc avancer un problème de communication alors que la manager vous reçoit et vous entend sur les difficultés que vous rencontrez au sein de l'équipe.

Entretien avec Monsieur [Z] en juillet 2014 :

Au mois de juillet 2014, vous m'avez sollicité afin que je vous reçoive en entretien, ce que nous avons fait afin d'échanger directement ensemble sur différents points, et notamment votre rémunération. Lors de cette entrevue vous n'avez jamais évoqué un problème de communication avec Madame [I]. Vous ne pouvez donc arguer que nous n'avons pas communiqué sur un problème dont vous ne nous aviez pas fait part à l'époque (...)'.

Ce courrier n'a pas été démenti par la salariée.

- L'employeur soutient encore pour démontrer l'impossibilité d'un harcèlement moral le fait que Madame [I] n'a été promue manager qu'en février 2013, ce qui n'est pas contesté.

- La SARL B2M PERFORMANCE sollicite le rejet du témoignage de Monsieur [G] faisant valoir que le planning des employés (pièce 45) démontre qu'à aucun moment, ce dernier n'a pu travailler aux côtés de Madame [J] et de Madame [I], et être ainsi témoin des propos qu'il rapporte car il travaillait de nuit la majeure partie du temps et parfois l'après-midi, en l'absence de Madame [J] (sauf le 27 février 2013 où les deux travaillaient l'après-midi, en l'absence toutefois de Madame [I] alors en congés). Si Monsieur [G] a donc pu croiser sa collègue Madame [J] le soir à 22 heures, Madame [I] n'était manifestement plus présente.

L'attestation de ce dernier ne peut donc être retenue ainsi que le soutient l'employeur qui évoque un témoignage de pure complaisance.

- Le témoignage de Monsieur [F] évoque en grande partie des griefs formulés à l'encontre de Madame [J] sur les erreurs de caisse qui seraient infondées. Or, l'employeur établit par la production des comptes-rendus d'évaluations annuels que ce point faisait l'objet de rappels réguliers de l'employeur et que Madame [J] s'engageait à réduire les dites erreurs, de même d'ailleurs qu'à être plus vigilante sur les grivèleries commises par les clients (pièces 30 à 33).

Dès lors, les demandes réitérées de Madame [I] à ce propos apparaissent comme l'exercice normal du pouvoir de direction de l'employeur.

Monsieur [F] rapporte un propos pour le moins inapproprié dans la relation de travail, voire insultant ('t'as gueule ferme là') dont il ne précise pas le contexte et qui apparaît en tout état de cause isolé.

Enfin, le fait de s'adresser d'un ton sec et hautain au salarié pour désagréable qu'il soit ne peut en tant que tel être qualifié de harcèlement moral.

- Les propos racistes que Madame [J] prétend avoir subi de la part de Madame [I] lorsqu'elle avait acheté un véhicule et lors du changement de gérant ne sont corroborés par aucune pièce.

- L'employeur face aux allégations de harcèlement moral a mené une enquête à compter du 9 septembre 2015, à l'occasion de laquelle les salariés ont été invités à répondre à un questionnaire fermé, en présence de l'employeur, suivant lequel il leur était demandé si ils avaient été témoins de remarques, propos désobligeants et/ou irrespectueux, humiliations et/ou brimades, situation de risque pour la santé ou de harcèlement moral de la part de Madame [I] envers Madame [J] ou d'autres salariés de l'établissement, les salariés étant en outre, invités s'ils le souhaitaient, à mentionner tout élément complémentaire important.

Les salariés ont répondu par la négative aux questions (un seul n'ayant pas souhaité participer à l'enquête). Plusieurs d'entre eux ont précisé que Madame [I] était un manager 'à l'écoute de ses collaborateurs...se souciant de la bonne intégration du personnel', 'arrangeante sur les plannings', 'sans avoir jamais eu de problèmes relationnels et professionnels' ou de 'harcèlement moral même lors de désaccord professionnel' (pièces 12-1 à 12-6).

Plusieurs salariés ont par ailleurs attesté qu'en aucun cas Madame [I] n'avait adopté une attitude de harcèlement vis-à vis de Madame [J], ni avoir constaté qu'elle lui demandé d'effectuer des tâches n'entrant pas dans ses fonctions d'hôtesse de caisse puisque l'ensemble des tâches était partagé entre le personnel (pièces 36 à 41).

A ce titre, il convient d'observer que la fiche de poste reprend que la salariée devait maintenir en 'état de propreté constant l'ensemble des locaux' et l'intimée ne peut donc soutenir qu'elle n'avait pas à accomplir de tâches de nettoyage.

La forme de l'enquête ne peut souffrir de critique, les questions quoique fermées n'apparaissant pas orientées, étant observé qu'à la fin du questionnaire les salariés pouvaient s'exprimer librement pour ajouter toute précision qui leur paraîtrait nécessaire. Les allégations de Madame [J], suivant lesquelles les salariés auraient été soumis à des pressions pour remplir ce questionnaire, ne sont établies par aucune pièce

Madame [J] ne démontre pas par ailleurs le refus par son employeur de déclarer un accident de travail survenu le 10 juin 2014 qu'elle ne justifie même pas lui avoir déclaré comme tel, ni même à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie (pièce 56 - courrier de la Caisse du 5 septembre 2016).

Au vu de ces éléments pris dans leur ensemble, il n'y a pas lieu de retenir l'existence d'un harcèlement moral à l'encontre de Madame [J].

Le jugement doit être infirmé de ce chef.

Sur la cause réelle et sérieuse du licenciement

Madame [J] soutient que son inaptitude a été causée par les manquements graves de son employeur tenant à son harcèlement moral, de sorte que son licenciement serait dépourvu de cause réelle et sérieuse.

La SARL B2M PERFORMANCE contestant tout harcèlement moral, s'oppose à la demande.

***

Il est de principe que le licenciement d'un salarié pour inaptitude médicalement constatée est nul lorsque cette inaptitude trouve sa cause directe et certaine dans des actes de harcèlement moral commis par l'employeur.

Toutefois, en l'espèce le lien entre l'inaptitude de Madame [J] et un prétendu harcèlement moral non justifié, n'est pas établi au vu des motifs qui précèdent. La demande de ce chef n'est pas fondée.

Sur le reclassement

Madame [J] soutient à titre subsidiaire que la lettre de licenciement ne mentionne pas l'impossibilité de reclassement mais seulement le refus de la salariée des postes de reclassement. Or, la lettre de licenciement doit selon elle faire état de l'impossibilité de reclassement et le seul refus des postes par la salariée n'est pas un motif de licenciement.

La SARL B2M PERFORMANCE soutient que la lettre de licenciement fait expressément état du motif de la rupture et rappelle les recherches effectuées et les postes proposés à la salariée de sorte qu'elle est ainsi suffisamment motivée.

En application des dispositions de l'article L.1226-2 du code du travail, lorsque le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un emploi adapté à ses capacités, cette proposition devant prendre en compte les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer des tâches existantes au sein de l'entreprise.

L'emploi est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles notamment des transformations de postes de travail.

Il appartient à l'employeur de justifier tant au niveau de l'entreprise que du groupe des démarches précises qu'il a effectuées pour parvenir au reclassement.

Le reclassement doit être recherché dans les postes disponibles.

Il appartient à l'employeur d'établir l'existence d'une recherche sérieuse de reclassement.

Il ressort de la lecture de la lettre de licenciement que l'employeur a procédé à une recherche de reclassement de Madame [J] sur des postes disponibles du groupe et adaptés à ses capacités , que celle-ci a refusé deux propositions de reclassement et qu'en l'absence 'd'autres postes disponibles', il n'a eu d'autre choix que de la licencier pour inaptitude.

Il ressort donc à l'évidence de ce courrier que les motifs du licenciement y étaient suffisamment précisés, l'employeur se trouvant dans l'impossibilité de reclasser Madame [J] qui avait refusé les postes disponibles, quand bien même le terme 'impossibilité' n'a pas été repris au courrier, dès lors qu'il était sans ambiguïté sur ce point.

Ensuite, Madame [J] soutient que l'employeur n'a pas recherché sérieusement à la reclasser dans tous ses établissements puisqu'il a omis de rechercher un reclassement dans ses établissements de LYON et de BRON et que des postes disponibles à LORLANGES et pourvus en novembre 2015, ne lui ont pas été proposés, outre deux postes en contrats de travail à durée déterminée pour les établissements du Haut-Forez.

La SARL B2M PERFORMANCE réplique qu'elle n'exploite plus les stations-service 'Shell' des établissements de LYON, BRON et même SAINT- PRIEST depuis 2009 qui ont changé d'enseigne et elle verse aux débats pour en justifier les pièces 55-1 à 55-4.

Par ailleurs, les postes pourvus à LORLANGES étaient pour le premier, un contrat de travail à durée déterminée du 1er au 25 novembre 2015 pour remplacement d'un salarié en congés payés (pièce 46) qui a donc débuté avant le second avis d'inaptitude datant du 6 novembre 2015 de Madame [J] et pour le second, un contrat de travail à durée déterminée du 22 au 30 novembre 2015 pour un remplacement de congés payés. Celle-ci ne peut donc reprocher à l'employeur de ne pas les lui avoir proposés.

Les deux contrats de travail à durée déterminée du 24 novembre 2015 ne pouvaient quant à eux être proposés puisque situés sur l'établissement [Adresse 1], et donc incompatibles avec la préconisation du médecin du travail.

Il convient d'observer que c'est à tort que les premiers juges ont retenu que les emplois proposés sur les établissements de [Adresse 8]et [Adresse 1] n'étaient pas compatibles avec les préconisations du médecin du travail alors que ce dernier a précisément retenu leur compatibilité par un courrier 20 novembre 2015. Ce point n'est d'ailleurs pas contesté par Madame [J].

Au vu de l'ensemble de ces éléments, il n'est pas établi que l'employeur a failli à ses obligations et Madame [J] doit être déboutée de ses demandes tendant à voir dire que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse et indemnitaires.

Le jugement sera par conséquent infirmé en toutes ses dispositions.

Sur les dépens et l'indemnité procédurale

Le jugement sera infirmé du chef des dépens et de l'indemnité procédurale.

Madame [J] qui succombe sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

Il n'est pas inéquitable de laisser à chaque partie la charge de leur propres frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoire et en dernier ressort,

Infirme le jugement en toutes ses dispositions.

Déboute Madame [J] de l'ensemble de ses demandes.

Laisse à chaque partie la charge de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel.

Condamne Madame [J] aux dépens de première instance et d'appel.

Le GreffierLe président

Emmanuelle BONNETElizabeth POLLE-SENANEUCH


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale c
Numéro d'arrêt : 16/04553
Date de la décision : 27/10/2017

Références :

Cour d'appel de Lyon SC, arrêt n°16/04553 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-10-27;16.04553 ?
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