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18/05/2017 | FRANCE | N°16/00175

France | France, Cour d'appel de Lyon, 1ère chambre civile a, 18 mai 2017, 16/00175


R.G : 16/00175









Décisions :



- du tribunal de grande instance de Cusset

Au fond du 15 janvier 2007



RG : 2004/0098





- de la cour d'appel de Riom (chambre commerciale) en date du 18 mai 2011



RG : 07/00478 +11/433





- de la cour de Cassation (deuxième chambre) en date du 9 janvier 2014



N° 26 F-D

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE LYON



1ère chambre civile A

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ARRET DU 18 Mai 2017





APPELANTS :



[S] [G]

né le [Date naissance 1] 1981 à [Localité 1]

[Adresse 1]

[Localité 2]



représenté par la SELARL DE FOURCROY AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de LYON

assisté de Maî...

R.G : 16/00175

Décisions :

- du tribunal de grande instance de Cusset

Au fond du 15 janvier 2007

RG : 2004/0098

- de la cour d'appel de Riom (chambre commerciale) en date du 18 mai 2011

RG : 07/00478 +11/433

- de la cour de Cassation (deuxième chambre) en date du 9 janvier 2014

N° 26 F-D

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE LYON

1ère chambre civile A

ARRET DU 18 Mai 2017

APPELANTS :

[S] [G]

né le [Date naissance 1] 1981 à [Localité 1]

[Adresse 1]

[Localité 2]

représenté par la SELARL DE FOURCROY AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de LYON

assisté de Maître Albéric DE GAYARDON, avocat au barreau de PARIS

(bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 2016/005851 du 17/03/2016 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Lyon)

[Q] [S]

née le [Date naissance 2] 1951 à [Localité 3] (SAONE-ET-LOIRE)

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par la SELARL DE FOURCROY AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de LYON

assistée de Maître Albéric DE GAYARDON, avocat au barreau de PARIS

(bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 2016/005854 du 17/03/2016 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Lyon)

INTIMES :

[I] [X]

né le [Date naissance 3] 1961 à [Localité 4] (LOIRE)

[Adresse 2]

[Localité 5]

représenté par Maître Yves-Marie GUILLAUD, avocat au barreau de LYON

[U] [X]

né le [Date naissance 4] 1960 à [Localité 6] (ALLIER)

[Adresse 3]

[Localité 6]

représenté par Maître Yves-Marie GUILLAUD, avocat au barreau de LYON

[F] [X]

née le [Date naissance 5] 1967 à [Localité 6] (ALLIER)

[Adresse 4]

[Localité 5]

représenté par Maître Yves-Marie GUILLAUD, avocat au barreau de LYON

[H] [X]

né le [Date naissance 6] 1956 à [Localité 6] (ALLIER)

[Adresse 5]

[Localité 5]

représenté par Maître Yves-Marie GUILLAUD, avocat au barreau de LYON

CPAM DE PARIS

[Adresse 6]

[Localité 7]

non constituée

******

Date de clôture de l'instruction : 13 septembre 2016

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 08 mars 2017

Date de mise à disposition : 18 mai 2017

Audience tenue par Jean-Louis BERNAUD, président et Vincent NICOLAS, conseiller, qui ont siégé en rapporteurs sans opposition des avocats dûment avisés et ont rendu compte à la Cour dans leur délibéré,

assistés pendant les débats de Ouarda BELAHCENE, greffier

A l'audience, Jean-Louis BERNAUD a fait le rapport, conformément à l'article 785 du code de procédure civile.

Composition de la Cour lors du délibéré :

- Jean-Louis BERNAUD, président

- Françoise CLEMENT, conseiller

- Vincent NICOLAS, conseiller

Signé par Jean-Louis BERNAUD, président, et par Sylvie BOURRAT, greffier-en-chef, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

****

Monsieur [P] [X] a été renvoyé le 27 février 2003 devant la cour d'assises de l'[Localité 8] des chefs de viols et de délits connexes d'agressions sexuelles commis sur la personne de [S] [G], âgé de 12 et 13 ans au moment des faits, à l'occasion de cours particuliers d'anglais qu'il dispensait au domicile de la victime.

Il est toutefois décédé avant sa comparution devant la cour d'assises, qui par arrêt du 22 septembre 2003 a constaté l'extinction de l'action publique.

Monsieur [S] [G], devenu majeur, et sa mère, Madame [Q] [S], ont fait assigner le 8 juillet 2004 devant le tribunal de grande instance de Cusset les consorts [K], [H], [U], [I] et [F] [X] en leur qualité d'héritiers de Monsieur [P] [X], à l'effet d'obtenir l'instauration d'une expertise psychiatrique sur leurs personnes et la condamnation des défendeurs au paiement de provisions à valoir sur l'indemnisation définitive de leurs préjudices respectifs (47 000 € au profit de Monsieur [S] [G] et 25 000 € au profit de Madame [Q] [S]).

Par jugement du 12 septembre 2005, confirmé par arrêt de la cour d'appel de RIOM en date du 2 août 2006, le principe du droit à indemnisation a été définitivement consacré, une expertise a été ordonnée et les consorts [X] ont été condamnés au paiement de deux provisions de 20 000 € et de 5 000 €.

À défaut de consignation la mesure d'expertise a été déclarée caduque.

Par un second jugement du 15 janvier 2007 le tribunal de grande instance de Cusset a liquidé définitivement le préjudice de Monsieur [S] [G] à la somme de 20 000 € et celui de Madame [Q] [S] à celle de 5 000 € et condamné solidairement les héritiers de Monsieur [P] [X] au paiement de ces sommes.

Sur l'appel de Monsieur [S] [G] et de Madame [Q] [S] la cour d'appel de RIOM, par un premier arrêt du 24 septembre 2008, a condamné solidairement les consorts [X] à payer à Monsieur [S] [G] la somme de 30 000 € en réparation de son préjudice moral et à Madame [Q] [S] la somme de 15 000 € en réparation de son préjudice moral, a ordonné une expertise médicale avant-dire droit sur le surplus des demandes indemnitaires et a enjoint aux appelants de procéder à la mise en cause des tiers payeurs.

En raison de la carence de Monsieur [S] [G], qui ne s'est pas présenté aux rendez-vous fixés, l'expertise n'a toutefois pas pu être réalisée et l'affaire est revenue en l'état devant la cour d'appel de RIOM.

Par un second arrêt du 18 mai 2011 la cour d'appel de RIOM, devant laquelle Monsieur [S] [G] et Madame [Q] [S] ont porté leurs demandes indemnitaires aux sommes de 550 000 € pour le premier et de 100 000 € pour la seconde et ont sollicité la désignation d'un expert psychologue spécialisé, a débouté Madame [Q] [S] de sa demande d'indemnisation complémentaire, a rejeté les demandes de sursis à statuer et d'expertise et a condamné solidairement les consorts [X] à payer à Monsieur [S] [G] la somme de 60 000 € à valoir sur la réparation de ses préjudices.

La cour d'appel a considéré en substance qu'en raison des carences répétées de la victime il n'y avait pas lieu d'ordonner une nouvelle expertise, que Madame [S], dont le préjudice moral avait été définitivement indemnisé, ne justifiait pas d'un préjudice supplémentaire, mais que malgré l'absence de consolidation de son état, Monsieur [S] [G] présentait des troubles importants ayant des répercussions sur sa vie professionnelle en relation avec les faits de viol et d'agressions sexuelles, qui justifiaient l'allocation d'une indemnité de 60 000 € à valoir sur l'indemnisation définitive de ses préjudices.

Sur le pourvoi formé par Monsieur [S] [G] la Cour de Cassation, par arrêt du 9 janvier 2014, a cassé et annulé dans toutes ses dispositions l'arrêt rendu le 18 mai 2011 par la cour d'appel de RIOM et a désigné la cour d'appel de Lyon en qualité de cour de renvoi.

Après avoir considéré sur le premier moyen de cassation que la cour d'appel avait souverainement rejeté la demande de nouvelle expertise, la Cour de Cassation, au visa de l'article 4 du code civil, a reproché à la cour d'appel d'avoir refusé d'évaluer le dommage dont elle constatait l'existence en son principe.

Monsieur [S] [G] et Madame [Q] [S] ont saisi la présente cour de renvoi selon déclaration reçue le 8 janvier 2016.

Vu les dernières conclusions signifiées et déposées le 6 mai 2016 par Monsieur [S] [G] et Madame [Q] [S] qui demandent à la cour, par voie d'infirmation du jugement :

'' de condamner les consorts [X] à payer à Monsieur [S] [G] les sommes de 100 000 € au titre des souffrances endurées, de 50 000 € au titre du préjudice sexuel et de 435 600 € au titre du préjudice patrimonial,

'' de condamner les consorts [X] à payer à Madame [Q] [S] les sommes de 100 000 € au titre de la perte de chance de développer une activité professionnelle et de 2 200 € au titre de divers frais de déménagement, de déplacement et d'hébergement,

'' subsidiairement de désigner un expert psychologue aux fins d'évaluer notamment la compatibilité de l'état psychologique de Monsieur [G] avec la conduite d'une activité professionnelle et l'existence d'une vie sociale et sentimentale et de fixer dans ce cas aux sommes de 70 000 € et de 35 000 € les provisions à valoir sur les préjudices respectifs,

'' en tout état de cause de condamner les consorts [X] à leur payer à chacun une indemnité de 10 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Vu les dernières conclusions signifiées et déposées le 1er juillet 2016 par les consorts [H], [U], [I] et [F] [X] qui demandent à la cour :

'' de statuer ce que de droit sur la demande subsidiaire d'expertise,

'' de liquider définitivement le préjudice subi par Monsieur [S] en lui allouant les sommes de 30 000 € en réparation des souffrances endurées, de 20 000 € en réparation du préjudice sexuel et de 30 000 € en réparation de sa perte de chance professionnelle,

'' de liquider définitivement le préjudice subi par Mme [Q] [S] en lui allouant les sommes de 5 000 € en réparation de son préjudice moral et de 5 000 € en réparation de sa perte de chance professionnelle,

'' de condamner le cas échéant les appelants à rembourser la différence entre les provisions reçues et les indemnités définitives.

Vu l'assignation à comparaître devant la cour signifiée le 31 mai 2016 à la personne de la caisse primaire d'assurance-maladie de Paris qui n'a pas constitué avocat.

*

* *

MOTIFS DE L'ARRET

Sur les demandes indemnitaires formées par M. [S] [G] :

Le principe du droit à indemnisation a été définitivement consacré par le premier jugement du tribunal de grande instance de Cusset en date du 12 septembre 2005, qui a été confirmé par arrêt de la cour d'appel de RIOM du 2 août 2006.

Il n'est plus discuté.

L'expertise judiciaire, confiée à un médecin psychiatre, qui a été ordonnée par ce premier jugement, également confirmé sur ce point le 2 août 2006, a été déclarée caduque par ordonnance du 7 mars 2006 à défaut pour Monsieur [S] [G] d'avoir consigné la somme de 400 € à valoir sur la rémunération de l'expert.

Aux termes de son second jugement en date du 15 janvier 2007 le tribunal de grande instance de Cusset, tirant les conséquences de la carence de la victime, a alloué à cette dernière la somme de 20 000 € à titre d'indemnité définitive sous déduction des provisions allouées.

Par un deuxième arrêt du 24 septembre 2008 la cour d'appel de RIOM, considérant qu'une expertise médicale était indispensable pour déterminer l'étendue exacte du préjudice subi par la victime, a ordonné une nouvelle expertise confiée à un médecin psychiatre inscrit sur la liste des experts judiciaires de la cour d'appel de Paris, mais estimant qu'elle disposait en l'état d'éléments suffisants pour statuer sur la réparation des préjudices moraux causés par les faits criminels a alloué de ce chef à Monsieur [G] la somme de 30 000 € et à sa mère la somme de 15 000 €.

Monsieur [S] [G] ne s'est toutefois pas présenté aux multiples rendez-vous fixés par le médecin expert, de sorte que cette mesure d'instruction n'a pas été mise en 'uvre.

L'affaire est alors revenue en l'état devant la cour d'appel de RIOM, qui aux termes de l'arrêt cassé du 18 mai 2011 a rejeté la demande de nouvelle expertise et a alloué à Monsieur [G] la somme de 60 000 € à valoir sur la fixation définitive de son préjudice.

Il ne peut être sérieusement soutenu que les circonstances ayant conduit à l'échec des deux mesures d'expertise judiciaire ne seraient pas imputables à la victime, alors que celle-ci peine à convaincre qu'elle n'a pas été en mesure de réunir la somme de 400 € à valoir sur la rémunération du premier expert et, surtout, qu'elle reconnaît expressément dans ses écritures d'appel que c'est délibérément qu'elle n'a pas souhaité se présenter devant le second expert en raison « de l'anxiété et de la terreur que lui inspirait la nécessité de revenir » sur les faits criminels.

Ce n'est d'ailleurs aujourd'hui qu'à titre subsidiaire qu'une nouvelle expertise psychologique est sollicitée, Monsieur [G] soutenant principalement que la cour dispose d'ores et déjà d'éléments suffisants d'appréciation sur l'ampleur des préjudices moraux et corporels,ce qui laisse supposer qu'il est encore aujourd'hui dans les mêmes dispositions d'esprit et ce qui fait donc sérieusement craindre une nouvelle défaillance de sa part.

Disposant notamment du rapport d'expertise psychologique déposé le 11 octobre 2002 par le Docteur [I] [N] dans le cadre de l'instruction pénale et du rapport d'expertise psychiatrique déposé le 18 avril 2005 par le Docteur [E] [V] dans le cadre de l'instance suivie devant la commission d'indemnisation des victimes d'infractions du tribunal de grande instance de Moulins, la cour estime par conséquent devoir rejeter la demande de nouvelle expertise et fixer définitivement les préjudices subis par la victime.

1. Les souffrances endurées

Monsieur [S] [G] fait valoir qu'il a subi à l'âge de 12 ans une agression sexuelle particulièrement traumatisante commise par un adulte abusant de son statut social et de son autorité, qu'il a présenté un état de stress post-traumatique aggravé par l'ouverture d'une information judiciaire huit ans après les faits l'ayant conduit à être confronté à plusieurs reprises à son agresseur et qu'il présente encore aujourd'hui des troubles importants.

Les consorts [X] offrent à ce titre une indemnité de 30 000 €.

Sur ce

Aux termes de son rapport déposé le 18 avril 2005 l'expert psychiatre [E] [V] a considéré que l'état de la victime, qui devait être revu dans le délai d'un an après traitement spécialisé, n'était pas consolidé.

Il importe peu toutefois que la preuve de la consolidation médico-légale de l'état de la victime ne soit pas aujourd'hui rapportée, puisque les souffrances endurées sont indemnisées au titre des préjudices extra patrimoniaux temporaires avant consolidation.

Ce poste de préjudice englobe toutes les souffrances tant physiques que morales et psychiques.

Selon l'expert psychologue [I] [N] les faits subis au moment de la pré adolescence sont à l'origine de préjudices graves ayant altéré le développement de la personnalité de la victime, qui présente tous les signes d'un état de stress post-traumatique, une perturbation de ses relations aux autres, des troubles du sommeil, des signes d'anxiété, d'angoisse et d'agressivité et un sentiment de culpabilité.

Pour sa part l'expert psychiatre [E] [V], après avoir rappelé que le jeune [S] [G] avait eu le plus grand mal à être reconnu comme victime avant que son agresseur ne récidive sur d'autres enfants, a considéré que l'intéressé présentait des troubles très importants, dont une partie était en rapport direct et certain avec l'agression (état dépressif, trouble agoraphobique, effondrement de l'estime de soi, troubles identitaires), mais dont une partie était probablement due à une fragilité psychologique prédisposante.

Le pédiatre [M] [F], qui a régulièrement suivi en consultation le jeune [S] [G] pendant une dizaine d'années avant les agressions, a attesté le 8 avril 2015 qu'il s'agissait d'un enfant équilibré et joyeux menant une vie familiale normale et ne présentant aucun signe clinique de la série psychotique, d'où sa conclusion que les troubles psychologiques actuels proviennent exclusivement des traumatismes dus au viol, de l'absence de prise en charge en qualité de victime dans un premier temps et de la reviviscence de l'affaire huit ans après les faits.

Aucun des deux experts n'a objectivé l'existence d'une fragilité psychologique initiale de nature à expliquer en partie les troubles actuels, alors d'une part que le Docteur [N] se borne à faire état de la séparation des parents et de la fréquentation de nombreux établissements scolaires, ce qui ne peut constituer une preuve suffisante de l'existence de troubles de la personnalité antérieurs, et d'autre part que le Docteur [V] n'émet sur ce point qu'une hypothèse sans se fonder sur de quelconques constatations cliniques, étant observé que le pédiatre traitant atteste au contraire d'une évolution mentale et psychologique normale avant les faits.

Au demeurant il est de principe constant que le droit de la victime à obtenir l'indemnisation de son préjudice corporel ne saurait être réduit en raison d'une prédisposition pathologique lorsque l'affection qui en est issue n'a été provoquée ou révélée que par le fait dommageable, ce qui est manifestement le cas en l'espèce en l'absence de troubles de la personnalité médicalement objectivés antérieurement aux agressions.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que les souffrances endurées par la victime, qui sont exclusivement imputables à l'agression sexuelle commise par Monsieur [P] [X], doivent être qualifiées d'importantes.

Prenant en compte l'indemnité de 30 000 € précédemment allouée en réparation du préjudice moral de la victime, caractérisé par les circonstances criminelles particulières de l'affaire (arrêt de la cour d'appel de RIOM en date du 24 septembre 2008), la cour estime par conséquent devoir allouer à Monsieur [S] [G] la somme de 40 000 € au titre des souffrances endurées tant physiques, au titre des attouchements et de l'acte de pénétration anale, que psychiques au titre du retentissement psychologique sévère et durable des faits.

2. Le préjudice sexuel

Il est soutenu par Monsieur [S] [G] que le viol a eu des répercussions négatives sur sa sexualité qui demeure incertaine et qu'il lui est très difficile de nouer une relation sentimentale avec une femme.

Les consorts [X] offrent à ce titre une indemnité de 20 000 € en faisant toutefois observer que les antécédents familiaux et sociaux de la victime expliquent au moins en partie les difficultés sexuelles alléguées.

Sur ce

L'expert psychologue [I] [N], après avoir relevé l'existence de pratiques sexuelles marginales depuis l'adolescence (fréquentation des milieux de la prostitution et pratiques onaniques fréquentes),a considéré que les examens de personnalité démontraient que la victime était incertaine de sa réalité sexuée adulte et avait craint, suite aux agressions, de devenir homosexuel, ce qui caractérisait un véritable syndrome de rumination mentale s'inscrivant dans un tableau clinique de stress post-traumatique rencontré classiquement chez les victimes mineures d'agressions sexuelles.

Pour sa part l'expert psychiatre [E] [V] a également relevé l'existence de troubles identitaires, notamment sexuels, en relation avec les faits en notant que la victime reconnaissait avoir eu des rapports prostitutionnels avec des transsexuels.

Comme précédemment la cour constate que la preuve n'est pas rapportée d'un état antérieur partiellement en relation avec les troubles de l'identité sexuelle, qui ont incontestablement été provoqués par l'agression commise sur un préadolescent, ainsi qu'il résulte des conclusions non équivoques des deux experts sur ce point.

En l'absence de toute atteinte physique, perte de libido ou impossibilité de procréation, la victime qualifie improprement son préjudice de préjudice sexuel,qui s'apparente davantage à un préjudice spécifique d'établissement caractérisé par la perte d'espoir et de chance normale de réaliser un projet de vie familiale.

Ce chef de préjudice est également indemnisable en complément des souffrances endurées quelle que soit la date de consolidation.

La somme de 20 000 € offerte à ce titre par les consorts [X] apparaît de nature à réparer intégralement ce poste de préjudice.

3. Le préjudice patrimonial

Monsieur [S] [G] soutient qu'il a dû cesser toute activité professionnelle à compter du mois de mai 2002 et qu'il est toujours aujourd'hui à la recherche d'un emploi.

Il estime que compte tenu de son niveau intellectuel et de ses qualités professionnelles il a subi une perte de chance certaine de gains professionnels futurs, qui doit être évaluée au taux de 90 % sur une base mensuelle de 4 000 €, qui constitue le salaire auquel il aurait pu prétendre.

Les intimés répliquent que le calcul effectué par la victime est purement hypothétique alors que le dernier salaire était de 1 126,40 € bruts et que la fragilité psychologique indépendante des faits a nécessairement joué un rôle causal.

Sur ce

La date de consolidation médico-légale n'ayant pas été arrêtée, Monsieur [S] [G] ne peut demander réparation au titre de sa perte de gains professionnels futurs, qui ne serait indemnisable qu'au titre des préjudices patrimoniaux permanents après consolidation.

Le préjudice allégué doit donc être requalifié en perte de gains professionnels actuels, puisqu'avant consolidation seul est indemnisable le préjudice patrimonial temporaire.

La victime, qui selon l'expert [N] dispose d'un bon niveau intellectuel et scolaire, a exercé une activité salariée au sein d'un cabinet de généalogie au cours de la période du 5 novembre 2000 au 7 mai 2002.

Sa démission coïncide avec sa constitution de partie civile devant la juridiction d'instruction appelée à enquêter sur les faits le concernant selon réquisitoire supplétif du 1er mars 2002. Elle intervient au moment où elle a été convoquée par l'expert psychologue et quelques semaines seulement après sa première confrontation avec le mis en examen.

Le 13 mars 2002 le docteur K. [H], du centre hospitalier de [Localité 9], a certifié que l'état de santé de Monsieur [G] lui interdisait de poursuivre des études et de travailler.

À compter de la fin de l'année 2002 Monsieur [G] est retourné vivre chez sa mère et n'a pas retravaillé depuis cette époque, même s'il a entrepris sans succès des recherches d'emploi depuis l'année 2010.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la perte de son emploi, à un moment où il donnait entière satisfaction à son employeur, ainsi que celui-ci en a attesté le 23 février 2006, est en relation causale certaine avec les faits dommageables, puisque l'instruction pénale, qui l'a contraint à se replonger dans les affres de l'agression et à être mis en présence de son agresseur, ont ravivé le syndrome post-traumatique, au point qu'il s'est trouvé dans l'incapacité de poursuivre son activité professionnelle.

Le préjudice patrimonial subi doit toutefois être qualifié de perte de chance de poursuivre une activité professionnelle normale, dès lors que les deux experts ont estimé que l'état psychologique de la victime était susceptible d'amélioration après une prise en charge psychothérapeutique et qu'il n'est pas médicalement justifié d'une impossibilité totale de retravailler entre l'année 2002 et l'année 2010 à partir de laquelle des recherches d'emploi ont été entreprises.

Au vu des éléments d'appréciation dont elle dispose la cour estime que ce préjudice doit être indemnisé à raison de 30 % des pertes financières subies.

Il sera observé néanmoins que Monsieur [G] ne peut sérieusement prétendre obtenir réparation sur la base d'un salaire mensuel de 4 000 € sur la seule foi de l'attestation particulièrement imprécise du représentant de l'étude généalogique [D], qui ne fait référence à aucune grille de salaire ou de carrière et qui n'indique pas les conditions d'ancienneté pour parvenir à une telle rémunération, étant observé que Monsieur [G] n'est titulaire d'aucun diplôme universitaire.

Ainsi, la perte de gains professionnels actuels doit-elle être calculée sur la base du seul salaire mensuel justifié de 1 126,40 € perçu au titre du mois de mars 2002.

Pour la période comprise entre la démission du mois de mai 2002 et le prononcé du présent arrêt ce préjudice sera par conséquent évalué à la somme de 60 825,60 € arrondie à 60 826 € (1 126,40 X 12 mois X 15 ans).

Sur les demandes indemnitaires formées par Mme [Q] [S] :

Madame [S] soutient que dans la nécessité de soutenir son fils elle a dû renoncer à sa carrière de naturopathe et a ainsi perdu une chance de développer une activité professionnelle. Elle réclame à ce titre une somme de 100 000 €.

Elle sollicite également dans le corps de ses écritures d'appel l'allocation d'une somme de 60 000 € en réparation de son préjudice moral.

Les intimés répliquent qu'aucun élément concret n'est fourni sur le prétendu projet professionnel de Madame [S] et que sa perte de chance de gains, qui est très faible, sera suffisamment indemnisée par l'allocation d'une somme forfaitaire de 5 000 €.

Sur ce

Il sera tout d'abord observé que Madame [S] ne reprend pas dans le dispositif de ses conclusions d'appel sa demande en paiement d'une somme de 60 000 € au titre de son préjudice moral.

Cette demande ne sera pas examinée, alors que selon la règle posée par l'article 954 du code de procédure civile la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif.

Au demeurant il a été définitivement et irrévocablement statué sur ce chef de demande par l'arrêt de la cour d'appel de RIOM en date du 24 septembre 2008, qui lui a alloué une somme de 15 000 €, de sorte que la demande se heurte à l'autorité de la chose jugée.

Madame [S] n'apporte aucun élément concret à l'appui de son affirmation selon laquelle elle aurait dû renoncer à une carrière de naturopathe, si ce n'est l'attestation sommaire et imprécise délivrée le 1er septembre 2004 par le Docteur [T] [R], qui déclare qu'elle avait formé le projet de prendre en location en septembre 1994 un local professionnel lui appartenant, mais qu'elle avait dû abandonner son projet et quitter précipitamment la ville de [Localité 6] après l'agression subie par son fils.

Elle ne justifie pas de l'obtention d'un diplôme, ni du suivi d'une formation qualifiante, ni de quelconques démarches, notamment administratives, en vue de l'exercice de la profession de naturopathe.

Sa perte de chance de développer une activité professionnelle, dont le principe n'est pas contesté par les consorts [X], ne saurait par conséquent être indemnisée sur la base du revenu moyen d'un naturopathe diplômé après trois ans d'installation.

En l'absence de tout élément (diplôme, compétences, expériences) d'appréciation sur la capacité de Madame [S] à exercer une activité professionnelle, il ne saurait par conséquent lui être alloué une somme supérieure à l'indemnité forfaitaire offerte de 5 000 €.

Enfin il n'est pas contesté que Madame [S] a dû quitter précipitamment la ville de [Localité 6] après l'agression dont son fils a été victime et a dû se rendre à trois reprises aux convocations du juge d'instruction.

Dès lors, bien qu'elle ne produise pas de documents justificatifs, elle a nécessairement subi un préjudice matériel en raison de ce déménagement précipité et de ses trois déplacements de [Localité 1] à [Localité 6] pour répondre aux convocations du magistrat instructeur.

Il sera fait droit à ce chef de demande à concurrence de la somme raisonnable réclamée de 2 200 €.

Sur l'article 700 du code de procédure civile

L'équité commande de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit des appelants.

*

* *

PAR CES MOTIFS

La Cour,

statuant sur renvoi après cassation par arrêt réputé contradictoire par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Infirme le jugement déféré rendu le 15 janvier 2007 par le tribunal de grande instance de Cusset et statuant à nouveau :

Déboute Monsieur [S] [G] et Madame [Q] [S] de leur demande subsidiaire d'expertise judiciaire,

Fixe les préjudices subis par Monsieur [S] [G] en relation avec les faits criminels de viol et de délits connexes d'agressions sexuelles commis par Monsieur [P] [X] aux sommes de :

' souffrances endurées : 40 000 €

' préjudice sexuel et d'établissement : 20 000 €

' perte de gains professionnels actuels : 60 826 €

Condamne les consorts [U], [U], [I] et [F] [X], chacun à raison de sa part et portion dans la succession de Monsieur [P] [X], à payer les sommes susvisées à Monsieur [S] [G] sous déduction des provisions précédemment allouées,

Fixe les préjudices subis par Mme [Q] [S] en relation avec les faits criminels de viol et de délits connexes d'agressions sexuelles commis par Monsieur [P] [X] aux sommes de :

' perte de chance de développer une activité professionnelle : 5 000 €

' frais de déménagement et de déplacement : 2 200 €

Condamne les consorts [U], [U], [I] et [F] [X], chacun à raison de sa part et portion dans la succession de Monsieur [P] [X], à payer les sommes susvisées à Madame [Q] [S], sous déduction des provisions précédemment allouées,

Condamne in solidum les consorts [H], [U], [I] et [F] [X] à payer à M. [S] [G] une indemnité de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne in solidum les consorts [H], [U], [I] et [F] [X] à payer à Madame [Q] [S] une indemnité de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Déclare le présent arrêt commun et opposable à la CPAM de Paris,

Condamne in solidum les consorts [H], [U], [I] et [F] [X] aux entiers dépens, y compris ceux afférents à la décision cassée.

LE GREFFIER-EN-CHEFLE PRESIDENT

Sylvie BOURRATJean-Louis BERNAUD


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : 1ère chambre civile a
Numéro d'arrêt : 16/00175
Date de la décision : 18/05/2017

Références :

Cour d'appel de Lyon 01, arrêt n°16/00175 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-05-18;16.00175 ?
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