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18/05/2017 | FRANCE | N°15/01971

France | France, Cour d'appel de Lyon, 1ère chambre civile a, 18 mai 2017, 15/01971


R.G : 15/01971









Décision du tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse

Au fond du 29 janvier 2015



chambre civile



RG : 14/02064

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE LYON



1ère chambre civile A



ARRET DU 18 Mai 2017





APPELANTE :



[A] [P]

[Adresse 1]

[Adresse 1]



représentée par Maître Jean-Christophe BESSY, avocat au barreau de LYON





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INTIME :



[Q] [O] [Q]

né le [Date naissance 1] 1956 à [Localité 1] (RHONE)

[Adresse 2]

[Adresse 2]



représenté par Maître Jean François MANSUINO, avocat au barreau de l'AIN



(bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 201...

R.G : 15/01971

Décision du tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse

Au fond du 29 janvier 2015

chambre civile

RG : 14/02064

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE LYON

1ère chambre civile A

ARRET DU 18 Mai 2017

APPELANTE :

[A] [P]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Maître Jean-Christophe BESSY, avocat au barreau de LYON

INTIME :

[Q] [O] [Q]

né le [Date naissance 1] 1956 à [Localité 1] (RHONE)

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représenté par Maître Jean François MANSUINO, avocat au barreau de l'AIN

(bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 2015/010181 du 09/04/2015 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Lyon)

******

Date de clôture de l'instruction : 10 mai 2016

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 1er mars 2017

Date de mise à disposition : 18 mai 2017

Audience tenue par Jean-Louis BERNAUD, président et Vincent NICOLAS, conseiller, qui ont siégé en rapporteurs sans opposition des avocats dûment avisés et ont rendu compte à la Cour dans leur délibéré,

assistés pendant les débats de Florence BODIN, greffier

A l'audience, Vincent NICOLAS a fait le rapport, conformément à l'article 785 du code de procédure civile.

Composition de la Cour lors du délibéré :

- Jean-Louis BERNAUD, président

- Françoise CLEMENT, conseiller

- Vincent NICOLAS, conseiller

Signé par Jean-Louis BERNAUD, président, et par Sylvie BOURRAT, greffier-en-chef, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

****

Le 22 juin 2003, [Q] [Q] a été victime d'un accident de la circulation qui lui a causé des blessures.

L'assureur du véhicule impliqué dans cet accident a désigné un médecin-expert, en la personne du docteur [K], en vue de l'évaluation de l'indemnité due à [Q] [Q]. Celui-ci ayant contesté les conclusions de cet expert, un deuxième a été désigné, en la personne du docteur [N], dans le cadre d'un compromis d'arbitrage.

[Q] [Q] ayant contesté les conclusions de cet autre expert, un juge des référés, sur sa demande, a, par ordonnance du 23 juillet 2007, ordonné une expertise en vue de l'évaluation de son préjudice corporel, en commettant pour y procéder le docteur [T].

Ce médecin a déposé son rapport le 7 novembre 2007, en joignant à son avis celui du docteur [I], psychiatre, à qui il posait la question de savoir si [Q] [Q] est réellement atteint d'un syndrome de conversion et si ce syndrome est ou non imputable à l'accident du 22 juin 2003,

Au vu de l'avis du docteur [I], l'expert judiciaire a conclu que le syndrome dont aurait été atteint [Q] [Q] n'est pas imputable à l'accident, et que les séquelles de celui-ci sont seulement représentées par un problème cervical avec une contracture musculaire au niveau du rachis cervical.

Devant le tribunal de grande instance de Chambéry, [Q] [Q], qui était représenté par Maître [A] [P] a principalement demandé l'organisation d'une contre-expertise, en contestation les conclusions de l'expert judiciaire, motifs pris de l'existence d'un lien entre l'accident et les séquelles concernant son rachis lombaire et ses membres inférieurs, et un syndrome névrotique conversif invalidant, non retenu par l'expert judiciaire. Subsidiairement il demandait au tribunal d'évaluer son préjudice corporel, en se fondant sur le rapport d'un médecin, le docteur [R], l'ayant examiné à sa demande au mois de novembre 2004.

Par jugement du 18 décembre 2009, le tribunal de grande instance de Chambéry, au motif que les séquelles de [Q] [Q] au plan cervical sont seulement imputables à l'accident, a rejeté sa demande de contre-expertise et évalué son préjudice corporel sur la base du rapport du docteur [T].

[Q] [Q] a interjeté appel de ce jugement, et devant la cour d'appel de Chambéry, il demandait principalement l'annulation de l'expertise du docteur [T] et l'organisation d' une contre-expertise, motifs pris de ce que le rapport d'expertise n'a pas respecté le principe du contradictoire, l'avis du docteur [I] ne lui ayant pas été communiqué avant le dépôt du rapport.

La cour d'appel, dans son arrêt du 16 juin 2011, a rejeté la demande de nullité de l'expertise judiciaire, et de contre expertise, et réévalué le préjudice corporel de [Q] [Q].

Celui-ci s'est pourvu en cassation contre cet arrêt, et la cour de cassation, par arrêt du 21 mars 2013, a rejeté son pourvoi, aux motifs que 'l'absence de transmission aux parties des conclusions du sapiteur, par l'expert, préalablement au dépôt de son rapport, constitue l'inobservation d'une formalité substantielle sanctionnée par une nullité pour vice de forme, qui ne peut être prononcée qu'à charge pour celui qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité' et 'que M. [Q] n'ayant pas invoqué que la violation de son obligation par l'expert lui avait causé un grief, l'arrêt, par ce motif de pur droit suggéré par la défense, substitué à celui critiqué, se trouve légalement justifié'.

Le 15 avril 2014, [Q] [Q] a fait assigner Maître [A] [P] devant le tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse, en demandant qu'elle soit déclarée responsable de sa perte de chance d'obtenir une indemnisation supérieure, en raison d'un manquement à ses obligations professionnelles.

Par jugement réputé contradictoire du 29 janvier 2015, [A] [P] n'ayant pas constitué avocat, le tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse, a dit qu'elle a manqué à son obligation professionnelle de moyen, que ce manquement est directement à l'origine d'une perte de chance pour [Q] [Q], et l'a condamnée en conséquence à lui payer la somme de 20.000 € en réparation de son préjudice.

Par déclaration transmise au greffe le 3 mars 2015, [A] [P] a interjeté appel de cette décision.

Vu ses conclusions du 7 mars 2016, déposées et notifiées, par lesquelles elle demande à la cour de :

- infirmer le jugement ;

- dire qu'elle n'a commis aucun manquement à ses obligations professionnelles ayant entraîné, selon un lien de causalité direct et certain, un préjudice au détriment de [Q] [Q], fût-ce en la forme d'une perte de chance ;

- débouter en conséquence celui-ci de toutes ses demandes et le condamner à lui payer la somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Vu les conclusions du 4 décembre 2015 de [Q] [Q], déposées et notifiées, par lesquelles il demande à la cour de confirmer le jugement et de débouter [A] [P] de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

Vu l'ordonnance de clôture en date du 10 mai 2016.

SUR QUOI, LA COUR :

Attendu que Maître [A] [P] soutient qu'elle n'a commis aucun manquement contractuel, motifs pris de ce que :

- [Q] [Q] n'a jamais justifié d'un grief lui permettant d'obtenir la nullité du rapport d'expertise ;

- l'avis du docteur [I] ayant été joint au rapport d'expertise du docteur [T], il importe peu qu'il n'ait pas été communiqué à [Q] [Q] avant le dépôt de ce rapport, dans la mesure où il a pu en discuter les conclusions devant le premier juge ;

- il ne ressortait donc pas des éléments en sa possession que la nullité du rapport d'expertise devait être soulevée, et il lui appartenait au contraire de solliciter l'organisation d'une contre expertise, dans la mesure où [Q] [Q] contester fermement les conclusions du docteur [T] ;

Attendu que subsidiairement, Maître [A] [P] prétend que [Q] [Q] ne rapporte pas la preuve de la perte d'une chance fondant son préjudice ;

Attendu que ce dernier, pour conclure au contraire à la responsabilité contractuelle de Maître [A] [P], fait valoir que :

1. Il appartenait à Maître [A] [P] de développer tous les moyens qui lui auraient permis d'obtenir le succès de ses prétentions ; il lui suffisait, pour obtenir la nullité de l'expertise, d'invoquer le grief tiré de la non transmission de l'avis du sapiteur avant le dépôt du rapport d'expertise, et sa demande de contre-expertise aurait été acceptée ;

2. Ainsi, en ne demandant pas devant le premier juge la nullité de l'expertise en vue d'obtenir une nouvelle expertise, Maître [A] [P] a manqué à son obligation de moyen, manquement en relation directe avec sa perte de chance d'obtenir une nouvelle expertise qui aurait pu imputer son syndrome à l'accident survenu, ce qui lui aurait permis d'obtenir une indemnisation supplémentaire ;

3. En effet, le docteur [R] a imputé le syndrome de conversion à l'accident, et l'imputabilité ou non de ce syndrome à cet événement avait une incidence très importante sur l'évaluation de son préjudice ; Maître [A] [P] est donc bien à l'origine de sa perte de chance de voir disparaître une situation favorable selon laquelle le syndrome de conversion aurait pu être relié à l'accident par un nouvel expert judiciaire ;

4. Sa perte de chance a un caractère réel et certain, et son lien de causalité avec la faute de Maître [A] [P] est aussi certain, dans la mesure où le premier juge, si l'exception de nullité avait été soulevée devant lui, aurait nécessairement ordonné une nouvelle expertise qui aurait pu être plus favorable ;

Attendu que l'objectif de [Q] [Q] devant le tribunal de grande instance de Chambéry ayant été d'obtenir la désignation d'un nouvel expert judiciaire, Maître [A] [P] n'a pas fait tout son possible pour atteindre ce résultat, en s'abstenant de soulever l'exception de nullité du rapport d'expertise, dès lors que l'absence de transmission aux parties par le docteur [T], préalablement au dépôt de son rapport, de l'avis du docteur [I], était de nature à causer un grief à [Q] [Q], propre à justifier le prononcé de cette nullité, en vertu des articles 175 et 114 du code de procédure civile ; qu'elle a donc manqué à son obligation de moyen de tout mettre en oeuvre pour assurer la défense de son client ;

Attendu cependant que pour être indemnisée une perte de chance doit présenter un caractère réel et certain ; qu'en l'espèce les éléments du dossier ne permettent pas de constater que la perte de chance alléguée par [Q] [Q] d'obtenir une meilleure indemnisation présentait un tel caractère ; qu'en effet le docteur [R] énonce, dans son rapport du 16 novembre 2004, après avoir constaté que l'intimé présente une riche symptomatologie subjective, avec notamment une paresthésie du membre inférieur gauche et une douleur avec raideur de la hanche gauche, que l'ensemble de cette symptomatologie et les bilans radiographiques font penser à un syndrome névrotique conversif invalidant, et que l'absence d'antécédents psychologiques, ainsi que l'apparition dans les jours qui ont suivi l'accident de cette symptomatolgie, plaident pour l'imputabilité de ces séquelles à cet événement ; qu'il suggère aussi dans son rapport, en cas de contestation de cette imputabilité, de solliciter l'organisation d'une expertise psychiatrique ; qu' il ne résulte pas de cet avis l'existence d'un lien certain entre le syndrome de conversion dont [Q] [Q] aurait été atteint et l'accident ;

Attendu au contraire que le docteur [I], en réponse aux questions que lui a posées le docteur [T], énonce que [Q] [Q] 'a dans les suites de l'accident, présenté une multitude de symptômes qui n'ont pu être rapportés à aucun substratum anatomique et qui, sur le plan psychiatrique, s'apparentent à des états conversifs' et ajoute que 'ceux-ci ont pu être reliés à la personnalité dont il est porteur, qui, en l'occasion, a surinvesti sa position de victime' ; qu'il n'a retenu en conséquence sur le plan psychiatrique aucune incapacité temporaire totale, ni de date de consolidation, ni d'incapacité permanente partielle ;

Attendu que [Q] [Q] produit un certificat en date du 7 août 2010 de son médecin traitant, le docteur [X], qui critique le rapport du docteur [T], sur la manière dont celui-ci décrit les troubles qu'il a subis au niveau de la jambe et hanche gauche, affirme que 'les séances de kinésithérapie de la hanche gauche et l'orthèse plantaire peuvent être considérés comme en rapport avec l'accident', et souligne l'opposition entre les avis des docteurs [K] et [N] et celui du docteur [I] sur l'origine des séquelles 'de hanche et du membre inférieur gauche' ; que cependant, ce médecin, qui n'est pas psychiatre, n'affirme pas formellement que le syndrome de conversion est imputable à l'accident ;

Attendu dans ces conditions qu'eu égard à ces éléments, et faute pour [Q] [Q] de démontrer avoir perdu une chance réelle et sérieuse d'obtenir, d'une part un nouvel avis d'un expert judiciaire contraire à celui du docteur [T], et d'autre part une indemnisation de son préjudice plus importante consécutive à ce nouvel avis, la responsabilité contractuelle de Maître [A] [P] ne peut être engagée ; qu'il y a lieu en conséquence de le débouter de sa demande de dommages-intérêts qu'il forme à son encontre ;

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant contradictoirement, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Et statuant à nouveau,

Déboute [Q] [Q] de toutes ses demandes ;

Y ajoutant,

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de [A] [P] ;

Condamne [Q] [Q] aux dépens de première instance et d'appel lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

Dit qu'ils seront recouvrés conformément aux dispositions relatives à l'aide juridictionnelle.

LE GREFFIER-EN-CHEFLE PRESIDENT

Sylvie BOURRATJean-Louis BERNAUD


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : 1ère chambre civile a
Numéro d'arrêt : 15/01971
Date de la décision : 18/05/2017

Références :

Cour d'appel de Lyon 01, arrêt n°15/01971 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-05-18;15.01971 ?
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