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03/02/2017 | FRANCE | N°15/07977

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale b, 03 février 2017, 15/07977


AFFAIRE PRUD'HOMALE



RAPPORTEUR





R.G : 15/07977





SAS MCM



C/

[K]







APPEL D'UNE DÉCISION DU :

de VILLEFRANCHE-SUR-SAONE

du 21 Septembre 2015

RG : F 14/00291

COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE B



ARRÊT DU 03 FEVRIER 2017





APPELANTE :



SAS MCM

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 1]



Représentée par Mme [A] [H], Présidente, assistée de Me Ariane SCHUMAN-DREYF

US de la SELARL BUREAU D'ETUDES JURIDIQUES PEYRE, avocat au barreau de PARIS,





INTIMÉ :



[Y] [K]

né le [Date naissance 1] 1970 à [Localité 2]

[Adresse 2]

[Localité 1]



Non comparant, représenté par Me Sophie CHATAGNON-GRENOT de la SELARL DAN...

AFFAIRE PRUD'HOMALE

RAPPORTEUR

R.G : 15/07977

SAS MCM

C/

[K]

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

de VILLEFRANCHE-SUR-SAONE

du 21 Septembre 2015

RG : F 14/00291

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE B

ARRÊT DU 03 FEVRIER 2017

APPELANTE :

SAS MCM

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 1]

Représentée par Mme [A] [H], Présidente, assistée de Me Ariane SCHUMAN-DREYFUS de la SELARL BUREAU D'ETUDES JURIDIQUES PEYRE, avocat au barreau de PARIS,

INTIMÉ :

[Y] [K]

né le [Date naissance 1] 1970 à [Localité 2]

[Adresse 2]

[Localité 1]

Non comparant, représenté par Me Sophie CHATAGNON-GRENOT de la SELARL DANA ET ASSOCIES, avocat au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 02 Décembre 2016

Présidée par Didier JOLY, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assisté pendant les débats de Gaétan PILLIE, Greffier.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

- Michel SORNAY, président

- Didier JOLY, conseiller

- Natacha LAVILLE, conseiller

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 03 Février 2017 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Michel SORNAY, Président et par Gaétan PILLIE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

********************

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Fondée en 2003 par [C] [H], la S.A.S. MCM est spécialisée dans la fabrication de boyaux collagènes pour l'industrie agroalimentaire. Elle emploie sept salariés.

Elle était présidée en dernier lieu par [A] [H], fille du fondateur et voisine de [Y] [K].

La société MCM a engagé [Y] [K] en qualité de responsable achats suivant contrat écrit à durée indéterminée et à temps partiel du 30 octobre 2012 à effet du 1er novembre 2012, soumis à la convention collective nationale des industries chimiques.

Le salaire mensuel brut de [Y] [K] a été fixé à 1 983 € pour 75,84 heures mensuelles de travail.

Par avenant contractuel du 1er janvier 2013, la durée du travail de [Y] [K] a été portée à 151,55 heures par mois et son salaire brut à 3 966 €.

A dater de février 2013, l'emploi mentionné sur les bulletins de paie est devenu directeur général (cadre), le salaire de [Y] [K] restant fixé à 3 966 € jusqu'à la fin de l'année 2013. Son montant est passé ensuite à 3 979,82 €.

Une rupture conventionnelle du contrat de travail envisagée par le société début mai 2014 n'a pu aboutir.

Par lettre remise en main propre le 27 mai 2014, la société MCM a convoqué [Y] [K] le 6 juin 2014 et l'a mis à pied à titre conservatoire.

Par lettre recommandée datée du 27 mai 2014 et expédiée le 27 juin 2014, l'employeur lui a notifié son licenciement pour faute grave dans les termes suivants :

[...] Nous vous avons laissé toute liberté pour appréhender la fonction de directeur général que vous occupez au sein de MCM depuis le 1er Janvier 2013.

Cependant, force a été de constater que vous n'arriviez pas à prendre la mesure de cette direction, et que vous avez éprouvé les plus grandes difficultés à vous concentrer sur votre fonction.

Vous vous êtes ainsi révélé défaillant dans la gestion des relations avec la société NIPPI, notre principal fournisseur

Au mois de novembre 2013, je vous ai accompagné au Japon pour vous présenter aux dirigeants de la société NIPPI. Vous y avez été sensibilisé à l'importance du respect des codes culturels dans nos échanges, et savez donc que vous ne pouvez correspondre qu'avec un japonais de même niveau hiérarchique, ou, si vous vous adressez à une personne hiérarchiquement supérieure, qu'en mettant en copie l'homologue MCM de votre correspondant.

Au mois de mars 2014, avant de partir au Japon pour renégocier les tarifs avec NIPPI, nous avons discuté ensemble de la façon de leur présenter nos difficiles perspectives 2014, pour éviter des augmentations de prix.

Or, le 20 mars 2014, vous m'avez devancé en écrivant directement au General Manager Export de NIPPI, Mr [X] [S], sans m'en informer ni me mettre en copie, pour l'aviser de nos bons résultats de 2013.

Vous avez alors remis en cause mon autorité auprès de ce dernier, et m'avez placée, dès avant mon arrivée, en position de faiblesse pour négocier les tarifs.

Au vu de la réaction de Mr [X] [S] à votre e-mail du 20 mars, vous m'avez d'ailleurs vous-même signalé le 24 mars : « je pense qu'il va te remettre une nouvelle hausse de prix ».

La hausse de tarifs imposée par NIPPI pour 2014 est donc la conséquence directe de votre initiative. Lorsque je vous en ai fait le reproche, vous avez assumé votre position, soutenant qu'il vous revenait de préparer le terrain pour « construire » avant mon arrivée.

Cette opposition mettait au jour une collaboration difficile entre nous, qui allait se confirmer.

Vous avez pris des décisions qui se sont ainsi révélées inadaptées à l'entreprise. Notamment, lorsque vous avez :

- institué 8 entretiens individuels par an pour les salariés, qui n'ont pas eu d'effet sur la cohésion déjà effective d'une équipe restreinte (MCM compte 6 salariés),

- créé un tableau pour suivre les approvisionnements avec NIPP1, qui s'avère incompréhensible et inutilisable, et que personne n'exploite,

- escompté systématiquement nos factures sans négocier au préalable des délais avec nos fournisseurs, redoutant d'avoir à faire face à des relances.

Au quotidien, vous avez fait preuve de légèreté dans la conduite de vos missions. Pour exemple :

- Dès janvier 2014, vous avez délégué la gestion du site Internet de MCM à [L] [Y], constatant que vous n'aviez « pas fait grand-chose » ;

- En charge du suivi comptable, vous n'avez pas identifié 2 factures NIPPI (septembre 2012 et janvier 2013) impayées depuis deux ans, et ne les avez réglées qu'après relances de notre fournisseur ;

- Au mois de novembre 2013, vous avez annoncé, en dépit du bon sens le plus élémentaire, la planification d'une réunion le 14 janvier 2014 pour valider le budget 2014 ;

- Le 21 mai 2014, vous n'avez pu me transmettre les codes d'accès Internet de notre abonnement à la CGPME, concédant que « vous n'y alliez jamais »...

Vous vous êtes en outre opposé à mes choix stratégiques.

En février 2014, j'ai alerté l'ensemble du personnel sur la concurrence agressive déployée par d'anciens salariés MCM établis à leur compte, pour que chacun se mobilise sur le terrain.

Alors qu'une unité sans faille s'imposait à la tête de l'entreprise pour affronter cette crise aigle, vous avez considéré qu'une clarification en interne était préférable à la politique de terrain que je préconisai, le premier concurrent d'une entreprise étant, selon vous, «ce qu'elle fait à l'intérieur ».Si votre inadéquation à un poste de responsabilité au sein de MCM ressort incontestablement de l'ensemble de ces éléments, la découverte, en mai 2014, de la teneur de votre CV diffusé sur internet, a donné à vos insuffisances un relief fautif.

En effet, en qualité de directeur général de MCM, vous représentez l'entreprise, êtes garant de son image et de ses valeurs, en interne comme à l'extérieur, vis-à-vis de nos clients et partenaires, et devez conserver la plus entière discrétion et confidentialité sur l'activité de la société.

Or, dans le CV que vous avez mis en ligne à l'adresse : http://www.doyoubuzz.[Site Web 1], vous vous présentez comme un DG «passionné par l'HUMAIN », en désaccord avec les décisions prises par les actionnaires de notre entreprise, et précisez, à propos de votre mission opérationnelle au sein de MCM :

« après 3 années de résultat difficile :

Changement d'équipe, insuffler un nouveau projet, développement international,...

Reprise de confiance avec le pool bancaire, Donner envie aux équipes de prendre du plaisir au quotidien dans son travail »

Ce faisant, vous désavouez les orientations stratégiques décidées par les actionnaires de MCM en me mettant personnellement en cause, et portez publiquement atteinte à l'image et au crédit de l'entreprise que vous représentez par ailleurs, ce qui est inadmissible.

Vous présentez en outre MCM comme une entreprise en difficultés, incapable de stabiliser ses équipes, d'obtenir un soutien bancaire, qui ne devrait son salut qu'à votre arrivée, et serait appelée à renouer avec ses prétendues difficultés après votre départ.

Nous ne pouvons tolérer que ces propos alarmistes sur la situation de l'entreprise, et sa pérennité, soient ainsi proférés et portés à la connaissance de tiers.

Par cette publication, vous avez abusé de votre liberté d'expression, et gravement manqué aux obligations de réserve, de discrétion et de loyauté qui vous incombent tant naturellement que contractuellement à un poste de directeur général.

Le préjudice que vous causez à MCM est d'autant plus important, que le site doyoubuzz, qui référence votre CV sur divers moteurs de recherche, assure à vos propos une extrême visibilité sur Internet.

Lors de l'entretien du 6 juin dernier, vous m'avez indiqué que cette présentation de votre expérience relevait d'un « management courant », et que vous ne voyiez pas où était le problème.

Mais les modifications que vous venez d'apporter à votre CV, en supprimant l'ensemble des passages incriminés, confirment que votre présentation initiale, porteuse de dénigrement de l'entreprise, relevait d'un choix délibéré de votre part, et que vos insuffisances professionnelles relevées ci-avant procèdent de cette même intention de nuire à MCM.

Nous ne pouvons tolérer un tel comportement de votre part, qui constitue une faute grave rendant impossible votre maintien dans l'entreprise.

Nous vous notifions en conséquence par la présente votre licenciement pour faute grave qui prend effet immédiatement, et confirmons la mesure de mise à pied à titre conservatoire prononcée le 27 mai 2014 [...]

Dans une lettre recommandée de dix pages en date du 27 août 2014,[Y] [K] a contesté son licenciement en reprenant un à un les griefs visés dans la lettre ci-dessus. Il a notamment fait observer que ses demandes de clarification de mission étaient fondées, mais restées lettre morte et que sans choix stratégiques, il était difficile de s'y opposer.

[Y] [K] a saisi le Conseil de prud'hommes de Villefranche-sur-Saône le 4 novembre 2014.

*

* *

LA COUR,

Statuant sur l'appel interjeté le 16 octobre 2015 par la société MCM du jugement rendu le 21 septembre 2015 par le Conseil de prud'hommes de Villefranche-sur-Saône (section encadrement) qui a :

- dit que M. [Y] [K] bénéficiait contractuellement du statut de directeur général pour la période de janvier 2013 à juin 2014 au sein de l'entreprise S.A.S. MCM,

- fixé le salaire mensuel brut de référence de M. [Y] [K] à la somme de 6 996,00 €,

- condamné la S.A.S. MCM à verser à M. [Y] [K] les sommes brutes de :

43 490,90 € de rappel de salaire sur la période de janvier 2013 à juin 2014 au titre du minima conventionnel applicable au grade du directeur général,

4 349,09 € au titre des congés payés afférents,

- requalifié le licenciement poux faute grave de M. [Y] [K] par la S.A.S. MCM en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- condamné la S.A.S. MCM à verser à M. [Y] [K] les sommes brutes de :

20 156,64 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

2 015,66 € au titre des congés payés afférents à l'indemnité compensatrice de préavis,

2 257,05 € au titre d'indemnité de licenciement,

38 700 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

1000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné à la S.A.S. MCM de délivrer à M. [Y] [K] les documents de fin de contrat :

l'attestation Pôle Emploi,

le solde de tout compte,

les bulletins de paie,

rectifiés en fonction des condamnations prononcées, le tout sous astreinte de 10 € par jour de retard à compter du 15ème jour suivant la notification du jugement à intervenir, dans la limite de 45 jours, le conseil de prud'hommes se réservant le droit de liquider l'astreinte,

- dit n'y avoir lieu de prononcer l'exécution provisoire de l'entier jugement,

Vu les dispositions de l'article R 1454-28 du Code du Travail,

- rappelé l'exécution provisoire de droit sur les sommes dues à titre de rémunération, dans la limite de neuf mois de salaire ; à cette fin, fixé la moyenne mensuelle des trois derniers mois de salaire à la somme de 6 996,00 €,

- ordonné le remboursement par la S.A.S. MCM aux organismes concernés des indemnités de chômage éventuellement servies à M. [Y] [K] du jour du licenciement au jour du présent jugement, ce dans la limite de trois mois d'indemnités,

- débouté M. [Y] [K] du surplus de ses demandes,

- débouté la S.A.S. MCM de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions,

- mis les dépens à la charge de la S.A.S. MCM ;

Vu les conclusions régulièrement communiquées au soutien de ses observations orales du 2 décembre 2016 par la société MCM qui demande à la Cour de :

Sur le statut de cadre dirigeant et le salaire de M.[K]

- dire et juger que M. [K], qui n'a jamais effectivement exercé les fonctions de Directeur Général de la société MCM, ne peut se voir octroyer un statut de cadre dirigeant, et qu'eu égard à la taille de l'entreprise, le coefficient 880 lui est inapplicable en tout état de cause,

- infirmer en conséquence le jugement entrepris,

Et statuant à nouveau,

- fixer le salaire de référence de Monsieur [K] à la somme de 3.979,82€

- débouter M [K] de sa demande de rappel de salaire au titre des minimas conventionnels,

Sur le licenciement de M.[K]

A titre principal,

- constater que le licenciement de Monsieur [K] est régulier et bien fondé sur une faute grave,

- infirmer en conséquence le jugement entrepris en ce qu'il a prononcé à l'encontre de la Société MCM les condamnations ci-après :

20.156, 64 € à titre d'indemnité de préavis,

2.015, 64 € à titre de congés payés y afférents,

2.257, 05 au titre de l'indemnité de licenciement,

38.700 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

1.000 € au titre de l'article 700 du CODE DE PROCÉDURE CIVILE,

remboursement des indemnités de chômage dans la limite de trois mois d'indemnités,

Et statuant à nouveau,

- débouter Monsieur [K] de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- ordonner à Monsieur [K] de restituer les sommes qui lui ont été réglées au titre de l'exécution provisoire et ce majorées des intérêts au taux légal à compter de leur date de versement, soit le 14 octobre 2015 pour la somme de 25.255,34 euros, le 15 novembre 2015 pour la somme de 12.500 euros et le 15 décembre 2015 pour la somme de 12.500 euros ;

A titre subsidiaire,

- constater que le licenciement de Monsieur [K] est fondé sur une cause réelle et sérieuse,

- débouter en conséquence Monsieur [K] de ses demandes au titre du licenciement abusif,

- ramener l'indemnité de licenciement à la somme de 1293,43 € en raison de la période d'emploi à temps partiel ;

A titre infiniment subsidiaire,

Si la Cour estime le licenciement infondé

- ramener l'indemnité pour licenciement abusif à plus juste proportion compte tenu de l'absence de préjudice subi.

Si la Cour estime le licenciement irrégulier

- ramener à l'euro symbolique l'indemnité au titre du licenciement irrégulier,

En tout état de cause,

- condamner Monsieur [K] à verser à la société MCM la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du CPC,

- condamner Monsieur [K] aux entiers dépens ;

Vu les conclusions régulièrement communiquées au soutien de ses observations orales du 2 décembre 2016 par [Y] [K] qui demande à la Cour de :

1/

- confirmer le jugement entrepris,

- constater le non-respect du salaire minimum conventionnel,

- en conséquence, condamner la SAS MCM à verser à Monsieur [K] les sommes suivantes, déduction faite des sommes auxquelles celle-ci a été condamnée en première instance :

45 827,22 euros au titre des rappels de salaires;

4 582,72 euros à titre de congés payés afférent,

- condamner la SAS MCM à délivrer à Monsieur [K] les bulletins de paie rectifiés et ce, sous astreinte de 50 euros par jour à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

2/

- confirmer le jugement entrepris

- dire et juger que le licenciement est abusif,

- dire et juger que la mise à pied conservatoire était abusive,

- condamner la SAS MCM à verser à Monsieur [K] les sommes suivantes :

2.1/ Au titre de l'indemnité légale de licenciement :

A titre principal : 2 390,29 euros déduction faite des sommes auxquelles celle-ci a été condamnée en première instance.

Subsidiairement : 1 356,56 euros

2.2/ A titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :

A titre principal : 38 700 euros

Subsidiairement: 23 900 euros

2.1/ Au versement de l'indemnité compensatrice de préavis :

A titre principal : 20 156,64 euros et 2 015,66 euros à titre de congés payés afférents,

Subsidiairement : 10 286,34 euros et 1028,63 euros à titre de congés payés afférents,

Subsidiairement,

- dire et juger que la procédure de licenciement est irrégulière,

- condamner la société MCM au versement de la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi ;

4/

- ordonner à la SAS MCM de délivrer à Monsieur [K] les documents de rupture rectifiés (attestation pôle emploi, solde de tout compte) ainsi que des bulletins de paie rectifiés en fonction des condamnations qui seront prononcées et ce, sous astreinte de 50 € par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

5/

- condamner la SAS MCM à verser à Monsieur [K] la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

7/

- condamner la même partie aux entiers dépens ;

Sur la demande de rappel de salaire :

Attendu que selon l'article L. 3111-2 du code du travail, sont considérés comme ayant la qualité de cadre dirigeant les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l'importance implique une grande indépendance dans l'organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement ; que les critères ainsi définis sont cumulatifs et que le juge doit vérifier précisément les conditions réelles d'emploi du salarié concerné, peu important que l'accord collectif applicable retienne pour la fonction occupée par le salarié la qualité de cadre dirigeant ; que ces critères cumulatifs impliquent que seuls relèvent de cette catégorie les cadres participant à la direction de l'entreprise ;

Qu'en l'espèce, la société MCM soutient dans ses écritures que [Y] [K] n'a jamais été nommé directeur général, qu'il ne jouissait d'aucun pouvoir décisionnel dans l'entreprise, n'a jamais pris part à sa direction et ne définissait aucune stratégie ; qu'elle ne saurait cependant, d'une part écrire dans la lettre de licenciement que [Y] [K] n'arrivait pas à prendre la mesure du poste de directeur général qu'elle lui avait laissé toute liberté pour appréhender et qu'il occupait depuis le 1er janvier 2013, d'autre part soutenir devant la Cour qu'il n'avait pas été nommé dans cette fonction ; que l'appelante opère une confusion entre habilitation à décider de façon largement autonome et aptitude à décider sans en référer au préalable à la présidente de la société ; que l'insuffisance professionnelle manifestée, selon l'employeur, par [Y] [K] dans l'exercice de ses fonctions (décisions inadaptées, légèreté dans la conduite de ses missions) ne peut remettre en cause la large autonomie de décision dont le salarié disposait théoriquement ; que ce dernier a d'ailleurs pris des décisions qui ont été mises en oeuvre et ne lui ont été reprochées qu'a posteriori : institution de huit entretiens individuels annuels, création d'un tableau de suivi des approvisionnements avec NIPPI, escompte systématique des factures ; que le 7 novembre 2013,[Y] [K] a fixé au 14 janvier 2014 la première réunion de l'année et revue de direction avec notamment à l'ordre du jour la validation du budget ; que si [A] [H] a aussitôt salué cette annonce d'un 'je pense qu'il n'a rien compris', elle n'est pas intervenue pour déplacer cette réunion, préférant attendre mai 2014 pour reprocher au salarié d'avoir annoncé en novembre 2013, en dépit du bon sens le plus élémentaire, une réunion le 14 janvier 2014 pour valider le budget 2014 ; que si les congés payés de [Y] [K] étaient décomptés (pièce 25 du salarié), ce dernier organisait son emploi du temps à sa guise, et ce d'autant plus que la présidente était souvent en déplacement ; qu'il n'est pas contesté que sa rémunération était une des plus élevées de l'entreprise ; que selon les termes de la lettre de licenciement, l'intimé, qui n'était pourtant titulaire d'aucun mandat social, représentait l'entreprise, était garant de son image et de ses valeurs ; que les conditions réelles d'emploi de [Y] [K] satisfaisaient à l'ensemble des critères cumulatifs de l'article L 3111-2 du code du travail ; que la petite taille de l'entreprise est impuissante à elle seule à exclure un salarié de la catégorie des cadres dirigeants, qui implique un positionnement dans le groupe V (coefficient 880) ; que le Conseil de prud'hommes était donc fondé à reconnaître à[Y] [K] la qualité de cadre dirigeant et à classer son emploi dans le groupe V (coefficient 880) de la classification prévue par l'accord du 10 août 1978 ;

Que la société MCM ne remettant pas en cause le calcul du rappel de salaire sollicité, le jugement qui l'a condamnée à payer à ce titre de la somme de 43 490,90 € outre celle de 4 349,09 € doit être confirmé ;

Sur la procédure de licenciement :

Attendu que seul l'envoi de la lettre de licenciement marque la fin du délai de réflexion que l'entretien préalable a ouvert à l'employeur ; qu'il est donc indifférent que, par suite d'une erreur matérielle ou volontairement, la lettre de convocation à l'entretien préalable et la lettre de licenciement portent la même date ; qu'en effet, l'employeur peut changer d'avis aussi longtemps que la lettre de licenciement n'a pas été remise à la Poste ; qu'en conséquence, la procédure de licenciement est régulière ;

Sur le motif du licenciement :

Attendu qu'il résulte des dispositions combinées des articles L 1232-1, L 1232-6, L 1234-1 et L 1235-1 du code du travail que devant le juge, saisi d'un litige dont la lettre de licenciement fixe les limites, il incombe à l'employeur qui a licencié un salarié pour faute grave, d'une part d'établir l'exactitude des faits imputés à celui-ci dans la lettre, d'autre part de démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien de ce salarié dans l'entreprise pendant la durée limitée du préavis ;

Attendu qu'il résulte des dispositions de l'article L 1332-4 du code du travail qu'aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance ; qu'il en résulte qu'un seul fait commis ou découvert dans les deux mois ayant précédé l'engagement de la procédure disciplinaire permet de retenir également des faits anciens au soutien d'une sanction  ;

Qu'en l'espèce, pour affirmer que l'ensemble des faits imputés à[Y] [K] procèdent d'un comportement fautif, la société MCM considère que la teneur du curriculum vitae que le salarié a diffusé sur internet donne à ses insuffisances un relief fautif ; qu'encore plus nettement dans ses conclusions, la société soutient que la parution sur internet de ce curriculum vitae dénigrant l'employeur avait mis au jour que l'incompétence de [Y] [K] procédait d'une mauvaise volonté délibéré ; que cette déduction n'est pas pertinente cependant, les derniers faits étant d'une toute autre nature que les faits antérieurs et n'étant pas susceptibles d'éclairer l'intention prêtée au salarié de porter volontairement des coups à l'entreprise pour en prendre la tête ; que nonobstant les outrances de l'appelante, les décisions prétendument inadaptées à l'entreprise et la légèreté prêtée à[Y] [K] dans la conduite de ses missions, relèvent de l'insuffisance professionnelle non fautive ; qu'en revanche, sont susceptibles de constituer des manquements fautifs du salarié à ses obligations :

- le courriel adressé à [X] [P] de la société NIPPI,

- le courriel adressé à [A] [H] le 14 février 2014 en réponse à sa demande tendant à assurer une présence soutenue sur le terrain,

- la publication sur internet d'un curriculum vitae dont la société MCM a eu connaissance le 21 mai 2014 par [B] [F] ;

Que le 20 mars 2014, alors qu'[A] [H] était sur le point de partir au Japon (et même déjà dans l'avion, selon son père) pour négocier avec la société NIPPI, [Y] [K] a adressé au représentant de celle-ci, à l'insu de la présidente qu'il n'avait pas mise en copie, un courriel d'une vingtaine de lignes dans lequel il a fait état des très bons résultats de la société MCM en 2013 ; qu'il a ainsi interféré maladroitement dans une négociation qui était sur le point de s'engager et qui, de son fait, s'est ouverte dans des conditions plus difficiles pour la société MCM ; qu'en effet, de la réponse de [X] [P], le salarié a tiré la conclusion que ce dernier allait exiger une nouvelle hausse de prix, comme il en a fait part aussitôt à [A] [H] ; que ce fait est fautif ;

Qu'après avoir racheté une société concurrente que convoitait aussi la société MCM, le prédécesseur de [Y] [K] a livré à celle-ci une guerre commerciale sur les prix ; que dans un courriel du 13 février 2014, [A] [H] a demandé à l'ensemble du personnel de consolider la présence de la société chez les clients, chacun devant prendre une part de commercial pour stopper le démarchage du concurrent ; que [Y] [K] a répondu :

Hello,

Yes, le risque existe et est bien réel !

Mais les boîtes meurent de l'intérieur : le premier concurrent d'une entreprise c'est ce qu'elle fait à l'intérieur !

Si l'interne est très clair, alors le jeu devient...simple comme bonjour...

A méditer !

Bon week-end;

[Y]

Que contrairement à [O] [G], alors en mission d'audit, qui a fait une réponse constructive,[Y] [K] a répondu de manière désinvolte, reconnaissant pour la forme la réalité de la menace, mais s'abstenant de toute proposition sérieuse destinée à y faire face ; qu'un tel comportement est fautif ;

Que [Y] [K], qui cherchait manifestement un autre employeur depuis qu'une rupture conventionnelle lui avait été proposée, a publié sur internet un curriculum vitae dans lequel on lit :

Expériences :

Directeur Général MCM Casing depuis 2012.

Après 3 années de résultat difficile :

Changement d'équipe, insuffler un nouveau projet, développement international ;

Reprise de confiance avec le pool bancaire. Donner envie aux équipes de prendre du plaisir au quotidien dans son travail.

Présentation

Actuellement DG d'une PME de l'agroalimentaire spécialisée dans le marché de la viande; je suis passionné par l'humain.

Les décisions prises par les actionnaires ne correspondent plus à mes propres valeurs. Je suis donc en recherche active pour pouvoir construire et vivre, avec une équipe un projet au quotidien motivant en portant une maxime que j'aime bien : Work hard and have fun ;

Que sans nécessité,[Y] [K] a donné un caractère public à son désaccord avec les actionnaires de la société MCM ; que pour se mettre en valeur, il a souligné les difficultés connues par celle-ci pendant trois ans, auxquelles fort heureusement ses initiatives avaient porté remède ; que la liberté d'expression reconnue au salarié est fonction de son niveau hiérarchique dans l'entreprise ; que de la part d'un directeur général, cadre dirigeant, la diffusion de telles informations au détriment de son employeur excédait la liberté d'expression dont l'intimé bénéficiait et constituait un comportement fautif ;

Que les fautes ainsi commises par [Y] [K] de février à mai 2014 constituaient une cause réelle et sérieuse de licenciement ; que la deuxième faute souligne le désinvestissement du salarié ; que la dernière révèle que [Y] [K], qui se situait déjà dans une perspective de départ, se sentait délié de l'obligation de loyauté envers son employeur ; que dès lors, ces faits rendaient impossible l'exécution du préavis et constituaient une faute grave ;

Que le jugement entrepris sera donc infirmé et [Y] [K] débouté du surplus de ses demandes ;

PAR CES MOTIFS,

La Cour,

Confirme le jugement rendu le 21 septembre 2015 par le Conseil de prud'hommes de Villefranche-sur-Saône (section encadrement) qui a dit que [Y] [K] bénéficiait contractuellement du statut de directeur général pour la période de janvier 2013 à juin 2014 au sein de l'entreprise S.A.S. MCM,

Y ajoutant :

Dit que [Y] [K] avait la qualité de cadre dirigeant et occupait un emploi classé dans le groupe V (coefficient 880) dans la classification de la convention collective nationale des industries chimiques,

En conséquence, confirme le jugement entrepris en ce qu'il a :

- fixé le salaire mensuel brut de référence de M. [Y] [K] à la somme de 6 996,00 €,

- condamné la S.A.S. MCM à verser à M. [Y] [K] les sommes brutes de:

43 490,90 € de rappel de salaire sur la période de janvier 2013 à juin 2014 au titre du minima conventionnel applicable au grade du directeur général,

4 349,09 € au titre des congés payés afférents,

- ordonné à la S.A.S. MCM de délivrer à [Y] [K] les documents de fin de contrat :

l'attestation Pôle Emploi,

le solde de tout compte,

les bulletins de paie,

rectifiés en fonction des condamnations prononcées, le tout sous astreinte de 10 € par jour de retard à compter du 15ème jour suivant la notification du jugement à intervenir, dans la limite de 45 jours, le conseil de prud'hommes se réservant le droit de liquider l'astreinte,

- condamné la S.A.S. MCM à verser à [Y] [K] la somme de 1000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société MCM aux dépens de première instance ;

Infirme le jugement entrepris dans ses autres dispositions,

Statuant à nouveau :

Dit que le licenciement de [Y] [K] est justifié par une faute grave,

En conséquence, déboute [Y] [K] du surplus de ses demandes,

Y ajoutant :

Condamne [Y] [K] aux dépens d'appel,

Déboute les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.

Le GreffierLe Président

Gaétan PILLIEMichel SORNAY


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale b
Numéro d'arrêt : 15/07977
Date de la décision : 03/02/2017

Références :

Cour d'appel de Lyon SB, arrêt n°15/07977 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-02-03;15.07977 ?
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