AFFAIRE PRUD'HOMALE
DOUBLE RAPPORTEURS
R.G : 15/04061
[W]
C/
LOOMIS FRANCE
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINT-ETIENNE
du 04 Mai 2015
RG : F 14/00319
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE C
ARRÊT DU 03 FEVRIER 2017
APPELANT :
[I] [W]
né le [Date naissance 1] 1961 à [Localité 1]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
comparant en personne, assisté de Me Fabienne CHANUT-FORNASIER de la SCP CHANUT-VERILHAC, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE substituée par Me Laurent VERILHAC, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE
INTIMÉE :
SAS LOOMIS FRANCE
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Arnaud DE SAINT LEGER de la SELARL ALEXIAL AVOCATS, avocat au barreau de LYON
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 02 Décembre 2016
Composée de Elizabeth POLLE-SENANEUCH, Présidente et Chantal THEUREY-PARISOT, Conseillère, tous deux magistrats rapporteurs, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en ont rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistés pendant les débats de Christine SENTIS, Greffier
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
- Elizabeth POLLE-SENANEUCH, président
- Chantal THEUREY-PARISOT, conseiller
- Natacha LAVILLE, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 03 Février 2017 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Elizabeth POLLE-SENANEUCH, Président et par Christine SENTIS, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
********************
FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
La SASU LOOMIS FRANCE exerce une activité de transport de fonds et de valeur sur l'ensemble du territoire national et elle applique la Convention collective nationale étendue des Transport et plus particulièrement son annexe relatif aux transports de fonds et de valeur.
M. [I] [W] est entré au service de la société ARDIAL, aux droits de laquelle se trouve aujourd'hui la SASU LOOMIS FRANCE selon contrat à durée indéterminée du 5 septembre 1994 en qualité de Chef d'équipe coefficient 130 ; il a été promu au statut d'agent de maîtrise coefficient 150 par avenant du 29 juin 1998 puis de Chef de mouvement par avenant du 31 octobre 2000.
Il bénéficiait, au dernier état de la relation contractuelle, d'un salaire de base de 2374,88 € pour 151,67 heures de travail mensuel.
Il a reçu plusieurs avertissements entre 2006 et 2013, le dernier lui ayant été notifié par LRAR du 27 juin 2013 pour :
*avoir refusé le 16 avril 2013 à 12h35 à un salarié, en l'occurrence M. [N], le bénéfice d'une pause repas dans des formes irrespectueuses,
*avoir omis d'aviser son employeur d'un accrochage sur le blindé 536 alors que la gestion du parc de véhicules fait partie de ses missions,
* avoir omis de traiter la demande qui lui avait été faite début mars de s'occuper du conteneur dégradé stocké au fond du garage,
*de n'avoir donné aucune suite auprès des convoyeurs concernés sur les manquements révélés lors du dernier audit sécurité réalisé sur la période du 17 au 26 avril 2013 (plein de carburant non effectué et non-application des règles relatives aux arrêts),
Il a été convoqué à un entretien préalable avec mise à pied conservatoire le 31 mars 2014 et il a été licencié pour faute grave par lettre recommandée avec avis de réception du 17 avril 2014, son employeur lui reprochant :
* de ne pas s'assurer du respect des consignes de sécurité internes à l'entreprise (accès au portail impérativement dégagé pour le retour des fourgons blindés, et en particulier pour le fourgon blindé Banque de France, nécessairement chargés de fonds (faits du 18 février 2014), non respect des procédures sécuritaires concernant le suivi GPS des fourgons blindés le 31 mars 2014, absence de rappel à l'ordre le 24 février 2014 auprès d'un régulateur sous son autorité des règles applicables en cas de repérage de la présence d'un véhicule suspect, absence de contrôle rigoureux en fin de journée du retour des classeurs de consignes destinés aux convoyeurs),
*d'avoir fait preuve de négligence ou d'insubordination en omettant régulièrement de faire ce qui lui était demandé et de s'assurer du respect des règles de fonctionnement, (omission d'organiser une réunion avec le service transport alors que cela lui avait été expressément demandé par le groupe, non respect des consignes internes relatives aux modifications de feuilles d'heures individuelles des salariés, non respect des règles de modification des dessertes programmées les 18 et 19 février 2014, absence de suivi sur l'état de propreté intérieur ainsi que l'état général des fourgons blindés alors que cela lui avait été expressément demandé par son responsable d'agence qui avait constaté leur état sale et très négligé),
*d'avoir des méthodes de management laissant largement à désirer (absence de rappel à l'ordre en cas de non-respect des consignes, incapacité à remédier à ses problèmes relationnels avec certains convoyeurs qui se plaignent de son comportement).
Agissant selon requête du 13 mai 2014, M. [I] [W] a saisi le Conseil de prud'hommes de Saint-Étienne en annulation de son avertissement du 27 juin 2013 et en paiement de dommages et intérêts pour licenciement abusif.
Par jugement du 4 mai 2015, le Conseil de prud'hommes de Saint-Étienne a :
- débouté M. [I] [W] de l'intégralité de ses demandes ,
- débouté la SASU LOOMIS FRANCE du surplus de ses demandes,
- condamné M. [I] [W] aux dépens.
M. [I] [W] a interjeté appel de ce jugement le 11 mai 2015.
En l'état de ses dernières conclusions reprises oralement lors de l'audience, il demande à la Cour de réformer la décision déférée en toutes ses dispositions et de :
-déclarer nul et de nul effet l'avertissement date du 27 juin 2013,
-dire que son licenciement notifié le 17 avril 2014 ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse,
-condamner en conséquence la SASU LOOMIS FRANCE à lui payer la somme de 73'000€ à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive,
-fixer la moyenne de ses salaires à la somme de 4319,92 €,
-condamner la SASU LOOMIS FRANCE au paiement d'une somme de 3000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Il reproche en premier lieu à la SASU LOOMIS FRANCE d'avoir été défaillant dans le respect de son obligation d'adaptation à l'emploi et soutient également qu'il a été privé de toute collaboration avec son chef d'agence, M. [P], pendant plusieurs années, ce qui entravait son effectivité dans l'exercice de ses fonctions de Chef de mouvement, statut agent de maîtrise.
Il conteste le bien-fondé de son avertissement du 27 juin 2013 en objectant en substance :
- qu'aucun élément ne permet de savoir à quelle date l'employeur a eu connaissance des faits soi-disant perpétrés le 16 avril 2013, de sorte qu'il n'est pas possible de vérifier si le délai de 2 mois instauré par l'article L 1332-4 du code du travail a été respecté, et que la demande de ce convoyeur n'était en tout état de cause pas justifiée,
- qu'il avait fait le nécessaire auprès du fournisseur pour évacuer le conteneur stocké au fond du garage, mais que celui-ci n'a pas fait diligence,
- que les reproches formulés pour la période du 16 au 26 avril 2013 sont prescrits et qu'ils sont en tout état de cause injustifiés dans la mesure où il a bien fait remonter les informations auprès des convoyeurs concernés,
- que l'accrochage visé dans cet avertissement n'a pas fait l'objet d'une déclaration de la part du chauffeur concerné, et qu'il n'a aucun souvenir de cet événement,
Il conteste également l'ensemble des griefs invoqués par la SASU LOOMIS FRANCE pour le licencier et rappelle que c'est à son employeur de démontrer non seulement la matérialité mais également la véracité des griefs qu'il lui reproche s'agissant d'un licenciement pour faute grave; il ajoute qu'il totalisait 20 ans d'ancienneté à la date de rupture de son contrat de travail et indique qu'il n'a toujours pas retrouvé d'emploi à ce jour alors qu'il a 2 enfants à charge et qu'il est âgé de 55 ans.
La SASU LOOMIS FRANCE demande en réplique à la Cour :
- de constater que l'avertissement notifié à M. [I] [W] le 27 juin 2013 est bien fondé,
- de constater que M. [I] [W] :
*s'est avéré incapable d'assurer le respect des règles de sécurités internes,
*'omettait' régulièrement de faire ce qui lui était demandé,
*faisait preuve de méthode de management inadéquate,
- de constater que le licenciement de M. [I] [W] repose sur une cause réelle et sérieuse,
-de le débouter de l'ensemble de ses demandes,
Très subsidiairement,
- de cantonner l'indemnité éventuellement allouée à M. [I] [W] à 25'919 € représentants 6 mois de salaire
En toute hypothèse,
- de condamner M. [I] [W] aux entiers dépens ainsi qu'au paiement d'une somme de 1500 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle rappelle qu'il appartenait à M. [I] [W], en sa qualité de Chef de mouvements :
- d'assurer le commandement du personnel de production placé sous ses ordres et de gérer l'activité Transport de fonds de son Agence dans le cadre des objectifs définis en matière commerciale, sociale et sécuritaire et en termes de rentabilité,
-d'assurer le commandement du personnel de production sous ses ordres et de chercher à maintenir la motivation et le bon esprit de son équipe,
Elle considère que son salarié a multiplié les lacunes et les négligences, qu'il n'a tenu aucun compte des consignes qui lui étaient données, qu'il n'a pas donné une priorité suffisante aux impératifs de sécurité, et que son comportement était d'autant plus anormal qu'elle avait déjà eu avec lui de nombreuses mises au point pour l'alerter sur la nécessité de se montrer plus vigilant; elle ajoute que les manquements se sont multipliés au point de rendre impossible la poursuite de son contrat de travail et que les allégations selon lesquelles M. [I] [W] aurait été entravé dans ses fonctions de Chef de mouvements à cause d'une mésentente avec son Directeur d'agence sont purement gratuites et ne reposent sur aucun élément objectif.
Elle rappelle que M. [I] [W] n'a pas été licencié pour insuffisance professionnelle mais pour faute grave et que cette mesure est parfaitement justifiée ; elle ajoute qu'il a bénéficié, au même titre que ses collègues Chef de mouvements, des formations qui se sont avérées nécessaires à l'exercice de ses missions.
Elle soutient en dernier lieu que l'avertissement notifié le 27 juin 2013 est parfaitement fondé et qu'elle en justifie.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé, pour un plus ample exposé des moyens des parties, aux conclusions qu'elles ont soutenues oralement lors de l'audience.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1/ Sur l'avertissement du 27 juin 2013 :
Selon les dispositions de l'article L 1332-4 du code du travail, invoquées par M. [I] [W], ' aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà du délai de 2 mois à compter du jour où l'employeur en a connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales'
Il est acquis aux débats que M. [I] [W] a été convoqué à un entretien préalable qui s'est tenu le 3 juin 2013 ; les faits reprochés, en date des 16, 17 et 26 avril 2013, n'étaient en conséquence aucunement prescrits lorsque la SASU LOOMIS FRANCE a engagé de ce chef des poursuites disciplinaires.
Aucun élément n'est apporté par l'intimée concernant l'accrochage sur le blindé 356 dont elle reproche à son salarié de ne pas l'avoir informé.
Il appartenait en revanche à M. [I] [W], de par ses fonctions de Chef de mouvements, ( cf: fiche de poste - gestion technique) de faire le nécessaire pour assurer l'évacuation du conteneur dégradé, stocké au fond du garage de l'Agence, ce d'autant que cela lui avait été demandé par son supérieur et les explications qu'il fournit sur ce point pour tenter de justifier l'inexécution de cette opération, à savoir l'inertie de la société Axytrans qu'il soutient avoir contacté par mail, ne sont pas de nature à excuser cette négligence.
M. [I] [W] ne produit enfin aucun élément propre à démontrer qu'il a bien fait remonter auprès des convoyeurs concernés, les remarques relatives aux manquements révélés lors de l'audit sécurité pour la période du 17 au 26 avril 2013, alors que cette tâche rentrait dans le cadre de sa mission.
L'avertissement qui lui a été délivré le 23 juin 2013 s'avère en conséquence parfaitement fondé et il convient de confirmer sur ce point la décision des premiers juges.
2/ Sur le licenciement de M. [I] [W] :
M. [I] [W] a été licencié pour faute grave le 17 avril 2014 pour ne pas avoir fait respecter les consignes internes de l'entreprise, pour avoir fait preuve de négligence ou d'insubordination en omettant régulièrement de faire ce qui lui était demandé et d'avoir fait usage de méthodes de management inappropriées.
Il résulte de la fiche de poste communiquée aux débats par les parties que le Chef de mouvement a bien pour mission de mettre en oeuvre les procédures sécuritaires dans l'entreprise et de s'assurer de leur respect ; or, la SASU LOOMIS FRANCE produit aux débats différents documents démontrant clairement que M. [I] [W] a failli sur ce point à ses obligations puisque différents manquements aux règles de sécurité ont encore été constatés et ce, alors même qu'il avait déjà été sanctionné à ce titre par différents avertissements (2006, 2007), à savoir :
* accès au portail non dégagé le 18 février 2014 pour le retour du fourgon blindé Banque de France (pièce 2-1),
*non respect des procédures sécuritaires concernant le suivi GPS des fourgons blindés le 31 mars 2014 (pièce 2-4),
*absence de rappel à l'ordre le 24 février 2014 auprès d'un régulateur sous son autorité des règles applicables en cas de repérage de la présence d'un véhicule suspect (pièce 2-5),
* absence de contrôle rigoureux en fin de journée du retour des classeurs de consignes destinés aux convoyeurs (pièces2-6 et 2-7).
Il est également établi que M. [I] [W] ne donnait pas suite à certaines demandes de son Responsable d'agence (pièce 3-1 à 3-6), qu'il ne respectait pas les consignes de fonctionnement du service et de gestion des tournées et qu'il manquait de rigueur dans le suivi de l'état de propreté intérieure ainsi que l'état général des fourgons blindés,
Les graves insuffisances managériales de M. [I] [W] sont enfin pleinement démontrées par les pièces 4 à 4-5 de l'intimée.
Ces manquements répétés de M. [I] [W] à ses obligations professionnelles revêtent un caractère certain de gravité, compte tenu de l'activité particulière de son employeur, spécialisé dans le transport de fonds et de valeur, qui lui impose une rigueur toute particulière dans le respect des consignes de sécurité et l'entretien du matériel ; ils étaient de nature, au regard de leur caractère réitéré, à justifier la rupture immédiate de son contrat de travail sans préavis ni indemnité.
C'est en vain que M. [I] [W] tente d'imputer ses nombreuses négligences à une absence de collaboration avec son Responsable d'Agence ; il n'apporte en effet aux débats aucun élément sérieux propre à en justifier, les attestations qu'il produit en ce sens n'étant aucunement circonstanciées ; de même, la pétition ( non datée) qu'il communique en pièce 27 doit être prise avec les plus extrêmes réserves dans la mesure, d'une part, ou ce document rédigé en termes très généraux ne fait pas état de difficultés précises de nature à entraver la bonne exécution de ses missions de Chef de mouvement, et ou, d'autre part, certains salariés signataires ont ensuite indiqué, par voie d'attestation, qu'elle n'était en réalité que l'expression de règlements de compte au sein de l'Agence, ou qu'ils l'avaient signée pour échapper aux pressions de leurs collègues.
Il n'est pas mieux fondé à reprocher à son employeur de ne pas avoir assuré son adaptation à l'emploi alors qu'il exerce les fonctions de Chef de mouvement depuis le 31 octobre 2000, qu'il n'a jamais mentionné une ignorance de sa part des procédures applicables dans les lettres qu'il lui a adressées pour contester ses précédents avertissements, et qu'il a au demeurant suivi une formation de plusieurs jours à la fin de l'année 1998, pour le préparer à assumer des fonctions d'animateurs d'équipe et de manager.
Il apparaît ainsi que le licenciement pour faute grave prononcé à l'encontre de M. [I] [W] était parfaitement fondé et que les premiers juges l'ont à bon droit débouté de l'ensemble de ses demandes ; la décision déférée sera en conséquence confirmée.
L'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et après en avoir délibéré,
Confirme le jugement rendu le 4 mai 2015 par le Conseil de Prud'hommes de Saint-Etienne,
Dit n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [I] [W] aux dépens de l'appel.
LA GREFFIÈRELa PRESIDENTE
Christine SENTISElizabeth POLLE-SENANEUCH