La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

16/12/2016 | FRANCE | N°15/08739

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale c, 16 décembre 2016, 15/08739


AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE







R.G : 15/08739





[O]

[V]



C/

SOCIETE DISTRIBUTION CASINO FRANCE







APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINT-ETIENNE

du 13 Octobre 2015

RG : F 14/00107











COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE C



ARRÊT DU 16 DECEMBRE 2016













APPELANTS :



[R] [O] épouse [V]r>
née le [Date naissance 1] 1976 à [Localité 1] (MAROC)

[Adresse 1]

[Adresse 2]



représentée par Me Claudine BOUYER-FROMENTIN, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE



[D] [V]

né le [Date naissance 2] 1970 à [Localité 2] (71)

[Adresse 1]

[Adresse 2]



comparant en pers...

AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE

R.G : 15/08739

[O]

[V]

C/

SOCIETE DISTRIBUTION CASINO FRANCE

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINT-ETIENNE

du 13 Octobre 2015

RG : F 14/00107

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE C

ARRÊT DU 16 DECEMBRE 2016

APPELANTS :

[R] [O] épouse [V]

née le [Date naissance 1] 1976 à [Localité 1] (MAROC)

[Adresse 1]

[Adresse 2]

représentée par Me Claudine BOUYER-FROMENTIN, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE

[D] [V]

né le [Date naissance 2] 1970 à [Localité 2] (71)

[Adresse 1]

[Adresse 2]

comparant en personne, assisté de Me Claudine BOUYER-FROMENTIN, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE

INTIMÉE :

SOCIETE DISTRIBUTION CASINO FRANCE

[Adresse 3]

[Adresse 4]

[Adresse 5]

représentée par Me Yann BOISADAM de la SCP JOSEPH AGUERA & ASSOCIES, avocat au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 28 Octobre 2016

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Elizabeth POLLE-SENANEUCH, Président

Chantal THEUREY-PARISOT, Conseiller

Marie-Christine DE LA SALLE, Conseiller

Assistés pendant les débats de Christine SENTIS, Greffier.

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 16 Décembre 2016, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Elizabeth POLLE-SENANEUCH, Président, et par Christine SENTIS, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*************

FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES.

Monsieur [D] et Mme [R] [V] ont conclu avec la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE ( DCF) un contrat en date du 1er décembre 2007 pour exploiter une succursale sous le régime juridique des gérantes non-salariés.

En vertu de ce contrat, puis de contrats successifs, ils ont pris une succursale à CLAMART, à PARIS, à DEUIL SUR BARRE puis à VAUX SUR SEINE.

Le contrat de Monsieur [V] a été rompu le 20 janvier 2014 pour inaptitude; celui de Mme [V] , en congé parental depuis le 1er novembre 2011 a également été rompu le 24 juillet 2014, au motif de l'indivisibilité du contrat.

Le 10 février 2014, les époux [V] ont saisi le conseil de prud'hommes de Saint-Étienne d'une demande en requalification du contrat de gérant mandataire non-salarié en contrat de travail de droit commun et en paiement de diverses sommes à titre de fixation de salaire, de rappel d'heures supplémentaires et de repos compensateur, à titre subsidiaire, si le contrat n'était pas requalifié, en fixation du salaire moyen et en condamnation au paiement de diverses sommes du fait de la rupture du contrat tant de Monsieur [V] que de Mme [V] .

Par jugement du 13 octobre 2015 le conseil de prud'hommes de Saint-Étienne a débouté les époux [V] de l'ensemble de leurs demandes, en considérant que la preuve d'un lien de subordination n'était pas rapportée ;

Les époux [V] ont régulièrement relevé appel de cette décision .

Vu les conclusions soutenues à l'audience du 28 octobre 2016 par les époux [V] qui demandent à la Cour , par voie de réformation du jugement déféré, à titre principal de prononcer la requalification du contrat de cogérance en contrat de travail salarié , à titre subsidiaire de constater que la société DCF est responsable de la santé et de la sécurité des époux [V] et a ordonné et contrôlé la durée du travail et de condamner la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE au paiement de la durée du travail sur la base de la convention collective du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire Agent de maîtrise niveau VI soit :

À Monsieur [V] les sommes de:

41 956,43 € au titre du salaire conventionnel,

46 706,30 € au titre des heures supplémentaires,

25 392,05 € au titre du repos compensateur

65 678,62 € au titre des sommes restant dues, sur la base du salarie total dû et des commissions perçues,

A titre subsidiaire, et si le contrat n'était pas requalifié, le SMIC étant la seule référence applicable, condamner la société DCF à payer les sommes suivantes :

34 785,94 € au titre du SMIC,

38 771,72 € au titre des heures supplémentaires,

20 949,56 € au titre du repos compensateur,

46 130,47 € au titre des sommes restant dues, sur la base du salaire total dû, des heures supplémentaires accomplies, des repos compensateurs et des commissions perçues,

À Madame [V] les sommes de :

6656,69 € au titre du salaire conventionnel,

8258,80 € au titre des heures supplémentaires,

5546,10 € au titre du repos compensateur

15 483,47 € au titre des sommes restant dues, sur la base du salaire total dû, des heures supplémentaires accomplies , des repos compensateurs et des commissions perçues,

A titre subsidiaire, et si le contrat n'était pas requalifié, le SMIC étant la seule référence applicable, condamner la société DCF à payer les sommes suivantes :

5460 € au titre du SMIC,

6772,25 € au titre des heures supplémentaires,

4706,90 € au titre du repos compensateur,

11961,12 € au titre des sommes restant dues, sur la base du salaire total dû, des heures supplémentaires accomplies, des repos compensateurs et des commissions perçues,

Constater que la société DCF n'a pas respecté ses obligations de sécurité de résultat et que ce manquement grave effectué en toute conscience est la cause de l'inaptitude de Monsieur [V],

Constater qu'elle n'a pas rempli son obligation de reclassement après inaptitude,

Constater la nullité de la rupture du contrat et condamner en conséquence la société DCF à payer à Monsieur [V] :

9685,38 € au titre du préavis de deux mois,

968,54 € au titre des congés payés afférents,

6487,92 € à titre d'indemnité légale de licenciement (ancienneté 6 ans),

176 000 € à titre d'indemnité pour licenciement nul sur le fondement de l'article L 1235-3 du code du travail,

50 000 € à titre d'indemnité pour exécution de mauvaise foi du contrat ayant lié les parties,

Dire que la rupture du contrat de Mme [V] est dans cause réelle et sérieuse et en conséquence condamner la Société DCF à lui payer :

4274 € à titre d'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement,

10 274,44 € à titre de préavis de deux mois,

1027,44 € au titre des congés payés afférents,

6499,15 € à titre d'indemnité légale de licenciement (ancienneté 6 ans),

176 000 € à titre d'indemnité pour licenciement nul sur le fondement de l'article L 1235-3 du code du travail,

Ordonner la remise de tous documents, feuilles de paie, attestation Pôle Emploi, sécurité sociale et caisse de retraite portant mention de la qualification retenue, des sommes versées, afin de régularisation des droits sociaux de toute nature issus du contrat ayant lié les parties,

Condamner la société DCF au paiement à chacun des appelants de la somme de 5000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Sur la requalification du contrat de gérant mandataire non-salarié les époux [V] font notamment valoir:

-qu'ils n'ont jamais été payés proportionnellement aux ventes du magasin mais systématiquement par l'application du minimum conventionnel, donc d'un revenu sans lien avec les ventes, de sorte que l'une des conditions légales de l'article L 7322-2 n'est donc pas établie,

-qu'ils n'ont jamais eu la possibilité d'embaucher des salariés pour être aidés dans l'exploitation ou pour se faire remplacer lors de leurs congés au regard de la faiblesse de leur revenu et de la situation économique dans laquelle ils étaient placés du fait de la pratique de la société DCF qui ne corrèle pas le montant des commissions avec le potentiel économique des points de vente. Ils soulignent que concernant les congés, ils ont du avoir recours aux gérants intérimaires, selon système mis en place par la société DCF, ces modalités échappant donc à leur responsabilité et n'étant pas pris en charge sous leurs frais,

-qu'ils n'avaient aucune liberté dans la gestion de leurs congés.

A titre subsidiaire, ils estiment que les règles de droit commun relatives à la rupture des contrats de travail doivent ici s'appliquer et notamment quant au respect de la procédure de rupture du contrat, quant à la justification d'un motif réel et sérieux de rupture et quant au paiement du préavis et de l'indemnité conventionnelle de rupture outre quant à l'indemnisation du gérant, à défaut de cause réelle et sérieuse.

Ils estiment également que dans le cadre du statut de la gérance non salariée, la société est comptable du paiement de la durée du travail lorsqu'elle en a ordonné ou simplement contrôlé l'exécution.

Enfin, ils soutiennent que les graves manquements de la société DCF ont concouru à l'inaptitude de Monsieur [V], aucune des agressions dont il a été victime n'ayant été déclarée en accident du travail, aucune mesure de prévention n'ayant été envisagée et aucune visite médicale de reprise n'ayant été effectuée, que suite aux chocs répétés et au stress en découlant, Monsieur [V] a été reconnu travailleur handicapé; ils considèrent que l'inaptitude a pour responsable l'entreprise et que la rupture du contrat au motif de cette inaptitude est nulle.

Ils estiment que la société DCF aurait du mettre en 'uvre le reclassement de Monsieur [V] a sein des différents établissements et si nécessaire à l'intérieur du groupe, ce qu'elle n'a pas fait.

Ils ajoutent que la gestion du magasin de VAUX SUR SEINE a été rendue impossible du fait de l'état lamentable des locaux faute d'entretien.

Concernant la rupture du contrat de Mme [V], ils estiment qu'elle est sans cause réelle et sérieuse dès lors qu'étant alors en congé parental jusqu'au 1er novembre 2013, elle n'a eu aucune visite de reprise et n'a pas été rémunérée, et qu'elle n'a été convoquée à aucun entretien préalable, le licenciement lui étant notifié au motif de l'indivisibilité du contrat ne lui donnant pas la possibilité de solliciter même une gérance unique.

La société DISTRIBUTION CASINO FRANCE s'oppose à l'ensemble des demandes formées par les époux [V] et demande à la cour de confirmer la décision déférée et de condamner les appelants au paiement de la somme de 5000 euros chacun sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle soutient en effet :

-que pour l'application du statut de gérant non salarié de succursale de commerce de détail défini par l'article L. 7321-2 du code du travail il faut et il suffit que le gérant exploite une succursale moyennant des remises proportionnelles sur les ventes, que toute latitude lui soit laissée contractuellement pour embaucher du personnel, se substituer des remplaçants et pour organiser au quotidien son propre travail,

-que l'existence d'une dépendance économique n'implique pas l'existence d'un lien de subordination juridique, le contrat s'analysant en un mandat d'intérêt commun,

-que l'existence d'une relation de travail salarié dépend des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité professionnelle, la qualification ou la dénomination adoptée par les parties étant indifférente,

-qu'il appartient au gérant qui revendique le statut de salarié de démontrer qu'il a été soumis à une relation de subordination dans l'organisation de l'exercice personnel de son activité, c'est-à-dire aux ordres, aux directives et au contrôle de la société mandante dans l'organisation de son propre travail,

-que dans le cadre de l'aide qu'elle est tenue d'apporter aux gérants elle a mis en place un réseau de gérants mandataires intérimaires qui ont pour mission de remplacer les gérants titulaires partant en congé, ce dispositif ne présentant toutefois aucun caractère contraignant, les gérants mandataires titulaires demeurant libres d'organiser eux-mêmes leur remplacement,

-que le gérant mandataire intérimaire, comme le titulaire, ne peut revendiquer l'existence d'un contrat de travail qu'en démontrant l'existence d'une subordination dans l'exercice personnel de son activité,

-que ni les modalités commerciales d'exploitation de la succursale, ni la fourniture exclusive des marchandises à prix imposés, ni les conditions de gestion des commandes et des livraisons, ni l'obligation de participer à des actions commerciales, ni le suivi commercial de l'activité du gérant mandataire, qui s'inscrivent dans le cadre contractuel inhérent aux relations entre la maison-mère et les gérants, ne permettent de caractériser un lien de subordination effectif,

-que les conditions d'application du statut de gérant non salarié n'ont pas été méconnues en l'espèce, alors que les époux [V] ont été rémunérés proportionnellement aux ventes du magasin, qu'ils avaient contractuellement toute latitude pour embaucher du personnel, le fait qu'ils n'aient pas utilisé cette prérogative en raison de revenus insuffisants étant inopérant, que les contrats intervenus ne fixent pas les conditions de travail des cogérants qui déterminaient les horaires d'ouverture et de fermeture ainsi que le nombre d'heures travaillées et qui étaient libres de déterminer leurs périodes de congés,

-que les époux [V] ne peuvent prétendre chacun à une rémunération minimum égale au SMIC, alors que le forfait de commissions est attribué au couple et que les époux décident librement de la répartition entre eux de cette rémunération,

-que les époux [V] ne peuvent prétendre au paiement d'heures supplémentaires, alors que les spécificités du statut de gérant non salarié font obstacle à l'application des règles relatives au décompte du temps de travail et qu'il n'est pas démontré en l'espèce qu'elle leur aurait imposé individuellement des durées de travail,

-que la résiliation de la relation contractuelle ayant lié les époux [V] et la société DCF s'est effectuée dans le respect de l'article 14 de l'accord collectif national du 18 juillet 1963 et énonce un motif réel et sérieux.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé, pour un plus ample exposé des moyens des parties, aux conclusions qu'elles ont soutenues oralement lors de l'audience.

MOTIVATION.

Sur la demande de requalification du contrat de gérance en contrat de travail.

L'article L 7322-2 du code du travail, applicable à l'espèce, dispose en son alinéa 1er : « Est gérant non salarié toute personne qui exploite, moyennant des remises proportionnelles au montant des ventes, les succursales des commerces de détail alimentaire ou des coopératives de consommation, lorsque le contrat intervenu ne fixe pas les conditions de son travail et lui laisse toute latitude d'embaucher des salariés ou de se faire remplacer à ses frais et sous son entière responsabilité. »

Dans son préambule, l'accord collectif national du 18 juillet 1963 mis à jour le 1er mars 2008, rappelle que ce statut spécifique de gérant mandataire résulte du fait que vis-à-vis de la clientèle, il se comporte comme un commerçant, ce qui implique indépendance du gérant dans la gestion de l'exploitation du fonds, c'est-à-dire autonomie dans l'organisation de son travail et intéressement direct à l'activité du magasin par des commissions calculées sur le montant des ventes, tout en bénéficiant, dans le cadre de ce mandat d'intérêt commun liant le propriétaire du fonds au gérant qui jouit d'une indépendance, partage les risques de l'exploitation mais bénéficie d'un statut social légal et conventionnel.

Le contrat de travail est constitué dès lors que se trouvent réunies trois conditions cumulatives: l'état de subordination juridique vis-à-vis de l'employeur, le versement d'une rémunération et la fourniture d'une prestation de travail; le lien de subordination juridique se caractérise par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

Ce lien de subordination juridique ne se confond pas avec la subordination économique ni avec l'intégration dans un service organisé.

La qualification d'une relation de travail ne dépend ni de la dénomination donnée par les parties à leur convention ni de la volonté qu'elles ont pu exprimer, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité.

Les époux [V] ont conclu plusieurs contrats de gérance non salariée, seul comptant, au titre de la requalification sollicitée, le dernier contrat de gérance conclu le 9 août 2011 et résilié à effet du 27 juillet 2014, qui fait expressément référence aux dispositions des articles L 7322-1 et suivants du code du travail et aux clauses de l'accord collectif national des maisons d'alimentation à succursales, supermarchés, hypermarchés du 18 juillet 1963 et à ses divers avenants.

C'est donc aux époux [V] qui revendiquent la requalification de leur contrat de gérants mandataires en contrat de travail, de prouver qu'ils se trouvaient dans un lien de subordination juridique à l'égard de la société DCF, étant précisé que cette subordination juridique ne se confond ni avec la dépendance économique ni avec l'intégration dans un service organisé.

Ainsi, indépendamment du mode de rémunération, le lien de subordination juridique implique l'impossibilité d'organiser librement l'exercice de l'activité professionnelle, notamment en ce qui concerne les relations avec la clientèle, les relations avec le personnel embauché, la possibilité de se faire remplacer à ses frais et sous son entière responsabilité.

En l'espèce, les époux [V] font d'abord valoir qu'ils n'ont jamais été payés proportionnellement aux ventes du magasin mais systématiquement par application du minimum conventionnel, dont ils estiment cependant, qu'il ne doit être que temporaire puisqu'il doit compenser un revenu ponctuellement insuffisant et ne saurait donc se substituer aux commissions.

Néanmoins, le contrat prévoyait bien une rémunération des co-gérants sous la forme d'une commission de 6 % calculée sur le chiffre d'affaires brut, outre un minimum mensuel garanti tel que fixé à l'article 5 de l'accord collectif national, destiné à compléter les commissions, afin de garantir aux cogérants une commission mensuelle minimum, lequel a donc été perçu par les époux [V] à hauteur de 2300 euros puis de 2340 euros, sachant que la répartition convenue entre eux était de 70 % pour l'épouse et 30 % pour le mari.

Le minimum conventionnel ne se substituait donc pas aux commissions mais était destiné au contraire à compléter des commissions faibles au regard précisément du volume insuffisant des ventes.

Par ailleurs, il est établi par les pièces versées au dossier par la société DCF que celle-ci a bien continué à verser à Monsieur [V] nonobstant le congé maternité puis le congé parental de son épouse le minimum conventionnel applicable pour une gérance de deuxième catégorie et a régularisé la situation sur les mois de janvier à avril 2012, en versant une indemnité spéciale ainsi que des avances de commissions.

Il n'apparaît pas dès lors que cette disposition du statut des gérants non salariés relative à la rémunération par commissionnements n'ait pas été ici respectée .

Les époux [V] font ensuite valoir concernant les horaires et les vacances, que les horaires des magasins dans lesquels ils assuraient leurs fonctions leur étaient imposés ainsi que les jours de fermeture , que de même, ils ne pouvaient poser leurs congés à leur convenance et se sont vus ainsi modifier unilatéralement des congés qu'ils avaient posés, qu'au surplus au regard de la faiblesse de leurs ressources, ils n'avaient pas la latitude, comme prévu au contrat, d'embaucher des salariés ou de se faire remplacer à leurs frais et sous leur entière responsabilité.

Il apparaît d'abord que les époux [V] ne démontrent pas toutefois, au moyen des courriers qu'ils versent aux débats qu'ils auraient été contraints à des modifications des plannings imposées par la société DCF pas plus qu'ils ne démontrent ne pas avoir été libres de prendre leurs congés à leur guise.

L'utilisation du système des gérants intérimaires proposé par la société DCF ne démontrent pas ensuite que les époux [V] ne pouvaient se faire remplacer à leurs frais et sous leurs responsabilité, il leur permettait simplement de pouvoir se faire remplacer facilement, sans avoir à rechercher un remplaçant ni à en assurer le financement, le gérant intérimaire étant en effet, pendant la durée du remplacement rémunéré dans les mêmes conditions que le gérant titulaire.

Sur ce point, les attestations versées par les gérants intérimaires intervenus en remplacement des époux [V], en ce qu'elles décrivent les conditions d'exercice de la gérance à titre provisoire ne sont pas de nature à caractériser que les appelants , en ce qu'ils avaient recours à ce système n'avaient pas la liberté de pourvoir sous leur responsabilité et à leurs frais à leur remplacement,de même le courrier de l'inspection du travail versé aux débats ne constitue qu'un avis personnel de l'inspecteur signataire .

Concernant les horaires d'ouverture, il n'est pas plus démontré que les époux [V] ne bénéficiaient pas d'une autonomie dans l'organisation des horaires d'ouverture, sous réserve des coutumes locales et des habitudes de la clientèle ( article 1er du contrat de gérance)

Dans ces conditions, il n'apparaît que les époux [V] viennent démontrer l'existence d'un lien de subordination permettant de requalifier le contrat de cogérance non salarié en contrat de travail, de sorte qu'il convient de confirmer la décision déférée de ce chef.

Dès lors, la demande de paiement des salaires conventionnels sur la base de la convention collective du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire Agent de maitrise niveau VI ainsi que le paiement de commissions non versées sur la base de salaires dûs, doit être rejetée.

Sur la demande au titre des heures accomplies.

Aux termes de l'article L 7322-1 al.2 du code du travail « l'entreprise propriétaire de la succursale est responsable de l'application au profit des gérants non salariés des dispositions de l'article 1er de la troisième partie relative à la durée du travail, au repos et aux congés, ainsi que celles de la 4ème partie relatives à la santé et à la sécurité au travail lorsque les conditions de travail, de santé et de sécurité au travail dans l'établissement ont été fixées par elle ou soumises à son accord. »

Il apparaît que la société DCF soutient que depuis le 1er mai 2008, l'article L 782-7 du code du travail a été abrogé, de sorte que les époux [V] ne peuvent se prévaloir de tous les avantages accordés aux salariés par la législation sociale, la nouvelle codification des articles L 7322-1 à L 7322-6 du code du travail concernant le statut légal des gérants non salariés n'étant pas intervenue à droit constant.

Il apparaît toutefois sur ce point que la modification rédactionnelle apportée à l'article L 7322-1 du code du travail, tel qu'il résultait de l'ordonnance du 12 mars 2007, avait été uniquement motivée par le souci d'apporter une clarification de rédaction, de sorte que la recodification s'est effectuée à droit constant et qu'en conséquence, l'abrogation d'une loi à la suite de sa codification à droit constant, ne modifie ni la teneur ni la portée des dispositions transférées.

Dans ces conditions, il apparaît que, contrairement à ce qu'affirme la société DCF, les gérants non salariés bénéficient de tous les avantages accordés aux salariés par la législation sociale.

C'est ainsi qu'ils sont inscrits au régime général de sécurité sociale , bénéficient d'une adhésion à une mutuelle et des prestations sociales au même titre que les salariés et bénéficie d'un régime d'épargne salariale.

Les époux [V] indiquent que les horaires d'ouverture des magasins leur étaient imposés par la société DCF et qu'ils effectuaient chacun de 72 à 80 heures par semaine.

De son côté, la société DCF affirme qu'elle n'a jamais imposé les horaires d'ouverture et que l'exercice d'un contrôle ou d'un décompte de la durée du travail est en effet incompatible avec la statut de gérant non-salarié et la libre détermination de leurs conditions de travail, de sorte que la charge de la preuve des heures supplémentaires incomberait exclusivement aux gérants non salariés.

Par ailleurs, elle estime qu'il n'est pas démontré que l'amplitude horaire d'ouverture du magasin se confonde avec le temps de travail effectif réalisé par chacun d'eux.

Il apparaît, toutefois, d'abord que la société DCF, si elle n'impose pas les conditions de travail, de sorte que le lien de subordination juridique caractérisant l'existence d'un contrat de travail n'a pas été ici retenu, demande néanmoins aux gérants non salariés, concernant les horaires d'ouverture et de fermeture des succursales, de se conformer aux habitudes de la clientèle et aux coutumes locales et fait connaître les horaires d'ouverture sur le site internet, de sorte qu'elle exerce une vérification du respect de l'amplitude horaire dans le cadre du service organisé de succursales qu'elle dirige.

Dans ces conditions, il apparaît que le respect de l'amplitude horaire était soumis à son accord.

Il apparaît ensuite que, contrairement à ce qu'affirme la société DCF, la charge de la preuve des heures accomplies dans le cadre de l'amplitude horaire ne saurait peser sur les seuls appelants mais également sur l'intimé .

Les époux [V] établissement par les pièces qu'ils produisent , qu'à leur arrivée dans la succursale de DEUIL LA BARRE pour la période du 12 août 2009 au 21 mai 2011, ils se sont vus imposer, même s'ils les ont signés, des horaires d'ouverture du magasin 6 jours par semaine, du lundi au samedi de 9 heures à 13 heures et de 15 heures à 20 heures, soit 54 heures d'ouverture, auxquelles ils démontrent que s'ajoutaient 18 heures par semaine de travail supplémentaire du fait des livraisons matinales quotidiennes , de la tenue d'un rayon presse, du rangement, du nettoyage, des opérations de caisse et comptables et des commandes.

Concernant la succursale de VAUX SUR SEINE, pour la période allant du 9 août 2011 au 12 février 2013, le magasin était ouvert de 8 heures à 13 heures du mardi au samedi et le dimanche de 9 heures à 13 heures.

Il est également démontré que la société a publié sur Internet et dans les journaux locaux les horaires d'ouverture du magasin .

La société DCF ne verse cependant aucun élément objectif de contestation sur les éléments produits par les époux [V].

Dans ces conditions, par réformation du jugement déféré, il convient d'accorder aux époux [V] des rappels de rémunération calculée sur la base du SMIC, en tenant compte des repos compensateurs ainsi que des commissions, déduction faite des commissions déjà perçues, de sorte qu'il convient d'allouer à Monsieur [V] la somme de 46 130,47 euros et à Mme [V] celle de 11 961,12 euros.

Il convient également de retenir une rémunération moyenne de référence à hauteur de 34 785,94 euros pour Monsieur [V] et de 5460 euros pour Mme [V].

Sur la rupture des contrats.

Même en l'absence de requalification du contrat, les co-gérants non salariés sont bien fondés, comme il a été rappelé ci-dessus, à solliciter, en application des dispositions de l'article L 782-7 recodifié à droit constant sous les articles L 7322-1 et suivants, le bénéfice des règles protectrices de fond et de forme des articles L 122-4 et suivants devenus L 1233-1 et suivants, relatifs à la rupture du contrat à durée déterminée.

En l'espèce, concernant Monsieur [V], il est démontré que les manquements de la société DCF dans ses obligations contractuelles ont concouru à l'état d'inaptitude de celui-ci.

En effet, il apparaît que dans la succursale de DEUIL LA BARRE, Monsieur [V] a en 6 années d'activité dû faire face à 5 braquages sans qu'aucune mesure de prévention particulière soit prise, enfin sans qu'une visite de reprise soit spontanément entreprise en 2012.

Il est en effet justifié que c'est sur l'intervention de l'inspection du travail que la visite de reprise a finalement été organisée.

Par ailleurs, il est établi au moyen d'un constat d'huissier réalisé dans la succursale de VAUX SUR SEINE, que le local était dans un état lamentable, faute d'entretien et présentait notamment un phénomène de moisissure très important, à l'origine de troubles allergiques pour Monsieur [V].

Dans le cadre de la visite de reprise organisée le 17 octobre 2013 puis le 7 novembre 2013, le médecin du travail a constaté une contre-indication totale du poste avec propositions d'aménagement ou de reclassement, puis une inaptitude totale précisant :

' une inaptitude totale aux tâches du poste de cogérant,

' une inaptitude médicale au contact avec la clientèle, à l'exposition à tout risque de braquage et de violence, donc contre-indication à toutes les tâches du poste,

' une proposition de mutation dans l'entreprise: serait médicalement apte sur un poste commercial, de management ou tout poste administratif,

' une proposition de reclassement : serait médicalement apte à tout nouveau poste ou à toute formation respectant les contre-indications énumérées au point n° 2.

La société DCF a cependant maintenu que le reclassement ne pouvait être envisagé que sur des postes de cogérants mandataires non salariés, sans proposer un autre poste administratif ou de management, alors même que Monsieur [V] avait, dans un courrier du 15 novembre 2013, manifesté sa volonté de travailler, de rester dans le groupe ou de faire toute formation .

Or, la société DCF avait bien l'obligation de se conformer vis-à-vis de Monsieur [V] à l'obligation de reclassement loyal, réel et sérieux, ce qu'elle n'a pas fait , de sorte que le la rupture notifiée à celui-ci le 20 janvier 2013 à effet du 20 juillet 2013 est nulle, produit les effets d'un licenciement nul et ouvre droit à son profit au paiement :

' d'une indemnité de préavis de 9685,38 euros outre les congés payés afférents à hauteur de 968,54 euros,

' d'une indemnité légale de licenciement de 6487,92 euros,

' de la somme de 80 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul.

Monsieur [V] sera débouté de sa demande de dommages et intérêts spécifique au titre de l'exécution de mauvaise foi du contrat, son préjudice étant d'ores et déjà indemnisé au titre du licenciement nul.

Concernant Mme [V], qui était en congé parental au moment où la rupture du contrat lui a été signifié, la rupture du contrat sans préavis ni indemnité , au motif de la clause d'indivisibilité est abusif, de sorte qu'elle produit les effets d'un licenciement abusif et qu'il convient de lui allouer les sommes suivantes :

' 4274 euros au titre de l'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement,

' 10 274,44 euros au titre de l'indemnité de préavis et 1027,44 euros au titre des congés payés afférents,

' 6499,15 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,

' 80 000 euros au titre de l'indemnité de licenciement abusif.

Il convient enfin de rejeter la demande de communication des droits sociaux conformes à la qualification retenue, en ce que la demande de requalification en contrat de travail a été rejetée.

Il serait inéquitable de laisser à la charge des époux [V] leurs frais non recouvrables.

PAR CES MOTIFS.

LA COUR,

Statuant publiquement par décision contradictoire, après en avoir délibéré,

CONFIRME le jugement déféré en ce qu'il a débouté les époux [V] de leur demande de requalification du contrat de gérance mandataire non salarié en contrat de travail à durée indéterminée et de leur demande de rappels de salaire conventionnel sur la base de la convention collective du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire Agent de maîtrise niveau VI ainsi que le paiement de commissions non versées sur la base de salaires dûs,

LA REFORME sur le surplus des dispositions,

Statuant à nouveau :

DIT que la rupture du contrat de Monsieur [V] est nulle,

CONDAMNE la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE à payer à Monsieur [V] :

- la somme de 9685,38 euros au titre du préavis outre 968,54 euros au titre des congés payés afférents,

- la somme de 6487,92 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

- la somme de 80 000 euros au titre du licenciement nul,

- la somme de 46 130,47 euros au titre de la rémunération sur la base du SMIC, des heures accomplies et repos compensateurs, déduction faite des commissions déjà perçues,

DEBOUTE Monsieur [V] de sa demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat,

DIT que la rupture du contrat de Mme [V] est abusive,

CONDAMNE la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE à payer à Mme [V] :

- la somme de 4274 euros à titre d'indemnité pour non-respect du licenciement,

- la somme de 10 274,44 euros au titre du préavis et 1027,44 euros au titre des congés payés afférents,

- la somme de 6499,15 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

- la somme de 80 000 euros à titre de licenciement abusif,

- la somme de 11 961,12 euros au titre de la rémunération sur la base du SMIC, des heures accomplies et repos compensateurs, déduction faite des commissions déjà perçues,

DEBOUTE Monsieur et Madame [V] du surplus de leurs demandes plus amples ou contraires,

CONDAMNE la société DCF à payer à Monsieur et Madame [V] pour chacun la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

LA CONDAMNE aux dépens d'appel.

LA GREFFIÈRELa PRESIDENTE

Christine SENTISElizabeth POLLE-SENANEUCH


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale c
Numéro d'arrêt : 15/08739
Date de la décision : 16/12/2016

Références :

Cour d'appel de Lyon SC, arrêt n°15/08739 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-12-16;15.08739 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award