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09/12/2016 | FRANCE | N°15/01194

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale c, 09 décembre 2016, 15/01194


AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE







R.G : 15/01194





[E]



C/

SAS FEDERALMOGUL SEALING SYSTEMS DEVENUE LA SOCIETE SOLYEM







APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON

du 13 Janvier 2015

RG : F14/00275











COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE C



ARRÊT DU 09 DECEMBRE 2016













APPELANT :



[O] [E]

le [Date naissance 1] 1959 à [Localité 1] ( MADAGASCAR)

[Adresse 1]

[Adresse 2]



comparant en personne, assisté de Me Thomas NOVALIC, avocat au barreau de LYON substitué par Me Yann BARRIER, avocat au barreau de LYON







INTIMÉE :



SASU FEDERAL MOGUL SEALING SYSTE...

AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE

R.G : 15/01194

[E]

C/

SAS FEDERALMOGUL SEALING SYSTEMS DEVENUE LA SOCIETE SOLYEM

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON

du 13 Janvier 2015

RG : F14/00275

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE C

ARRÊT DU 09 DECEMBRE 2016

APPELANT :

[O] [E]

né le [Date naissance 1] 1959 à [Localité 1] ( MADAGASCAR)

[Adresse 1]

[Adresse 2]

comparant en personne, assisté de Me Thomas NOVALIC, avocat au barreau de LYON substitué par Me Yann BARRIER, avocat au barreau de LYON

INTIMÉE :

SASU FEDERAL MOGUL SEALING SYSTEMS DEVENUE LA SOCIETE SOLYEM SAINT PRIEST

[Adresse 3]

[Adresse 4]

représentée par Me Marie-laurence BOULANGER de la SCP FROMONT BRIENS, avocat au barreau de LYON substituée par Me MARIANDE BERNARDIS, avocat au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 21 Octobre 2016

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Elizabeth POLLE-SENANEUCH, Président

Chantal THEUREY-PARISOT, Conseiller

Marie-Christine DE LA SALLE, Conseiller

Assistés pendant les débats de Christine SENTIS, Greffier.

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 09 Décembre 2016, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Elizabeth POLLE-SENANEUCH, Président, et par Christine SENTIS, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*************

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

La S.A.S. FEDERAL MOGUL SEALING SYSTEMS, devenue la société SOLYEM, fabrique des joints destinés à l'étanchéité des moteurs automobiles sur son site de SAINT-PRIEST, et elle a utilisé pour cette fabrication de l'amiante blanche jusqu'en 1994.

Par arrêté ministériel du 3 juillet 2000, son établissement de SAINT-PRIEST a été inscrit sur la liste des établissements ouvrant droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante pour la période de 1916 à 1994.

M. [O] [E] a été embauché au sein de l'établissement de [Localité 2] à compter du 1er avril 1981 en qualité d'opérateur puis de régleur process ; il a quitté la société dans le cadre d'un départ en préretraite le 31 décembre 2014.

Agissant selon requête du 24 janvier 2014, M. [O] [E] a saisi le Conseil de prud'hommes de Lyon d'une demande visant à voir reconnaître le manquement de son employeur à son obligation de sécurité ainsi que son exposition à l'amiante et à en être indemnisé.

Statuant selon jugement du 13 janvier 2015, le Conseil de prud'hommes de Lyon a débouté M. [O] [E] de toutes ses demandes.

M. [O] [E] interjeté appel de ce jugement le 10 février 2015.

Il demande à la Cour de réformer le jugement déféré, de dire que la société SOLYEM a manqué à son obligation de sécurité, qu'il a été exposé à l'amiante jusqu'à son départ de l'entreprise en décembre 2014 , et qu'il a subi un préjudice d'anxiété indéniable ; il sollicite la condamnation de cette société à lui payer les sommes de :

*50'000 € à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité,

*150'000 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice anxiété,

*2000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Il considère que son employeur a manqué aux règles élémentaires de santé et de sécurité au travail en faisant valoir :

- qu'il est entré au service de la société SOLYEM alors qu'il était âgé de 22 ans et qu'il était notamment chargé de découper des plaques d'amiante pour la fabrication de joints automobiles, pour des séries de 10 à 15'000 pièces par jour, sans protection particulière

-que cette société, pourtant parfaitement informée des risques liés à l'amiante, a laissé ses salariés inhaler cette substance hautement toxique,

-que des prélèvements effectués postérieurement à 1994 démontrent que la présence d'amiante a perduré bien au-delà de cette date et que les comptes-rendus de réunion du CHSCT ne font état d'aucune autre action concrète destinée à réduire les risques pour la santé des salariés, que jusqu'en 1987 ces derniers travaillaient simplement protégés par une blouse bleue, que le port de chaussures et de vêtements de protection n'a été rendu obligatoire qu'à la fin des années 1990, que ce n'est qu'au début de l'année 2000 qu'ils se sont vu remettre des gants dont la qualité permettait de diminuer le risque de coupure et et que les masques mis à leur disposition n'évitaient pas les inhalations de poussière.

Il ajoute concernant sa demande au titre du préjudice anxiété :

-que son action n'est pas prescrite malgré la réduction du délai de prescription de 30 à 5 ans par la loi du 17 juin 2008 dans la mesure, d'une part, où la société SOLYEM n'apporte pas la preuve d'une information claire et précise délivrée à son salarié sur les risques pour sa santé et sur ses droits dès son embauche et où, d'autre part, la persistance du risque est avérée bien après 1994 ainsi que cela ressort des procès-verbaux des réunions du CHSCT du 21 juin 2012 et du 19 juillet 2012 ainsi que de la note de service du 26 février 2015,

-qu'il n'est pas atteint d'une maladie professionnelle causée par l'amiante mais qu'il y a été exposé pendant plus de 30 ans et qu'il est contraint de suivre des examens médicaux réguliers pour détecter l'apparition toujours possible d'une pathologie en lien avec cette exposition, que de nombreux collègues en ont toutefois développé et que certains en sont même décédés,

-qu'il se trouve ainsi dans une situation d'inquiétude permanente, renforcée par le fait qu'il est chargé de famille.

La société SOLYEM demande en réplique à la Cour :

-de confirmer le jugement déféré et en conséquence de déclarer les demandes de M. [O] [E] irrecevables car prescrites

- de relever l'absence d'un quelconque manquement à son obligation de sécurité,

-de constater l'absence d'élément démontrant un préjudice lié à la crainte de développer une pathologie liée à l'exposition aux poussières d'amiante,

-de condamner M. [N] [U] au paiement de la somme de 1500 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle observe à titre principal :

- que la Cour de Cassation a récemment précisé, par plusieurs arrêts du 2 juillet 2014, que le préjudice d'anxiété naît à la date à laquelle le salarié a eu connaissance de l'arrêté ministériel d'inscription de l'activité sur la liste des établissements permettant la mise en oeuvre de l'ACAATA,

- que les salariés ont en l'espèce été informés de la présence d'amiante et de la dangerosité potentielle de l'inhalation de ces poussières dès l'année 1977 au cours de laquelle des actions préventives ont été mises en oeuvre (achat d'un appareil d'analyse microscopique et achat de 2 pompes pour les prélèvements) et que la prescription trentenaire était largement acquise lorsque M. [O] [E] a saisi le conseil des prud'hommes, puisqu'il a intégré l'entreprise le 1er avril 1981.

Elle conteste subsidiairement avoir manqué à son obligation de sécurité et soutient avoir pris à cet égard, dès la parution du décret du 17 août 1977 relatifs aux mesures d'hygiène applicables dans les établissements où le personnel est exposé à l'action des poussières d'amiante, toutes les dispositions propres à protéger ses salariés.

Elle rappelle que l'action du salarié visant à voir reconnaître l'existence d'un préjudice anxiété s'inscrit dans le respect des règles générales du droit de la responsabilité civile, elle conteste avoir commis la moindre faute personnelle susceptible d'engager sa responsabilité et observe que M. [O] [E] n'apporte aucun justificatif du préjudice dont il se prévaut alors même qu'il présente des demandes exorbitantes.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé, pour un plus ample exposé des moyens des parties, aux conclusions qu'elles ont soutenues oralement lors de l'audience.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1/ sur le préjudice d'anxiété :

La loi n°2008-561 du 17 juin 2008 a réduit à 5 ans le délai de prescription des actions personnelles ou mobilières ; ce nouveau délai court à compter du jour où le titulaire a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer et il s'applique aux prescriptions en cours à compter de son entrée en vigueur, sans que la durée totale puisse excéder celle de 30 ans prévue par la loi antérieure.

Le préjudice d'anxiété, qui ne résulte pas de la seule exposition à un risque, est constitué par les troubles psychologiques qu'engendre la connaissance de ce risque par le salarié; il naît à la date à laquelle le salarié a eu connaissance de l'arrête ministériel d'inscription de son employeur sur la liste permettant la mise en oeuvre de l'ACAATA (date de publication de l'arrêté).

Il est constant en l'espèce que le site de [Localité 2] où M. [O] [E] a exercé, a été inscrit sur la liste des établissements permettant la mise en oeuvre de l'ACAATA par arrêté du 3 juillet 2000 publié le 16 juillet 2000.

Compte tenu des dispositions transitoires de la loi précitée du 17 juin 2008 , la prescription s'est en conséquence trouvée acquise en l'espèce, le 18 juin 2013.

M. [O] [E] ayant engagé son action devant le Conseil de prud'hommes de Lyon le 24 janvier 2014, il est manifestement prescrit en sa demande.

2/ Sur l'obligation de sécurité :

Selon les dispositions de l'article L4121-1 du code du travail, l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Il est démontré en l'espèce, à lecture du compte rendu de la réunion du CHSCT du 21 juin 2012, que si la S.A.S. FEDERAL MOGUL SEALING SYSTEMS, devenue la société SOLYEM, a cessé en 1994 d'utiliser de l'amiante pour fabriquer ses joints d'étanchéité, elle n'a pas pris toutes les mesures propres à préserver la santé physique et mental de ses salariés.

Elle s'est en effet volontairement abstenue en 2009, en raison du coût de l'opération chiffrée à environ 4 M€, de faire procéder au désamiantage de son site, notamment de la zone déchets métal élastomère et de la toiture, alors même qu'elle savait que des entrées de fibres d'amiante en atelier étaient encore possibles par la verrière et ont d'ailleurs été constatées à l'occasion de contrôles réguliers d'empoussièrement ; le dernier contrôle produit aux débats en date du 1er juin 2013, soit près de vingt ans après l'abandon de l'amiante dans les processus de fabrication, fait encore état de la présence de fibres de chrysolite.

Elle a ainsi, et en toute connaissance de cause, laissé perduré un risque grave pour ses salariés, et manqué durablement à son obligation de sécurité à leur égard.

Il résulte de ces différentes considérations d'une part que la demande présentée par M. [O] [E] sur ce fondement n'est pas prescrite, et, d'autre part, qu'elle est parfaitement fondée en son principe.

Ce salarié a été soumis pendant plus de 30 ans et jusqu'à la fin de sa carrière à l'inhalation de poussières d'amiante ; le risque de développer une pathologie inhérente à cette exposition demeure et il est contraint à ce titre de se soumettre à vie à des examens médicaux réguliers pour en détecter l'éventuelle apparition.

Il convient en conséquence de réformer sur ce point la décision déférée et d'allouer à M. [O] [E] la somme de 50 000 € à titre de dommages et intérêts.

3/ Sur les demandes annexes :

Il serait contraire à l'équité de laisser M. [O] [E] supporter seul l'entière charge de ses frais irrépétibles.

La société SOLYEM, qui succombe dans la procédure, en supportera tous les dépens.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et après en avoir délibéré,

Réforme le jugement rendu le 13 janvier 2015 par le Conseil de prud'hommes de Lyon en ce qu'il a débouté M. [O] [E] de l'intégralité de ses demandes,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Déclare M. [O] [E] prescrit en sa demande d'indemnisation de son préjudice d'anxiété,

Dit que la S.A.S. FEDERAL MOGUL SEALING SYSTEMS, devenue la société SOLYEM a manqué à son obligation de sécurité,

La condamne à verser à M. [O] [E] la somme de 50 000 € à titre de dommages et intérêts,

La condamne à verser à M. [O] [E] la somme de 2000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

La condamne aux dépens de première instance et d'appel.

LA GREFFIÈRELa PRESIDENTE

Christine SENTISElizabeth POLLE-SENANEUCH


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale c
Numéro d'arrêt : 15/01194
Date de la décision : 09/12/2016

Références :

Cour d'appel de Lyon SC, arrêt n°15/01194 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-12-09;15.01194 ?
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