La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

08/03/2016 | FRANCE | N°14/04736

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale a, 08 mars 2016, 14/04736


AFFAIRE PRUD'HOMALE



DOUBLE RAPPORTEURS





R.G : 14/04736





SOCIETE GROUPE PIZZORNO ENVIRONNEMENT



C/

[N]

Syndicat GENERAL DES TRANSPORTS DU RHONE CFDT







APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de prud'hommes - Formation de départage de LYON

du 20 Mai 2014

RG : F11/02610







COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE A



ARRÊT DU 08 MARS 2016







APPELANTE :



SOCIETE GROUPE PIZ

ZORNO ENVIRONNEMENT

MR [O], directeur d'exploitation

[Adresse 1]

[Localité 1]



comparante en personne, assistée de Me Maxime DE MARGERIE de la SELARL CAPSTAN PYTHEAS, avocat au barreau de MARSEILLE



INTIMÉS :



[U] [N]

né le [Date naissanc...

AFFAIRE PRUD'HOMALE

DOUBLE RAPPORTEURS

R.G : 14/04736

SOCIETE GROUPE PIZZORNO ENVIRONNEMENT

C/

[N]

Syndicat GENERAL DES TRANSPORTS DU RHONE CFDT

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de prud'hommes - Formation de départage de LYON

du 20 Mai 2014

RG : F11/02610

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE A

ARRÊT DU 08 MARS 2016

APPELANTE :

SOCIETE GROUPE PIZZORNO ENVIRONNEMENT

MR [O], directeur d'exploitation

[Adresse 1]

[Localité 1]

comparante en personne, assistée de Me Maxime DE MARGERIE de la SELARL CAPSTAN PYTHEAS, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMÉS :

[U] [N]

né le [Date naissance 1] 1975 à [Localité 2] (MAROC)

[Adresse 2]

[Localité 3]

représenté par Me Georges MEYER de la SELARL DELGADO & MEYER, avocat au barreau de LYON

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2014/026649 du 25/09/2014 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de LYON)

Syndicat GENERAL DES TRANSPORTS DU RHONE CFDT

[Adresse 3]

[Localité 4]

représentée par Me Georges MEYER de la SELARL DELGADO & MEYER, avocat au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 12 Janvier 2016

Michel BUSSIERE, Président et Agnès THAUNAT, Conseiller, tous deux magistrats rapporteurs, (sans opposition des parties dûment avisées) en ont rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistés pendant les débats de Sophie MASCRIER, Greffier.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

- Michel BUSSIERE, président

- Agnès THAUNAT, conseiller

- Marie-Christine DE LA SALLE, conseiller

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 08 Mars 2016 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Michel BUSSIERE, Président et par Sophie MASCRIER, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

********************

Monsieur [U] [N] a été embauché le 1er juin 2009 pour une durée indéterminée, avec reprise d'ancienneté au 3 septembre 2005, en qualité d'équipier de collecte par la société GROUPE PIZZORNO ENVIRONNEMENT spécialisée dans la prestation de nettoiement suite à une reprise du marché de collecte d'ordures ménagères.

Il reconnaît avoir participé, avec de nombreux collègues de travail, à un mouvement de grève le 4 mars 2011 ensuite reconduit les jours suivants jusqu'au 7 mars 2011.

Convoqué les 9 et 11 mars 2011 à un entretien préalable reporté au 4 avril 2011 en vue de son licenciement, il a été licencié pour faute lourde par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 7 avril 2011 pour le motif ainsi énoncé :

« Lors de cet entretien, nous avons développé ensemble le détail des faits qui vous étaient reprochés :

- Le 04 mars 2011 à 8h30 a été constaté par huissier un blocage de l'entrepôt situé dans la zone d'activité [Adresse 4] en empêchant tout mouvement de véhicule.

- Après s'être présenté en déclinant ses noms, demeure, qualité et objet de mission, l'huissier à constater que Monsieur [R] s'opposait à ce que le camion quitte le site. A ce moment-là, Monsieur [N] [Q] a indiqué que personne ne quitterait l'entrepôt.

- Après avoir indiqué par voie d'huissier que le blocage du site constituait une infraction, Monsieur [N] [Q] a poursuivi en indiquant que tout le personnel était gréviste.

- Monsieur [N] [U] a également déclaré qu'il refusait que les camions quittent le site.

- Monsieur [I] a été alors interrogé et a déclaré à son tour qu'il refusait également que les camions quittent le site et encore à son tour Monsieur [H] [X] faisait la même déclaration.

- Lors de son constat, l'huissier a constaté que Monsieur [Q] [N] faisait forte pression sur deux salariés se déclarant non-grévistes en leur rappelant y'a personne qui sort, personne ne sortira de l'entrepôt, nous sommes en grève.

- Lors de ce mouvement, une partie des salariés de l'entreprise a cessé le travail sans préavis ni déclaration préalable de grève, ni revendication et refusait le dialogue avec la responsable d'Exploitation du site, Mme [T] [D].

Monsieur [U] [N] lors de cet entretien ne nous a fourni aucun élément ni aucune explication nous permettant de modifier notre appréciation des faits. Malgré le rapport d'expert relatant les faits, Monsieur [U] [N] soutient que les faits reprochés sont faux, et que le rapport d'huissier n'est pas recevable. Il reconnaît avoir fait grève, sans pour autant faire d'entrave à la liberté de travail .

Ainsi, n'ayant eu aucun élément nouveau au cours de cet entretien et n'ayant pas reçu de votre part d'explications concernant cette attitude, cela ne nous a pas permis de modifier notre appréciation des faits reprochés.

En conséquence, nous sommes amenés à vous notifier par la présente votre licenciement pour faute lourde, fondé sur les éléments suivants (faits et personnel participant ayant été clairement établis par acte d'huissier) :

- Entrave à la liberté du travail, en effet par vos actes, vous vous êtes opposé au travail d'autrui.

- Participation personnelle à la fermeture des accès du site et obstacle à toute entrée ou sortie des véhicules, ce qui a entraîné la désorganisation de l'entreprise.

- Forte pression sur les salariés se déclarant non-gréviste' »

Monsieur [N] et le Syndicat Général des Transports du Rhône CFDT (SGTR CFDT) ont contesté le bien-fondé de la rupture du contrat de travail en saisissant le 9 juin 2011 la juridiction prud'homale de demandes tendant à l'annulation du licenciement et à la condamnation de la société GROUPE PIZZORNO ENVIRONNEMENT à payer les sommes suivantes :

A Monsieur [N] :

- 1.538,44 € à titre d'indemnité compensatrice de congés payés ;

- 3.597,16 € à titre d'indemnité de préavis, outre 359,72 € au titre des congés payés afférents ;

- 2.068,30 € à titre d'indemnité de licenciement ;

- 21.600,00 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif ;

- 1.600,00 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Au Syndicat Général des Transports du Rhône CFDT :

- 4.000,00 € à titre de dommages-intérêts pour l'atteinte portée à l'intérêt collectif de la profession ;

- 1.600,00 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La société GROUPE PIZZORNO ENVIRONNEMENT s'est opposée à leurs demandes et a sollicité l'octroi de la somme de 2.000,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile .

Par jugement rendu le 20 mai 2014, le conseil de prud'hommes de Lyon, section commerce , dans sa formation de départage , a :

' Déclaré abusif le licenciement de Monsieur [N] ;

En conséquence,

' Condamné la société GROUPE PIZZORNO ENVIRONNEMENT à payer à Monsieur [N] les sommes suivantes :

- 1.538,44 € à titre d'indemnité compensatrice de congés payés,

- 3.597,16 € à titre d'indemnité de préavis, outre 359,72 € au titre des congés payés afférents ;

- 2.068,30 € au titre de l'indemnité de licenciement ;

- 13.000,00 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif ;

' Condamné la société GROUPE PIZZORNO ENVIRONNEMENT à remettre à Monsieur [N] une attestation PÔLE EMPLOI rectifiée mentionnant le versement des créances salariales précitées ;

' Condamné la société GROUPE PIZZORNO ENVIRONNEMENT à payer à Monsieur [N] la somme de 750,00 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

' Fixé le salaire mensuel moyen de Monsieur [N] au cours des trois derniers mois de son exercice professionnel à la somme de 1.618,28 € ;

' Prononcé l'exécution provisoire ;

' Rejeté les autres demandes ;

' Condamné la société GROUPE PIZZORNO ENVIRONNEMENT à rembourser à PÔLE EMPLOI la totalité des indemnités de chômage versées à Monsieur [N] du jour de son licenciement à celui du jugement dans la limite de six mois d'indemnités ;

' Condamné la société GROUPE PIZZORNO ENVIRONNEMENT aux dépens comprenant les sommes visées à l'article 43 de la loi du 10 juillet 1991.

Par lettre recommandée en date du 10 juin 2014 enregistrée au greffe le lendemain, la société GROUPE PIZZORNO ENVIRONNEMENT a régulièrement interjeté appel de ce jugement qui lui avait été notifié le 22 mai 2014. Elle en demande l'infirmation par la cour en reprenant oralement à l'audience du 12 janvier 2016 par l'intermédiaire de son conseil les conclusions qu'elle a transmises le 19 mars 2015 et auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé de ses prétentions et moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, et tendant à :

A titre principal :

Dire et juger, au besoin constater , que l'arrêt de travail du 4 mars 2011 ne peut être qualifié de mouvement de grève mais qu'il s'agit d'un mouvement illicite ;

Dire et juger bien fondé le licenciement pour faute lourde de Monsieur [N] ;

En conséquence,

Réformer le jugement entrepris sauf lorsqu'il a reconnu que le mouvement ne pouvait être qualifié de grève ;

Débouter Monsieur [N] ;

Le condamner à verser à la société GROUPE PIZZORNO ENVIRONNEMENT la somme de 2.000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

A titre subsidiaire,

Dire et juger que le comportement de Monsieur [N] constitue une faute grave ;

En conséquence,

Limiter la condamnation de la société GROUPE PIZZORNO ENVIRONNEMENT à la somme de 1.538,44 € à titre d'indemnité de congés payés.

Monsieur [N] a pour sa part fait reprendre à cette audience par l'intermédiaire de son conseil les conclusions qu'il a fait déposer le 22 décembre 2015 et auxquelles il est pareillement référé pour l'exposé de ses prétentions et moyens, aux fins de voir :

Confirmer le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a :

- jugé illicite le mouvement de cessation de travail auquel Monsieur [N] a participé,

- limité à la somme de 13.000,00 € le quantum des dommages-intérêts dû pour licenciement abusif ,

- rejeté la demande d'indemnisation formulée par le syndicat SGTR CFDT en réparation de l'atteinte portée à l'intérêt collectif de la profession qu'il défend ;

Statuer à nouveau et,

Dire et juger que le mouvement de cessation de travail auquel Monsieur [N] a participé est une grève ;

Dire et juger que son licenciement est nul , ou à tout le moins sans cause réelle et sérieuse, et a fortiori, ne repose pas sur une faute lourde ;

Condamner en conséquence la société GROUPE PIZZORNO ENVIRONNEMENT à payer à Monsieur [N] la somme de 21.600,00 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul, ou à tout le moins sans cause réelle et sérieuse;

Condamner la société GROUPE PIZZORNO ENVIRONNEMENT à payer au Syndicat Général des Transports Routiers du Rhône CFDT la somme de 4.000,00 € à titre de dommages-intérêts pour l'atteinte portée à l'intérêt collectif de la profession ;

Dire et juger que les condamnations à intervenir porteront intérêts au taux légal à compter de la demande en justice ;

Condamner la société GROUPE PIZZORNO ENVIRONNEMENT à payer respectivement à Monsieur [N] et au Syndicat Général des Transports Routiers du Rhône CFDT une somme de 1.600,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner la même aux entiers dépens.

SUR CE,

La Cour,

Attendu que le conseil de prud'hommes a jugé que si le mouvement collectif de cessation du travail qui a conduit à la rupture du contrat de travail de Monsieur [N] était illicite en raison de l'absence de préavis de grève déposé, il a en revanche considéré son licenciement abusif ;

que Monsieur [N] et le Syndicat Général des Transports Routiers du Rhône CFDT soutiennent pour leur part que la grève était licite et qu'aucune faute lourde ne peut être reprochée au salarié de sorte que son licenciement est nécessairement nul par application de l'article L. 2511-1 du code du travail ;

1°) Sur la demande de nullité du licenciement :

Attendu que la grève est habituellement définie comme une cessation collective et concertée du travail en vue d'appuyer des revendications professionnelles dont l'employeur a eu connaissance ;

qu'il est de jurisprudence constante que l'exercice normal du droit de grève, qui n'est soumis

en droit commun à aucun préavis, nécessite l'existence de revendications professionnelles dont l'employeur doit avoir connaissance au moment de l'arrêt de travail ;

que l'article L. 2512-1 du code du travail énonce cependant l'exigence d'un préavis pour

« les personnels des entreprises, des organismes et des établissements publics ou privés lorsque ces entreprises, organismes et établissements sont chargés de la gestion d'un service public » ;

Attendu qu'en l'espèce, Monsieur [N] prétend que les revendications à l'origine du mouvement de grève étaient parfaitement connues de la direction de la société GROUPE PIZZORNO ENVIRONNEMENT par un tract du syndicat CGT qu'il verse aux débats ;

que l'employeur, qui dément qu'un document, texte ou tract lui ait été remis de sorte qu'il n'a été informé d'aucune revendication préalable à l'arrêt de travail , fait observer que le tract produit aux débats n'est ni daté ni signé et ne mentionne nullement qu'il concernerait les salariés de l'entreprise GROUPE PIZZORNO ENVIRONNEMENT, paraissant avoir été établi dans l'urgence pour les besoins de la cause ou pour un autre conflit ;

qu'il mentionne en outre l'attribution de chèques-vacances pour tous les salariés qui étaient présents en 2011 dans l'entreprise, sous-entendant que l'année 2011 était terminée, alors même que le conflit a débuté le 4 mars 2011 ;

que dans ces conditions il ne peut être retenu ;

Attendu que Monsieur [N] fait encore valoir que l'employeur connaissait les revendications des grévistes ainsi qu'en attestent les déclarations du directeur d'exploitation de la société retranscrites dans un article de presse du journal LE PROGRÈS « renvoyant les revendications salariées au résultat de la NAO » ;

que Monsieur [O] conteste cependant avoir employé ces termes qui ne correspondent qu'à une interprétation du journaliste ;

qu'en tout état de cause, le fait que les revendications aient été évoquées par un journaliste ne constitue pas la preuve que l'employeur en ait eu connaissance avant la cessation du travail ;

que dans ces conditions, Monsieur [N] ne justifie pas de l'existence de revendications qui auraient été portées préalablement à la connaissance de l'employeur de sorte que le mouvement collectif d'arrêt de travail était illicite, quand bien même l'Inspection du Travail, saisie d'une demande d'autorisation de licenciement du délégué syndical leader du mouvement, a confirmé la qualification de grève, que le tribunal administratif qui a statué sur le recours formé à l'encontre de cette décision a considéré que l'intéressé avait commis des fautes détachables de l'exercice normal du droit de grève dont il avait pu user, et que la société GROUPE PIZZORNO ENVIRONNEMENT aurait estimé licite le mouvement de grève pour avoir retenu la qualification de faute lourde au soutien du licenciement alors que, si le mouvement avait été illicite, une faute d'un degré inférieur aurait été plus facile à caractériser ;

Attendu en outre qu'aucun préavis de grève n'a été déposé par les organisations syndicales représentatives, alors que la société GROUPE PIZZORNO ENVIRONNEMENT est chargée de la gestion d'un service public qui entraîne pour les salariés l'obligation de respecter un délai de préavis en application de l'article précité ;

que si Monsieur [N] prétend qu'il ne peut être affirmé avec certitude que la société GROUPE PIZZORNO ENVIRONNEMENT soit assimilée à une entreprise chargée d'un service public, celle-ci justifie que la mission de ramasser les déchets et poubelles sur certains arrondissements de la Ville de [Localité 5] lui a été octroyée à la suite d'un appel d'offre public qui a débouché sur la conclusion d'un marché public ; que la jurisprudence a en outre reconnu que le ramassage des ordures ménagères constitue une mission de service public ;

que, dans ces conditions, la gestion d'un service public dont la société GROUPE PIZZORNO ENVIRONNEMENT a la charge entraîne pour les salariés l'obligation de respecter un délai de préavis ;

Attendu en conséquence qu'en l'absence de revendications préalables à la cessation du travail et de préavis de grève déposé, c'est par une exacte appréciation des éléments de la cause et des pièces produites aux débats que le conseil de prud'hommes a considéré que Monsieur [N] avait participé à un mouvement collectif de cessation du travail illicite ;

qu'il ne peut dès lors se prévaloir des règles protectrices attachées au droit de grève et obtenir à ce titre la nullité de son licenciement sur le fondement de l'article L. 2011-1 du code du travail ; qu'il ne peut qu'être débouté de ce chef de demande ;

2°) Sur la participation de Monsieur [N] à un mouvement illicite :

Attendu que le conseil de prud'hommes a considéré que la participation du salarié à un mouvement illicite, constitutive de ce seul fait d'une faute lourde justifiant le licenciement prononcé, ne pouvait cependant être reprochée à Monsieur [N] dans la mesure où ce grief n'était pas expressément visé dans la lettre de rupture mais n'était présenté « que comme un élément de contexte » ;

Attendu cependant que la société GROUPE PIZZORNO ENVIRONNEMENT soutient qu'une telle lecture de la lettre de licenciement n'est que partielle et à ce titre non recevable dans la mesure où il ressort de cette lettre qu'il a été expressément reproché à Monsieur [N], lors de l'entretien préalable, d'avoir fait partie « des salariés de l'entreprise qui a cessé le travail sans préavis ni déclaration préalable de grève, ni revendication et refusant le dialogue » ;

qu'en outre l'usage de la locution « en conséquence » confirme que le licenciement a pour fondement l'ensemble des faits évoqués précédemment, et notamment la cessation du travail sans préavis ni déclaration préalable ni revendication ;

Mais attendu qu'indépendamment des reproches qui ont pu être formulés lors de l'entretien préalable, la société GROUPE PIZZORNO ENVIRONNEMENT n'a finalement retenu dans la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, que les seuls griefs expressément énoncés, soit l'entrave à la liberté du travail, la participation personnelle à la fermeture des accès du site et l'obstacle à toute entrée ou sortie de véhicules entraînant la désorganisation de l'entreprise, ainsi que la forte pression sur les salariés se déclarant non-gréviste ;

Attendu en outre que la société GROUPE PIZZORNO ENVIRONNEMENT ne justifie pas avoir préalablement informé les salariés du risque encouru à participer, en l'absence de préavis, à un mouvement illicite ;

que si elle affirme que les salariés avaient une parfaite connaissance de l'obligation de respecter un préavis ainsi que cela leur avait été rappelé par une note de service, elle s'abstient cependant de produire cette note aux débats et ne justifie pas davantage de sa diffusion aux salariés de l'entreprise, de sorte qu'aucune faute ne saurait leur être reprochée du seul fait de leur participation à un mouvement de grève illicite ;

que le jugement déféré doit être encore confirmé en ce qu'il a retenu que ce grief, qui n'était pas expressément visé dans la lettre de licenciement, ne pouvait être retenu ;

3°) Sur l'entrave à la liberté du travail, le blocage du site et les pressions faites sur les salariés voulant travailler :

Attendu que pour établir la matérialité des faits reprochés, la société GROUPE PIZZORNO ENVIRONNEMENT produit le constat dressé le 14 mars 2011à sa demande par Maître [E], huissier de justice ;

que Monsieur [N] demande à ce que cette pièce soit écartée des débats dans la mesure où l'huissier de justice aurait excédé ses pouvoirs de constatations pour avoir rappelé à l'un des grévistes « que le droit de grève était autorisé mais que le blocage du site constituait une infraction », privant ainsi son procès-verbal de toute valeur probante, ainsi que l'a considéré le premier juge ;

Mais attendu que, ce faisant, l'huissier n'a fait que préciser les raisons de sa présence sur les lieux à la demande de l'employeur pour établir un constat de toute éventuelle infraction au droit de grève ;

qu'il ne s'est livré à aucune enquête, déduction ou conclusion, mais s'est borné à constater une situation de fait et à relever les déclarations de chacun des intervenants ;

que dans ces conditions son procès-verbal de constat est parfaitement licite et constitue un mode de preuve recevable ;

Attendu qu'il en ressort que le 4 mars 2011 à 8h30 une trentaine de personnes revêtues de vêtements de travail et de gilets fluorescents jaune se trouvait devant le portail ouvert de l'entrepôt de la société GROUPE PIZZORNO ENVIRONNEMENT à [Localité 6] et qu'à l'intérieur étaient stationnés environ 25 véhicules, camionnettes et véhicules légers de l'entreprise ;

qu'un véhicule camionnette a tenté de sortir de l'entrepôt mais qu' « immédiatement le groupe de personnes situé à l'extérieur s'est resserré devant l'entrée empêchant tout mouvement du véhicule» ;

que la personne positionnée la plus au centre du portail, qui a refusé de communiquer son identité à l'huissier, lui a fait connaître qu'elle s'opposait à ce que le camion quitte le site et n'a pas bougé d'un centimètre ;

que Monsieur [N] [Q], se déclarant délégué du personnel CGT, est alors intervenu et a indiqué que personne ne quitterait l'entrepôt, en précisant « il n'y a que du personnel gréviste»;

que l'huissier a ensuite demandé à deux personnes si elles acceptaient ou refusaient que le camion puisse quitter les lieux , et toutes les deux, dont Monsieur [U] [N], ont déclaré qu'elle refusaient que le camion sorte ;

Attendu en conséquence qu'en restant avec le personnel présent devant le portail de l'entreprise et en déclarant refuser qu'un camion sorte du dépôt, Monsieur [N] a personnellement commis une entrave à la liberté du travail pour avoir empêché le passage d'un salarié qui souhaitait sortir avec le véhicule pour travailler ;

Attendu que les constatations de l'huissier sont confirmées par l'attestation de Monsieur [U] [X], chef d'équipe, ainsi rédigée :

« Étant sur les lieux de travail le 4 mars 2011, il a été impossible de quitter le dépôt qui a été bloqué par des véhicules. Mr [H] et Mr [N] nous ont empêché de sortir sur le terrain en bloquant l'accès et nous insister à faire grève avec eux. J'avais beau expliquer que je ne faisais pas partie de leur manifestation et que je suis là pour travailler . Ils m'ont dit personne partira travailler . Nous sommes donc restés bloqués à l'intérieur du dépôt » ;

que Monsieur [I] [Y], chauffeur, a pareillement attesté « que le 4 mars 2011je n'ai pas pu sortir du dépôt pour aller travailler, à cause du mouvement de grève . En effet il y avait entre autres Mr [N] et Mr [H] qui empêchaient les non-grévistes d'aller travailler »;

que Monsieur [Z] [M] , ouvrier, a également déclaré n'avoir pu travailler le 4 mars 2011 lors du mouvement de grève pour la raison qu' « à l'entrée du portail du dépôt, il y avait des véhicules barrant l'accès à celui-ci »;

Attendu que Monsieur [N] a contesté ces attestations en soutenant que le site n'était pas bloqué au motif qu'il existait un second portail qui aurait pu permettre aux camions de sortir du dépôt ;

qu'il produit en outre des attestations antérieures de Monsieur [M], affirmant qu'aucun salarié du GROUPE PIZZORNO ENVIRONNEMENT ne l'avait empêché ou bloqué de quelque manière que ce soit, et de Monsieur [Y] certifiant pareillement qu'aucun salarié ne l'avait empêché de prendre son poste de travail le vendredi 4 mars 2011 car il était lui-même en grève, précisant que Monsieur [H] n'avait exercé aucune pression sur lui pendant la grève ;

qu'il produit enfin les attestations de plusieurs autres salariés confirmant que ni Monsieur [N] ni Monsieur [H] n'avaient entravé la circulation des camions et qu'en conséquence aucune faute ne peut leur être reprochée, ou à tout le moins qu'en présence d'attestations contradictoires, il existe un doute qui doit lui profiter ;

Mais attendu que la société GROUPE PIZZORNO ENVIRONNEMENT justifie par les attestations de Monsieur [R] [Z], chef d'équipe, Monsieur [A] [C], agent de nettoiement , et de Monsieur [P] [W], agent de maintenance , que si le premier portail du dépôt avait été bloqué dans les conditions constatées par l'huissier, les salariés désireux de travailler ne pouvaient sortir du dépôt par le second portail au motif que cette issue était bloquée par deux camions en panne qu'il était impossible de déplacer, ces derniers n'ayant été enlevés qu'un an plus tard ;

qu'en outre, les premières attestations de Messieurs [M] et [Y], témoignant qu'ils n'auraient pas été empêchés de travailler et qu'ils étaient grévistes, ont été rédigées après le licenciement de Monsieur [N] selon toute vraisemblance sous la pression, alors que postérieurement leurs auteurs sont revenus sur leur position en reconnaissant qu'ils avaient bien été empêchés de travailler ;

que leurs dernières déclarations sont au demeurant conformes aux constatations effectuées par l'huissier de justice dans la mesure où il ressort expressément du procès-verbal de constat précité que l'officier ministériel avait à nouveau rencontré à 9h10 Messieurs [Y] et [M] qui lui avaient déclaré qu'ils étaient non-grévistes et qu'ils voulaient travailler , que Monsieur [Y] était remonté dans le camion situé le plus près de la sortie et avait allumé le contact ; que l'officier avait demandé à toutes les personnes situées devant l'entrée si elles acceptaient ou non de laisser sortir ce camion, leur rappelant qu'empêcher ce camion de sortir constituait une entrave à la liberté du travail, que Monsieur [Q] s'était alors rapidement rendu vers le camion où il avait vivement interpellé Monsieur [Y], faisant fortement pression sur lui pour qu'il quitte le véhicule en lui déclarant « y'a personne qui sort, personne ne sortira de l'entrepôt, nous sommes en grève » et que tout le personnel était resté devant l'entrée du portail ;

Attendu que Monsieur [N], qui se trouvait précisément « planté devant le portail », a déclaré à l'huissier refuser la sortie du véhicule de Messieurs [Y] et [M] ;

qu'il a été nommément désigné avec Monsieur [H] par Messieurs [X] et [Y] comme les ayant empêché de sortir le camion du dépôt, dont il bloquait l'accès, pour aller travailler ;

qu'il a en outre, avec Monsieur [H], exercé des pressions à leur égard pour les inciter à ne pas travailler en leur disant que personne ne partira travailler et en les bloquant à l'intérieur du dépôt ;

que le blocage effectif et personnel du site par Monsieur [N], l'entrave à la liberté du travail et les pressions exercées sur les salariés voulant travailler, sont en conséquence démontrés par la société GROUPE PIZZORNO ENVIRONNEMENT ;

Attendu en outre que le caractère fautif du comportement de Monsieur [N] et de ses collègues de travail a été reconnu par le tribunal administratif de Toulon qui a annulé le refus de l'Inspection du Travail d'autoriser le licenciement de Monsieur [Q], représentant du personnel dont le licenciement avait été sollicité par la société GROUPE PIZZORNO ENVIRONNEMENT pour les mêmes motifs , cette juridiction ayant, par jugement rendu le 6 février 2014, considéré que les faits portaient atteinte à une liberté fondamentale et étaient d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement d'un salarié protégé ;

Attendu qu'il importe dès lors d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré abusif le licenciement de Monsieur [N], de dire que les faits reprochés sont établis et constitutifs d'une faute lourde et de débouter le salarié de l'ensemble de ses demandes ;

que dans ces conditions, le Syndicat Général des Transports du Rhône CFDT est mal fondé à prétendre à l'existence d'une atteinte au droit de grève et à l'intérêt de la profession qu'il représente ; que pour ne souffrir ainsi d'aucun préjudice, il ne peut qu'être débouté de sa demande en paiement de dommages-intérêts présentée à ce titre ;

Attendu enfin que l'équité et les ressources financières respectives des parties ne commandent pas qu'il soit fait application en l'espèce des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en faveur de quiconque ;

que Monsieur [N], qui ne voit pas aboutir ses prétentions devant la cour, supporte toutefois la charge des entiers dépens ;

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant contradictoirement par arrêt rendu public par mise à disposition des parties, après que ces dernières aient été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile et après en avoir délibéré conformément à la loi,

CONFIRME le jugement rendu le 20 mai 2014 par le conseil de prud'hommes de Lyon en ce qu'il a constaté que l'arrêt de travail du 4 mars 2011 ne constituait pas un mouvement de grève licite ;

L'INFIRME en ses autres dispositions ,

et statuant à nouveau,

DECLARE bien fondé le licenciement de Monsieur [U] [N] pour faute lourde ;

DEBOUTE Monsieur [U] [N] et le Syndicat Général des Transports du Rhône CFDT de l'ensemble de leurs demandes ;

DIT n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en faveur de quiconque ;

CONDAMNE Monsieur [U] [N] aux entiers dépens de première instance et d'appel .

Le greffierLe président

Sophie MascrierMichel Bussière


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale a
Numéro d'arrêt : 14/04736
Date de la décision : 08/03/2016

Références :

Cour d'appel de Lyon SA, arrêt n°14/04736 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-03-08;14.04736 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award