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29/02/2016 | FRANCE | N°13/09635

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale a, 29 février 2016, 13/09635


AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE







R.G : 13/09635





SAS BRADY GROUPE



C/

[F]







APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON

du 21 Novembre 2013

RG : F 11/05168











COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE A



ARRÊT DU 29 FEVRIER 2016













APPELANTE :



SAS BRADY GROUPE

Mr [G], responsable commercial
<

br>[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Adresse 1]



comparante en personne, assistée de Me Christine CARON-DEBAILLEUL de la SELAS FIDAL, avocat au barreau de LILLE

substituée par Me Elodie MOROY





INTIMÉE :



[H] [F] épouse [V]

née le [Date naissance 1] 1964 à [Localité 1]

[Adre...

AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE

R.G : 13/09635

SAS BRADY GROUPE

C/

[F]

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON

du 21 Novembre 2013

RG : F 11/05168

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE A

ARRÊT DU 29 FEVRIER 2016

APPELANTE :

SAS BRADY GROUPE

Mr [G], responsable commercial

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

comparante en personne, assistée de Me Christine CARON-DEBAILLEUL de la SELAS FIDAL, avocat au barreau de LILLE

substituée par Me Elodie MOROY

INTIMÉE :

[H] [F] épouse [V]

née le [Date naissance 1] 1964 à [Localité 1]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

comparante en personne, assistée de Me Yollande MAISONNIAL, avocat au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 13 Octobre 2015

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Michel BUSSIERE, Président

Agnès THAUNAT, Conseiller

Vincent NICOLAS, Conseiller

Assistés pendant les débats de Sophie MASCRIER, Greffier.

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 29 Février 2016, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Michel BUSSIERE, Président, et par Sophie MASCRIER, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*************

Madame [H] [V] a été embauchée pour une durée indéterminée à compter du 18 mai 1987 en qualité d'assistante export par la société SOFT. Celle-ci ayant été rachetée en 1998 par la société BRADY GROUPE, Madame [V] a signé le 13 septembre 2004 un nouveau contrat de travail à durée indéterminée avec cette dernière société, avec reprise de son ancienneté.

Elle exerçait alors les fonctions d'attachée commerciale, statut technicien, niveau 5, échelon 1 de la Convention collective des Commerces de Gros, sur les secteurs de l'[Localité 2], la [Localité 3], le Nord de l'[Localité 4], l'Est du [Localité 5] ainsi que les arrondissements de [Localité 1].

Le 1er janvier 2009, elle a été promue technico-commerciale itinérante, statut cadre, niveau VII, échelon 2 de la convention collective précitée et s'est vue confier la région Nord [Localité 4], le [Localité 5] sauf la pointe sud ainsi que la seule société FBFC située dans la [Localité 3]. Elle percevait alors une rémunération mensuelle fixe de 1.213,71 € et une rémunération variable calculée sur son chiffre d'affaires personnelles et sur le chiffre d'affaires national.

Aux termes d'un avenant signé le 1er août 2009, son secteur de prospection géographique a été aménagé sur le seul département du [Localité 5] afin de limiter ses déplacements conformément à sa demande aux dires de son employeur.

Le 19 janvier 2011, Madame [V] a été élue déléguée du personnel suppléante dans le collège des cadres, agent de maîtrise et VRP de l'entreprise.

Au mois d'avril 2011, la société BRADY GROUPE a informé ses commerciaux de la mise en place d'une nouvelle stratégie commerciale incluant notamment la création de postes de commerciaux sédentaires. Elle prétend avoir proposé l'un d'entre eux à Madame [V] qui l'aurait refusé, la salariée ayant alors fait part de son ambition de reprendre un poste de commercial exclusivement terrain, et particulièrement celui de Monsieur [X] [T].

Ce dernier ayant quitté l'entreprise dans le cadre d'une rupture conventionnelle, la société BRADY GROUPE indique avoir accédé à la demande de la salariée en lui proposant le poste de Monsieur [T] avec attribution de son secteur et de sa gamme de produits. Elle lui a en conséquence adressée mi-octobre 2011, après le départ de Monsieur [T], un nouveau plan de commissions valant avenant à son contrat travail qu'elle n'a toutefois jamais signé.

Madame [V] prétend pour sa part qu'elle aurait dû signer avant le 1er août 2011, date de commencement de l'exercice fiscal 2011/2012, un avenant à son contrat de travail fixant ses objectifs et sa rémunération variable 2011/2012 dans le cadre de la nouvelle politique commerciale mise en 'uvre, mais qu'aucun document ni aucune information ne lui a été donné par son employeur de sorte qu'elle a travaillé depuis le mois d'août 2011 sans information sur les modifications projetées par son employeur concernant des points essentiels de son contrat de travail.

Elle ajoute avoir reçu par courrier électronique du 27 septembre 2011, ainsi que l'ensemble des commerciaux, un nouveau découpage des secteurs géographiques, et s'être vue ainsi confier subitement 12 départements. Elle a également constaté à la fin du mois de septembre que les commissions qui lui avaient été versées ne correspondaient pas au mode de calcul précédemment en vigueur, et que sa rémunération variable avait été modifiée unilatéralement par son employeur sans qu'elle en ait été informée. Elle précise encore que son principal distributeur lui a été retiré et que le compte d'une autre société importante située dans le [Localité 5] sur son territoire a été attribué à une autre commerciale.

Elle reconnaît avoir reçu le 15 octobre 2011 un avenant à son contrat de travail venant modifier, avec un effet rétroactif au 1er août 2011, de nombreux éléments de son contrat de travail. N'ayant jamais accepté ces modifications, elle n'a pas signé cet avenant pour l'année fiscale 2011/2012.

Elle a encore constaté à la fin des mois d'octobre et de novembre 2011 que sa rémunération variable correspondait à celle découlant du nouvel avenant à son contrat de travail qu'elle n'avait pas accepté et que son employeur persistait à appliquer.

Considérant que ces modifications altéraient substantiellement les bases de sa fonction, son secteur géographique, ses objectifs et leur répartition, la structure et le montant de sa rémunération, Madame [V] indique avoir été contrainte, le 1er décembre 2011, de prendre acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de la société BRADY GROUPE puis, le 7 décembre 2011, de saisir le conseil de prud'hommes de Lyon d'une demande tendant à faire produire à sa prise d'acte les effets d'un licenciement nul et condamner la société BRADY GROUPE à lui payer les sommes de :

- 168,53 € à titre d'indemnité de congés payés pour la période du 1er juin au 2 décembre 2011,

- 18.590,88 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 1.859,09 € au titre des congés payés afférents,

- 40.600,12 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 42.449,18 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 232.386,00 € à titre de dommages-intérêts pour violation du statut protecteur,

- 4.000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société BRADY GROUPE s'est opposée à ses demandes et a sollicité l'octroi de la somme de 2.000,00 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement rendu le 21 novembre 2013, le conseil de prud'hommes de Lyon, section encadrement, a :

Dit et jugé que la prise d'acte de la rupture de Madame [V] est justifiée ;

En conséquence,

Condamné la société BRADY GROUPE à verser à Madame [V] :

- 18.590,88 € au titre de l'indemnité de préavis,

- 1.859,08 € au titre des congés payés afférents,

- 40.600,12 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 168,53 € à titre de solde de congés payés pour la période du 1er juin au

2 décembre 2011,

- 42.449,18 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 232.836,00 € à titre de dommages-intérêts pour violation du statut protecteur,

- 1,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Rappelé que l'exécution provisoire est de droit sur les sommes à caractère salarial et fixé à 6.196,96 € la moyenne des trois derniers mois de salaire ;

Débouté Madame [V] du surplus de ses demandes ;

Débouté la société BRADY GROUPE de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamné la société BRADY GROUPE aux entiers dépens y compris les éventuels frais d'exécution forcée.

Par lettre recommandée en date du 12 décembre 2013 enregistrée au greffe le lendemain, la société BRADY GROUPE a interjeté appel de ce jugement dont elle demande l'infirmation par la cour en reprenant oralement à l'audience du 13 octobre 2015 par l'intermédiaire de son conseil les dernières conclusions qu'elle a transmises le 6 octobre 2015 et auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé de ses prétentions et moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, et tendant à :

Débouter Madame [V] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

La condamner au paiement d'une indemnité compensatrice de préavis correspondant à un montant de 18.590,88 € ;

La condamner à restituer à la société BRADY GROUPE la somme de 52.577,25 € net perçue au titre de l'exécution provisoire du jugement de première instance ;

La condamner au paiement de la somme de 4.000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

La condamner aux entiers dépens ;

A titre subsidiaire,

Réévaluer les demandes de la salariée aux montants suivants :

- 479,79 € à titre d'indemnité compensatrice de congés payés,

14.707,89 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

1.470,79 € à titre d'indemnité de congés payés sur préavis,

37.560,08 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

33.583,01 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

183.848,62 € à titre de dommages-intérêts pour violation du statut protecteur;

La condamner à rembourser à la société BRADY GROUPE le supplément de salaire perçu du fait de l'application des nouvelles modalités de rémunération correspondant à un montant de 5.278,00 € ;

La condamner à restituer à la société BRADY GROUPE la somme de 2.234,88 € net perçue au titre de l'exécution provisoire sur les intérêts de préavis et de licenciement.

Madame [V] a pour sa part fait reprendre à cette audience par l'intermédiaire de son conseil les conclusions qu'elle a transmises le 16 janvier 2015 et auxquelles il est pareillement référé pour l'exposé de ses prétentions et moyens, aux fins de voir :

Dire et juger que Madame [V] apporte la preuve que son contrat de travail et ses conditions de travail ont été modifiés de façon substantielle et sans son accord par la société BRADY GROUPE, modifications qui l'ont conduite à prendre acte de la rupture de son contrat travail ;

Dire et juger que les agissements de la société BRADY GROUPE étaient suffisamment graves pour justifier une prise d'acte de rupture ;

Dire et juger que la prise d'acte de rupture de Madame [V] produit les effets d'un licenciement nul ;

En conséquence,

Confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Lyon en ce qu'il a dit la prise d'acte de rupture justifiée ;

Confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Lyon en ce qu'il a condamné la société BRADY GROUPE à payer à Madame [V] les sommes suivantes:

- 168,53 € à titre d'indemnité compensatrice de congés payés pour la période du 1er juin 2011 au 2 décembre 2011,

18.590,88 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

1.859,09 € à titre d'indemnité de congés payés sur préavis,

40.600,12 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

42.449,18 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

232.386,00 € à titre de dommages-intérêts pour violation du statut protecteur;

A titre très infiniment subsidiaire, sur la base d'un salaire de référence de 4.321,46 €, condamner la société BRADY GROUPE à payer à Madame [V] les sommes suivantes :

168,53 € à titre d'indemnité compensatrice de congés payés pour la période du 1er juin 2011 ou 2 décembre 2011,

12.964,38 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

1.296,44 € à titre d'indemnité de congés payés sur préavis,

40.600,12 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

42.449,18 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

162.054,75 € à titre de dommages-intérêts pour violation du statut protecteur;

Condamner la société BRADY GROUPE à payer à Madame [V] la somme de 6.000,00 € à titre de dommages-intérêts pour perte de chance d'utiliser ses droits à DIF ;

Débouter la société BRADY GROUPE de sa demande en paiement d'une indemnité compensatrice de préavis ;

En tout état de cause,

Infirmer le jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il a condamné la société BRADY GROUPE à ne payer à Madame [V] que la somme de 1,00 € en application de l'article 700 du code de procédure civile et, statuant à nouveau, condamner la société BRADY GROUPE à payer à Madame [V] pour l'instance prud'homale et l'instance devant la cour la somme de 4.000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner la société BRADY GROUPE aux entiers dépens.

SUR CE,

La Cour,

Attendu que, lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les manquements de l'employeur sont suffisamment graves et avérés pour empêcher la poursuite du contrat de travail, soit dans le cas contraire d'une démission exclusive de toute indemnité ;

Attendu que par lettre recommandée avec avis de réception en date du 1er décembre 2011, Madame [V] a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l'employeur, la société BRADY GROUPE, au motif que cette dernière lui avait adressé par courrier reçu le 15 octobre 2011 un avenant à son contrat de travail pour l'exercice fiscal 2012 ayant commencé le 1er août 2011 modifiant de nombreux éléments de son contrat de travail et notamment la structure de sa rémunération, sa rémunération variable, ses objectifs et son secteur géographique ;

qu'à la lecture de cet avenant dénommé « avenant annuel rémunération variable », elle constatait ainsi :

- une modification des produits à commercialiser, avec l'adjonction à la gamme des produits « MRO sécurité » qu'elle avait toujours vendue celle des produits « traçabilité ISST » qu'elle n'avait encore jamais commercialisée, qu'elle ne connaissait pas et pour laquelle elle n'avait reçu aucune formation alors que l'exercice fiscal était commencé depuis quatre mois ;

- une modification de son secteur géographique par l'adjonction de 11 nouveaux départements ;

- le retrait de certains clients de son secteur, dont la société LTM INDUSTRIE et la société RS COMPONENT (RADIOSPARE) qui était son principal distributeur suivi par ses soins depuis 2009 et dont le chiffre d'affaires avait progressé de façon significative ;

- une modification de la répartition de l'objectif annuel, précédemment composé à 50 % d'objectifs collectifs et à 50 % d'objectifs individuels, pour être à présent composé à 60 % d'objectifs individuels et à 40 % d'objectifs collectifs , ce qui peut avoir un impact important sur sa rémunération ;

- une modification de sa rémunération fixe, celle-ci étant à présent inférieure de 99 € par rapport à celle dont elle bénéficiait auparavant ;

- une modification du montant de sa rémunération variable, dans la mesure où celle-ci était calculée dès le premier euro de chiffres d'affaires annuels collectifs ou individuels réalisés, alors que les chiffres d'affaires communs ou individuels doivent à présent être au moins égaux à 75,2 % de ceux réalisés au titre de l'année fiscale 2011, de sorte que la fixation pour la première fois d'un seuil de déclenchement pour le versement de ses commissions va nécessairement avoir un impact important sur leur montant ;

- une modification du système des avances sur rémunération variable désormais plafonnées à 150 % des objectifs communs et individuels sans aucune possibilité de rattrapage trimestriel de sorte qu'en cas de dépassement, le salarié ne serait plus commissionné qu'en fin d'exercice fiscal ;

- une modification des objectifs annuels individuels, en augmentation de 29 %;

- une application rétroactive de ces nouvelles conditions depuis le mois d'août et de septembre 2011 alors qu'elle n'avait pas encore signé l'avenant à son contrat de travail et qu'aucune modification de son contrat de travail ou de ses conditions de travail ne pouvait lui être imposée du fait de sa qualité de déléguée du personnel ;

Attendu en conséquence qu'à l'appui de sa prise d'acte de la rupture de son contrat de travail, Madame [V] fait valoir que son employeur avait modifié de manière substantielle les clauses de son contrat de travail, ce que la société BRADY GROUPE ne conteste pas ;

Mais attendu que l'employeur justifie par les attestations de Monsieur [Y] [G], directeur des ventes et supérieur hiérarchique de la salariée, de Madame [S] [R], assistante commerciale, de Madame [N] [W], « customer service manager, » de Madame [C] [D] et de Madame [D] [M], toutes deux « inside sales », que Madame [V] avait revendiqué le poste de Monsieur [X] [T], collègue de travail qui occupait alors un emploi de

« territory sales manager » ;

que Madame [M] a précisé que « du fait de son ancienneté et de sa position de déléguée du personnel au sein de l'entreprise, elle a lourdement insisté pour que Monsieur [X] [T] soit licencié afin de reprendre son secteur en prétextant que ses résultats n'étaient pas satisfaisants » ;

que Monsieur [T] a lui-même confirmé que « Madame [V], mon ex-collègue de travail, a souhaité avec insistance obtenir mon poste, ce qui a provoqué, après de nombreuses pressions de sa part auprès de la hiérarchie alors en place, mon licenciement » ;

que Madame [W] [Q], directrice des ressources humaines de la société, et Madame [M] ont toutefois précisé avoir été étonnées de cette demande dans la mesure où la salariée avait toujours affirmé ne pas vouloir être sur le terrain et encore moins quitter son domicile pour des raisons familiales, alors que le poste de Monsieur [T] obligeait à de nombreux déplacements sur un secteur géographique étendu ;

que Monsieur [G] a ajouté que Madame [V] « était disposée à prendre un secteur le plus grand, d'accord pour découcher deux nuits par semaine puisque ses enfants étaient maintenant en âge de se garder seuls. Elle m'avait confirmé qu'elle n'aurait aucun mal à faire mieux que Monsieur [T]' » ;

Attendu que Madame [V] qui ne conteste pas expressément avoir sollicité le poste occupé par Monsieur [T], prétend seulement que celui-ci ne lui a jamais été proposé dans la mesure où l'intéressé a quitté la société pour créer sa propre entreprise le 28 octobre 2011 dans le cadre d'une rupture conventionnelle dont le premier entretien a lieu le 19 septembre 2011, alors qu'elle-même a subi les premiers effets de la modification de son contrat de travail dès le mois d'août 2011 ;

qu'en outre, le secteur qui lui a été attribué le 27 septembre 2011 dans le cadre de la nouvelle politique commerciale de la société BRADY GROUPE ne correspondait pas exactement à l'ancien secteur de Monsieur [T], et que ses nouveaux objectifs et la nouvelle rémunération présentés dans l'avenant du 15 octobre 2011 étaient différents de ceux de Monsieur [T], de sorte que son poste ne lui a pas été attribué ;

Attendu cependant que la modification du contrat de travail de Madame [V] est intervenue dans le cadre de la nouvelle politique commerciale mise en place par la société BRADY GROUPE à partir du mois d'août 2011 par une adaptation du poste de Monsieur [T] qu'elle avait sollicité, de sorte que si certaines de ses caractéristiques ont été conservées, d'autres en étaient différentes ;

Attendu qu'ainsi, la société BRADY GROUPE justifie par la production du contrat de travail de Monsieur [T] et de son annexe 2 que le secteur géographique de ce dernier correspond très exactement à celui qui a été attribué à Madame [V] à sa demande, si ce n'est qu'elle a conservé l'intégralité le département du [Localité 5] alors que Monsieur [T] ne disposait que de l'arrondissement de [Localité 6] ;

Attendu en outre que les objectifs et la rémunération de Madame [V] ressortant des modifications intervenues lui étaient plus favorables;

que Monsieur [G] a ainsi attesté le 12 décembre 2011 que « la définition sur mesure de ses deux derniers postes ainsi que la mise en place du nouveau mode de calcul des commissions' lui ont permis en 4 mois de gagner 47 % de plus que l'an dernier sur la même période » ;

qu'à la lecture des fichiers de commissions reçus le 13 décembre 2011 et également produits aux débats, il apparaît que le gain de rémunération de Madame [V] a été en réalité plus important encore pour atteindre 51,53 % ;

que si la société BRADY GROUPE avait prévu un système de plafonnement des avances sur rémunération variable, celui-ci avait été situé à un niveau très élevé que ne pouvaient généralement atteindre les salariés de sorte qu'ils n'en étaient pas lésés ;

qu'en outre Monsieur [T] a attesté « que, sans vergogne, Madame [V] a voulu ce poste, l'a obtenu, et a bénéficié d'un plan de commissions bien plus avantageux que ce qu'elle pouvait avoir avant » ;

qu'enfin Madame [V] connaissait bien le secteur et les produits commercialisés par Monsieur [T] pour avoir revendiqué avec insistance son poste et avoir bénéficié des mêmes informations que ses collègues sur la connaissance des produits ;

qu'elle n'a subi pour l'ensemble de ces raisons aucune perte de salaire mais a bénéficié au contraire d'une rémunération accrue tenant à un mode de calcul de ses commissions qui lui était plus favorable ;

Attendu que l'appelante n'a, au demeurant, jamais manifesté personnellement d'observation ou revendication, ni un quelconque mécontentement à la suite de la modification de son contrat de travail, se bornant au contraire à en poursuivre l'exécution non seulement après le mois d'août 2011 mais encore après que l'avenant correspondant lui ait été transmis le 15 octobre 2011 pour signature, ce qu'elle s'est toutefois abstenue de faire pour régulariser sa situation ;

que Monsieur [G] a encore attesté que la salariée a évoqué à la fin du mois d'octobre 2011 son souhait de quitter la société afin de bénéficier d'un poste dans la société de son mari, étant désolée de cette situation tenant à ce que la proposition lui avait été faite après l'accord du départ négocié de son collègue Monsieur [T] ; qu'à son tour, elle avait souhaité bénéficier d'une rupture conventionnelle qui n'avait pas été acceptée par l'employeur dans la mesure où son départ n'avait d'intérêt que pour elle ; qu'elle a encore participé les 9 et 10 novembre 2011 à une réunion de vendeurs et à partager un dîner avec Monsieur [G] auquel elle n'a fait part à aucun moment de ses intentions, puis le lendemain à une réunion avec ses collègues pour la mise en place de la stratégie de l'entreprise ;

Attendu que c'est en conséquence par une juste analyse des éléments de la cause que le conseil de prud'hommes a considéré que, pour ne pas avoir signé l'avenant à son contrat de travail alors qu'elle connaissait parfaitement les modifications puisque c'est elle qui avait demandé le poste, « le respect de son obligation de loyauté par Madame [V] vis-à-vis de la SAS BRADY GROUPE n'est pas évident » ;

que les premiers juges se sont toutefois abstenus de tirer les conséquences de cette constatation pour avoir estimé que la modification de la rémunération et des objectifs annuels de la salariée ainsi que de son secteur géographique avant la signature de l'avenant à son contrat de travail constituaient des faits suffisamment contraires au droit pour justifier sa prise d'acte de la rupture ;

Mais attendu que la modification du contrat de travail de Madame [V], intervenue à son initiative et sur le poste qu'elle avait revendiqué, lui était beaucoup plus favorable ;

qu'elle n'a à aucun moment constitué un obstacle à la poursuite du contrat de travail dans la mesure où Madame [V], qui en avait une parfaite connaissance, a continué la relation de travail sans émettre la moindre contestation ou revendication non seulement après le mois d'août 2011 mais encore après que la société BRADY GROUPE lui ait présenté à la mi-octobre 2011 un avenant à son contrat de travail pour régulariser sa situation ;

qu'elle n'a dénoncé cet état de fait pour la première fois que par lettre recommandée du 1er décembre 2011 prenant acte de la rupture de son contrat de travail ;

que la société BRADY GROUPE lui a fait connaître en réponse par lettre recommandée du 13 décembre 2011 qu'en dépit de sa surprise, elle acceptait de la rétablir dans ses conditions précédentes et lui demandait de reprendre sans délai le poste qu'elle occupait précédemment ; que Madame [V] n'a toutefois donné aucune suite à cette proposition ;

Attendu, dans ces conditions, que la modification unilatérale de son contrat de travail, qui n'a pas eu d'impact défavorable sur l'exercice de son activité professionnelle et le montant de sa rémunération, et qui n'a pas empêché la poursuite de son contrat de travail jusqu'au 1er décembre 2011, voire le retour à son précédent poste si elle l'avait souhaité, ne saurait justifier sa prise d'acte de la rupture ;

Attendu qu'il importe dès lors d'infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes en ce qu'il a dit que la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail par Madame [V] était justifiée, et de déclarer qu'elle doit produire les effets d'une démission ;

qu'il convient en conséquence de débouter Madame [V] de ses demandes en paiement d'une indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents, d'une indemnité conventionnelle de licenciement, de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et violation de son statut protecteur, ainsi que de dommages-intérêts pour absence de bénéfice du DIF, la société BRADY GROUPE ne pouvant le viser dans une lettre de rupture ;

Attendu que la salariée sollicite en outre un rappel d'indemnité compensatrice de congés payés, reconnaissant toutefois que la somme de 2.807,64 € lui a été versée à ce titre dans le cadre de son solde de tout compte en janvier 2012 et celle de 431,94 € au titre d'une régularisation versée en avril 2012 suite à sa réclamation ;

qu'il a en conséquence été versé à Madame [V] un montant total de 3.239,58 € ;

qu'elle a cependant perçu sur la période allant du 1er juin 2011 au 22 décembre 2011 une somme brute de 34.081,09 € apparaissant sur ses bulletins de paie, de sorte que l'indemnité compensatrice qui lui était due était de 3.408,11 €, faisant apparaître un solde en sa faveur de 168,53 € brut ;

qu'il importe dès lors de confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes en ce qu'il a condamné la société BRADY GROUPE à verser à Madame [V] ladite somme ;

Attendu par ailleurs que la prise d'acte ne reposant pas sur des motifs suffisamment graves pour la justifier et produisant les effets d'une démission, la société BRADY GROUPE est en droit de voir condamner Madame [V] au paiement d'une indemnité compensatrice correspondant au préavis d'une durée de trois mois qu'elle n'a pas effectué ;

qu'il convient en conséquence de faire droit à sa demande reconventionnelle tendant à cette fin et de condamner Madame [V] à lui payer à ce titre la somme de 18.590,88 € correspondant à trois mois de salaire sur la base du salaire moyen au cours des trois derniers mois de travail arrêté par le conseil de prud'hommes à 6.196,96 € ;

Attendu enfin qu'il ne serait pas équitable de laisser la société BRADY GROUPE supporter la totalité des frais qu'elle a dû exposer, tant devant le conseil de prud'hommes qu'en cause d'appel, et qui ne sont pas compris dans les dépens ; qu'une somme de 1.000,00 € doit lui être allouée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

que Madame [V], qui ne voit pas aboutir ses prétentions devant la cour, ne peut obtenir l'indemnité qu'elle sollicite sur le fondement du même article et supporte la charge des entiers dépens ;

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant contradictoirement par arrêt rendu public par mise à disposition des parties, après que ces dernières aient été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile et après en avoir délibéré conformément à la loi,

CONFIRME le jugement rendu le 21 novembre 2013 par le conseil de prud'hommes de Lyon en ce qu'il a condamné la SAS BRADY GROUPE à payer à Madame [H] [V] la somme de 163,53 € à titre de solde de congés payés pour la période du 1er juin au 2 décembre 2011 outre intérêts au taux légal à compter de la demande ;

L'INFIRME en toutes ses autres dispositions,

et statuant à nouveau,

DIT que la prise d'acte de la rupture du contrat travail de Madame [H] [V] produit les effets d'une démission ;

DÉBOUTE Madame [H] [V] de ses demandes en paiement d'une indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, d'une indemnité conventionnelle de licenciement, de dommage de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle, de dommages-intérêts pour violation du statut protecteur, de dommages-intérêts pour la perte de chance d'utiliser ses droits à DIF et au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Y ajoutant,

CONDAMNE Madame [H] [V] à payer à la SAS BRADY GROUPE la somme de 18.590,88 € (DIX HUIT MILLE CINQ CENT QUATRE VINGT DIX EUROS ET QUATRE VINGT HUIT CENTIMES) à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

LA CONDAMNE en outre à lui payer la somme de 1.000,00 € (MILLE EUROS) en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE Madame [H] [V] de sa demande présentée sur le fondement du même article ;

LA CONDAMNE à rembourser à la SAS BRADY GROUPE les sommes que celle-ci lui a versées au titre de l'exécution provisoire du jugement infirmé à l'exception du solde de congés payés pour la période du 1er juin au 2 décembre 2011 ;

LA CONDAMNE enfin aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Le greffierLe président

Sophie MascrierMichel Bussière


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale a
Numéro d'arrêt : 13/09635
Date de la décision : 29/02/2016

Références :

Cour d'appel de Lyon SA, arrêt n°13/09635 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-02-29;13.09635 ?
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