AFFAIRE PRUD'HOMALE
RAPPORTEUR
R.G : 15/01532
[R]
C/
SA GENERALI VIE
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON
du 12 Février 2015
RG : 13/03060
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE C
ARRÊT DU 29 JANVIER 2016
APPELANT :
[G] [R]
né le [Date naissance 1] 1953 à [Localité 1] (22)
[Adresse 1]
[Localité 2]
comparant en personne, assisté de Me Stéphanie BARADEL de la SCP ANTIGONE AVOCATS, avocat au barreau de LYON
INTIMÉE :
SA GENERALI VIE
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Antoine SAPPIN de la SELARL CAPSTAN, avocat au barreau de PARIS
PARTIES CONVOQUÉES LE : 10 Mars 2015
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 17 Décembre 2015
Présidée par Jean-Louis BERNAUD, Président magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assisté pendant les débats de Christine SENTIS, Greffier.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
- Jean-Louis BERNAUD, président
- Isabelle BORDENAVE, conseiller
- Chantal THEUREY-PARISOT, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 29 Janvier 2016 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Jean-Louis BERNAUD, Président et par Christine SENTIS, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
********************
La société GENERALI VIE, qui commercialise des contrats d'assurance-vie, a embauché Monsieur [G] [R] le 1er mars 1988 en qualité d'élève inspecteur.
À compter du mois de mars 1989 Monsieur [G] [R] a exercé les fonctions d'inspecteur et a bénéficié par la suite d'une évolution de carrière le menant au poste d'inspecteur courtage vie classe 6 de la convention collective nationale de l'inspection d'assurance.
Sa mission consistait à animer et à développer un réseau de courtiers dans un secteur géographique comprenant depuis l'année 2009 les départements du Rhône, de l'Ardèche, de la Drôme et de la Saône-et-Loire.
Il percevait un salaire fixe et une rémunération variable basée sur le nombre de contrats placés.
La société GENERALI VIE s'est plainte au cours de l'année 2012 d'une baisse importante de la production et a rencontré à plusieurs reprises Monsieur [R] pour faire un état des lieux et identifier les mesures de redressement nécessaires.
Le 11 décembre 2012 Monsieur [R] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 18 décembre 2012, à l'issue duquel il a sollicité la réunion du conseil paritaire institué par l'article 66 de la convention collective nationale de l'inspection d'assurance.
Il a alors été informé que cette instance se réunirait le 24 janvier 2013 et a été invité à désigner les représentants du personnel appelés à siéger, ce qu'il a fait par message du 15 janvier 2013.
Par lettre recommandée du 7 février 2013 Monsieur [G] [R] a été licencié pour cause réelle et sérieuse.
Il lui a été notamment reproché une insuffisance de résultats au cours de l'année 2012 malgré un plan de redressement mis en place au second semestre de l'année.
Le 27 juin 2013 Monsieur [G] [R] a saisi le conseil de prud'hommes de Lyon d'une demande en paiement de la somme de 300 000 € à titre de dommages et intérêts en se fondant d'une part sur l'irrégularité du licenciement qui serait intervenu en violation des dispositions conventionnelles applicables et d'autre part sur le caractère abusif du licenciement à défaut d'insuffisance professionnelle fautive démontrée.
Par jugement du 12 février 2015 le conseil de prud'hommes de Lyon a dit et jugé que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse, mais a alloué à Monsieur [G] [R] la somme de 9000 € à titre de dommages et intérêts pour vice de procédure, outre une indemnité de 1500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le conseil de prud'hommes a considéré en substance d'une part que si la procédure devant le conseil paritaire n'a pas été respectée il s'agissait d'un simple vice de forme, puisque cette instance ne donne qu'un avis consultatif, et d'autre part que l'insuffisance professionnelle de Monsieur [R] était démontré en l'état d'une baisse importante de la production en 2012 malgré les mesures mises en place.
Monsieur [G] [R] a relevé appel de cette décision par lettre recommandée du 19 février 2015 reçue le 20 février 2015.
Vu les conclusions soutenues à l'audience du 17 décembre 2015 par Monsieur [G] [R] qui demande à la cour de dire et juger que le licenciement est intervenu en violation des dispositions conventionnelles applicables, ce qui le prive de cause réelle et sérieuse, subsidiairement de dire et juger que l'insuffisance professionnelle fautive alléguée n'est pas démontrée et en tout état de cause de condamner la société GENERALI VIE à lui payer les sommes de 300 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif, de 9000 € pour non-respect de la convention collective, de 10 000 € pour remise tardive de l'attestation POLE EMPLOI et de 3000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Il fait valoir en substance :
que selon l'article 66 de la convention collective, lorsque l'inspecteur, dont le licenciement pour insuffisance professionnelle est envisagé a sollicité la réunion du conseil paritaire, l'employeur doit informer le salarié qu'il peut être entendu et ne doit prendre sa décision qu'après avoir pris connaissance des avis consignés dans un procès-verbal émargé par chacun des membres du conseil et transmis à chacun d'eux ainsi qu'au salarié concerné,
qu'en l'espèce il n'a pas été informé de la possibilité d'être entendu par le conseil et n'a jamais été destinataire du procès-verbal de la réunion de celui-ci, qui n'a pas été établi,
qu'il s'agit de la violation d'une garantie de fond privant le licenciement de cause réelle et sérieuse,
que la preuve de l'insuffisance professionnelle n'est pas rapportée alors que sa production de l'année 2011 était en augmentation par rapport à celle de 2010, qu'il ne lui a été fait aucun reproche au cours des entretiens annuels 2010 et 2011, que la baisse des résultats en 2012 est liée à la baisse générale du marché de l'assurance vie, qu'il a été confronté à une forte concurrence sur la ville de Lyon, que son réseau était composé de courtiers « vieillissants » mieux rémunérés sur les encours et qu'il a fait en réalité les frais d'une réorganisation mise en place à compter du 1er janvier 2013,
qu'il a subi un important préjudice matériel et moral compte tenu de son âge (60 ans) et de l'impossibilité de faire valoir ses droits à la retraite avant 2017.
Vu les conclusions soutenues à l'audience du 17 décembre 2015 par la SA GENERALI VIE qui demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a dit et jugé que le licenciement était fondé sur une cause réelle et sérieuse et débouté Monsieur [R] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement abusif, de dire et juger que la procédure conventionnelle de licenciement a été respectée et de débouter Monsieur [R] de sa demande de dommages et intérêts à ce titre et de condamner enfin l'appelant à lui payer une indemnité de procédure de 2000 €.
Elle soutient notamment :
que le salarié a été régulièrement informé de la possibilité d'être entendu par le conseil paritaire, l'article 66 de la convention collective ne prévoyant pas que cette information soit réalisée par écrit,
que l'envoi du procès-verbal de la réunion du conseil à ses membres et au salarié n'est pas de nature à déterminer la validité du licenciement, dès lors que cela n'a pas porté atteinte aux droits de la défense, puisque l'instance conventionnelle a été effectivement réunie et consultée sur le projet de licenciement et que son avis ne lie pas l'entreprise.
que le licenciement est bien fondé, alors que le projet de réorganisation de son activité de courtage n'a nullement impacté l'emploi des inspecteurs, que l'insuffisance professionnelle est caractérisée en présence de difficultés apparues en 2009 qui ont perduré en 2010 et 2011 et qui se sont brutalement aggravés en 2012 malgré l'accompagnement mis en place et malgré une conjoncture favorable dans la région lyonnaise,
qu'en toute hypothèse le préjudice allégué n'est pas démontré alors que Monsieur [R] a perçu une indemnité de licenciement particulièrement importante de près de 170 000 € et qu'il n'est pas justifié de recherches actives d'emploi.
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MOTIFS DE L'ARRÊT
L'article 57 de la convention collective nationale de l'inspection d'assurance du 27 juillet 1992 stipule que « le constat par l'entreprise d'une insuffisance dans les résultats obtenus au plan quantitatif et/ou qualitatif donne lieu à un entretien avec l'inspecteur concerné (2).
Cet entretien permet à l'intéressé de s'expliquer sur cette insuffisance et ses motifs.
L'appréciation de l'entreprise s'effectue à la lumière de cet entretien par référence aux objectifs, tant quantitatifs que qualitatifs, et aux critères visés à l'article 55 b de la présente convention.
Si ces difficultés trouvent leur origine dans une mauvaise adaptation de l'inspecteur à ses missions, ou dans un mauvais état de santé invoqué par l'intéressé, l'employeur recherche les moyens d'y remédier tels que l'ajustement des missions, une formation complémentaire ou l'affectation à de nouvelles fonctions.
L'entretien est confirmé par un écrit de l'employeur exprimant ses mises en garde en cas de persistance de cette situation et précisant s'il y a lieu les mesures prises pour y porter remède.
La poursuite de cette situation peut conduire l'employeur à prendre une décision de licenciement dans les conditions prévues à l'article 66 ».
Selon l'article 66 de la même convention « lorsqu'un inspecteur confirmé dans ses fonctions dans l'entreprise est, conformément aux dispositions légales, convoqué par l'employeur et informé que le licenciement pour faute ou pour insuffisance professionnelle est envisagé à son égard, il a la faculté de demander la réunion d'un conseil constitué de trois représentants de l'employeur et de trois représentants du personnel de l'établissement (délégués du personnel, membres du comité d'entreprise, délégués syndicaux au comité d'entreprise ou d'établissement).
La lettre de convocation à l'entretien préalable doit mentionner expressément cette faculté, le délai dans lequel elle peut être exercée (cf. alinéa suivant), ainsi que celle de se faire assister pour cet entretien conformément aux dispositions légales.
La demande de réunion doit être formulée par écrit et communiquée à la direction ; compte tenu des spécificités inhérentes à la fonction, cette demande doit être communiquée à la direction au plus tard 6 jours francs après l'entretien prévu par le code des travail. A défaut, le salarié est considéré comme renonçant à la procédure du conseil.
Toutefois, le conseil est obligatoirement réuni à l'initiative de l'employeur lorsque celui-ci envisage, à l'issue de l'entretien préalable, un licenciement pour faute.
L'entreprise doit alors en informer l'intéressé par lettre recommandée avec avis de réception ou remise contre décharge. La réunion du conseil est cependant annulée si l'intéressé le demande par écrit dans les 48 heures de la réception de la lettre.
Les représentants du personnel siégeant au conseil sont choisis par l'intéressé parmi l'ensemble des élus du personnel titulaires ou suppléants du même collège électoral que lui et parmi les délégués syndicaux ou représentants syndicaux appartenant à ce même collège. L'employeur convoque le conseil au moins 48 heures à l'avance et informe le salarié qu'il peut être entendu, s'il le souhaite, par le conseil. Les éléments du dossier sont obligatoirement tenus 48 heures à l'avance, à la disposition du conseil et de l'intéressé.
Si le salarié est entendu, sur sa demande, pendant la réunion du conseil, son responsable hiérarchique doit l'être également.
L'un des représentants de l'employeur préside le conseil. Il établit à l'issue de la réunion un procès-verbal qui relate notamment les faits reprochés à l'inspecteur et consigne l'avis de chacun des membres ayant participé à la réunion du conseil ; ces derniers sont invités à émarger le procès-verbal et en reçoivent un exemplaire, également transmis au salarié concerné.
L'employeur ne prend sa décision qu'après avoir pris connaissance des avis exprimés au conseil et communique celle-ci à ses membres en même temps qu'à l'intéressé ».
Il résulte en l'espèce des pièces du dossier :
que la lettre de convocation à l'entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement du 11 décembre 2012 informe le salarié qu'à l'issue de l'entretien il disposera d'un délai de six jours pour demander la réunion du conseil prévu par les dispositions de l'article 66 de la convention collective nationale de l'inspection d'assurance et qu'à défaut de demande écrite dans ce délai il sera considéré comme ayant renoncé à la réunion du conseil,
que dès le lendemain de l'entretien préalable, par courriel du 19 décembre 2012, Monsieur [R] a demandé la réunion du conseil institué par la convention collective,
que par lettre recommandée du 9 janvier 2013 la société GENERALI VIE, après avoir indiqué qu'elle envisageait de recourir à une mesure de licenciement, a informé le salarié que le conseil prévu à l'article 66 de la convention collective se réunirait le jeudi 24 janvier 2013 à défaut de demande d'annulation de sa part, qu'il lui appartenait de choisir les trois membres représentants du personnel et que les éléments du dossier seraient tenus à la disposition des membres du conseil et de lui-même 48 heures à l'avance,
que par message téléphonique du 15 janvier 2013 Monsieur [R] , répondant au courrier de l'employeur du 9 janvier 2013, a communiqué le nom des trois personnes appelées à siéger en qualité de représentants du personnel.
Force est de constater que la société GENERALI VIE ne justifie pas avoir informé le salarié qu'il avait la possibilité d'être entendu et n'établit pas avoir rédigé le procès-verbal de séance exigé par l'article 66, ni à fortiori l'avoir transmis aux membres du conseil et à M. [R].
Deux membres salariés désignés par ce dernier attestent d'ailleurs régulièrement qu'ils n'ont jamais reçu le compte rendu du conseil de discipline qui s'est tenu le 24 janvier 2013.
Ainsi, il est patent que la procédure conventionnelle n'a pas été respectée, alors d'une part que s'il n'est pas expressément prévu que le salarié doit être informé par écrit de sa faculté de comparution, l'employeur doit être en mesure de justifier par tous moyens de la délivrance effective de cette information, ce qu'il ne fait pas en l'espèce, et d'autre part que l'avis du conseil doit impérativement être formalisé par un écrit, qualifié de procès-verbal, puisque ce document, qui doit consigner l'avis de chacun des membres, doit être transmis au salarié concerné afin de garantir le caractère contradictoire de la procédure conventionnelle.
Il est de principe constant que la consultation d'un organisme chargé, en vertu d'une disposition conventionnelle, de donner un avis sur la mesure disciplinaire envisagée par l'employeur constitue pour le salarié une garantie de fond.
Il ne peut être sérieusement soutenu, au cas d'espèce, que la consultation ayant eu lieu la procédure est régulière ou simplement affectée d'un vice de forme, alors qu'il a manifestement été porté atteinte aux droits de la défense à défaut pour Monsieur [R] d'avoir pu faire valoir ses observations ni d'avoir reçu communication du procès verbal de réunion du conseil paritaire, et à défaut pour l'employeur d'avoir disposé d'un instrument de prise de décision de nature à l'éclairer comportant l'avis de chacun des membres du conseil, dont la convention collective a prévu qu'il constituait un préalable obligatoire si le salarié en faisait la demande.
Le licenciement de M. [R] prononcé en méconnaissance des garanties de fond instituées par la convention collective nationale de l'inspection d'assurance en faveur des salariés menacés de congédiement pour insuffisance professionnelle est par conséquent privé de cause réelle et sérieuse, ce qui conduit à l'infirmation du jugement déféré.
Eu égard à son ancienneté dans l'entreprise (25 ans), à son âge à la date de la rupture (60 ans) et à la durée de sa période de chômage, Monsieur [R] a subi un préjudice matériel et moral important justifiant l'octroi d'une somme de 180 000 € à titre de dommages et intérêts correspondant à 20 mois de salaire, rémunération variable comprise.
Bénéficiant d'une ancienneté de plus de deux ans au sein d'une entreprise comptant plus de 11 salariés Monsieur [R] ne saurait obtenir des dommages et intérêts supplémentaires pour licenciement irrégulier.
Ne démontrant pas que la carence de l'employeur dans la rédaction de l'attestation POLE EMPLOI a entraîné un plafonnement de ses indemnités de chômage, il sera débouté en outre de sa demande en paiement d'une indemnité complémentaire de 10 000 €.
L'équité commande en revanche de faire à nouveau application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'appelant.
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PAR CES MOTIFS
LA COUR
statuant contradictoirement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Infirme le jugement déféré et statuant à nouveau :
Dit et juge que le licenciement de M. [G] [R] ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse,
Condamne la société d'assurance GENERALI VIE à payer à M. [G] [R] la somme de 180 000 € à titre de dommages-intérêts,
Déboute M. [G] [R] du surplus de ses demandes indemnitaires,
Condamne la société d'assurance GENERALI VIE à payer à M. [G] [R] une indemnité de 1500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, la condamnation prononcée de ce chef en première instance étant confirmée,
Condamne la société d'assurance GENERALI VIE aux entiers dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
Christine SENTIS Jean-Louis BERNAUD