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22/01/2016 | FRANCE | N°14/06482

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale c, 22 janvier 2016, 14/06482


AFFAIRE PRUD'HOMALE



DOUBLE RAPPORTEURS





R.G : 14/06482





[U]



C/

EUROVIA DROME ARDECHE LOIRE AUVERGNE VENANT AUX DROIT DE LA STE LESCHEL ET MILLET TRAVAUX PUBLICS







APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINT-ETIENNE

du 26 Juin 2014

RG : F 13/00126











COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE C



ARRÊT DU 22 JANVIER 2016







APPELANT :r>


[F] [U]

né le [Date naissance 1] 1967 à [Localité 1] (06)

[Adresse 1]

[Localité 2]



représenté par Me Stéphanie ESPENEL, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE substitué par Me Karim MRABENT, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE







INTI...

AFFAIRE PRUD'HOMALE

DOUBLE RAPPORTEURS

R.G : 14/06482

[U]

C/

EUROVIA DROME ARDECHE LOIRE AUVERGNE VENANT AUX DROIT DE LA STE LESCHEL ET MILLET TRAVAUX PUBLICS

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINT-ETIENNE

du 26 Juin 2014

RG : F 13/00126

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE C

ARRÊT DU 22 JANVIER 2016

APPELANT :

[F] [U]

né le [Date naissance 1] 1967 à [Localité 1] (06)

[Adresse 1]

[Localité 2]

représenté par Me Stéphanie ESPENEL, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE substitué par Me Karim MRABENT, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE

INTIMÉE :

EUROVIA DROME ARDECHE LOIRE AUVERGNE

venant AUX DROIT DE LA STE LESCHEL ET MILLET TRAVAUX PUBLICS

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Pierre DONAINT, avocat au barreau de LYON,

En présence de M. [E] [H] (Chef de secteur LMTP) muni d'un pouvoir

PARTIES CONVOQUÉES LE : 03 Juillet 2015

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 11 Décembre 2015

Composée de Jean-Louis BERNAUD, Président de Chambre et Chantal THEUREY-PARISOT, Conseiller, tous deux magistrats rapporteurs, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en ont rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Malika CHINOUNE, Greffier

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

- Jean-Louis BERNAUD, président

- Isabelle BORDENAVE, conseiller

- Chantal THEUREY-PARISOT, conseiller

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 22 Janvier 2016 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Jean-Louis BERNAUD, Président et par Christine SENTIS, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

********************

Selon lettre d'embauche du 19 juillet 2007, Monsieur [F] [U] a été engagé pour une durée indéterminée à compter du 3 septembre 2007 par la société LESCHEL ET MILLET TRAVAUX PUBLICS en qualité de chauffeur de camion, classification N1 P1, coefficient 125 de la convention collective des ouvriers des travaux publics .

Il a été victime le 10 juin 2009 d'une altercation sur son lieu de travail au cours de laquelle il a été blessé à la main gauche par un coup de pelle. Son agresseur a ensuite été condamné par le tribunal correctionnel de Saint-Étienne le 8 décembre 2011 et déclaré entièrement responsable de son préjudice.

La société LESCHEL ET MILLET TRAVAUX PUBLICS lui a toutefois notifié dès le 5 août 2009 un avertissement motivé par son comportement agressif et provocateur à l'origine de ses blessures. Il en a contesté les termes le 10 août suivant.

Le 17 août 2009, la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Saint-Étienne a pris en charge l'accident dont il avait ainsi été victime au titre de la législation sur les risques professionnels.

Les douleurs persistant, une algodystrophie a été diagnostiquée au mois de septembre 2009, de sorte que Monsieur [U] a été un arrêt travail jusqu'au 12 novembre 2012, date de la consolidation de son état de santé selon le médecin de la caisse d'assurance-maladie.

A l'issue des deux visites médicales de reprise des 19 novembre et 3 décembre 2012, le médecin du travail l'a déclaré définitivement inapte à son poste antérieur, sans possibilité de reclassement dans l'entreprise en l'absence de modifications organisationnelles et/ou relationnelles.

Convoqué le 14 décembre 2012 à un entretien préalable fixé au 27 décembre 2012 en vue de son licenciement, il a été licencié pour faute grave par lettre recommandée avec accusé de réception du 3 janvier 2013 signée par Monsieur [K], chef d'agence de la société LESCHEL ET MILLET TRAVAUX PUBLICS, pour le motif ainsi énoncé :

« Le 06/12/2012 vers 15 heures, en arrivant au bureau, Madame [E] m'informe que vous avez téléphoné en mon absence et que vous avez demandé à ce que je vous rappelle. Je vous contacte donc immédiatement.

Dès le début de notre échange téléphonique, vous avez fait preuve d'agressivité à mon égard en me demandant pourquoi j'appelais seulement maintenant alors que la semaine précédente, vous aviez demandé à ce que je vous appelle.

Je vous ai alors indiqué ne pas avoir eu de message en ce sens. Vous m'avez répondu que Madame [C] m'avait fait un courriel pour m'en informer, ce que j'ai démenti. Vous n'avez alors pas hésité à mettre en cause mon honnêteté en disant si si, vous mentez bla bla bla.

Compte tenu de la situation dans laquelle nous nous trouvions et compte tenu de votre attitude, je vous ai proposé de patienter afin de faire venir Madame [C] dans mon bureau et éclaircir le problème que vous souleviez. Après vous avoir informé de son arrivée et de la mise en mode haut-parleur du téléphone, je lui ai demandé si elle avait envoyé un courriel la semaine précédente afin que je vous rappelle. Elle a répondu ne pas avoir fait de courriel car elle voulait m'en parler oralement mais elle avait oublié. Madame [C] vous a présenté des excuses en disant je suis désolée, j'ai oublié. Vous vous êtes vivement emporté contre elle et avez crié vous êtes une menteuse, vous m'aviez dit que vous aviez fait un mail. Madame [C] a démenti en vous répondant non, je ne vous ai jamais dit cela.

Compte tenu de votre comportement incorrect à l'égard de votre collègue et compte tenu de votre agressivité, j'ai souhaité mettre fin à cet échange pour connaître l'objet de votre appel. Vous souhaitiez savoir pourquoi vous n'aviez pas été en congés payés entre les deux visites médicales du travail. Je vous ai demandé si vous avez fait votre demande par téléphone ou par courrier.

Encore une fois et sans motif valable, vous vous êtes énervé et vous vous êtes mis à crier ah, c'est comme ça que vous le prenez ' Vous voulez rentrer en procédure ' Compte tenu de votre réaction violente, j'ai été contraint de vous demander de vous calmer et ai réitéré ma demande.

Vous avez continué à vous énerver en tenant des propos irrespectueux et menaçants: vous voulez jouer aux caïds ' Même avec une main, je vous enrhume.

Surpris par la gravité de vos propos, je vous ai rappelé être dans mon bureau en présence de Madame [C] qui entendait notre échange et vous ai demandé de veiller à la teneur de vos propos.

Vous avez persisté dans votre agression en répondant Vous vouliez me piéger. Ça ne m'étonne pas, vous avez une sale réputation et ça se vérifie .

Au vu de votre réaction, j'ai été contraint de mettre fin à notre échange téléphonique en vous rappelant tout de même que vous n'étiez pas sans ignorer que Madame [C] était présente puisque vous lui aviez parlé.

Un tel comportement agressif est absolument intolérable et ne correspond en aucun cas à ce que nous sommes en droit d'attendre de la part d'un salarié subordonné.

D'une part, aucune violence verbale ne saurait être admise dans les relations professionnelles qui s'établissent au sein de l'entreprise.

D'autre part, les propos virulents et les menaces adressées à votre hiérarchie sont extrêmement graves. En vous comportant ainsi, vous portez atteinte à l'autorité et mettez en cause le pouvoir de Direction détenu par votre hiérarchie. Il s'agit là d'une insubordination délibérée inacceptable.

Enfin, nous vous rappelons que conformément à l'article 8 de notre règlement intérieur, il est interdit de manquer de respect envers toute personne et de se livrer à des voies de fait à l'égard de quiconque. En agissant comme vous l'avez fait le 06/12/2012, vous n'avez pas respecté cette disposition conventionnelle' »

Monsieur [U] a contesté le bien-fondé de la rupture de son contrat de travail en saisissant le 14 février 2013 la juridiction prud'homale de demandes tendant à voir prononcer l'annulation de l'avertissement du 5 août 2009 qui lui avait été délivré et la condamnation de la société EUROVIA DROME ARDECHE LOIRE AUVERGNE venant aux droits de la société LESCHEL ET MILLET TRAVAUX PUBLICS à lui payer la somme de 3.000,00 € en réparation de son préjudice pour avertissement injustifié, constater qu'il avait été licencié par une société qui n'existait plus et que son licenciement était en conséquence nul et condamner la société EUROVIA DROME ARDECHE LOIRE AUVERGNE venant aux droits de la société LESCHEL ET MILLET TRAVAUX PUBLICS à lui payer la somme de 50.000,00 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul, et subsidiairement juger que son licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamner cette même société à lui verser les sommes de:

- 3.908,64 € brut à titre d'indemnité de préavis,

- 4.234,36 € net à titre d'indemnité de licenciement,

- 45.000,00 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 3.000,00 € net à titre de dommages-intérêts pour discrimination,

- 3.000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société EUROVIA DROME ARDECHE LOIRE AUVERGNE , agence LESCHEL ET MILLET TRAVAUX PUBLICS, s'est opposée à ses demandes en concluant à l'absence de nullité du licenciement ainsi qu'à la réalité et à la gravité des faits reprochés au salarié justifiant son licenciement pour faute grave, au rejet de l'ensemble de ses demandes et à sa condamnation aux éventuels dépens.

Par jugement rendu le 26 juin 2014, le conseil de prud'hommes de Saint-Étienne, section industrie, a :

' Dit que le licenciement de Monsieur [U] est sans cause réelle et sérieuse;

' Condamné la société EUROVIA DROME ARDECHE LOIRE AUVERGNE venant aux droits de la société LESCHEL ET MILLET TRAVAUX PUBLICS à verser à Monsieur [U] les sommes suivantes :

- 3.908,64 € à titre de préavis,

- 2.117,18 € à titre d'indemnité de licenciement,

- 11.724,00 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 1.000,00 € en application de l'article 700 du code de procédure civile;

' Ordonné à la société EUROVIA DROME ARDECHE LOIRE AUVERGNE venant aux droits de la société LESCHEL ET MILLET TRAVAUX PUBLICS de remettre un bulletin de paie et une attestation POLE EMPLOI rectifiés au regard de la présente décision ;

' Débouté Monsieur [U] de toutes ses autres demandes prétentions;

' Laissé les dépens à la charge de la société EUROVIA DROME ARDECHE LOIRE AUVERGNE venant aux droits de la société LESCHEL ET MILLET TRAVAUX PUBLICS.

Par lettre recommandée en date du 29 juillet 2014 enregistrée au greffe le 31 juillet 2014, Monsieur [U] a régulièrement interjeté appel de ce jugement qui lui avait été notifié le 9 juillet 2014. Il en demande la réformation par la cour en reprenant oralement à l'audience du 11 décembre 2015 par l'intermédiaire de son conseil les conclusions qu'il a fait déposer le 7 mai 2015 et auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé de ses prétentions et moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, et tendant à :

Prononcer l'annulation de l'avertissement du 5 août 2009 ;

Condamner la société EUROVIA DROME ARDECHE LOIRE AUVERGNE venant aux droits de la société LESCHEL ET MILLET à verser à Monsieur [U] la somme de 3.000,00 € à titre de dommages-intérêts pour avertissement injustifié;

Constater que Monsieur [U] a été licencié par une société qui n'existait plus;

Dire et juger que le licenciement dont Monsieur [U] a fait l'objet est nul ;

Condamner la société EUROVIA DROME ARDECHE LOIRE AUVERGNE venant aux droits de la société LESCHEL ET MILLET TRAVAUX PUBLICS à verser à Monsieur [U] la somme de 50.000,00 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul ;

A titre subsidiaire, dire et juger que Monsieur [U] a fait l'objet d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Condamner la société EUROVIA DROME ARDECHE LOIRE AUVERGNE venant aux droits de la société LESCHEL ET MILLET TRAVAUX PUBLICS à verser à Monsieur [U] les sommes suivantes :

- 3.908,64 € brut à titre d'indemnité de préavis,

- 390,86 € brut à titre d'indemnité de congés payés sur préavis,

- 4.234,36 € net à titre d'indemnité spéciale de licenciement, subsidiairement 2.117,18€,

- 45.000,00 € net à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Dire et juger que Monsieur [U] a été victime de discrimination ;

Condamner la société EUROVIA DROME ARDECHE LOIRE AUVERGNE venant aux droits de la société LESCHEL ET MILLET TRAVAUX PUBLICS à verser à Monsieur [U] la somme de 30.000,00 € net à titre de dommages-intérêts pour discrimination ;

Dire et juger que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de la demande;

Ordonner la remise d'une attestation POLE EMPLOI rectifiée outre bulletin de salaire en conséquence de la décision ;

Mais encore,

Condamner la société EUROVIA DROME ARDECHE LOIRE AUVERGNE venant aux droits de la société LESCHEL ET MILLET TRAVAUX PUBLICS à verser à Monsieur [U] la somme de 3.000,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

La société EUROVIA DROME ARDECHE LOIRE AUVERGNE, agence LESCHEL ET MILLET TRAVAUX PUBLICS, a pour sa part fait reprendre à cette audience par l'intermédiaire de son conseil les conclusions qu'elle a transmises le 30 juin 2015 et auxquelles il est pareillement référé pour l'exposé de ses prétentions et moyens, aux fins de voir :

Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a estimé que le licenciement de Monsieur [U] était dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

Confirmer le jugement dans toutes ses autres dispositions ;

En conséquence, débouter Monsieur [U] de toutes ses demandes ;

Le condamner aux éventuels dépens.

SUR CE,

La Cour,

1°) Sur l'avertissement du 5 août 2009 :

Attendu qu'après entretien préalable, la société LESCHEL ET MILLET TRAVAUX PUBLICS a notifié à Monsieur [U] par lettre recommandée avec accusé de réception du 5 août 2009 un avertissement disciplinaire ainsi motivé :

« En date du 10 juin 2009, vous avez eu une altercation avec un autre salarié de l'entreprise, M. [S].

Vous travailliez sur un chantier de terrassement à Saint-Cyr-Les-Vignes avec Monsieur [H] [P], chauffeur de tractopelle, et Monsieur [U] [S], poseur.

Dès le démarrage du chantier, vous adoptez une attitude provocatrice vis-à-vis de ces deux collègues.

Devant les difficultés qu'ils rencontrent pour remplir votre camion, Monsieur [P] vous fait demande de vous positionner correctement afin que le chantier se déroule dans de bonnes conditions.

N'acceptant pas la remarque, vous vous êtes alors énervé à l'encontre de M. [P] et vous l'avez insulté.

M. [S] est intervenu pour tenter d'apaiser la situation.

Jetant votre casque à terre, vous vous êtes mis insulter M. [S] en s'avançant vers lui.

Dans un réflexe de défense, M. [S] fait un geste de haut en bas avec une pelle.

Votre main a été touchée par la pelle. Les soins nécessiteront plusieurs points de suture.

Ensuite, tout en insultant vos collègues, vous lancez votre portable dans la cabine du tractopelle, en évitant de justesse M. [P].

Votre comportement agressif et provocateur est à l'origine de vos blessures.

Nous ne pouvons le tolérer.

Vous êtes tenu de faire preuve de respect à l'égard de vos collègues.

Les agressions physiques ou verbales pendant le travail ne sont pas acceptables et votre attitude ne saurait être justifiée » ;

Attendu que, par une correspondance en date du 10 août 2009 adressée à son employeur, Monsieur [U] a contesté la sanction disciplinaire qui lui avait été infligée en se déclarant surpris d'être désigné comme étant l'agresseur alors qu'il était la victime, et en précisant qu'après avoir repositionné le camion, il avait lui-même été insulté et dénigré puis frappé par Monsieur [S] d'un coup de pelle à la main alors qu'il cherchait à se protéger;

que par lettre en réponse du 9 septembre 2009, la société LESCHEL ET MILLET TRAVAUX PUBLICS a maintenu l'avertissement en lui faisant part de son désaccord avec sa narration des faits et en rappelant que sa décision avait été prise après enquête et confrontation de différents témoignages;

Attendu que Monsieur [S] a finalement été condamné le 8 décembre 2011 par le tribunal correctionnel de Saint-Étienne du chef de violences volontaires avec arme ayant entraîné une incapacité totale de travail personnel de plus de huit jours et déclaré responsable du préjudice subi par Monsieur [U] qui s'était constitué partie civile ;

Attendu que pour tenter de justifier la délivrance de l'avertissement, la société EUROVIA DROME ARDECHE LOIRE AUVERGNE, prise en son agence LESCHEL ET MILLET TRAVAUX PUBLICS, fait observer que Monsieur [U] a attendu quatre ans après les faits et deux ans après le jugement du tribunal correctionnel, où elle-même n'était pas partie, pour solliciter l'annulation de la sanction disciplinaire ;

Mais attendu qu'à la différence de son employeur, le salarié a préféré attendre l'issue de l'enquête pénale et la condamnation prononcée par le tribunal correctionnel pour agir et qu'il ne peut le lui être reproché; qu'en outre les faits ne sont pas prescrits;

Attendu ensuite qu'il appartient à la société EUROVIA DROME ARDECHE LOIRE AUVERGNE, venant aux droits de la société LESCHEL ET MILLET TRAVAUX PUBLICS, de rapporter la preuve du bien-fondé de la sanction disciplinaire qu'elle ainsi prononcée ;

qu'elle est totalement défaillante sur ce point, ne produisant aucun témoignage des protagonistes ainsi que des témoins, se bornant à faire valoir qu'il ne serait pas contesté que Monsieur [U] avait sa part de responsabilité dans l'incident, et qu'en outre Monsieur [S] avait également fait l'objet d'un avertissement ;

Mais attendu que dans sa lettre précitée du 10 août 2009 , Monsieur [U] avait contesté toute responsabilité dans la survenance de l'altercation et qu'en outre le tribunal correctionnel, statuant sur l'action civile, ne s'est pas prononcé en faveur d'un partage de responsabilité mais a reconnu la responsabilité pleine et entière de Monsieur [S] dans la survenance des dommages et la réparation de son préjudice ;

qu'il s'ensuit que l'avertissement délivré à Monsieur [U] n'est pas justifié à défaut pour l'employeur de rapporter la preuve de la matérialité des faits reprochés; que la sanction disciplinaire retenue à son encontre doit en conséquence être annulée par application de l'article L. 1333 -2 du code du travail ;

qu'il importe dès lors d'infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes sur ce point;

Attendu que le prononcé d'une sanction disciplinaire injustifiée a nécessairement occasionné à Monsieur [U] un préjudice ; qu'en réparation, il convient de condamner l'employeur à lui verser la somme de 2.000,00 € à titre de dommages-intérêts ;

2°) Sur la nullité alléguée du licenciement :

Attendu que Monsieur [U] fait ensuite observer qu'il a été convoqué le 14 décembre 2012 à un entretien préalable à son licenciement par lettre à en-tête de la société LESCHEL ET MILLET TRAVAUX PUBLICS signée par Monsieur [K], directeur d'agence ; qu'il a ensuite été licencié par lettre en date du 3 janvier 2013 à l'en-tête de cette même société et signée par le même directeur d'agence ;

qu'à cette dernière date, la société LESCHEL ET MILLET TRAVAUX PUBLICS n'existait plus

pour avoir été dissoute suivant décision du 28 novembre 2012, son patrimoine ayant fait l'objet d'une transmission universelle à la société EUROVIA DROME ARDECHE LOIRE AUVERGNE ;

qu'il soutient dans ces conditions que les contrats de travail en cours ayant été transférés à la société EUROVIA DROME ARDECHE LOIRE AUVERGNE par application de l'article L. 1224-1 du code du travail, la société LESCHEL ET MILLET TRAVAUX PUBLICS ne pouvait procéder à son licenciement qui est en conséquence nul de ce fait ;

Mais attendu que l'extrait Kbis de la société LESCHEL ET MILLET TRAVAUX PUBLICS produit par le salarié mentionne expressément que si la dissolution de la société et la transmission universelle de son patrimoine à la société EUROVIA DROME ARDECHE LOIRE AUVERGNE résulte d'un acte de sous-seing privé en date du 28 novembre 2012, « les créanciers peuvent faire d'opposition à la dissolution dans le délai de 30 jours à compter de la publication de celle-ci, soit à compter du 01/12/2012 » ;

que l'article 1844-5 du code civil consacre au demeurant le principe selon lequel la personnalité morale d'une société subsiste durant le délai d'opposition de 30 jours dont disposent les créanciers à compter de la publication de la dissolution ;

qu'ainsi la procédure de licenciement a été régulièrement engagée le 14 décembre 2012 par la société LESCHEL ET MILLET TRAVAUX PUBLICS et a été clôturée par l'envoi de la lettre de licenciement avant l'expiration du délai d'opposition précité ;

Attendu en outre que, si la société LESCHEL ET MILLET TRAVAUX PUBLICS était une société juridiquement distincte jusqu'à la fin de l'année 2012, dont la société EUROVIA DROME ARDECHE LOIRE AUVERGNE était l'associée unique, son chef d'agence, Monsieur [K], est resté chef de l'agence LESCHEL ET MILLET TRAVAUX PUBLICS au sein de la société EUROVIA DROME ARDECHE LOIRE AUVERGNE, de sorte qu'il disposait encore du pouvoir de licencier Monsieur [U] le 3 janvier 2013 quelques jours après la fusion;

qu'est dés lors indifférente la circonstance que, pour signer la lettre de licenciement, il ait improprement utilisé du papier à l'en-tête de l'ancienne société et non à celui de la société EUROVIA DROME ARDECHE LOIRE AUVERGNE, l'attestation ASSEDIC remise au salarié ayant au demeurant également été établie sous le même en-tête, à la seule différence du dernier bulletin de salaire comportant l'en-tête de la société EUROVIA DROME ARDECHE LOIRE AUVERGNE et justifiant qu'il avait bien été licencié par cette dernière société ;

qu'en tout état de cause, Monsieur [U] n'a subi aucun préjudice du simple fait de cette erreur matérielle ;

Attendu dans ces conditions qu'il doit être débouté de sa demande tendant à faire juger son licenciement nul et obtenir l'allocation de dommages-intérêts et des indemnités de rupture;

3°) Sur la faute grave :

Attendu que la faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié personnellement qui constitue une violation d'une obligation contractuelle ou un manquement à la discipline de l'entreprise d'une telle importance qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis; qu'il appartient à l'employeur qui s'en prévaut d'en rapporter la preuve ;

Attendu que Monsieur [U] a été licencié pour comportement incorrect et agressif le 6 décembre 2012 tant à l'égard de Monsieur [A] [K], chef d'agence, que de Madame [K] [C], secrétaire administrative salariée de l'entreprise ;

que la société EUROVIA DROME ARDECHE LOIRE AUVERGNE verse aux débats l'attestation de Madame [C] décrivant ainsi qu'il suit ce qu'elle avait constaté des faits auxquels elle avait personnellement assisté :

« Le 6.12. 2012' M. [K] vient me chercher dans mon bureau et me demande de venir dans son bureau car il a M. [U] au téléphone.

M. [K] me pose la question si je devais lui envoyer un mail la semaine dernière le jeudi afin de rappeler M. [U] .

Non, je devais le lui dire de vive voix et M. [K] étant en déplacement, à son retour, le lundi suivant, j'ai oublié. M. [U] me traite de menteuse (il y avait le haut-parleur).

M. [K] enlève le haut-parleur, et M. [U] continue d'hurler vous voulez jouer aux caïdes, avec une main je vous enrhume.

J'entendais largement ce qu'il disait car il hurlait dans le combiné. Les menaces continuent, M. [K] lui dit : en aucun cas je n'ai voulu vous piéger, et je vous rappelle que Melle [C] est dans le bureau depuis le début de la conversation.

Il était très énervé. M. [K] a coupé la conversation rapidement » ;

Attendu que Monsieur [U] conteste pour sa part le comportement et les propos agressifs qui lui sont reprochés, tenant à préciser qu'il se trouvait à son domicile avec un voisin lors de l'appel téléphonique de son employeur , et que ce dernier a rédigé une attestation qu'il verse aux débats ;

que Monsieur [L] [A] a ainsi attesté que, se trouvant le 6 décembre 2012 chez Monsieur [U] lorsque celui-ci a reçu un appel téléphonique de son employeur, il avait pu entendre la conversation car le haut-parleur était activé ; que les deux parties étaient en désaccord à propos d'une rémunération de congés payés, et que l'employeur avait fait intervenir sa secrétaire en sa faveur, disant que Monsieur [U] n'avait fait aucune demande à ce sujet ; qu'en aucun cas Monsieur [U] n'avait manqué de respect à son employeur ;

Mais attendu que Madame [C], seule tierce personne présente, a encore attesté que lors de l'appel de Monsieur [K] à Monsieur [U], à aucun moment ce dernier n'avait précisé qu'une autre personne était présente et écoutait, et qu'en outre elle n'avait pas personnellement perçu que quelqu'un écoutait la conversation téléphonique ;

Attendu dans ces conditions que l'attestation de Monsieur [A], qui ne fait pas état d'éléments précis, ne retrace pas le contenu de la conversation prétendument entendue et exprime seulement son opinion sur les propos de Monsieur [U], alors que Madame [C], témoin des faits, n'avait pas remarqué sa présence, est sujette à partialité de la part de son auteur et doit à ce titre être écartée des débats;

Attendu en conséquence que la société EUROVIA DROME ARDECHE LOIRE AUVERGNE rapporte la preuve par l'attestation de Madame [C] du comportement et des propos particulièrement agressifs de Monsieur [U] tant à l'égard de Monsieur [K], chef d'agence, que d'elle-même ;

que la gravité des menaces et des termes injurieux employés justifie la faute grave reprochée et la rupture du contrat de travail de Monsieur [U] pour placer l'employeur dans l'impossibilité de poursuivre toute relation avec le salarié, même pendant la durée limitée du préavis ;

Attendu qu'il s'ensuit que le jugement déféré doit être encore infirmé en ce qu'il a dit la faute grave n'était pas suffisamment prouvée et que le licenciement de Monsieur [U] était de ce fait dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

que le salarié ayant été en conséquence à bon droit licencié pour faute grave, il ne peut qu'être débouté de ses demandes présentées en paiement d'une indemnité de préavis et des congés payés afférents, d'une indemnité de licenciement et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ; que le jugement déféré mérite dès lors d'être encore infirmé sur ce point;

4°) Sur la discrimination :

Attendu enfin que Monsieur [U] se prétend avoir subi une discrimination de la part de son employeur pour avoir été sanctionné par un avertissement alors qu'il avait été victime des violences volontaires avec arme pour lesquelles Monsieur [S] a été pénalement condamné, mais, semble-t-il, non inquiété au sein de l'entreprise où il est toujours salarié ;

qu'il ajoute s'interroger sur l'appartenance de Monsieur [S] à un syndicat professionnel et sur le fait que celle-ci ait pu influencer la décision de l'employeur , alors que lui-même avait adressé sa lettre de résiliation au syndicat quelques jours après l'agression qu'il avait subie de son fait;

qu'il demande également à son employeur de lui expliquer comment une agression avec arme d'un salarié sur un autre salarié serait moins grave, puisque non sanctionnée, que des insultes, au demeurant contestées, à l'égard d'un supérieur et sanctionnées par un licenciement pour faute grave ;

Mais attendu que la notification d'un avertissement injustifié n'est pas constitutive en soi d'une discrimination, alors même que Monsieur [U] en obtient l'annulation par le présent arrêt ainsi que la réparation du préjudice en résultant ;

qu'en outre, le traitement qui lui a été réservé par son employeur à la suite de l'altercation l'ayant opposé à Monsieur [S] n'est pas différent de celui infligé à ce dernier dans la mesure où les deux salariées ont été sanctionnées du même avertissement ;

que la prétendue discrimination qu'il invoque ne peut résulter de la qualité d'élu de Monsieur [S] et du fait qu'il a lui-même renoncé à son appartenance syndicale quelques jours après l'agression, alors que le motif de cette renonciation est étranger à Monsieur [S] mais tient au seul fait que le délégué syndical de son entreprise, Monsieur [O] [J], ne serait pas intervenu pour le défendre à la suite de l'agression, ainsi qu'il l'a lui-même écrit dans sa lettre de résiliation de son adhésion syndicale en date du 30 juin 2009 qu'il produit aux débats ;

qu'enfin le licenciement disciplinaire dont il a fait l'objet n'est pas lié au comportement de Monsieur [S] et à son accident du travail, mais à sa seule faute résultant de ses propos agressifs et violents tenus le 6 décembre 2012 à l'égard de Monsieur [K] et de Madame [C] ;

que, pour l'ensemble de ces raisons, il n'a subi aucune discrimination de la part de son employeur par rapport à Monsieur [S] et ne peut qu'être débouté de sa demande en paiement de dommages-intérêts de ce chef ;

Attendu par ailleurs qu'aucune des parties ne voyant aboutir intégralement ses prétentions devant la cour, l'équité ne commande pas qu'il soit fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en faveur de quiconque ;

que la société EUROVIA DROME ARDECHE LOIRE AUVERGNE, qui succombe pour avoir été condamnée au paiement de dommages et intérêts en réparation de l'avertissement injustifié, supporte les dépens ;

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant contradictoirement par arrêt rendu public par mise à disposition des parties, après que ces dernières aient été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile et après en avoir délibéré conformément à la loi,

INFIRME le jugement rendu le 26 juin 2014 en toutes ses dispositions ;

et statuant à nouveau,

ANNULE l'avertissement notifié le 5 août 2009 à Monsieur [F] [U] par la société LESCHEL ET MILLET TRAVAUX PUBLICS,

CONDAMNE la société EUROVIA DROME ARDECHE LOIRE AUVERGNE venant aux droits de la société LESCHEL ET MILLET TRAVAUX PUBLICS à verser à Monsieur [F] [U] la somme de 2.000,00 € (DEUX MILLE EUROS) à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice ressortant de la délivrance d'un avertissement injustifié,

DEBOUTE Monsieur [F] [U] de sa demande tendant à voir prononcer la nullité de son licenciement,

DIT que son licenciement repose sur une faute grave et qu'il n'a été victime d'aucune discrimination,

DEBOUTE en conséquence Monsieur [F] [U] de ses demandes en paiement de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse , d'une indemnité de préavis et des congés payés afférents, d'une indemnité spéciale de licenciement et de dommages et intérêts pour discrimination,

DIT n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en faveur de quiconque,

CONDAMNE enfin la société EUROVIA DROME ARDECHE LOIRE AUVERGNE venant aux droits de la société LESCHEL ET MILLET TRAVAUX PUBLICS aux entiers dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

Christine SENTIS Jean-Louis BERNAUD


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale c
Numéro d'arrêt : 14/06482
Date de la décision : 22/01/2016

Références :

Cour d'appel de Lyon SC, arrêt n°14/06482 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-01-22;14.06482 ?
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