AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE
R.G : 14/05960
SA CHAMPAGNE DEUTZ
C/
[D]
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VILLEFRANCHE-SUR-SAONE
du 23 Juin 2014
RG : F 13/00263
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE B
ARRÊT DU 20 NOVEMBRE 2015
APPELANTE :
SA CHAMPAGNE DEUTZ
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Comparante par M. [V] [K] (Directeur des affaires financières) en vertu d'un pouvoir général, assisté par Me Nicolas CARNOYE de la SELAFA FIDAL, avocat au barreau de REIMS
INTIMÉE :
[F] [D]
née le [Date naissance 1] 1947 à [Localité 1]
'[Adresse 2]'
[Adresse 2]
comparante en personne, assistée de Me Nicolas FANGET de la SELARL VEBER ASSOCIÉS, avocat au barreau de LYON substituée par Me Virginie DUBOC, avocat au barreau de LYON
Parties convoquées le : 02 février 2015
Débats en audience publique du : 15 octobre 2015
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Michel SORNAY, Président
Didier JOLY, Conseiller
Natacha LAVILLE, Conseiller
Assistés pendant les débats de Lindsey CHAUVY, Greffier placé.
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 20 novembre 2015, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Michel SORNAY, Président, et par Lindsey CHAUVY, Greffier placé à la Cour d'Appel de LYON suivant ordonnance du Premier président de la Cour d'Appel de LYON en date du 16 septembre 2015, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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[F] [D] a été engagée la S.A. Maison Deutz & Geldermann en qualité de V.R.P. multicartes suivant contrat écrit à durée indéterminée du 1er octobre 1985, soumis à l'accord national interprofessionnel des V.R.P. du 3 octobre 1975. Ce contrat lui assurait l'exclusivité de la représentation à l'égard de la clientèle qu'elle aurait créée dans son secteur géographique (département du Rhône), en prospectant la clientèle définie à l'annexe III (cafés-hôtels-restaurants, particuliers, comités d'entreprise et cadeaux d'affaires, à l'exclusion du commerce de grande distribution).
L'annexe V au contrat de travail contenait une grille des commissions dont le taux variait de 6,7% à 13,5%.
En 1997, la S.A. Champagne DEUTZ a confié à un grossiste, la société SOLYBO, exerçant sous l'enseigne "France Boissons", une clientèle de cafetiers et de restaurateurs.
Après avoir consulté son conseil en janvier 1998, [F] [D] s'est rapprochée de son employeur qui lui a fait savoir, par lettre du 18 juin 1998, qu'une commission de 3% lui serait désormais versée chaque trimestre sur les affaires traitées avec le grossiste SOLYBO.
Le 1er mars 2004, la S.A. Champagne DEUTZ a conclu un contrat de représentation commerciale avec l'E.U.R.L. [W] [I].
Le 21 février 2005, une convention a été conclue entre [F] [D] et la S.A. Champagne DEUTZ, aux termes de laquelle la première confiait à [W] [I], sans contrepartie, une liste de clients inactifs afin qu'il exploite cette clientèle.
Cette convention n'a pas mis fin aux difficultés et, dans un courrier du 31 octobre 2005, le directeur commercial a annoncé à [F] [D] l'envoi d'une liste de clients sur lesquels un accord s'était réalisé et qui constituerait sa "limite territoriale...hors Clientèle Particulière/Société, cela va de soi". Cette liste lui a été transmise le 3 février 2006.
Dans un courrier du 2 février 2007, la S.A. Champagne DEUTZ a relevé que si le chiffre du "69" était en progrès global, la contre-performance de [F] [D] sur sa clientèle ne manquait pas de susciter de réelles inquiétudes.
La salariée a contesté cette baisse par lettre du 8 mars 2007 tout en précisant qu'elle avait déjà perdu plusieurs clients sur la liste qu'elle avait du accepter (cessation d'activité, prix trop élevé...) et en soulignant qu'un chiffre d'affaires ne pouvait que diminuer s'il n'était pas enrichi de nouveaux clients.
En septembre 2012, à l'occasion d'une réunion, [F] [D] a fait savoir au directeur commercial de la société qu'elle comptait cesser son activité en fin d'année pour prendre sa retraite.
Par lettres recommandées des 17 décembre 2012 et 11 janvier 2013, restées sans réponse, [F] [D] est revenue sur l'évolution de la relation de travail depuis 2005, écrivant qu'elle avait compris que la S.A. Champagne DEUTZ avait décidé de réorganiser son réseau de vente et qu'elle ne faisait plus partie de l'avenir de la maison.
Le 23 janvier 2013, [F] [D] a confirmé que, "dans la situation actuelle", elle serait présente à une réunion fixée le 6 février 2013.
[F] [D] envisageait alors de céder son portefeuille de clients à [T] [O], dont la S.A. Champagne DEUTZ avait validé la candidature, moyennant la somme de 40 000 €.
Le 12 avril 2013, [T] [O] a informé la société de ce qu'après avoir consulté son avocat, elle pensait s'orienter vers un statut d'agent commercial. Elle souhaitait que le rachat intervînt entre elle et la société, mais celle-ci a estimé préférable que la transaction se fît entre [F] [D] et [T] [O]. En effet, la S.A. Champagne DEUTZ considérait que le prix de cession de 40 000 € était surévalué au regard de la clientèle actuelle, ce que la responsable des ressources humaines a relevé dans un courriel adressé à [T] [O] le 23 mai 2013.
Le 6 juin 2013, la société a répondu aux interrogations de celle-ci en précisant notamment que la prospection serait ouverte sur toute la clientèle du Rhône autorisée (cafés-hôtels-restaurants, particuliers, VAE, entreprises) sous réserve de respecter les clients actifs de [W] [I].
La responsable des ressources humaines a transmis un projet de contrat de travail à [T] [O] le 14 juin 2013. Le 5 juillet, elle a fait parvenir à celle-ci un nouveau projet amendé pour tenir compte de ses remarques.
Le 19 septembre 2013, [T] [O] a répondu à la S.A. Champagne DEUTZ que la négociation de la rupture du contrat de travail qui la liait à son employeur n'avait pas encore abouti.
Puis [T] [O] n'a plus donné signe de vie.
Aucun des candidats à la reprise de la carte de [F] [D] n'a pu conclure, la S.A. Champagne DEUTZ excluant désormais la possibilité pour le cessionnaire de prospecter une clientèle nouvelle.
[F] [D] a été placée en congé de maladie le 13 septembre 2013 et des avis d'arrêt de travail successifs lui ont été délivrés jusqu'au 31 mars 2014.
Le médecin du travail l'a déclarée apte lors de la visite de reprise du 24 avril 2014.
Le 11 octobre 2013, [F] [D] a saisi le Conseil de prud'hommes de Villefranche-sur-Saône d'une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail.
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LA COUR,
Statuant sur l'appel interjeté le 15 juillet 2014 par la S.A. Champagne DEUTZ du jugement rendu le 23 juin 2014 par le Conseil de prud'hommes de VILLEFRANCHE-SUR-SAÔNE (section encadrement) qui a :
- prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail établi entre [F] [D] et la S.A. Champagne DEUTZ aux torts exclusifs de l'employeur à compter du jugement,
- dit que cettte résolution judiciaire entraîne les mêmes effets qu'un licenciement intervenu sans cause réelle et sérieuse,
- par conséquent, condamné la S.A. Champagne DEUTZ à verser à [F] [D] les sommes de :
2 400,00 € au titre de l'indemnité de préavis,
240,00 € au titre des congés payés afférents à l'indemnité de préavis,
40 000,00 € au titre de l'indemnité de clientèle,
10 000,00 € à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale et fautive du contrat de travail,
7 200,00 € à titre de dommages-intérêts pour résolution judiciaire du contrat de travail entraînant les mêmes effets qu'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
1 000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté [F] [D] de sa demande de dommages-intérêts pour perte de chance de faire valoir ses droits acquis au titre du droit individuel à la formation,
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
- condamné la S.A. Champagne DEUTZ aux entiers dépens ;
Vu les conclusions régulièrement communiquées au soutien de ses observations orales du 15 octobre 2015 par la S.A. Champagne DEUTZ qui demande à la Cour de :
- infirmer la décision rendue par le Conseil de prud'hommes de Villefranche-sur-Saône en toutes ses dispositions,
- statuant à nouveau, débouter [F] [D] de l'intégralité de ses demandes,
- condamner [F] [D] à payer à la S.A. Champagne DEUTZ la somme de 5 000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner aux entiers dépens ;
Vu les conclusions régulièrement communiquées au soutien de ses observations orales du 15 octobre 2015 par [F] [D] qui demande à la Cour de :
1°) confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
- prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de la S.A. Champagne DEUTZ,
- dit que la rupture du contrat de travail doit produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- par conséquent, condamné la S.A. Champagne DEUTZ à verser à [F] [D] les sommes de :
2 400,00 € au titre de l'indemnité de préavis,
240,00 € au titre des congés payés afférents à l'indemnité de préavis,
40 000,00 € au titre de l'indemnité de clientèle ;
2°) pour le surplus, statuant à nouveau, condamner la S.A. Champagne DEUTZ au paiement des sommes nettes suivantes :
- dommages-intérêts pour perte d'une chance de faire valoir
ses droits acquis au DIF/CPF2 400,00 €
- dommages-intérêts pour exécution déloyale et fautive du contrat de travail 20 000,00 €
- dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse 80 000,00 €
3°) condamner la S.A. Champagne DEUTZ au paiement de la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de l'instance ;
Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail :
Attendu qu'aux termes de l'article L 1221-1 du code du travail, le contrat de travail est soumis aux règles du droit commun des contrats synallagmatiques pour tout ce sur quoi il n'est pas dérogé par des dispositions légales particulières ; que l'action en résiliation d'un contrat de travail est donc recevable, conformément à l'article 1184 du code civil, dès lors qu'elle est fondée sur l'inexécution par l'employeur de ses obligations ; que le manquement de l'employeur doit cependant être suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail ;
Que si l'employeur ne doit pas faire concurrence au représentant sur le secteur dont il lui a consenti l'exclusivité, le contrat de travail du 1er octobre 1985 ne conférait d'exclusivité à [F] [D] que sur la clientèle créée par elle dans le secteur géographique qui lui était attribué ; que la S.A. Champagne DEUTZ se réservait toutefois le droit de visiter la clientèle confiée à la salariée et d'y prendre des ordres ; que celle-ci ne démontre pas que la société SOLYBO a réalisé des ventes avec des hôtels, cafés et restaurants qu'elle avait elle-même démarchés et qui faisaient partie de sa clientèle ; que l'engagement pris par l'employeur le 18 juin 1998 de lui verser désormais chaque trimestre une commission de 3% sur les affaires traitées avec le grossiste SOLYBO n'a donné lieu de sa part à aucune contestation au cours des années suivantes, alors que le taux de commissions consenti était sensiblement inférieur au taux appliqué aux ventes que la salariée réalisait personnellement ; que le caractère transactionnel de l'engagement de l'employeur ne peut être écarté ; qu'en l'absence de tout vice de consentement démontré, [F] [D] ne peut remettre en cause la convention qu'elle a conclue avec la S.A. Champagne DEUTZ le 21 février 2005 et qui a transféré à [W] [I] une partie de ses clients, impossible à évaluer en pourcentage ; que la salariée ne démontre pas que la S.A. Champagne DEUTZ lui a alors interdit toute prospection ; que la pièce 23 de l'appelante est un tableau récapitulatif, année par année, des commissions perçues par celle-ci de 2000 à 2013 ;
que l'évolution du montant annuel des commissions au fil du temps ne révèle aucune diminution de celles-ci, susceptible d'être mise en relation avec une atteinte à l'exclusivité de l'intimée sur sa clientèle, et ce jusqu'en 2009, année où les commissions ont atteint un pic de 41 269,41 € ; que l'impact de la convention du 21 février 2005 est imperceptible puisque la salariée a retrouvé en 2007 le niveau de ses commissions de 2004, les années 2003 à 2009 étant caractérisées par une grande stabilité ; que cette donnée confirme que les clients cédés à [W] [I] étaient des clients inactifs ; que la diminution des commissions a été progressive et continue de 2010 à 2013 et plus marquée entre 2010 et 2011 (- 21%) ; que le motif de cette chute, qui n'a été suivie d'aucun redressement les années suivantes, n'est pas connu ; qu'aucune pièce ne permet de rapporter l'évolution défavorable de la rémunération de l'intimée à un des griefs qu'elle articule à l'encontre de son employeur ; que le grief tiré d'un refus de plusieurs de ses commandes par l'employeur n'est pas caractérisé ; qu'en effet, la salariée, qui a une nette propension à rechercher la preuve de ses dires dans ses propres écrits, communique sous les numéros 18, 20 et 22 à 25 des documents portant sa seule écriture, à l'exclusion de tout bon de commande régularisé par un client ;
Attendu qu'un V.R.P. peut être autorisé à céder la valeur de la clientèle qu'il a apportée, créée ou développée pour son entreprise, sous réserve qu'il renonce au bénéfice de l'indemnité de clientèle à laquelle il peut prétendre et que l'employeur ait donné son accord à ladite cession ;
Qu'en l'espèce, [F] [D] persiste à nier, contre la pièce adverse n°1, avoir exprimé l'intention de prendre sa retraite ; qu'elle ne communique aucun élément de nature à établir que la S.A. Champagne DEUTZ lui avait laissé croire qu'elle lui verserait une indemnité de clientèle de 40 000 € à son départ ; que la société, qui avait agréé [T] [O] en qualité de cessionnaire du portefeuille de clients de [F] [D], n'a fait qu'exercer un droit en refusant de procéder elle-même au rachat d'une clientèle qui, en dernière analyse, était la sienne ; que deux projets de contrat de travail ont été successivement transmis à [T] [O] qui s'est finalement désistée pour un motif inconnu ; qu'à ce stade, l'échec du projet ne peut être imputé à la S.A. Champagne DEUTZ ; qu'il est vrai qu'ensuite, celle-ci a refusé d'ouvrir la clientèle du département du Rhône aux autres repreneurs potentiels de la carte de la salariée ; que ces derniers auraient donc exploité une clientèle fermée ; que l'intimée ne saurait cependant reprocher à la S.A. Champagne DEUTZ d'avoir envisagé de modifier son organisation à la faveur de son départ en ne recourant plus à des V.R.P. pour diffuser ses produits ; qu'il est à noter toutefois que le contrat d'agent commercial proposé à [T] [O] répondait au choix de celle-ci et non à une exigence de la société ; qu'aucune exécution déloyale du contrat de travail ne peut être imputée à l'employeur ; que l'affirmation selon laquelle ce dernier aurait sciemment 'laissé traîner la situation' pour diminuer la valeur du portefeuille de la salariée relève du procès d'intention ;
Qu'enfin, l'absence de visites médicales d'embauche et périodique, invoquée très tardivement, et en tout cas après la visite de reprise du 24 avril 2014, ne peut à elle seule justifier la résiliation du contrat de travail ;
Qu'en conséquence, le jugement du 23 juin 2014 doit être infirmé ; que [F] [D] sera déboutée de l'intégralité de ses demandes et principalement de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail ;
PAR CES MOTIFS,
INFIRME le jugement entrepris,
Statuant à nouveau :
DIT que la S.A. Champagne DEUTZ n'a pas manqué à l'obligation d'exécuter le contrat de travail de bonne foi,
DIT n'y avoir lieu à résiliation judiciaire du contrat de travail,
En conséquence, DÉBOUTE [F] [D] de l'intégralité de ses demandes,
DÉBOUTE les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE [F] [D] aux dépens de première instance et d'appel.
Le Greffier,Le Président,
CHAUVY LindseySORNAY Michel