AFFAIRE PRUD'HOMALE
RAPPORTEUR
R.G : 14/02687
[P]
C/
SA MERCIER MANUTENTION
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOURG-EN-BRESSE
du 14 Mars 2014
RG : F 12/00189
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE B
ARRÊT DU 30 OCTOBRE 2015
APPELANT :
[Y] [P]
né le [Date naissance 1] 1965 à [Localité 1]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
non comparant,représenté par Me Régis DURAND, avocat au barreau de LYON
INTIMÉE :
SA MERCIER MANUTENTION
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Livia LANFRANCHI, avocat au barreau de NICE
Parties convoquées le : 29 août 2014
Débats en audience publique du : 02 octobre 2015
Présidée par Jean-Charles GOUILHERS, Président de chambre magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assisté pendant les débats de Lindsey CHAUVY, Greffier placé.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
- Jean-Charles GOUILHERS, président
- Didier JOLY, conseiller
- Natacha LAVILLE, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 30 octobre 2015 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Jean-Charles GOUILHERS, Président et par Lindsey CHAUVY, Greffier placé à la Cour d'Appel de LYON suivant ordonnance du Premier Président de la Cour d'appel de LYON en date du 16 septembre 2015, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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Vu le jugement contradictoire rendu entre les parties le 14 mars 2014 par le Conseil de Prud'hommes de BOURG-EN-BRESSE, dont appel ;
Vu les conclusions déposées le 2 octobre 2015 par [Y] [P], appelant ;
Vu les conclusions déposées le 2 octobre 2015 par la S.A. MERCIER MANUTENTION, intimée ;
Ouï les parties en leurs explications orales à l'audience du 2 octobre 2015 ;
LA COUR
Attendu que suivant contrat de travail à durée indéterminée à temps complet du 29 septembre 1997 [Y] [P] a été embauché en qualité de chauffeur-levageur, statut ouvrier, par la S.A. MERCIER MANUTENTION exerçant une activité de transferts industriels, de manutention lourde et de levage ;
que le 16 octobre 2007 il a été victime d'un très grave accident du travail ayant entraîné des fractures des deux chevilles ;
qu'à l'issue de la deuxième visite médicale de reprise du 20 avril 2009, le médecin du Travail a déclaré l'intéressé inapte au poste de chauffeur-levageur en indiquant qu'un reclassement était à rechercher sur un poste de type administratif ;
qu'[Y] [P] a été licencié pour inaptitude physique le 28 mai 2009 ;
Attendu que par arrêt confirmatif du 5 mars 2013 aujourd'hui définitif, la Cour de céans a dit que l'accident du travail était la conséquence de la faute inexcusable de l'employeur et renvoyé la cause et les parties devant le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de BOURG-EN-BRESSE aux fins de liquidation des préjudices subis par le salarié après expertise ;
Attendu que pendant le cours de l'instance engagée devant la juridiction de la Sécurité Sociale, [Y] [P] a, le 5 juin 2012, saisi le Conseil de Prud'hommes de BOURG-EN-BRESSE de diverses demandes et notamment de dommages et intérêts pour perte d'emploi ;
Attendu que par jugement du 14 mars 2014, cette juridiction s'est déclarée incompétente pour connaître de la demande relative à la perte d'emploi et a débouté [Y] [P] de toutes autres prétentions ;
Attendu que le susnommé a régulièrement relevé appel de cette décision le 2 avril 2014 ;
Attendu que devant la Cour, l'appelant sollicite à titre principal que son licenciement soit déclaré dépourvu de cause réelle et sérieuse, demande qu'il n'avait formulée qu'à titre subsidiaire en première instance ;
que la compétence d'attribution exclusive de la juridiction prud'homale pour statuer sur les litiges auxquels donne lieu l'exécution du contrat de travail ou sa rupture ne fait plus l'objet d'aucune discussion en cause d'appel ;
Attendu, certes, que la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur par décision de justice ne peut avoir pour conséquence de priver de cause réelle et sérieuse le licenciement pour inaptitude prononcé après un accident du travail, ainsi que le souligne l'intimée ;
qu'il y a lieu simplement de remarquer que l'appelant n'a jamais soutenu un tel moyen et que dès lors la remarque de l'intimée sur ce point est totalement sans portée ;
Attendu qu'en réalité, l'appelant fait valoir que son licenciement est nécessairement dépourvu de cause réelle et sérieuse, l'employeur n'ayant effectué aucune démarche sérieuse de reclassement ;
Attendu que la lettre de licenciement du 28 mai 2009 se borne à énoncer :
'Nous faisons référence à notre entretien du 25 mai 2009 et vous informons de l'obligation devant laquelle nous nous trouvons de procéder à votre licenciement, en raison de votre inaptitude physique, pour cause d'accident du travail, déclarée par la médecine du travail le 06/04/2009 et confirmée le 20/04/2009, notre entreprise ne pouvant pas procéder à votre reclassement pour les raisons exprimées dans notre lettre du 12/05/2009.' ;
Attendu que la lettre de licenciement doit être motivée et que l'insuffisance de la motivation est équivalente à son absence ;
que la simple référence à des entretiens ou correspondances antérieurs ne peut être regardée comme satisfaisant à l'exigence de motivation édictée par l'article L 1232-6 alinéa 2 du Code du Travail ;
qu'en l'état de l'indigence de l'exposé des raisons ayant conduit l'employeur à prononcer le licenciement, la Cour ne peut que constater que la lettre de licenciement en date du 28 mai 2009 n'est pas motivée ;
qu'en particulier, elle n'indique pas que l'inaptitude physique du salarié médicalement constatée lui laissant toutefois la possibilité d'exercer des emplois de type administratif, il a été impossible de le reclasser sur un tel poste après les recherches effectuées en interne ;
Attendu, en outre, qu'il est constant et non contesté que la S.A. MERCIER MANUTENTION fait partie du groupe BOVIS comprenant de nombreuses autres sociétés;
que la lettre de licenciement ne fait aucunement état des recherches de reclassement qui auraient été effectuées auprès des autres sociétés du groupe ;
que la société intimée prétend rapporter la preuve des recherches qu'elle aurait effectuées auprès de ces sociétés en produisant une lettre de la dame [I] [H] , directrice générale du groupe, laquelle, outre qu'elle affirme contre toute évidence n'avoir aucune communauté d'intérêts avec les parties au litige, indique que la réponse négative qu'elle a adressée à la S.A. MERCIER MANUTENTION au sujet du reclassement d'[Y] [P], valait pour l'ensemble des sociétés du groupe ;
que nul ne pouvant se constituer des preuves à soi-même, cette attestation est dépourvue de toute valeur probante ;
Attendu que la société intimée produit aux débats les réponses négatives de plusieurs sociétés du groupe BOVIS ;
que cependant le caractère stéréotypé de ces réponses conduit la Cour à douter des recherches ainsi prétendument effectuées, d'autant plus que le registre unique du personnel des sociétés du groupe n'est pas versé aux débats par l'intimée qui s'y refuse alors que la preuve de l'impossibilité de reclassement incombe à l'employeur ;
Attendu par ailleurs, que la société intimée affirme sans aucunement en rapporter la preuve qu'un poste de type administratif ne correspondait pas aux qualifications d'[Y] [P] auquel elle ne justifie pas avoir demandé de lui faire connaître quels étaient les diplômes dont il est titulaire ni un curriculum vitae relatant ses expériences professionnelles précédentes ;
Attendu, dans ces conditions, que la Cour considère que le licenciement pour inaptitude physique d'[Y] [P] a été prononcé par l'employeur sans que celui-ci ait procédé à une recherche sérieuse de reclassement ainsi que la loi lui en fait obligation ;
que la Cour ne répondra pas au moyen prétendument tiré par l'appelante de la non-rétroactivité de la jurisprudence, s'agissant là d'élucubrations totalement dénuées de sérieux, étant simplement rappelé, ainsi qu'on l'enseigne aux étudiants de première année de droit, que le juge, en France, n'est jamais tenu par la jurisprudence, fût-elle la sienne propre ;
Attendu que l'employeur n'ayant procédé à aucune recherche sérieuse de reclassement, le licenciement pour inaptitude physique prononcé par l'employeur est, de ce seul fait, nécessairement dépourvu de cause et sérieuse ;
Attendu que la décision querellée sera par conséquent infirmée ;
Attendu qu'en application des dispositions de l'article L 1226-15 du Code du Travail et compte tenu du fait que l'appelant est resté dix mois au chômage après son licenciement abusif, il lui sera alloué la somme de 45 268,92 € représentant dix-huit mois de salaire ;
Attendu, sur le non-respect de la procédure de licenciement, qu'il est constant et non contesté que la lettre de convocation à l'entretien préalable mentionne que le salarié a la faculté de consulter une liste de conseillers dont la liste est déposée à la mairie qui est celle du siège de l'entreprise et non celle du domicile de l'intéressé qui demeure dans le département où est situé son lieu de travail ;
que le non-respect de la procédure a nécessairement causé un préjudice au salarié, lequel sera réparé par l'allocation de la somme de 2 514,94 € représentant un mois de salaire, ce par application des dispositions de l'article L 1235-5 dernier alinéa du Code du Travail ;
Attendu, sur la demande de rappel de congés payés, que l'appelant expose qu'il a été placé en congés payés par décision unilatérale de l'employeur du 1er avril au 20 mai 2009 ;
que la société intimée fait valoir qu'il en a été décidé ainsi sur la demande du salarié lui-même ;
Attendu que la fixation des dates auxquelles le salarié peut exercer son droit à congés payés relève exclusivement du pouvoir de direction de l'employeur ;
que c'est donc à lui qu'il incombe de rapporter la preuve de ce que les dates retenues l'ont été conformément à la demande du salarié lorsque survient une contestation sur ce point ;
que force est de constater que la société intimée est dans la plus totale incapacité de rapporter cette preuve ;
que la société intimée sera en conséquence condamnée à payer à l'appelant la somme de 1 732,53 € à titre de rappel de congés payés, l'employeur ne démontrant pas non plus avoir respecté le délai de prévenance ;
Attendu, sur la demande de rappel de l'indemnité compensatrice de préavis, que l'appelant indique qu'il a perçu une indemnité de préavis égale à deux mois de salaire alors qu'au regard des dispositions de l'article L 5213-9 du Code du Travail, il avait droit à une indemnité égale à trois mois de salaire ;
Attendu qu'il est indifférent que l'appelant n'ait été reconnu comme travailleur handicapé que postérieurement à son licenciement ;
que la société intimée sera en conséquence condamnée à payer à [Y] [P] la somme de 2 522,65 € à titre de solde d'indemnité compensatrice de préavis outre celle de 252,26 € pour les congés payés y afférents ;
Attendu, sur la clause de non-concurrence incluse dans le contrat de travail, qu'il est constant que celle-ci ne comporte aucune contrepartie financière au profit du salarié ;
que ladite clause est donc nulle ;
que de plus, l'employeur n'a pas donné mainlevée de la clause de non-concurrence lors de la rupture du contrat de travail ;
Attendu que l'irrégularité de la clause de non-concurrence a nécessairement causé un préjudice au salarié, étant à cet égard indifférent que l'appelant se soit trouvé dans l'impossibilité d'exercer un emploi de même nature au service d'une entreprise concurrente du fait du handicap subsistant ensuite de l'accident du travail dont il a été victime ou qu'il ait retrouvé un emploi de nature différente au service d'une entreprise non concurrente ;
qu'il convient d'allouer à ce titre à l'appelant la somme de 5 000 € à titre de dommages et intérêts ;
Attendu que l'appel étant reconnu fondé, la société intimée sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
Attendu que pour faire reconnaître ses droits devant la Cour, l'appelant a été contraint d'exposer des frais non inclus dans les dépens qu'il paraît équitable de laisser, au moins pour partie, à la charge de l'intimée ;
que celle-ci sera condamnée à lui payer une indemnité de 3 000 € par application de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,
En la forme,
DÉCLARE l'appel recevable ;
Au fond,
le DIT justifié ;
INFIRME le jugement déféré et le MET à néant ;
DIT que le licenciement d'[Y] [P] par la S.A. MERCIER MANUTENTION est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
CONDAMNE la S.A. MERCIER MANUTENTION à payer à [Y] [P] :
1° la somme de 45 268,92 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
2° la somme de 2 514,94 € à titre de dommages et intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement,
3° la somme de 1 732,53 € à titre de rappel de congés payés,
4° la somme de 2 522,65 € à titre de complément d'indemnité compensatrice de préavis outre celle de 252,26 € pour les congés payés y afférents,
5° la somme de 5 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par une clause de non-concurrence stipulée sans contrepartie financière ;
DÉBOUTE la S.A. MERCIER MANUTENTION de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
La CONDAMNE à payer à [Y] [P] une indemnité de 3 000 € par application de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
La CONDAMNE aux dépens de première instance et d'appel.
Le Greffier,
CHAUVY Lindsey
Le Président,
Jean-Charles GOUILHERS