La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

23/10/2015 | FRANCE | N°13/05285

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale b, 23 octobre 2015, 13/05285


AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE







R.G : 13/05285





SA GROUPE PROGRES

C/

[C]







APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de prud'hommes - Formation de départage de LYON

du 18 Juin 2013

RG : F11/01876







COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE B



ARRÊT DU 23 OCTOBRE 2015







APPELANTE :



SA GROUPE PROGRÈS

[Adresse 2]

[Adresse 2]



représentée par Me Yann BOISADAM

de la SCP JOSEPH AGUERA & ASSOCIES, avocat au barreau de LYON





INTIMÉ :



[L] [C]

né le [Date naissance 1] 1959 à [Localité 2]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Adresse 1]



comparant en personne, assisté de Me Patrick SOREL de la SELARL SOREL - HUET, avoca...

AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE

R.G : 13/05285

SA GROUPE PROGRES

C/

[C]

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de prud'hommes - Formation de départage de LYON

du 18 Juin 2013

RG : F11/01876

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE B

ARRÊT DU 23 OCTOBRE 2015

APPELANTE :

SA GROUPE PROGRÈS

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me Yann BOISADAM de la SCP JOSEPH AGUERA & ASSOCIES, avocat au barreau de LYON

INTIMÉ :

[L] [C]

né le [Date naissance 1] 1959 à [Localité 2]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

comparant en personne, assisté de Me Patrick SOREL de la SELARL SOREL - HUET, avocat au barreau de LYON

PARTIES CONVOQUÉES LE : 20 MARS 2015

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 17 SEPTEMBRE 2015

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Michel SORNAY, Président

Didier JOLY, Conseiller

Natacha LAVILLE, Conseiller

Assistés pendant les débats de Christophe BOUCHET, Greffier placé.

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 23 octobre 2015, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Michel SORNAY, Président, et par Lindsey CHAUVY, Greffier placé à la Cour d'Appel de LYON suivant ordonnance du Premier Président de la Cour d'Appel de LYON en date du 16 septembre 2015, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*************

EXPOSE DU LITIGE

[L] [C] a été embauché par la société GROUPE PROGRES SA en qualité de chef d'agence coefficient 180 avec une ancienneté reconnue au 15 octobre 1990, les parties ayant convenu la stipulation suivante :

'Votre affectation à [Localité 1] pourra être modifiée selon les nécessités du service et vos aptitudes professionnelles et, dans ce cadre, vous pourrez être affecté à n'importe quel autre service, établissement ou société ayant un lien juridique avec le GROUPE PROGRÈS SA'.

La relation de travail était régie par la convention collective nationale des journalistes.

[L] [C] a été affecté à [Localité 2] à compter du 1er septembre 2003.

Le 13 décembre 2010, [L] [C] a été informé qu'il était affecté au desk éditorial à [Localité 3] à compter du 15 mars 2011.

[L] [C] a été placé en arrêt maladie le 14 décembre 2010.

Le 20 avril 2011, [L] [C] a saisi le conseil de prud'hommes de LYON aux fins de voir prononcée la résiliation judiciaire de son contrat de travail avec paiement de sommes au titre d'une indemnité de préavis, de congés payés afférents, d'une indemnité de licenciement provisionnelle, d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de dommages et intérêts pour harcèlement moral et d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le syndicat CFE-CGC MEDIAS 2000 est intervenu volontairement.

Par jugement rendu le 18 juin 2013, le juge départiteur du conseil de prud'hommes a :

- prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de [L] [C] aux torts de la société GROUPE PROGRÈS SA,

- condamné la société GROUPE PROGRÈS SA à payer à [L] [C] les sommes suivantes :

* 9 991.16 euros au titre de l'indemnité de préavis ,

* 999.11 euros au trie des congés payés afférents,

* 74 933 euros à titre de provision sur l'indemnité de licenciement,

* 100 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 6 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

* 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société GROUPE PROGRÈS SA à payer au syndicat CFE-CGC MEDIAS 2000 les sommes suivantes:

* 1 000 euros à titre de dommages et intérêts,

* 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs autres demandes,

- condamné la société GROUPE PROGRÈS SA aux dépens.

La cour est saisie de l'appel interjeté le 25 juin 2013 par la société GROUPE PROGRÈS SA.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par conclusions régulièrement communiquées, visées par le greffier et développées oralement à l'audience du 17 septembre 2015, auxquelles il est expressément fait référence pour un plus ample exposé, la société GROUPE PROGRÈS SA a exposé que [L] [C], en congé-maladie continu depuis le 13 décembre 2010, avait fait l'objet d'une visite médicale de reprise le 2 octobre 2013 qui avait conclu à l'inaptitude de [L] [C] 'à son poste de travail comme à tout autre poste de l'entreprise' de sorte que la société GROUPE PROGRÈS SA, après impossibilité de procéder au reclassement de [L] [C], a procédé à son licenciement pour inaptitude par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 23 novembre 2013.

La société GROUPE PROGRÈS SA demandé à la cour d'infirmer le jugement entrepris et:

- de débouter [L] [C] de l'intégralité de ses demandes,

- de juger que le licenciement de [L] [C] pour inaptitude était bien-fondé et de condamner [L] [C] à lui payer la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- de débouter le syndicat CFE-CGC MEDIAS 2000 de ses demandes et de le condamner à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société GROUPE PROGRES SA a fait valoir que les faits invoqués par [L] [C] au titre du harcèlement moral étaient en réalité justifiés par les intérêts de l'employeur et qu'il n'existait au sein de l'entreprise aucun poste correspondant aux qualifications de [L] [C] et à l'avis du médecin du travail.

Par conclusions régulièrement communiquées, visées par le greffier et développées oralement à l'audience du 17 septembre 2015, auxquelles il est expressément fait référence pour un plus ample exposé, [L] [C] a demandé à la cour :

- de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail et à titre subsidiaire de juger nul et de nul effet son licenciement pour inaptitude,

- de condamner la société GROUPE PROGRES SA à lui payer les sommes suivantes :

* 9 991.16 euros au titre de l'indemnité de préavis ,

* 999.11 euros au trie des congés payés afférents,

* 74 933.70 euros à titre de provision sur l'indemnité de licenciement,

* 180 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et à titre subsidiaire pour nullité du licenciement,

* 30 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

* 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- de dire que les sommes allouées au titre de l'indemnité de préavis, des congés payés afférents et de l'indemnité de licenciement porteront intérêts au taux légal à compter du 15 avril 2011, date de la saisine du conseil de prud'hommes,

- de débouter la société GROUPE PROGRES SA de ses demandes et moyens et de la condamner aux dépens.

[L] [C] a invoqué à l'appui de sa demande en résiliation judiciaire du contrat de travail d'une part les graves manquements de la société GROUPE PROGRES SA à son obligation de sécurité de résultat relative à sa santé, d'autre part le harcèlement moral commis par la société GROUPE PROGRÈS SA et enfin l'exécution déloyale du contrat de travail par l'employeur.

Sur le manquement à l'obligation de sécurité, [L] [C] a soutenu que l'employeur n'a pris aucune mesure pour mettre un terme à la souffrance endurée par [L] [C] et constatée à l'occasion d'un rapport d'expertise du CHSCT et de diverses interventions du médecin du travail.

Sur le harcèlement moral, [L] [C] a fait valoir à l'encontre de la société GROUPE PROGRÈS SA : un contrôle abusif de ses notes de frais, une tentative abusive de mutation en mars 2008, la modification de son contrat de travail en décembre 2010, des injonctions paradoxales, des vexations et frustrations gratuites, des demandes de justification d'arrêts de travail alors qu'il était hospitalisé, un refus abusif de l'autoriser à enseigner le journalisme, son boycottage en qualité d'auteur outre des vexations et des frustrations gratuites.

Par conclusions régulièrement communiquées, visées par le greffier et développées oralement à l'audience du 17 septembre 2015, auxquelles il est expressément fait référence pour un plus ample exposé, le syndicat CFE-CGC MEDIAS 2000 a demandé à la cour:

- de dire son intervention volontaire recevable,

- de condamner la société GROUPE PROGRES SA à lui payer les sommes suivantes:

* 2 000 euros à titre de dommages et intérêts,

* 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- de condamner la société GROUPE PROGRÈS SA aux dépens.

MOTIFS

Attendu liminairement qu'il y a lieu de dire recevable l'intervention volontaire du syndicat CFE-CGC MEDIAS 2000.

- sur la résiliation judiciaire du contrat de travail

Attendu qu'il ressort des dispositions de l'article 1184 du code civil que la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l'une des deux parties ne satisfera point à son engagement ;

que dans ce cas, la partie envers laquelle l'engagement n'a point été exécuté a le choix ou de forcer l'autre à exécution de la convention lorsque celle-ci est possible, ou d'en demander la résolution avec dommages et intérêts, ou, en cas d'exécution partielle ou successive, la résiliation.

Attendu ainsi que lorsqu'un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur, le juge doit rechercher si la demande de résiliation était justifiée en raison de manquements suffisamment graves de l'employeur empêchant la poursuite du contrat de travail ; que la date de la résiliation du contrat de travail ne peut être fixée qu'au jour de la décision qui la prononce dès lors que le contrat n'a pas été rompu avant cette date.

Attendu que lorsque la résiliation judiciaire du contrat de travail a été prononcée aux torts de l'employeur, le licenciement postérieur notifié par ce dernier est sans effet ; que si le licenciement est notifié après le jugement de résiliation mais avant la décision de la cour d'appel saisie d'un recours, celle-ci doit d'abord se prononcer sur le bien-fondé de la résiliation.

Attendu en l'espèce que la cour est donc tenue de se prononcer sur la demande de résiliation judiciaire avant d'examiner la demande au titre du licenciement, lequel est intervenu le 23 novembre 2013, soit postérieurement au jugement de première instance.

Attendu que [L] [C] conclut à la résiliation judiciaire de son contrat de travail en soutenant que la société GROUPE PROGRÈS SA a commis de graves manquements à son obligation de sécurité de résultat relative à la santé du salarié, un harcèlement moral outre un manquement à l'obligation d'exécuter loyalement le contrat de travail.

Attendu qu'il sera relevé dès à présent que le moyen tiré du manquement à l'obligation d'exécuter loyalement le contrat de travail est soulevé en page 26 des écritures de [L] [C] mais ne fait l'objet d'aucune motivation ni en fait ni en droit ; que ce moyen doit donc être écarté.

Attendu qu'il convient à présent d'examiner les moyens tirés du harcèlement moral et des manquements à l'obligation de sécurité de résultat de la société GROUPE PROGRÈS SA relative à la santé de [L] [C], pour ensuite statuer sur le bien-fondé de la demande en résiliation judiciaire du contrat de travail.

1. le harcèlement moral

Attendu qu'aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Attendu que selon l'article L.1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné,

licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

Attendu que l'article L.1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Attendu qu'en l'espèce, [L] [C] invoque les faits suivants qui selon lui permettent d'établir qu'il a été victime d'un harcèlement moral : le contrôle abusif de ses notes de frais, une tentative de mutation suivie d'une mutation sans son accord, des injonctions paradoxales, des demandes de justification d'arrêts de travail alors qu'il était hospitalisé, un refus abusif de l'autoriser à enseigner le journalisme, son boycottage en qualité d'auteur, outre des vexations et des frustrations gratuites.

Attendu qu'il convient donc d'examiner chacun des faits invoqués et de vérifier en cas de harcèlement moral présumé si des éléments objectifs les justifient.

Attendu que s'agissant du contrôle des notes de frais exposés au cours de l'année 2009 pour une somme d'environ 1 200 euros qui selon [L] [C] est abusif et constitue un harcèlement moral, la cour constate que les parties ne font que reprendre devant la cour leurs prétentions et leurs moyens de première instance, étant relevé que la société GROUPE PROGRÈS SA affirme dans ses dernières écritures sans nullement le démontrer que [L] [C] 'optimisait artificiellement ses déplacements';

qu'ainsi, en l'absence d'éléments nouveaux soumis à son appréciation, la cour estime que le premier juge, par des motifs pertinents qu'elle adopte, a fait une exacte appréciation des faits de la cause et des droits des parties ; qu'il convient en conséquence de confirmer le jugement qui a dit que le contrôle abusif des notes de frais de [L] [C] par la société GROUPE PROGRÈS SA est constitutif de harcèlement moral.

Attendu qu'en ce qui concerne les autres agissements invoqués selon les principes précités.

A - une mutation en décembre 2010 sans l'accord du salarié

Attendu que la clause de mobilité insérée au contrat de travail oblige le salarié à accepter par avance toute modification de son lieu de travail décidée par l'employeur dans le cadre de son pouvoir de direction ;

qu'à défaut de précision sur la zone géographique d'application, la clause, qui ne peut conférer à l'employeur le pouvoir d'en étendre unilatéralement la portée, est sans effet.

Attendu que dans le cadre de son pouvoir de direction, l'employeur peut changer les conditions de travail d'un salarié ;

que le salarié est en droit de refuser les modifications du contrat de travail décidées par l'employeur, lesquelles s'entendent des mesures portant sur la matière du contrat, telles la rémunération, la durée du travail, le lieu de travail, la qualification du salarié ou l'économie fonctionnelle du contrat de travail; que l'employeur qui veut procéder à des modifications du contrat de travail est tenu d'obtenir l'acceptation du salarié.

Attendu qu'en l'espèce, la proposition de mutation faite à [L] [C] le 3 mars 2008 ne saurait laisser présumer l'existence d'un harcèlement, celui-ci ayant pu sans difficulté avérée refuser d'y donner suite après avoir tenté d'obtenir des précisions sur les conditions de mise en oeuvre.

Attendu sur la mutation de décembre 2010 que [L] [C] se prévaut à l'appui de son moyen tiré du harcèlement moral tant du courriel que du courrier en date du 13 décembre 2010 l'informant qu'il était affecté au desk éditorial à [Localité 3] à compter du 15 mars 2011.

Attendu qu'il ne saurait être discuté que [L] [C] a fait l'objet d'une mutation à [Localité 3] le 13 décembre 2010.

Attendu qu'il convient de relever d'une part que le contrat de travail de [L] [C] comporte une clause de mobilité rédigée en ces termes :

'Votre affectation à [Localité 1] pourra être modifiée selon les nécessités du service et vos aptitudes professionnelles et, dans ce cadre, vous pourrez être affecté à n'importe quel autre service, établissement ou société ayant un lien juridique avec le GROUPE PROGRÈS SA';

que cette clause est contraire aux dispositions de l'article 20 de la convention collective applicable en l'espèce qui dispose que: 'Les conditions de mutation dans le territoire national feront l'objet d'un accord précis dans la lettre d'engagement'; qu'en effet, la clause insérée au contrat de travail de [L] [C] et rappelée ci-dessus ne comporte aucune précision sur les conditions d'affectation du salarié à tout autre service que celui occupé à [Localité 1] ;

que cette clause ne saurait donc produire un quelconque effet.

Attendu que la société GROUPE PROGRÈS SA a donc décidé de procéder à la mutation de [L] [C] en l'absence de clause de mobilité valable.

Et attendu d'autre part que la mutation de [L] [C] à [Localité 3] donnait nécessairement lieu :

- à une modification des horaires de [L] [C], la société GROUPE PROGRÈS SA reconnaissant dans ses écritures que [L] [C] aurait été appelé à travailler 63 nuits par an ce qui ne lui avait pas été demandé dans le cadre de son affectation à [Localité 2] où il bénéficiait d'horaires libres en vertu de l'article 29 de la convention collective applicable en l'espèce qui dispose que 'Les parties reconnaissent que les nécessités inhérentes à la profession ne permettent pas de déterminer la répartition des heures de travail...';

- à une modification de ses fonctions qui correspondaient dans le site de [Localité 2] à un poste de chef d'agence dont la société GROUPE PROGRÈS SA ne conteste pas qu'il s'agit d'un reporter départemental donc d'un travail de terrain, le poste de [Localité 3] visant quant à lui à lui faire vérifier les articles rédigés par ses confrères ;

- à une atteinte à sa vie personnelle en ce que [L] [C], marié et père de trois enfants, aurait été contraint en travaillant à [Localité 3] d'exercer son activité professionnelle à 80 kilomètres de son domicile, et donc d'effectuer plusieurs heures de transport chaque jour.

Attendu qu'il s'ensuit que l'économie fonctionnelle du contrat de travail de [L] [C] a été bouleversée du fait de la mutation décidée par la société GROUPE PROGRÈS SA qui a donc procédé à une modification du contrat de travail du salarié sans son accord.

Attendu qu'ainsi, la mutation du 13 décembre 2010 est intervenue alors que d'une part elle se fondait sur une clause de mobilité qui n'est pas valable et que d'autre part elle correspond à une modification du contrat de travail sans l'accord du salarié, ce qui laisse donc bien présumer l'existence d'un harcèlement moral de ce chef aussi ;

Attendu que pour contester ce harcèlement, l'employeur fait valoir qu'il n'a fait qu'appliquer la clause contractuelle de mobilité, et que cette mutation est un fait objectif qui s'imposait dans l'intérêt économique de l'entreprise ;

qu'il ne produit toutefois aucune pièce justifiant de l'intérêt économique de la mutation décidée en décembre 2010 en vertu d'une clause de mobilité dont il ne pouvait ignorer l'illicéité ;

que dans ce contexte, cette mutation sans l'accord du salarié s'apparente en réalité, au vu de la chronologie des faits, davantage à une réponse voire à une sanction de la part de la direction suite à la décision de [L] [C] de ne pas donner suite à l'offre de l'employeur portant sur des fonctions de 'chef d'information responsable des secrétariats de rédaction' au sein de l'agence [Localité 2] en 2008 ;

qu'enfin, il n'est pas justifié que les mutations des autres salariés invoquées par la société GROUPE PROGRES SA aient été réalisées dans les conditions identiques à celle réservées à [L] [C] ;

Qu'il en résulte que cette mutation s'inscrit aussi dans une démarche de harcèlement de l'employeur à l'encontre de monsieur [C] ;

B - des injonctions paradoxales

Attendu que [L] [C] soutient qu'à l'occasion de la couverture du trophée des entreprises, en 2008 il a été remplacé par une collègue à 17 heures et en 2009 il a été désigné pour remplacer la collègue en charge de l'événement alors qu'il venait d'effectuer 14 heures de travail.

Attendu qu'en l'état, [L] [C] ne démontre pas que par ces faits, séparés d'une année, la société GROUPE PROGRÈS SA a eu la volonté de lui nuire ou de le harceler; que ces faits ne permettent donc pas de présumer l'existence d'un harcèlement.

C - des demandes de justification d'arrêts de travail alors que [L] [C] était hospitalisé

Attendu que [L] [C] justifie qu'il a subi une opération chirurgicale le 24 mars 2010 et que son employeur en a été informé par courriel du 13 mars 2010 ; que toutefois, aucune pièce n'établit que la société GROUPE PROGRÈS SA a contacté téléphoniquement [L] [C] le jour de l'opération pour obtenir de sa part un arrêt de travail ; que le relevé des messages reçus produits par [L] [C] est dépourvu de force probante à cet égard ; que ce fait ne permet donc pas de présumer l'existence d'un harcèlement.

D- un refus abusif de l'autoriser à enseigner le journalisme, son boycottage en qualité d'auteur, des vexations et des frustrations gratuites

Attendu que [L] [C] reproche à la société GROUPE PROGRES SA :

- d'avoir fait obstacle à l'enseignement du journalisme pour lequel il avait été sollicité à la fin de l'année 2008 en lui refusant un aménagement de son temps de travail sur un ou deux vendredis par mois ;

- d'avoir empêché les journalistes de la rédaction d'évoquer les livres écrits par [L] [C] et d'avoir fait 'd'amicales pressions' sur les salons afin de ne pas présenter lesdits livres,

- d'avoir refusé d'envoyer [L] [C] à PARIS pour y couvrir le salon de l'agriculture en 2008 et 2009.

Attendu toutefois que ces affirmations ne sont étayées par aucune pièce probante suffisamment précise et circonstanciée ; que ces faits ne permettent donc pas de présumer l'existence d'un harcèlement.

*

Attendu qu'en conséquence, le harcèlement moral est établi tant par le contrôle abusif des notes de frais que par la mutation du 13 décembre 2010 qui est intervenue sans clause de mobilité valable et qui a modifié le contrat de travail du salarié sans son consentement.

Attendu qu'il s'ensuit que par ces agissements constitutifs de harcèlement moral, la société GROUPE PROGRÈS SA a manqué à ses obligations résultant du contrat de travail.

2. le manquement à l'obligation de sécurité

Attendu qu'aux termes de l'article L 4121-1 du code du travail, l'employeur est tenu, pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, de prendre les mesures nécessaires qui comprennent des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail, des actions d'information et de formation et la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés, l'employeur veillant à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

Attendu qu'en l'espèce, [L] [C] verse aux débats un certificat médical établi le 14 janvier 2011 par le docteur [Y] [X], médecin du travail, duquel il ressort que ce praticien a reçu en 2004 puis en 2006 [L] [C] qui se disait très satisfait de son activité professionnelle et très motivé ; qu'en 2008, il était noté 'une souffrance psychique en relation avec son activité professionnelle du fait de nouvelles organisations de travail : augmentation de la charge de travail, un manque de reconnaissance du travail effectué, une perte de confiance dans la hiérarchie', des traitements médicamenteux étant nécessaires pour trouver un sommeil réparateur ; qu'en janvier 2010, [L] [C] présentait 'un état de grande souffrance psychique avec perturbation de sommeil et cauchemars professionnels d'une grande violence, une culpabilisation ...' et se trouvait placé en arrêt-maladie ;

qu'une amélioration de l'état de santé de [L] [C] a été constatée en avril 2010 mais suivi d'une rechute ; qu'en janvier 2011, [L] [C] faisait part au médecin du travail d'une 'certaine humiliation à devoir demander des justificatifs de déplacement et d'entretiens pour la réalisation de ses articles' et de sa mutation à [Localité 3] qui lui avait été 'proposée' de façon autoritaire et qui lui aurait fait perdre, s'il l'avait acceptée, le 'rapport plaisir/travail car la partie rédactionnelle n'aurait plus été d'actualité'; que le médecin du travail concluait à un état de santé contre-indiquant la reprise de son activité professionnelle au sein de l'entreprise.

Attendu que ce document s'analyse en une alerte donnée par le médecin du travail à propos de la souffrance au travail vécue par [L] [C] et que ne pouvait ignorer la société GROUPE PROGRÈS SA, qui d'ailleurs ne conclut curieusement pas sur le moyen.

Attendu que force est de constater que s'agissant de [L] [C], la société GROUPE PROGRES SA n'a pris aucune décision de nature à remédier à sa souffrance ; que bien au contraire, la décision de muter [L] [C] prise en décembre 2010 n'a fait qu'aggraver la situation de ce dernier.

Attendu que dans ces conditions, la société GROUPE PROGRÈS SA a bien manqué à son obligation de sécurité de résultat précitée née de l'article L 4121-1 précité.

Attendu qu'en définitive, les manquements de l'employeur énoncés ci-dessus (harcèlement moral et manquement à l'obligation de sécurité de résultat) sont suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail et justifient que celui-ci soit résilié aux torts de la société GROUPE PROGRÈS SA;

Que le jugement déféré sera donc confirmé de ce chef.

- sur les dommages et intérêts

Attendu que la résiliation judiciaire du contrat à durée indéterminée prononcée à l'initiative du salarié et aux torts de l'employeur produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Attendu qu'il résulte de la combinaison des articles L 1235-3 et L 1235-5 du code du travail que si le licenciement d'un salarié ayant au moins deux ans d'ancienneté dans une entreprise occupant habituellement 11 salariés au moins survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié avec maintien de ses avantages acquis ; que si l'une ou l'autre des parties refuse, le juge octroie une indemnité au salarié; que cette indemnité, à la charge de l'employeur, ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois; qu'elle est due sans préjudice, le cas échéant, de l'indemnité de licenciement prévue à l'article L. 1234-9 du code du travail.

Attendu qu'en l'espèce, en l'état du prononcé de la résiliation judiciaire confirmée ci-dessus, [L] [C] a subi un préjudice que le premier juge a justement évalué à la somme de 100 000 euros ; que le jugement sera confirmé de ce chef.

Attendu que la cour a retenu ci-dessus l'existence d'un harcèlement moral au titre de la résiliation judiciaire du contrat de travail ;

Qu'eu égard aux circonstances du harcèlement subi, de sa durée, et des conséquences dommageables qu'il a eu pour [L] [C] telles qu'elles ressortent des pièces et des explications fournies et notamment des arrêts de travail établis dès l'année 2009 et du certificat du docteur [X] cité ci-dessus, le préjudice en résultant pour [L] [C] a justement été apprécié par le premier juge à la somme de 6 000 euros ; que le jugement est confirmé à cet égard.

- sur l'indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents

Attendu que par application de la convention collective, [L] [C] est bien fondé à solliciter la somme de 9 991.16 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre celle de 999.11 euros au titre des congés payés afférents ; que le jugement déféré sera confirmé de ce chef.

- sur l'indemnité de licenciement provisionnelle

Attendu qu'il ressort de la combinaison des articles L 7112-3 et L 7112-4 du code du travail que le journaliste dont le contrat de travail est rompu à l'initiative de l'employeur a droit à une indemnité dont le montant est déterminé par une commission arbitrale lorsque l'ancienneté excède quinze années.

Attendu qu'en l'espèce, le contrat de travail stipule que la société GROUPE PROGRÈS SA a embauché [L] [C] en qualité de chef d'agence coefficient 180 avec une ancienneté reconnue au 15 octobre 1990 ; que l'ancienneté de [L] [C] est donc de 25 années ;

que le contrat de travail a été résilié aux torts de la société GROUPE PROGRES SA, de sorte que la rupture provient du fait de l'employeur et ouvre droit à l'indemnité ci-dessus au profit du salarié ;

Qu'en conséquence, [L] [C] a droit à une indemnité provisionnelle que le premier juge a justement évaluée à la somme de 74 933 euros ; que le jugement déféré sera confirmé de ce chef.

Attendu qu'en application de l'article 1153 du code civil, les créances salariales portent intérêt à dater de la réception de la convocation par la partie défenderesse devant le bureau de conciliation valant mise en demeure ;

qu'il y a donc lieu de dire que les sommes allouées à [L] [C] au titre de l'indemnité de préavis, des congés payés afférents et de l'indemnité provisionnelle de licenciement porteront intérêts au taux légal à compter du 22 avril 2011.

- sur la demande à titre de dommages et intérêts du syndicat CFE-CGC MEDIAS 2000

Attendu que le harcèlement moral dont a fait l'objet [L] [C] dans un contexte de grande souffrance au travail au sein de la société GROUPE PROGRES SA constitue une atteinte à l'intérêt collectif de la profession que le syndicat CFE-CGC MEDIAS 2000 représente et qui mérite une réparation justement appréciée par le premier juge à la somme de 1 000 euros ; que le jugement est confirmé à cet égard.

- sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

Attendu que le jugement déféré sera confirmé du chef des frais irrépétibles et des dépens en première instance.

Attendu que l'équité commande de condamner en outre la société GROUPE PROGRÈS SA à payer au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés devant la cour la somme de 2 000 euros à [L] [C] et la somme de 800 euros au syndicat CFE-CGC MEDIAS 2000.

Attendu que la société GROUPE PROGRÈS SA sera condamnée aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

DECLARE recevable l'intervention volontaire du syndicat CFE-CGC MEDIAS 2000,

CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

DIT que les sommes allouées à [L] [C] au titre de l'indemnité de préavis, des congés payés afférents et de l'indemnité provisionnelle de licenciement porteront intérêts au taux légal à compter du 22 avril 2011,

CONDAMNE la société GROUPE PROGRÈS SA à payer à [L] [C] la somme de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société GROUPE PROGRÈS SA à payer au syndicat CFE-CGC MEDIAS 2000 la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société GROUPE PROGRÈS SA aux dépens d'appel.

La minute a été signée le 23 octobre 2015 par Michel SORNAY, Président, et par Lindsey CHAUVY, Greffier placé à la Cour d'Appel de LYON suivant ordonnance du Premier Président de la Cour d'Appel de LYON en date du 16 septembre 2015.

LE GREFFIER, LE PRESIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale b
Numéro d'arrêt : 13/05285
Date de la décision : 23/10/2015

Références :

Cour d'appel de Lyon SB, arrêt n°13/05285 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2015-10-23;13.05285 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award