AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE
R.G : 14/03261
[U]
C/
SAS AUTOMATISMES BFT FRANCE
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON
du 10 Avril 2014
RG : F 12/03852
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE A
ARRÊT DU 08 JUILLET 2015
APPELANT :
[J] [U]
né le [Date naissance 1] 1957 à [Localité 1] (69)
[Adresse 1]
[Adresse 1]
comparant en personne, assisté de Me Fabien ROUMEAS, avocat au barreau de LYON
INTIMÉE :
SAS AUTOMATISMES BFT FRANCE
Mr RAGUET directeur général
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
comparante en personne, assistée de Me Pierre COMBES de la SELAS CMS BUREAU FRANCIS LEFEBVRE LYON, avocat au barreau de LYON
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 28 Avril 2015
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Michel BUSSIERE, Président
Agnès THAUNAT, Conseiller
Vincent NICOLAS, Conseiller
Assistés pendant les débats de Sophie MASCRIER, Greffier.
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 08 Juillet 2015, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Michel BUSSIERE, Président, et par Sophie MASCRIER, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*************
La société AUTOMATISME BFT FRANCE exerce une activité spécialisée d'automatisation industrielle et applique la convention collective du commerce de gros.
Suivant un contrat à durée indéterminée en date du 1er décembre 2008, la société AUTOMATISME BFT FRANCE a embauché M. [J] [U] en qualité de « directeur de filiale, niveau X échelon 1 », moyennant un salaire mensuel brut de 9.208€. L'article 4 du contrat prévoyait une « prime sur objectifs liée à la filiale dont il a la responsabilité dont les objectifs et les critères d'évaluation seront définis au début de chaque année calendaire. Cette prime est payée au prorata du temps de présence du salarié dans l'entreprise et versée au plus tard au début du deuxième trimestre qui suit la clôture de l'exercice. Pour l'année 2009 , cette prime est fixée 30 % de la rémunération annuelle fixe ».
Un avenant audit contrat accepté par le salarié le 31 juillet 2009 définissant les « critères correspondant à (son) bonus 2009 » était rédigé de la façon suivante : « vous recevrez un bonus de 33.000€ brut sous réserve de l'atteinte des objectifs suivants :
A -réalisation d'un CA sous votre responsabilité de 5.173.000€ qui correspond au réel 2008 pour la force de vente hors fabricants+intégrations des fabricants en 2009+le développement sur la zone ABFC (conformément à votre forecast 2009)
Pour un CA compris entre 4.655.000€ et 5.170000€ un bonus de 6.000€ brut vous sera versé.
Pour un CA compris entre 5.170.000€ et 5.400.000€ un bonus de 11.000€ brut vous sera versé
Pour un CA compris entre 5.400.000€ et 5.600.000€ un bonus de 17.000€ vous sera versé
Pour un CA supérieur à 5.600.000€ un bonus de 22.000€ brut vous sera versé.
-B développement du réseau automaticien conseil (') un bonus de 11.000€ brut vous sera attribué pour la réussite de cet objectif.
C- la réussite de projets clés pour la filiale Automatisme BFT France (')
l'attribution de 11.000€ brut s'effectuera en fonction du pourcentage d'atteinte de ces projets que nous définiront ensemble lors d'un entretien d'évaluation de fin d'année ».
M. [J] [U] a postulé en 2011, au poste de directeur général de la société AUTOMATISME BFT FRANCE, mais sa candidature n'a pas été retenue.
La filiale dont M. [J] [U] était le directeur a été supprimée et il a été proposé à M. [J] [U] d'occuper le poste de « directeur national tertiaire », créé à cette occasion.
Aucun avenant n'a été signé entre les parties, et M. [J] [U] a occupé ce nouveau poste à compter du 1er janvier 2012 (pièce 19 employeur : courriel annonçant sa nomination).
Le 29 septembre 2012, M. [J] [U] a adressé à la société AUTOMATISME BFT FRANCE un courrier par lequel, se plaignant notamment de la modification de ses fonctions, doublé du non-paiement d'une partie de ses primes, il mettait en demeure son employeur de « procéder au règlement des sommes qui (lui) sont dues au titre de (sa rémunération variable et de (lui) permettre de retrouver (ses) fonctions de directeur de filiale et les responsabilités y associées ».
Le 11 octobre 2012, M. [J] [U] a saisi le conseil de prud'hommes de Lyon de demandes de résiliation de son contrat de travail aux torts de l'employeur, de dommages-intérêts pour licenciement abusif et de rappels de salaire au titre de la rémunération variable.
M. [J] [U] a présenté sa candidature dans le collège cadre au deuxième tour des élections de délégués du personnel organisées à la délégation unique du personnel et il a été élu le 21 décembre 2012 . Par un jugement en date du 1er février 2013, devenu définitif, le juge d'instance de Villeurbanne , a débouté la société AUTOMATISME BFT FRANCE de ses demandes tendant à contester la candidature et l'élection de M. [J] [U].
L'affaire a été plaidée devant le conseil de prud'hommes le 21 novembre 2013. Le délibéré initialement fixé au 6 mars a été prorogé au 10 avril 2014.
Alors que l'affaire était en cours de délibéré, M. [J] [U] a saisi le conseil de prud'hommes de Lyon, d'une nouvelle demande de résiliation de son contrat de travail , affaire enregistrée sous le numéro RGF14/00643) ;
Le 18 mars 2014, la société AUTOMATISME BFT FRANCE a engagé à l'encontre de M. [J] [U] une procédure de licenciement pour motif disciplinaire.
Le conseil de prud'hommes de Lyon, section encadrement, a rendu le 10 avril 2014, un jugement aux termes duquel, il a :
Dit et jugé que :
-les manquements reprochés à la société AUTOMATISME BFT FRANCE par M. [J] [U] ne constituent pas des faits graves qui justifient la demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail ;
-qu'un salarié protégé ne peut invoquer ce statut protecteur que si, au jour de la saisine de la juridiction, il bénéficiait d'un mandat représentatif ;
Condamné la société AUTOMATISME BFT FRANCE à payer à M. [J] [U] les sommes suivantes :
- 5.000 € à à titre de rappel de salarie au titre de l'année 2010
- 500 € au titre des congés payés afférents
-10.999,80 € à titre de rappel de salaire au titre de l'année 2011,
- 1.099,98 € à titre de congés payés afférents,
-11.000 € à titre de rappel de salaire au titre de l'année 2012,
- 1.100 € à titre de congés payés afférents,
- 5.000 € à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
- 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamné la société AUTOMATISME BFT FRANCE à délivrer à M. [J] [U] les documents en conformité de la condamnation du présent jugement,
Débouté les parties de leurs demandes plus amples et contraires.
M. [J] [U] a interjeté appel de ce jugement le 18 avril 2014.
Par décision, devenue définitive de l'inspection du travail en date du 24 juin 2014, l'autorisation de licencier M. [J] [U] a été refusée à l'employeur.
Par courrier en date du 23 juillet 2014, la société AUTOMATISME BFT FRANCE a notifié à M. [J] [U] un avertissement.
Le 3 avril 2015, la société AUTOMATISME BFT FRANCE a pris acte du refus de M. [J] [U] d'accepter une rupture amiable suivie d'une transaction sur la base d'une indemnité globale forfaitaire et définitive de 350.000 € nette de toutes charges sociales.
Vu les conclusions développées oralement à l'audience du 28 avril 2015, par M. [J] [U] qui demande à la cour de :
-Dire et juger que la société AUTOMATISME BFT FRANCE a gravement manqué à ses obligations contractuelles et légales ;
-Prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [J] [U] aux torts de la société AUTOMATISME BFT FRANCE ,
-Dire et juger que la rupture du contrat de travail s'analyse en un licenciement nul et de nul effet,
-Condamner en conséquence la société AUTOMATISME BFT FRANCE à payer à M. [J] [U] les sommes suivantes :
*rappel de salaire au titre de la rémunération variable 2009 : 17.313,55€
*congés payés afférents : 1731,35€
*rappel de salaire au titre de la rémunération variable 2010 : 5000€
*congés payés afférents : 500€
*rappel de rémunération variable 2011 : 10.999,80€
*congés payés afférents : 1099,98€
*rappel de salaire au titre de la rémunération variable 2012:11.000€
*congés payés afférents : 1.100€
*rappel de salaire au titre de la rémunération variable 2013 : 29.540€
*congés payés afférents : 2.954€
*rappel de salaire au titre de la rémunération variable 2014 : 48.080€
*congés payés afférents : 4.808€
*dommages-intérêts pour perte de chance de bénéficier d'une rémunération variable (à titre subsidiaire) : 200.000€
*rappel de salaire au titre des heures travaillées au delà du forfait : 47.934,28€
*congés payés afférents : 4.793,43€
*dommages-intérêts au titre de la rupture d'égalité (attribution de RTT) : 25.000€
*dommages-intérêts pour non-respect de la législation en matière de durée du travail : 7000€
*dommages-intérêts pour privation de tickets restaurants : 4.500€
*dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat : 5000€
*dommages-intérêts pour avertissement injustifié : 2000€
*dommages-intérêts pour licenciement abusif : 172.000€
*indemnité compensatrice de préavis : 42.919,99€
*congés payés afférents : 4291,99€
*indemnité légale de licenciement : 28.255,56€
*dommages-intérêts pour violation du statut protecteur : 450.000€
*article 700 du code de procédure civile : 5.000€
- Condamner la société AUTOMATISME BFT FRANCE à remettre à M. [J] [U] des bulletins de salaire, un certificat de travail et une attestation POLE EMPLOI établie en fonction des condamnations prononcées, le tout sous astreinte de 100€ par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
-Se réserver le pouvoir de liquider l'astreinte.
Vu les conclusions développées oralement à l'audience du 28 avril 2015, par la société AUTOMATISME BFT FRANCE qui demande à la cour de :
-lui donner acte de ce qu'elle s'en rapporte à la décision de la cour sur le bien-fondé de la demande de résiliation judiciaire ;
-réduire le cas échéant les dommages-intérêts pour licenciement nul à une indemnité équivalente à six mois de salaire, conformément à l'article L1235-2 du code du travail ;
-débouter M. [J] [U] du surplus de ses demandes.
SUR CE :
Sur les manquements de l'employeur
M. [J] [U] a été engagé comme « directeur de filiale » et il a occupé un poste correspondant à cette fonction. La filiale qu'il dirigeait ayant été supprimée, il lui a été proposé d'occuper le poste de « directeur national tertiaire ». Il s'agissait d'un poste nouvellement créé. Alors que M. [J] [U] avait sous sa responsabilité vingt collaborateurs lorsqu'il dirigeait une filiale, il n'a plus encadré qu'un à deux salariés, dans des conditions telles qu'il a pu interroger son employeur sur le pouvoir hiérarchique qu'il conservait sur son subordonné .
Par ailleurs, la société AUTOMATISME BFT FRANCE reconnaît dans ses écritures en page 25 la perte de certains clients qui auraient dû relever du périmètre du nouveau poste occupé par le salarié, selon elle « conséquence directe de la demande expresse de ces clients à continuer à travailler directement avec la succursale italienne ».. Elle reconnaît ainsi que ce nouveau poste, qui était un poste créé dans le cadre d'une réorganisation , n'a pas connu le développement souhaité.
La cour retient qu'il y a eu donc eu une véritable modification du contrat de travail du salarié en raison d'une diminution de ses responsabilités et non pas une simple modification de ses conditions de travail et que s'agissant d'une modification du contrat de travail, celle-ci était subordonnée à la conclusion d'un avenant audit contrat. Le seul fait que M. [J] [U] ait occupé cette nouvelle fonction ne peut suffire à suppléer à cette absence d'avenant.
En outre, aucun accord n'ayant existé entre les parties sur la conclusion d'un nouvel avenant au contrat de travail relatif au calcul du bonus, malgré des discussions à ce sujet, l'employeur a finalement continué à appliquer le contrat initial en ce qui concerne le calcul de la part variable, alors même que celle-ci qui s'élevait à 30 % de la rémunération annuelle fixe pour 2009 était selon les termes du contrat « une prime sur objectifs liée à la filiale dont il a la responsabilité (...)»
Un conflit a opposé les parties sur le paiement de la part variable de la rémunération du salarié, lié notamment au versement d'un « super-bonus » de 11.000€ prévu à l'avenant de 2009.
La cour observe que l'avenant doit s'interpréter en prenant en considération les caractères gras, adoptés par les rédacteurs et qui mettent en évidence une partie du texte, et ainsi permettent de rechercher la commune intention des parties.
Si on isole dans l'avenant les phrases écrites en caractère gras, celui-ci est rédigé ainsi qu'il suit :« vous recevrez un bonus de 33.000€ brut sous réserve de l'atteinte des objectifs suivants :
A -réalisation d'un CA sous votre responsabilité de 5.173.000€ qui correspond au réel 2008 pour la force de vente hors fabricants+intégrations des fabricants en 2009+le développement sur la zone ABFC (conformément à votre forecast 2009)
Pour un CA compris entre 5.170.000€ et 5.400.000€ un bonus de 11.000€ brut vous sera versé
-B développement du réseau automaticien conseil (') un bonus de 11.000€ brut vous sera attribué pour la réussite de cet objectif.
C- la réussite de projets clés pour la filiale Automatisme BFT France (')
l'attribution de 11.000€ brut s'effectuera en fonction du pourcentage d'atteinte de ces projets que nous définirons ensemble lors d'un entretien d'évaluation de fin d'année ».
En outre, l'avenant précise en ce qui concerne le point A que pour « Pour un CA compris entre 5.400.000€ et 5.600.000€ un bonus de 17.000€ vous sera versé » et « pour un CA supérieur à 5.600.000€ un bonus de 22.000€ brut vous sera versé ».
Il en résulte que dans ces deux hypothèses, l'avenant prévoyait que le salarié devait recevoir dans le premier cas un super-bonus de 6000€ et dans le second cas un super-bonus de 11.000€.
La cour relève que tous les objectifs étant fixés par rapport aux résultats de la filiale placée sous la responsabilité de M. [J] [U], ils devenaient sans objet, en raison de la suppression de la filiale. Cependant, le salaire de M. [J] [U] étant contractuellement composé d'une partie fixe et d'une partie variable, l'employeur était tenu de continuer à verser au salarié la part variable de son salaire quand bien même aucun nouvel avenant n'était signé par le salarié . Cette part variable était fixée à 30 % du salaire annuel brut, soit 33.000€ en cas de résultat « normaux » le super-bonus de 11.000€ étant déclenché par la réalisation « d'un CA supérieur à 5.600.000€ » . Faute pour l'employeur d'avoir précisé au salarié les objectifs à réaliser ainsi que les conditions de calcul vérifiables, cette rémunération devait être payée intégralement .
Sur le rappel des parts variables
C'est à l'employeur de justifier que la non-atteinte des objectifs était imputable au salarié,
Pour l'année 2009, le calcul de cette part variable devait se faire conformément à l'avenant signé entre les parties qui précisait les objectifs devant être atteints.
En conséquence, M. [J] [U] pouvait percevoir
9208€X12mois=110.496€X30%=33.148,80€ augmenté de 11.000€ en cas de « CA supérieur à 5.600.000€ » .
Il reconnaît avoir perçu 28.000€ à ce titre en février 2010
L'employeur ne justifie pas que le salarié n'avait pas atteint les objectifs fixés pour déclencher le super bonus de 11.000€ supplémentaire. En conséquence, il est dû au salarié :
33148€-28.000€+11.000€=16.148€
Pour l'année 2010 , le salarié pouvait percevoir une somme de 33.148€.Il a perçu 33.000€ et une prime complémentaire de 6000€ destinée selon l'employeur à le motiver mais qui ne correspondait pas au super-bonus contractuel. Il reste dû au salarié : 148€+11.000€-6000€=5.148€ ramenée à 5000€ conformément aux demandes du salarié.
Pour l'année 2011, le salarié pouvait percevoir la somme de 35.287,20€ . Il a tout d'abord perçu la somme de 5000€ en 2012, puis en juillet 2013 une somme de 30.287,20€. M. [J] [U] est justifié à solliciter en outre la somme de 11.000€, ramenée par le salarié à la somme de 10.999,80€
Pour l'année 2012, M. [J] [U] a perçu une somme totale, après régularisation en juillet 2013, de 37.080€ correspondant à 30 % de sa rémunération annuelle brute. Il est bien fondé à solliciter en outre une somme de 11.000€.
Pour l'année 2013, M. [J] [U] a reçu une prime de 18.540€ au motif qu'il n'aurait pas atteint ses objectifs . L'employeur ne justifie pas que le salarié n'a pas atteint ses objectifs. Il est dû au salarié 37.080€+11.000€=48.080€-18.540€=29.540€
Pour l'année 2014, M. [J] [U] aurait dû percevoir une somme de 37.080€ au titre du bonus augmentée de 11.000€ au titre du super-bonus. la société AUTOMATISME BFT FRANCE indique dans ses conclusions avoir appliqué l'avenant de 2009, tout en déclarant qu'elle n'a pas versé la somme totale résultant de l'application de cet avenant au motif que le salarié n'avait pas atteint ses objectifs. L'employeur ne justifiant pas de la non-atteinte des objectifs, le salarié est en droit d'obtenir la totalité de la somme due à ce titre.
Sur la résiliation du contrat de travail aux torts de l'employeur
En conséquence, les manquements de l'employeur qui a modifié le contrat de travail de M. [J] [U] en réduisant sans son accord écrit le périmètre de ses fonctions et de ses responsabilités et payé avec difficulté la partie variable de son salaire a commis des manquements graves, rendant impossible la poursuite du lien contractuel. Ces différents manquements, ont perduré jusqu'à ce jour.
Il importe peu à ce sujet, s'agissant d'une demande de résiliation formulée par le salarié que celui-ci ait introduit son action en justice peu de temps après la mise en demeure adressée à l'employeur, en effet si celui-ci a finalement accepté de régulariser partiellement le paiement de la part variable de salaire, le salarié n'a pas été réintégré dans le poste de « directeur de filiale » qu'il occupait à l'origine.
En conséquence, il convient d'infirmer le jugement entrepris sur ce point et de prononcer la résiliation du contrat de travail au jour du prononcé de l'arrêt, la relation de travail des parties ayant perduré jusqu'à ce jour.
Les autres manquements reprochés par le salarié dans l'exécution de son contrat de travail, dans le cadre de sa nouvelle saisine du conseil de prud'hommes, dont la cour est saisie en vertu de la règle de l'unicité de l'instance, ne portent pour l'essentiel que sur la continuation des griefs ayant motivé la saisine initiale du conseil de prud'hommes d'une demande de résiliation du contrat de travail et que la cour juge suffisamment graves pour entraîner le prononcé de la résiliation du contrat de travail. Le fait que d'autres manquements aient été relevés par le salarié postérieurement à la saisine initiale du conseil de prud'hommes et liés notamment à l'exercice de son mandat électif, ne change pas la nature des conséquences attachées au prononcé de la résiliation du contrat. En conséquence, il n'y a pas lieu de les examiner.
Sur les conséquences financières de la rupture du contrat de travail
Le salarié protégé dont la demande de résiliation judiciaire est accueillie a droit, au titre de la violation de son statut protecteur, au paiement d'une indemnité égale à la rémunération qu'il aurait dû percevoir jusqu'à l'expiration de la période de protection du mandat le plus long en cours au jour de sa demande .
Au jour de l'introduction de la demande en justice, M. [J] [U] n'avait pas la qualité de salarié protégé, puisqu'il n'a été candidat à des élections organisées dans l'entreprise et n'a été élu que postérieurement à cette date.
Dans ces conditions, il importe peu que le salarié poursuive actuellement le prononcé de la résiliation de son contrat également pour des griefs liés à l'entrave de l'exercice de son mandat de délégué du personnel, quand bien même, il aurait cru devoir malgré la règle de l'unicité de l'instance, introduire une nouvelle procédure relative au même contrat de travail, alors que la demande tendant au prononcé de la résiliation du contrat de travail avait été plaidée et que le jugement en cours de délibéré n'avait pas encore été prononcé. Il reconnaît que la cour est saisie de l'ensemble des manquements reprochés à l'employeur, en vertu de cette règle.
En conséquence, la résiliation dont s'agit ne peut produire les effets du licenciement illicite d'un salarié protégé. Elle produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et ouvre droit au paiement d'une indemnité compensatrice de préavis, d'une indemnité de licenciement ainsi qu'à des dommages-intérêts, qui ne peuvent s'agissant d'un salarié ayant plus de deux ans d'ancienneté dans une entreprise de plus de onze salariés être inférieurs au montant des salaires des six derniers mois.
Sur les demandes relatives au forfait
M. [J] [U] soutient qu'il n'avait pas la qualité de cadre dirigeant et en conséquence qu'il ne pouvait être exclu de la législation sur la durée du travail ; ce que conteste l'employeur.
Selon l'article L. 3111-2 du code du travail qui exclut les cadres dirigeants de la législation sur la durée du travail, sont considérés comme ayant la qualité de cadre dirigeant « les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l'importance implique une grande indépendance dans l'organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement ».
Ces trois critères qui se dégagent de cette définition légale sont cumulatifs et impliquent que seuls relèvent de la catégorie des cadres dirigeants au sens de ce texte les cadres participant à la direction de l'entreprise.
En l'espèce, s'il n'est pas contesté que M. [J] [U] percevait une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés de celles pratiquées dans l'entreprise et qu'il bénéficiait d'une grande autonomie dans l'organisation de ses fonctions, pour autant il ne participait pas à la direction de l'entreprise et à compter de la prise de ses fonctions de directeur national tertiaire, il n'était même plus associé à l'évolution de carrière de son unique collaborateur.
Dans ces conditions, M. [J] [U] est bien fondé soutenir qu'il n'était pas un cadre dirigeant.
La cour ne reconnaissant pas au salarié le statut de cadre dirigeant, il était de ce fait soumis aux dispositions du code du travail relatives à la durée du temps de travail .
L'employeur n'avait instauré aucun système destiné à contrôler la durée du travail de M. [J] [U]. L'employeur a ainsi manqué à son obligation de sécurité ce qui fait nécessairement grief au salarié. La cour est en mesure d'évaluer le préjudice ainsi subi à la somme de 3000€ .
M. [J] [U] peut solliciter le paiement d'heures supplémentaires, réalisées au delà de la durée légale du travail. La preuve des heures supplémentaires incombe aux deux parties. En l'espèce, le salarié produit aux débats un tableau récapitulant ses heures de travail, rendant ainsi possible pour l'employeur d'apporter des preuves contraires. la société AUTOMATISME BFT FRANCE ne peut se contenter, pour conclure au débouté de salarié de soutenir que le décompte du salarié doit être écarté car établi de manière unilatérale et dépourvu de toute objectivité.
En conséquence, il convient de condamner la société AUTOMATISME BFT FRANCE à payer à M. [J] [U] la somme de 47.934,28 € au titre des heures supplémentaires travaillées et non payées augmentées des congés payés afférents.
M. [J] [U] revendique le paiement de dommages-intérêts en raison de la rupture de l'égalité existant avec ses collègues de travail, auxquels il se compare et qui sont responsable des ressources humaines, directeur commercial régional, chef des ventes région Ouest et le directeur commercial région sud ouest qui « bien que cadre au forfait, bénéficient de 11 jours de RTT en moyenne chacun ».
La cour rappelle que dans un système de convention de forfait jour annuel, il est attribué aux salariés des jours de RTT (réduction du temps de travail) afin de limiter la durée du travail. Dans l'hypothèse où le nombre total annuel de jours ouvrés pouvant être travaillés est de 229, et le forfait annuel est de 218 jours, le nombre de RTT est de 11 jours. C'est dans ces conditions, que les collègues de travail de M. [J] [U] auxquels il se compare ont bénéficié de jours de RTT .
La cour considère qu'accorder au salarié, dont la qualité de cadre dirigeant n'a pas été retenue, à la fois le paiement des heures supplémentaires pour le temps effectif de travail au delà de la durée légale de 35 heures par semaine et l'indemnisation de l'absence de prise des jours de repos au titre de la réduction du temps de travail, fait double emploi et ne peut prospérer. Il convient en conséquence de débouter le salarié de la demande présentée à ce titre.
M. [J] [U] sollicite le paiement de tickets restaurant dont il était en droit de bénéficier au titre de l'égalité de traitement pour la période du 28 novembre 2008 au 31 janvier 2013, les cadres de l'entreprise ne bénéficiant pas jusqu'à cette date de cet avantage contrairement aux autres salariés de l'entreprise, ce qui constitue selon lui une inégalité de traitement.
En l'espèce, il n'est pas contesté que jusqu'au 1er janvier 2013 , seuls les non-cadres de l'entreprise bénéficiaient de tickets restaurants.
La cour rappelle que la seule différence de catégorie professionnelle ne saurait en elle-même justifier, pour l'attribution d'un avantage, une différence de traitement entre les salariés placés dans une situation identique au regard dudit avantage, cette différence devant reposer sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler la réalité et la pertinence . Il n'en est autrement que si cette différence de traitement entre catégories professionnelles, est présumée justifiée, comme étant opérée par voie de conventions ou d'accords collectifs négociés et signés par des organisations syndicales représentatives.
En l'espèce, l'absence de tickets restaurant pour les cadres de l'entreprise n'est pas justifiée par l'existence de conventions ou d'accords d'entreprise. L'employeur ne justifie en outre d'aucune raison objective, pour avoir réservé l'octroi de tickets-restaurant au seul personnel non-cadre de son entreprise, le remboursement des repas sur justificatifs lors de déplacement ou de repas d'affaire ne pouvant justifier cette différence de traitement.
En conséquence, il convient de condamner la société AUTOMATISME BFT FRANCE à payer à M. [J] [U] une somme de 4200€ à ce titre.
Sur l'exécution déloyale du contrat de travail
M. [J] [U] soutient que la dégradation de ses conditions de travail du fait de son employeur a eu des répercussions sur sa santé.
La cour constate que le salarié justifie par la production d'un certificat médical d'une altération de son état de santé en relation avec sa situation professionnelle. Les différents manquements de l'employeur ayant été reconnus suffisamment graves pour entraîner la résiliation du contrat de travail, ils ouvrent également droit à des dommages-intérêts destinées à réparer le préjudice subi par le salarié pendant la relation de travail. Il doit être accordé à ce titre à M. [J] [U] une somme de 5.000€.
Sur les conséquences pécuniaires de la rupture
La résiliation du contrat de travail aux torts de l'employeur produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le salarié est bien fondé à demander la condamnation de la société AUTOMATISME BFT FRANCE à lui régler la somme de 42.919,99€ au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, augmentée des congés payés afférents, ainsi que la somme de 28.255,56€ au titre de l'indemnité de licenciement.
La cour possède les éléments suffisants pour évaluer à la somme de 172.000€ le montant des dommages-intérêts dus au salarié en raison du caractère abusif de la rupture.
Selon l'article L 1235-4 du code du travail dans les cas prévus aux articles L 1235-3 et L 1235-11 du même code, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé. En l'espèce, il convient de fixer à trois mois le montant du remboursement.
La société AUTOMATISME BFT FRANCE doit être condamnée à remettre à M. [J] [U] des bulletins de salaire, un certificat de travail et une attestation POLE EMPLOI établie en fonction des condamnations prononcées, sans qu'il soit cependant nécessaire de prononcer une astreinte.
Sur l'avertissement
La société AUTOMATISME BFT FRANCE n'ayant pu obtenir de l'inspection du travail l'autorisation de licencier M. [J] [U], salarié protégé, lui a délivré pour les mêmes motifs un avertissement.
L'autorité de chose jugée attachée à la décision de l'inspecteur du travail ne porte que sur l'établissement des faits reprochés et l'appréciation de leur degré de gravité. Sous cette réserve, elle n'empêche pas l'employeur, en cas de refus d'autorisation de licencier un salarié protégé de lui délivrer un avertissement pour les mêmes faits.
Le juge saisi d'une demande d'annulation de cette sanction doit apprécier la proportionnalité de la sanction aux faits reprochés.
En l'espèce, compte tenu des tensions existant entre les parties en raison du contentieux introduit par le salarié à l'encontre de son employeur et de son élection comme délégué du personnel, l'avertissement délivré doit être annulé comme étant une sanction injustifiée.
La cour évalue à la somme de 1000€ le montant des dommages-intérêts destinés à réparer le préjudice subi par le salarié en raison de la délivrance injustifiée de cette sanction disciplinaire.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a :
Dit et jugé que :
-qu'un salarié protégé ne peut invoquer ce statut protecteur que si, au jour de la saisine de la juridiction, il bénéficiait d'un mandat représentatif ;
Condamné la société AUTOMATISME BFT FRANCE à payer à M. [J] [U] les sommes suivantes :
- 5.000 € à titre de rappel de salaire au titre de l'année 2010,
- 500 € au titre des congés payés afférents,
-10.999,80 € à titre de rappel de salaire au titre de l'année 2011,
- 1.099,98 € à titre de congés payés afférents,
-11.000 € à titre de rappel de salaire au titre de l'année 2012,
- 1.100 € à titre de congés payés afférents,
- 5.000 € à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
- 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamné la société AUTOMATISME BFT FRANCE à délivrer à M. [J] [U] les documents en conformité de la condamnation du présent jugement,
L'INFIRME pour le surplus,
STATUANT à nouveau,
Dit que M. [J] [U] n'avait pas la qualité de cadre dirigeant ;
Dit que la société AUTOMATISME BFT FRANCE a manqué à ses obligations au titre du contrôle de la durée du travail du salarié ;
en conséquence,
Condamne la société AUTOMATISME BFT FRANCE à verser à M. [J] [U] les sommes suivantes :
- 3.000 € à titre de dommages-intérêts ;
- 47.934,28 € au titre des heures supplémentaires ;
- 4.793,42 € au titre des congés payés afférents ;
- 4.200 € au titre des tickets restaurant ;
Condamne la société AUTOMATISME BFT FRANCE à payer à M. [J] [U] les sommes suivantes :
- 29.540 € à titre de rappel de salaire au titre de l'année 2013 ;
- 2.954 € au titre des congés payés afférents ;
- 48.080 € à titre de rappel de salaire au titre de l'année 2014 ;
- 4.808 € au titre des congés payés afférents ;
Annule l'avertissement délivré au salarié ;
Condamne la société AUTOMATISME BFT FRANCE à verser à M. [J] [U] une somme de 1000 € à titre de dommages-intérêts pour avertissement injustifié ;
Prononce la résiliation du contrat de travail du salarié aux torts de l'employeur à compter de ce jour ;
Dit que celle-ci produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Condamne la société AUTOMATISME BFT FRANCE à payer à M. [J] [U] les sommes suivantes :
- 42.919,99 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;
- 4.291,99 € au titre des congés payés afférents ;
- 28.255,56 € à titre d'indemnité de licenciement ;
-172.000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Déboute M. [J] [U] de ses demandes relatives à des dommages et intérêts pour refus d'attribution de jours de RTT, et pour violation du statut protecteur de délégué du personnel ;
y ajoutant,
Condamne la société AUTOMATISME BFT FRANCE à remettre à M. [J] [U] des bulletins de salaire, un certificat de travail et une attestation POLE EMPLOI établie en fonction des condamnations prononcées,
Rejette la demande de prononcé d'une astreinte ;
Ordonne le remboursement par l'employeur des indemnités versées par Pôle Emploi, à hauteur de trois mois d'indemnité ;
Condamne la société AUTOMATISME BFT FRANCE à payer à M. [J] [U] une somme de 3000€ en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société AUTOMATISME BFT FRANCE aux entiers dépens.
Le greffierLe président
Sophie MascrierMichel Bussière