La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

02/07/2015 | FRANCE | N°14/04995

France | France, Cour d'appel de Lyon, 1ère chambre civile a, 02 juillet 2015, 14/04995


R.G : 14/04995









Décisions :



- du tribunal de grande instance de Toulon

Au fond du 29 avril 2010



1ère chambre



RG : 06/02369







- de la cour d'appel de Grenoble en date du 26 novembre 2012



1ère chambre



11/00214





- de la cour de Cassation en date du 30 avril 2014



N° 481 F-D







RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE LYON




1ère chambre civile A



ARRET DU 02 Juillet 2015





APPELANT :



[X] [W]

né le [Date naissance 1] 1941 à [Localité 3] (ALGERIE)

[Adresse 1]

[Adresse 3]

[Localité 2]



représenté par Maître Eric DUMOULIN, avocat au barreau de LYON

assistée de l...

R.G : 14/04995

Décisions :

- du tribunal de grande instance de Toulon

Au fond du 29 avril 2010

1ère chambre

RG : 06/02369

- de la cour d'appel de Grenoble en date du 26 novembre 2012

1ère chambre

11/00214

- de la cour de Cassation en date du 30 avril 2014

N° 481 F-D

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE LYON

1ère chambre civile A

ARRET DU 02 Juillet 2015

APPELANT :

[X] [W]

né le [Date naissance 1] 1941 à [Localité 3] (ALGERIE)

[Adresse 1]

[Adresse 3]

[Localité 2]

représenté par Maître Eric DUMOULIN, avocat au barreau de LYON

assistée de la SELARL DURNAD - GUILBAULT-MENARD, avocat au barreau de DRAGUIGNAN

INTIMES :

[P] [C]

[Adresse 2]

[Localité 1]

représenté par la SCP TUDELA ET ASSOCIES, avocat au barreau de LYON

assisté de la SELARL PRONANSAL D'JOURNO GUILLET & ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE, substituée par Maître Béatrice DELESTRADE, avocat au barreau de MARSEILLE

SCP [J] [C] [Q]

[Adresse 2]

[Localité 1]

représenté par la SCP TUDELA ET ASSOCIES, avocat au barreau de LYON

assistée de la SELARL PRONANSAL D'JOURNO GUILLET & ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE, substituée par Maître Béatrice DELESTRADE, avocat au barreau de MARSEILLE

******

Date de clôture de l'instruction : 03 Février 2015

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 02 Avril 2015

Date de mise à disposition : 02 Juillet 2015

Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

- Michel GAGET, président

- François MARTIN, conseiller

- Philippe SEMERIVA, conseiller

assistés pendant les débats de Joëlle POITOUX, greffier

A l'audience, Philippe SEMERIVA a fait le rapport, conformément à l'article 785 du code de procédure civile.

Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par François MARTIN, conseiller, faisant fonction de président, en remplacement du président légitimement empêché, et par Joëlle POITOUX, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

****

EXPOSÉ DU LITIGE

Le local dont M. [W] était propriétaire et dans lequel il exerçait son activité d'exploitant de discothèque a été détruit par un incendie en 1983.

Une longue procédure a conduit à retenir que la compagnie Al Ittihad Al Watani - L'union nationale lui devait garantie et indemnisation des préjudices, tant matériel que professionnel et corporel, l'affaire ayant notamment eu des conséquences sur sa santé en raison de ce retard de prise en charge.

M. [W] recherche la responsabilité de son avocat, Me [C] et de la SCP [J] - [C] - [Q], dont celui-ci est membre, pour n'avoir pas transmis aux juridictions saisies des réclamations concernant son dommage corporel et professionnel, les documents qui auraient conduit à sa pleine indemnisation, de sorte que la cour d'appel de Nîmes a limité cette indemnisation, étant précisé que le pourvoi formé contre son arrêt a été rejeté.

*

Le tribunal de grande instance de Toulon a retenu que Me [C] avait commis une faute, mais que, si la cour d'appel de Nîmes avait connu les pièces que l'avocat n'avait pas communiquées, son appréciation aurait été la même et que sa décision n'aurait pas été cassée, de sorte que cette faute n'a pas causé de préjudice ; il ajoute que l'action n'est pas abusive et statue ainsi :

- déboute M. [W] de l'intégralité de ses demandes,

- déboute Me [C] et la SCP [J] - [C] - [Q] de leurs demandes reconventionnelles,

- condamne M. [W] à payer à Me [C] la SCP [J] - [C] - [Q] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamne M. [W] aux entiers dépens,

- ordonne l'exécution provisoire.

La cour d'appel de Grenoble a confirmé ce jugement en toutes ses dispositions.

*

Son arrêt a été partiellement cassé au visa de l'article 4 du code de procédure civile, par ce motif :

'Attendu que pour rejeter ses demandes, l'arrêt, après avoir relevé que l'avocat avait commis une faute en n'attirant pas l'attention de son client sur l'argument soulevé en défense tiré de l'absence de communication des déclarations de revenus de M. [W], retient que cette faute n'a causé aucun préjudice à M. [W], l'absence de production des pièces fiscales n'ayant eu aucune incidence sur la décision de la cour d'appel de Nîmes ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'il résulte de l'arrêt du 19 septembre 2000 que l'absence de justification de sa situation fiscale par M. [W] avait notamment conduit les juges du fond à limiter le montant de son préjudice professionnel à la somme de 152 449,02 euros, la cour d'appel a dénaturé les termes de l'arrêt précité, violant ainsi le texte susvisé'.

La cour d'appel de Lyon est juridiction de renvoi.

*

M. [W] considère que le fait générateur de la faute est acquis, qu'il a droit à réparation intégrale et que, si les pièces nécessaires avaient été produites, l'arrêt irrévocable rendu par la cour d'appel de Nîmes aurait fait droit à ses demandes, de sorte que Me [C] lui doit indemnisation de son entière perte.

Il se fonde sur les articles 1147 et suivants du code civil pour conclure :

- constater que l'arrêt de la cour d'appel de Grenoble du 26 novembre 2012 a confirmé le jugement rendu le 29 avril 2010 par le tribunal de grande instance de Toulon sur l'existence de la faute contractuelle commise par Me [C] pour ne pas avoir voulu produire les déclarations de revenus de M. [W] qui avaient été demandées par la compagnie Al Ittihad Al Watani - L'union nationale,

- constater que dans son arrêt rendu le 9 mars 2004, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi de M. [W] au seul motif que la compagnie d'assurance avait fait observer dans ses écritures que M. [W] ne versait pas aux débats ses déclarations de revenus,

- constater que dans son arrêt rendu le 30 avril 2014 la Cour de cassation a jugé que la faute contractuelle commise par Me [C] pour s'être abstenu de produire les déclarations de revenus de M. [W] devant la cour d'appel de Nîmes 'avait conduit les juges du fond à limiter son préjudice professionnel' et a cassé partiellement l'arrêt rendu le 26 novembre 2012 par la cour d'appel de Grenoble pour avoir dénaturé les faits en précisant que M. [W] n'avait pas à être débouté sur l'ensemble de ses demandes,

- constater que la Cour de cassation 'remet en conséquence, seulement sur ce point, la cause et les parties où elles se trouvaient avant le dit arrêt et pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon',

- constater que la cour d'appel de Nîmes a définitivement jugé 'qu'en conséquence, les demandes de M. [W] sont recevables et fondées dans leur principe' et qu'en faisant droit à la demande de la Caisse Organic Provence, a jugé que le préjudice professionnel de M. [W] lié à son préjudice corporel se montait à la somme de 55 632 491 Frs pour avoir condamné la compagnie d'assurances Al Ittihad Al Watani - L'union nationale à verser à cette Caisse la somme de 563 487,33 francs en remboursement des arrérages échus du 1er janvier 1987 jusqu'au premier trimestre 2000 dans le cadre de l'indemnisation de M. [W] et que le préjudice de ce dernier est calculé au jour du présent arrêt qui consacre la créance d'indemnisation',

- constater que la cour d'appel de Nîmes aurait accordé l'intégralité du préjudice professionnel de M. [W] si les déclarations de revenus avaient été produites par Me [C],

- dire et juger que Me [C] et la SCP [J] - [C] - [Q] sont responsables in solidum de la limitation opérée par la cour d'appel de Nîmes qui a limité le préjudice corporel de M. [W] à la somme de 152 449,02 euros (1 000 000 francs),

- en conséquence,

- condamner in solidum Me [C] et la SCP [J] - [C] - [Q] à réparer en totalité le préjudice de M. [W] intégralement consommé,

- condamner in solidum Me [C] et la SCP [J] - [C] - [Q] au paiement de la somme de 8 481 118,50 euros à majorer des intérêts au taux légal capitalisables dans les conditions de l'article 1154 du code civil, à compter de l'arrêt rendu le 19 septembre 2000 et diminué de la somme allouée par la cour d'appel de Nîmes, d'un million de francs,

- condamner in solidum Me [C] et la SCP [J] [C] - [Q] au paiement d'une somme de 60 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de l'important préjudice moral causé à M. [W], de sa mauvaise foi caractérisée et de sa résistance abusive,

- Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamner in solidum Me [C] et la SCP [J] - [C] - [Q] au paiement de la somme de 25 000 euros au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance, distraits au profit de Maître Dumoulin.

*

M. [C] et la SCP dont il est membre soutiennent qu'il revient à M. [W] d'établir une faute de sa part, ainsi qu'un préjudice qui serait en lien causal avec elle ; ils considèrent qu'en réalité le défaut de production des documents fiscaux procédait de la logique même de la ligne de défense voulue par M. [W], éclairé par les échanges constants avec son conseil et qu'en toute hypothèse, leur production n'aurait pas conduit à une évaluation plus importante du préjudice professionnel ; ils ajoutent qu'en réalité, M. [W] a poursuivi ses activités d'exploitant de discothèque.

Ils demandent de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [W] de ses demandes formées à l'encontre de Maître [P] [C] et de sa SCP au motif qu'il n'existait aucun préjudice ni aucune causalité en requalifiant au besoin cette dernière de causalité non déterminante,

- infirmer ce même jugement en ce qu'il a retenu dans sa motivation une faute à l'encontre de Maître [P] [C] et en ce qu'il a rejeté la demande reconventionnelle des concluants à titre de dommages et intérêts,

- statuant à nouveau sur ces points,

- dire et juger que Maître [P] [C] n'a commis aucune faute dans l'exercice de son mandat,

- condamner M. [W] à régler à Maître [P] [C] la somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de l'important préjudice moral causé par son attitude procédurale abusive ainsi que par ses demandes judiciaires excessives et inconsidérées et la somme de 15 000 euros au profit de la SCP pour ces mêmes raisons,

- en tout état de cause,

- débouter M. [W] de toutes ses demandes, fins et conclusions comme étant infondées et injustifiées,

- le condamner à régler en outre la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- le condamner à supporter les entiers dépens de l'instance distraits au profit de la SCP Tudela, avocats, sur leurs offres de droit.

* *

MOTIFS DE LA DÉCISION

' L'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet d'un jugement et a été tranché dans son dispositif.

Le dispositif du jugement entrepris est :

- déboute M. [W] de l'intégralité de ses demandes,

- déboute Me [C] et la SCP [J] - [C] - [Q] de leurs demandes reconventionnelles,

- condamne M. [W] à payer à la SCP [J] - [C] - [Q] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Et celui de l'arrêt de la cour d'appel de Grenoble :

- confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- y ajoutant,

- condamne M. [W] à payer à Me [C] et à la SCP [J] - [C] - [Q] la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La cassation de cet arrêt a été prononcée 'seulement en ce qu'il déboute M. [W] de l'ensemble de ses demandes'.

Il faut donc retrancher cette condamnation du dispositif de l'arrêt partiellement cassé et en faire de même, quant aux chefs dépendants désignant la partie condamnée aux dépens et donc celle qui peut être est tenue dans les termes de l'article 700 du code de procédure civile.

Peu en important les motifs, il résulte de cette cassation partielle que l'arrêt rendu par la cour d'appel de Grenoble est irrévocable, en ce qu'il 'déboute Me [C] et la SCP [J] [C] - [Q] de leurs demandes reconventionnelles'.

Par ailleurs, l'arrêt par lequel la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé contre l'arrêt de la cour d'appel de Nîmes a été rendu entre les parties au contrat d'assurance ; il ne tranche pas un litige entre M. [W] et Me [C].

Ainsi, aucune des décisions citées par M. [W] ne juge que Me [C] a commis une faute engageant sa responsabilité à son égard et le dossier ne conduit pas à relever d'office qu'une autre des décisions produites aurait jugé cela.

La juridiction de renvoi est donc, par effet dévolutif de l'appel, saisie, tant de l'existence d'une faute, que de l'évaluation du préjudice qu'elle a pu produire.

' Sur le premier point, M. [W] demande de constater que l'arrêt de la cour d'appel de Grenoble du 26 novembre 2012 a confirmé le jugement rendu le 29 avril 2010 par le tribunal de grande instance de Toulon sur l'existence de la faute contractuelle commise par Me [C] pour ne pas avoir voulu produire les déclarations de revenus qui avaient été demandées par la compagnie Al Ittihad Al Watani - L'union nationale.

Il élève en outre diverses objections en réponse aux conclusions prises en appel par les parties adverses et déniant l'existence de cette faute.

Il s'approprie donc les motifs du jugement entrepris.

Les conclusions prises dans les intérêts de M. [W] devant la cour d'appel de Nîmes, juridiction de renvoi après cassation d'un arrêt rendu par la cour d'appel d'Aix-en-Provence en 1997, faisaient valoir qu'il se trouvait dans l'incapacité absolue d'exercer une profession, ce qui caractérisait un préjudice professionnel distinct des préjudices d'ordre patrimonial et commercial déjà indemnisés ; elles soulignaient que l'arrêt précédent avait été cassé sur ce point, précisément pour avoir adopté une position contraire.

Puis, elles constataient que 'la société d'assurance persiste à dire qu'ayant perçu 17 510 793,40 francs d'indemnisation à la suite de l'arrêt rendu par la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 20 janvier 1994, M. [W] ne subirait aucun préjudice car le placement de cette somme à 10 % lui permettrait de percevoir 1 750 000 francs par an'.

Elles répliquaient 'qu'il est évident qu'une telle argumentation défie non seulement la loi, mais ausi le simple bon sens, ..., si la société d'assurance n'avait pas été à l'origine de l'incapacité professionnelle à 100 % de M. [W], celui-ci aurait tout à la fois touché cette somme et travaillé, ..., il importe donc peu de savoir quelle est l'importance des indemnités qu'il a reçues au titre des autres préjudices, des taux de placement qu'il aurait pu faire des indemnités reçues, car ce n'est pas parce qu'une victime a par ailleurs une somme confortable d'argent qu'on doit lui refuser l'indemnisation ou réduire l'indemnisation à laquelle elle peut justement prétendre par suite de la perte de sa capacité à exercer une profession'.

Les motifs par lesquels le jugement entrepris retient que, par la production des correspondances qu'il cite, Me [C] apporte la preuve d'un échange constant d'arguments et d'observations de M. [W] reflétant ses prises de position précisément et juridiquement argumentées sont adoptés.

Ils montrent que M. [W] a connu les conclusions adverses et donné des instructions précises à son avocat.

Si le tribunal ne peut être suivi en ce qu'il considère, ensuite, que la preuve de son implication n'est pas rapportée, alors qu'elle découle de ces échanges, c'est aux termes de motifs précis et suffisants qu'il a retenu que la connaissance juridique du client n'était pas démontrée.

Il a encore relevé que M. [W] était malade, ce qui était exact, puisque l'expertise judiciaire dont disposait la cour d'appel de Nîmes concluait à un taux d'incapacité permanente physiologique partielle de 70 % et sur le plan professionnel, de 100 %, causée par le seul retard d'indemnisation et liée à une psychose chronique ainsi qu'à un état dépressif ayant nécessité une prise en charge.

Ainsi, M. [W] était informé de la position prise par la partie adverse, il avait participé à l'élaboration de sa propre défense et il avait notamment fait choix de ne pas justifier de ses revenus, dans la logique de la position qu'il entendait voir présenter à la cour d'appel.

Mais il n'est pas juriste, en tout cas cela n'est pas démontré, et son discernement pouvait être sérieusement altéré, ce que son avocat ne pouvait ignorer, puisqu'il connaissait l'expertise judiciaire.

Pour dire qu'il n'a pas commis de faute, Me [C] se fonde essentiellement sur un courrier qu'il adressait à M. [W] le 9 février 1997.

Il y est notamment indiqué :

'En ce qui concerne la distinction que vous ne voulez pas faire entre les pertes de revenu du travail qui est la seule à indemniser aujourd'hui et celle du capital qui vous a été indemnisé, je ne l'ai pas faite conformément à vos instructions et je ne peux vous donner d'autre explication que l'évidence :

- le bénéfice d'une entreprise industrielle ou commerciale est égal à la somme des revenus générés par le facteur travail et le facteur capital, ainsi qu'on l'apprend aux étudiants de 1ère année de droit dés leurs premiers cours d'économie politique,

- en ce qui concerne l'incidence des impôts, je ne peux rien ajouter de plus que l'extrait du Juris-Classeur sur ce point en vous indiquant que si effectivement la jurisprudence de la Cour de cassation indique que les obligations fiscales de la victime sont sans incidence sur l'obligation du responsable à réparer, cette même jurisprudence laisse aux cours d'appel un pouvoir souverain quant à l'appréciation du préjudice.

De toute façon, j'ai présenté vos demandes de façon maximaliste conformément à vos instructions ce qui n'est pas forcément un mauvais choix et c'est la Cour qui fera la part de choses.

En ce qui concerne votre fax du 5 février je ne puis que vous indiquer que votre avocat et son personnel doivent conserver une certaine mesure face à vos angoisses, à peine de devenir eux-mêmes totalement inefficaces dans les réponses que vous êtes en droit d'attendre.

Je vous remercie de bien vouloir me faire connaître vos instructions quant à mon projet de conclusions'.

Ce courrier confirme que M. [W] s'intéressait de très près à la stratégie à adopter et qu'il donnait des 'instructions', y compris en se refusant à faire une distinction entre pertes en travail et en capital, contre l'avis de son conseil selon ce que suggèrent les termes employés sur ce point.

Il souligne aussi combien ses angoisses étaient réelles.

Il montre enfin que des informations juridiques lui étaient prodiguées ; toutefois, il ne résulte nullement des pièces produites que M. [W] avait le niveau d'un débutant en première année de droit ni qu'il avait effectivement suivi les cours d'économie politique dispensés dans ce cadre.

Quant à la question fiscale, le courrier n'est pas très clair ('l'extrait du Juris-Classeur' n'est pas joint à la pièce communiquée) ; il semble dire qu'une éventuelle imposition fiscale de la victime est sans incidence sur l'obligation du responsable ; ce n'était pas le débat, qui portait sur le point de savoir si le rendement des indemnités influait sur l'appréciation du dommage professionnel et si donc il y avait lieu de communiquer les justificatifs des produits perçus et éventuellement des sommes correspondant à l'impôt sur ces produits.

Et, surtout, il ne résulte d'aucun passage de ce courrier, ni de quelque autre pièce, que Me [C] a dit à M. [W] qu'il existait un risque que la cour d'appel fasse droit au principe d'argumentation de l'assureur et considère que, faute de justificatif de ce rendement, l'indemnisation demandée devrait être refusée, en tout ou partie.

Me [C] et la SCP objectent que l'assemblée plénière de la Cour de cassation a estimé qu'un demandeur ne pouvait reprocher à son avocat n'avoir pas produit des pièces qu'il estimait décisives, si lui-même n'avait pas, dans le délai légal, donné d'instructions précises pour ajouter ces pièces au dossier.

Il est question, dans l'arrêt cité, d'un avocat aux Conseils, de la procédure à suivre devant la Cour de cassation et de pièces estimées décisives par le client.

En l'espèce, il s'agit de pièces qui n'étaient pas jugées décisives par M. [W].

Et c'est bien la difficulté : Me [C] ne l'a pas informé nettement qu'elles pouvaient avoir de l'importance.

L'avocat n'a donc pas correctement rempli son obligation d'information et de conseil.

Sa faute est avérée, et l'immixtion de M. [W] dans les aspects juridiques de sa défense, comme le contre-coup pour le cabinet de ses angoisses, ne sont pas propres à l'exonérer.

' Le risque lié à ce défaut de production des pièces en question s'est réalisé.

Car la cour d'appel de Nîmes a ainsi motivé sa décision :

- Sur le préjudice professionnel :

Attendu que devant le tribunal de grande instance de Tarascon, M. [W] avait sollicité au titre de 'la perte de revenus de son entreprise' la somme de 3 650 000 Frs;

Qu'il a, au titre du préjudice professionnel, demandé dans ses conclusions du 2 décembre 1999 une somme de 38 812 894,90 Frs, somme qui a été portée à 55 632 491,64 Frs dans ses conclusions récapitulatives ;

[...]

Que l'évaluation du préjudice dépend non seulement des ressources de l'intéressé avant l'incapacité mais aussi des répercussions pécuniaires et de perte de situation après l'incapacité ;

Attendu que le médecin expert a estimé que les affections médicales entraînaient pour M. [W] une incapacité de travail totale, absolue et définitive ;

Que si les préjudices patrimoniaux et commerciaux déjà réparés sont distincts du préjudice professionnel il demeure que les fonds reçus pourraient permettre à M. [W] d'investir au besoin sous la forme sociale dans d'autres activités ou de tirer bénéfice d'intérêts substantiels étant observé que l'intéressé n'a pas été placé sous tutelle ou curatelle et qu'il a ainsi la libre disposition de ses ressources ;

Attendu qu'en outre aucune indication ne permet d'apprécier véritablement la situation fiscale actuelle de M. [W] ;

Attendu en conséquence qu'au vu de ces éléments il y a lieu d'infirmer la décision entreprise, de dire qu'en raison de l'incapacité de travail le préjudice professionnel est établi et de limiter à 1 000 000 Frs l'indemnité allouée à ce titre à M. [W].'

Le pourvoi formé contre cet arrêt a été rejeté, car 'la compagnie d'assurances avait fait observer dans ses écritures que M. [W] ne versait pas aux débats ses déclarations de revenus' et pour le surplus, au visa de l'appréciation souveraine des juges du fond.

Il est donc judiciairement admis que les fonds reçus 'pourraient' permettre à M. [W] d'investir, au besoin sous la forme sociale, dans d'autres activités ou de tirer bénéfice d'intérêts substantiels et que le fait 'qu'aucune indication ne permet d'apprécier véritablement la situation fiscale actuelle de M. [W]' est un facteur pertinent d'examen pour 'limiter à 1 000 000 Frs l'indemnité allouée' au titre du préjudice professionnel.

Si donc, la cour d'appel de Nîmes avait eu connaissance d'éléments lui permettant 'd'apprécier véritablement la situation fiscale actuelle de M. [W]', elle en aurait tenu compte.

Elle n'a pas 'stigmatisé' les variations du montant de ces demandes, comme le disent les conclusions d'appel des intimés ; elle en a pris acte, sans autre commentaire,

Elle n'a pas jugé, comme le soutient M. [W], que 'le préjudice professionnel lié à son préjudice corporel se montait à la somme de 55 632 491 Frs pour avoir condamné la compagnie d'assurances à verser à la Caisse Organic la somme de 563 487,33 francs en remboursement des arrérages échus du 1er janvier 1987 jusqu'au premier trimestre 2000 dans le cadre de l'indemnisation de M. [W]' ; elle a fixé le préjudice professionnel à un million d'euros, sans approuver le quantum de la demande de M. [W] avant de la réduire à ce montant ; puis, elle a tenu compte du recours de la Caisse.

Les parties ne peuvent déduire de ces motifs que la cour d'appel a estimé que le quantum de la demande n'était pas sérieux ou au contraire, qu'il était pleinement justifié mais devait être limité, compte tenu de l'incertitude sur 'la situation fiscale'.

D'autres éléments de l'arrêt sont à prendre en considération :

- la cour d'appel était saisie de conclusions détaillant le préjudice prétendu qui, reposant sur une perte de bénéfice net de 1 388 427 francs en 1986, en proposaient la revalorisation année par année jusqu'en 2000 - au prorata pour cette dernière année - et parvenaient, par addition, à une somme de 44 948 877,41 francs, avant de procéder à une capitalisation de rente jusqu'aux soixante-cinq ans de la victime et de chiffrer ainsi la demande à la somme de 55 632 491 francs,

- elle a rejeté la demande à hauteur de plus de 54 millions, sans prendre position sur ce calcul,

- dans la thèse de M. [W], elle aurait donc considéré que, dans le doute, il fallait considérer que les revenus nets des placements auraient couvert cette différence,

- or, la cour d'appel note que M. [W] est né le[Date naissance 1] 1941, que l'expert l'a examiné en 1988 et 1995, que, lors du dernier examen son état s'était considérablement aggravé et qu'il présentait une psychose chronique et un état dépressif, l'aggravation s'étant manifestée en 1993,

- elle ne précise pas la date de consolidation, mais il se déduit de ces éléments que celle-ci est intervenue au plus tôt en 1993, lorsque M. [W] était âgé de 51 ou 52 ans,

- la cour d'appel était saisie de conclusions de la compagnie d'assurances affirmant que le rendement annuel des indemnités aurait été de 1 750 000 francs par an,

- pour compenser un préjudice de 54 millions environ, elle aurait donc considéré, puisqu'elle n'indique pas qu'il faudrait tenir compte des intérêts composés, que ce rendement était sûr et net sur environ trente ans,

- cela ne se peut, puisque M. [W] n'était séparé de son soixante-cinquième anniversaire, qu'il citait lui-même comme point final de l'indemnisation, que par 13 ou 14 ans à la seule date citée par la cour d'appel, soit 1993.

De tout ce qui précède, il se déduit que la cour d'appel n'a admis, ni les bases de calcul proposées par M. [W], dont elle ne fait pas même état, ni le rendement effectif des indemnités dans les termes suggérés par la compagnie d'assurance, puisqu'il n'est pas de rapport entre leur montant sur trente ans et la période à indemniser.

Ce n'est donc pas en considération d'un préjudice prouvé et chiffré, mais partiellement compensé, qu'elle s'est prononcée.

Si elle avait connu les déclarations de revenus produites à présent, elle aurait lu, selon les termes des conclusions d'appel actuelles de M. [W] :

1988 : 0,

1989 : 6 648 francs,

1990 : 0

1991 : 0

1992 : 0,

1993 : 15 479 francs,

1994 : 0

1995 : 8 971 francs,

1996 : 33 956 francs,

1997 : 108 259 francs,

1998 : 25 652 francs,

1999 : 10 150 francs,

2000 : 20 118 francs.

Elle aurait constaté, soit qu'il n'existait pas 'd'intérêts substantiels' des sommes déjà reçues, dès lors qu'aucun revenu des placements en question ne ressortait de ces déclarations de revenus, soit que cette affirmation n'était pas crédible, compte tenu de l'importance des indemnités déjà versées.

Mais, quoiqu'il en soit, et comme l'a déjà relevé le tribunal, il ne s'agissait pas d'un élément décisif de son raisonnement.

La cour d'appel a dit, en effet, que les fonds reçus 'pourraient' permettre à M. [W] d'investir dans d'autres activités ou de tirer bénéfice d'intérêts substantiels et non que cela était déjà fait.

La production de pièces lui démontrant que tel n'était pas le cas à la date à laquelle elle statuait n'aurait donc pas fondamentalement modifié cette approche.

Puisqu'elle entendait indemniser le préjudice professionnel depuis 1993, qui est la seule date qu'elle cite, en précisant que 'l'évaluation du préjudice dépend non seulement des ressources de l'intéressé avant l'incapacité, mais aussi des répercussions pécuniaires et de perte de situation après l'incapacité', la cour d'appel aurait donc constaté que pour les sept années déjà écoulées au moment où elle statuait, les indemnités n'avaient pas été investies, ou qu'elles n'avaient pas produit de revenus importants.

Cela ne modifiait pas l'idée qu'elles 'pourraient' être.

Il ne peut donc être retenu qu'au vu de ces pièces, la cour d'appel aurait fixé l'indemnisation à une somme de cinquante-cinq millions, qui est sans aucune mesure avec celle d'un million, qu'elle a retenue.

Tout au plus aurait-elle majorée cette dernière.

Ce n'est pas même certain car, compte tenu de sa motivation qui ne fait aucune place aux éléments chiffrés qui lui étaient soumis, il est plus probable qu'elle n'aurait rien changé à son évaluation, mais seulement ajouté à sa motivation qu'il importait peu que M. [W] n'ait pas concrètement procédé à des investissements ou placements.

Mais la cour d'appel disant que l'absence d'éléments lui permettant 'd'apprécier véritablement la situation fiscale actuelle de M. [W]' revêt une importance, il ne peut être exclu qu'elle aurait procédé à une majoration.

De l'ensemble de ces éléments, il ressort que M. [W] a perdu une faible chance de voir l'indemnité pour préjudice professionnel fixé à un montant un peu supérieur à un million.

Ce préjudice ténu est fixé à 20 000 euros.

Les intérêts moratoires sont dus à compter de l'assignation valant mise en demeure.

' Dans ces conditions, et compte tenu encore du fait que, tant le tribunal que les premiers juges d'appel ont débouté M. [W], la résistance de Me [C] et de la SCP ne revêt aucun caractère abusif.

' Me [C] et la SCP forment des demandes reconventionnelles, à concurrence respectivement de 25 000 euros et 15 000 à titre de dommages et intérêts en réparation de l'important préjudice moral causé par l'attitude procédurale abusive de M. [W] ainsi que par ses demandes judiciaires excessives et inconsidérées.

Il s'agit donc exactement de celles que la cour d'appel de Grenoble a rejeté par arrêt définitif sur ce point.

Mais l'autorité de chose jugée n'étant pas opposée et cette demande pouvant aussi se comprendre comme tendant à réparer la perpétuation du trouble subi depuis qu'il a été rendu, en raison de l'importance des réclamations adverses, il convient de retenir :

- que les demandes actuelles sont celles que Me [C] présentaient pour le compte de M. [W] dans le cadre de l'instance en indemnisation,

- qu'elles ne peuvent, en elles-mêmes, être qualifiées d'abusives,

- que cette demande a été rejetée en première instance,

- et par des motifs qu'il convient, d'ailleurs, d'adopter, dès lors qu'il résulte de ce qui précède que la mauvaise foi n'est pas caractérisée.

' Les deux parties succombent sur le débat essentiel, Me [C] et la SCP quant au principe, M. [W] sur le quantum.

Chacune des parties conservera la charge de ses dépens.

Il n'y a pas lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

- Infirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il déboute Me [C] et la SCP [J]-[C]-[Q] de leurs demandes reconventionnelles,

- Dit que Me [C] a commis une faute et engagé sa responsabilité et celle de la SCP [J]-[C]-[Q] à l'égard de M. [W],

- Condamne in solidum Me [C] et la SCP [J]-[C]-[Q] à payer à M. [W] une somme de 20 000 euros en indemnisation du préjudice consécutif, avec intérêts au taux légal à compter du 17 mars 2006,

- Ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 du code civil,

- Déboute M. [W] de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour résistance abusive,

- Vu l'article 700 du code de procédure civile, déboute les parties de leurs demandes,

- Laisse à chaque partie la charge de ses dépens de première instance et d'appel, en ce compris les dépens exposés devant la cour d'appel de Grenoble.

LE GREFFIERPour LE PRESIDENT empêché

Joëlle POITOUX François MARTIN


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : 1ère chambre civile a
Numéro d'arrêt : 14/04995
Date de la décision : 02/07/2015

Références :

Cour d'appel de Lyon 01, arrêt n°14/04995 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2015-07-02;14.04995 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award