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29/05/2015 | FRANCE | N°14/05143

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale c, 29 mai 2015, 14/05143


AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE







R.G : 14/05143





[X]

[V]



C/

Société DISTRIBUTION CASINO FRANCE SAS







APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINT-ETIENNE

du 20 Mai 2014

RG : F.13/428











COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE C



ARRÊT DU 29 MAI 2015













APPELANTS :



[E] [X]

né le [Dat

e naissance 1] 1952 à [Localité 6]

[Adresse 2]

[Localité 2]



comparant en personne, assisté de Me Claudine BOUYER-FROMENTIN, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE



[W] [V] épouse [X]

née le [Date naissance 2] 1954 à [Localité 4]

Chez Monsieur [U]

[Adresse 1]

[Localité 1]

...

AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE

R.G : 14/05143

[X]

[V]

C/

Société DISTRIBUTION CASINO FRANCE SAS

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINT-ETIENNE

du 20 Mai 2014

RG : F.13/428

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE C

ARRÊT DU 29 MAI 2015

APPELANTS :

[E] [X]

né le [Date naissance 1] 1952 à [Localité 6]

[Adresse 2]

[Localité 2]

comparant en personne, assisté de Me Claudine BOUYER-FROMENTIN, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE

[W] [V] épouse [X]

née le [Date naissance 2] 1954 à [Localité 4]

Chez Monsieur [U]

[Adresse 1]

[Localité 1]

comparant en personne, assistée de Me Claudine BOUYER-FROMENTIN, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE

INTIMÉE :

Société DISTRIBUTION CASINO FRANCE SAS

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 3]

représentée par Me Yann BOISADAM de la SCP JOSEPH AGUERA & ASSOCIES, avocat au barreau de LYON

PARTIES CONVOQUÉES LE : 25 juillet 2014

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 10 Avril 2015

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Christine DEVALETTE, Président de chambre

Isabelle BORDENAVE, Conseiller

Chantal THEUREY-PARISOT, Conseiller

Assistés pendant les débats de Christine SENTIS, Greffier.

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 29 Mai 2015, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Christine DEVALETTE, Président de chambre, et par Christine SENTIS, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*************

En juin 1994 , Monsieur et Madame [X] ont présenté leur candidature pour la gestion d'une superette CASINO Après une formation , ils ont signé un contrat de co-gérance le 21 octobre 1994.

Le 21 juillet 1995, ils ont souhaité exercer une activité de gérants mandataires non salariés intérimaires et ils ont signé les 29 juillet et 1er décembre 1995 , des contrats de co-gérance.

Forts de leur expérience , ils ont à nouveau souhaité cesser l'intérim et gérer une supérette comme gérants mandataires à [Localité 5] . Le contrat a été signé le 4 octobre 1999.

En 2011, la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE a signalé plusieurs anomalies .

Suite à un inventaire du 9 mai 2012 faisant apparaître un solde débiteur, ils ont été convoqués pour le 2 juillet 2012 à un entretien en vue de l'éventuelle résiliation de leur contrat de co-gérance et celui-ci a été résilié par lettre recommandée avec avis de réception du 6 juillet 20012 'pour manquants en marchandises et, ou espèces de 44 244,46€ et manquants emballages de 24,37€, faisant ressortir un solde débiteur de 117 157,16€'.

Le 6 mai 2013 , les époux [X] ont saisi le conseil de prud'hommes de Saint Etienne en requalification de leur contrat en contrat de travail de droit commun , avec toutes les conséquences qui s'y attachent .

Par jugement du 20 mai 2014, le Conseil de Prud'hommes de Saint-Etienne a :

- ordonné la jonction des procédures enrôlées sous les numéros 13/00427 et 13/00428,

- dit et jugé que le contrat liant M et Mme [X] à la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE était bien un contrat de co-gérants non salariés,

- débouté M. et Mme [X] de leur demande de requalification de leur contrat de co-gérants non salariés en contrat de travail et, en conséquence, de l'intégralité de leurs demandes,

- débout la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. et Mme [X] aux entiers dépens de l'instance.

M. et Mme [X] ont interjeté appel le 19 juin 2014.

Au terme de leurs écritures intégralement reprises , les appelants demandent à la cour

- de réformer le jugement ,

- au visa des articles L7322-1 et suivants du code du travail et des accords collectifs , et des articles L1235-3 , 1226-2 et 1226-9 du code du travail ,

de requalifier en contrat de travail salarié le contrat qui les liait à la société DISTRIBUTION Casino France,

- à titre subsidiaire, de considérer que les règles du travail salarié s'appliquent au contrat de gérance non salarié et condamner en conséquence la société CASINO Distribution France à leur verser :

Pour Monsieur [X]

. 80 846,80€ de salaire conventionnel pour la période,

. 20 646,74€ de majorations à 25% d'heures supplémentaires,

.126 582,08€ de majorations sur heures supplémentaires ,

.316 625,39€ de compensation obligatoire en repos , dont à déduire 184 265,15€ de salaires et accessoires versés , soit un solde de 132 360,24€

Pour Madame [X] :

61 469,36€ de salaire conventionnel de base ,

15 533,80€ d'heures supplémentaires à 25%,

94228,67€ d'heures supplémentaires à 50%

65 440,66€ d'heures supplémentaires en repos sous déduction de 114 235,96€ soit un solde de ;

- de condamner la société CASINO à leur rembourser à chacun la moitié de la charge salariale soit 71 391,28€ pour chacun,

- à défaut de réintégration non sollicitée, de condamner à verser à Madame [X] pour licenciement nul en violation de la protection légale des accidentés du travail

. 14360,96€ , préavis de 2 mois,

. 1436,10€ congés payés afférents ,

. 24 887,54€ (indemnité légale de licenciement pour 17,33 ancienneté)

. 172 331,52€ indemnité pour licenciement nul(2 ans)

- déclarer sans cause réelle et sérieuse le' licenciement de monsieur [X] et condamner la société CASINO à lui verser

. 13 667,98€ d'indemnité de préavis,

. 1366,79€ de congés payés afférents ,

. 23 686,61€ d'indemnité légale de licenciement (ancienneté 5 ans)

. 164 015€ de licenciement sans cause réelle et sérieuse ,

- de leur allouer une indemnité de procédure de 3000 € à chacun,

- d'ordonner la remise de documents de rupture rectifiés et de préciser que les intérêts au taux légal seront dus à compter de l'introduction de l'instance .

Concernant la requalification, ils rappellent les trois conditions édictées par l'article 7322-2 qui ne sont pas réalisées en l'espèce

- le paiement à la commission en pourcentage sur le chiffre d'affaires , or la rémunération était déconnectée du chiffre d'affaires comme complétée par des primes diverses dont le calcul n'est pas précisé et qui constituent en fait une prise en charge partielle des rémunérations des autres salariés,

- la liberté d'employer du personnel, ce qui n'a pas été le cas puisque la participation de la société aux frais de personnel est totale et conditionnée par une amplitude de temps de travail et d'ouverture au public (6 jours/7) ; ils relèvent que, sur la période de travail en tant que gérants intérimaires , ils n'avaient aucun lien de droit avec les gérants titulaires , qui ne les rémunéraient pas sur leurs revenus et qui ne sont pas responsables de leur activité.

Sur les deux périodes de gérance fixe , les congés ont été organisés par la société CASINO, selon un planning défini par elle , qui les a systématiquement remplacés, par des gérants intérimaires , eux-mêmes étant pendant cette période totalement dessaisis de la gestion par remise des clefs.

- l'absence de lien de subordination , alors que les procédures de recrutement sont rigoureusement encadrées, les charges de personnel presque intégralement prises en charge , que le cabinet FIDUCIAL, mandaté par la société CASINO, a transmis directement les données comptables, les commerciaux donnaient des directives , qu'ils n'avaient pas le libre exercice de leurs relations avec la clientèle (directives très précises sur l'accueil des clients , les commandes( lots managers ou mutations de marchandises) , sur les horaires d'ouverture et les amplitudes de travail avant et après la fermeture , sur le choix des locaux. Ils indiquent produire en ce sens de nombreuses attestations confirmant un lien de subordination organisationnel, financier et économique.

Sur leurs créances salariales au titre des heures supplémentaires , ils indiquent produire un tableau démontrant l'exécution par chacun de 86,50 heures par semaine.

Ils réclament en outre la part de charges d'exploitation qu'ils ont réglée indûment , eu égard à leur statut de salariés .

Ils réclament l'application du droit du travail sur le temps de travail et la rupture des relations contractuelles conformément aux dispositions de l'article L782-7 recodifié L7322-1.

Sur la rupture , ils font valoir qu'elle est fondée sur deux résultats déficitaires qu'ils n'ont pas été en mesure de contester , au même titre que les manquants en marchandises et emballages , ne disposant d'aucun moyen logistique pour le faire , et invoquent une rupture sans cause réelle et sérieuse pour Monsieur [X] et un licenciement nul pour Madame [X] qui était en accident de travail depuis le 11 juillet 2011 , suite à une agression à main armée , arrêts de travail et soins pris en charge au titre de la législation professionnelle.

A l'audience , les appelants indiquent qu'une erreur s'est glissée dans le dispositif de leurs écritures et que leur demande de remboursement des salaires et charges sociales de leurs salariés à hauteur de 218 000€ fait double emploi avec celle formulée à ce titre dans le même dispositif à hauteur de 142 782,57€, seule somme à retenir et à répartir par moitié entre eux.

Au terme de ses conclusions , intégralement reprises à l'audience , la société CASINO DISTRIBUTION FRANCE demande à la cour de confirmer le jugement , de débouter les époux [X] de l'intégralité de leurs demandes et de les condamner à une indemnité de procédure de 3000€ pour chacun.

Sur la demande de requalification des contrats , elle fait valoir que c'est en pleine connaissance de cause et à quatre reprises , que les époux [X] ont exercé leur liberté contractuelle en signant des contrats de gérants non salariés et qu'il leur appartient de rapporter 'in concreto', la preuve d'un lien de subordination .

Elle soutient

- que les consorts [X] ont bien été rémunérés par commissions correspondant au montant des ventes réalisées et de la clef de répartition entre eux de cette rémunération, que le prélèvement de charges sociales résulte de dispositions légales et non d'un statut de salariés, au même titre que la commission minimale qui vient compléter le cas échéant les commissions proportionnelles , ou que les aides à la gestion qu'elle est tenue contractuellement de leur apporter, par exemple pour la comptabilité assurée par FIDUCIAL.

- qu'ils ne démontrent pas n'avoir pas été libres dans l'embauche ou la gestion de leur personnel , les attestations produites démontrant au contraire ,qu'ils étaient les seuls employeurs de ce personnel, que les contrats de travail ont été légalement transférés suite à la résiliation du contrat de gérance ,

- qu'ils ont été libres de fixer leurs horaires de travail , répartis entre eux, de prendre leurs congés aux dates choisies , l'organisation mise en place pour assurer leur remplacement n'étant pas contraignante , qu'ils pouvaient modifier les horaires d'ouverture et de fermeture, qu'ils n'étaient pas contraints d'être tous deux présents , dés lors qu'ils avaient des salariés;

- que les modalités commerciales d'exploitation définies contractuellement ne sauraient suffire à établir un lien de subordination , de même que la dépendance économique , telle la clause de fourniture exclusive, le choix du local dont la société CASINO assume la charge, le contenu et l'heure des livraisons, les changements de prix , la gestion des périmés, qui leur sont crédités, et le remboursement des freintes selon un système prévu pas accord collectif, la participation aux actions commerciales, les visites périodiques des managers commerciaux.

Concernant les heures supplémentaires , la société fait valoir que la détermination d'un décompte de la durée du travail est incompatible avec le statut de gérant de sorte que la charge de la preuve ne peut reposer que sur les demandeurs qui n'établissent pas avoir été tenus de respecter un horaire précis et d'être présents tous deux en permanence;

Sur la rupture des contrats de co-gérance, elle fait valoir que la résiliation est fondée sur un manquant de marchandises ou d'espèces , un manquant d'emballages et un solde débiteur, résultant du dernier inventaire , chiffres qu'ils n'ont pas contestés dans le délai de quinzaine de l'article 22 de l'accord national , ni a fortiori , couvert ce déficit , alors qu'ils ne sont que dépositaires de ces marchandises, qu'ils n'établissent pas que ce manquant résulterait de circonstances extérieures, qu'ils n'ont pas contesté dans les 8 jours , les relevés mensuels (RDDC), qu'ils ont parfaitement accès au logiciel GOLD , sans que la liste des marchandises manquantes ait à être produite, seul comptant l'inventaire en valeur; que le déficit d'inventaire physique n'est pas contesté .

Sur la nullité réclamée par Madame [X] en raison d'une résiliation intervenue en période d'arrêt de travail par accident de travail, , comme sur la demande de Monsieur [X] pour rupture sans cause réelle et sérieuse , elle rappelle que les mesures relatives au licenciement des salariés ne sont pas applicables aux gérants mandataires non salariés. Elle conclut donc au rejet des prétentions de chacun des appelants à ce titre .

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande de requalification du contrat de gérance en contrat de travail.

L'article L7322-2 du code du travail, applicable à l'espèce , dispose en son 1er alinéa :'Est gérant non salarié toute personne qui exploite , moyennant des remises proportionnelles au montant des ventes , les succursales des commerces de détail alimentaire ou des coopératives de' consommation lorsque le contrat intervenu ne fixe pas les conditions de son travail et lui laisse toute latitude d'embaucher des salariés ou de se faire remplacer à ses frais et sous son entière responsabilité '.

Dans son préambule , l'accord collectif national du 18 juillet 1963 , mis à jour , rappelle lui-même que ce statut spécifique du gérant mandataire de succursale résulte du fait que vis à vis de la clientèle il se comporte comme un commerçant , ce qui implique indépendance du gérant dans la gestion de l'exploitation du fonds , c'est à dire autonomie dans l'organisation de son travail et intéressement direct à l'activité du magasin par des commissions calculées sur le montant des ventes, tout en bénéficiant, dans le cadre de ce mandat d'intérêt commun, d'un statut social légal et conventionnel .

Le contrat de travail est constitué dés lors que se trouvent réunies trois conditions cumulatives :l'état de subordination juridique vis à vis de l'employeur, le versement d'une rémunération et la fourniture d'une prestation de travail ; le lien de subordination juridique se caractérise par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives , d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné .

La qualification d'une relation de travail ne dépend ni de la dénomination donnée par les parties à leur convention ni de la volonté qu'elles ont pu exprimer, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité .

Les époux [X] ont conclu plusieurs contrats de gérants non salariés, dont des contrats de gérants non salariés intérimaires , seul comptant, au titre de la requalification sollicitée, le dernier contrat de co-gérance fixe conclu le 4 octobre 1999 et résilié le 6 juillet 2012 qui fait expressément référence aux articles L782-1 et suivants du code du travail , recodifiés sous les articles L7322-1 et suivants et à l'accord national des maisons d'alimentation à succursales , supermarchés, hyper-marchés du 18 juillet 1963 et à ses divers avenants .

C'est donc aux époux [X] qui revendiquent la requalification de leur contrat de gérants mandataires en contrat de travail de prouver qu'ils se trouvaient 'in concreto'dans un lien de subordination juridique à l'égard de la société CASINO DISTRIBUTION FRANCE , cette subordination juridique ne se confondant ni avec la subordination économique , ayant justifié un statut protecteur des gérants non salariés , ni avec l'intégration dans un service organisé, laquelle oblige les gérants à porter une tenue spécifique, à vendre des marchandises exclusivement fournies par la société ou par des fournisseurs agrées par elle , à participer aux actions promotionnelles et publicitaires définies par la société, à agencer les magasins conformément aux instructions de la société , dans des locaux choisis et financés par elle , à utiliser des documents ou logiciels fournis par la société , à se soumettre à des relevés mensuels et à des inventaires physiques de marchandises dont ils sont les dépositaires .

Indépendamment du mode de rémunération, le lien de subordination implique l'impossibilité d'organiser librement l'exercice de l'activité professionnelle , notamment en ce qui concerne les relations avec la clientèle , les relations avec le personnel embauché , la possibilité de se faire remplacer à ses frais et sous son entière responsabilité .

En l'espèce , les époux [X] font tout d'abord valoir que, contrairement au statut , leur rémunération était déconnectée du chiffre des ventes car complétée par des primes diverses, représentant certains mois plus de la moitié de la rémunération brute , dans le but de prendre en charge une partie des salaires des salariés de la succursale . Il reste que leur rémunération de base de 6% des ventes réalisées était bien fonction, selon les documents produits, du chiffre des ventes , avec complément pour parvenir à la rémunération minimale conventionnelle ,ou pour 'aides à la gestion' ou 'aides au développement', spécifiquement prévues à l'article 3 de l'accord collectif , quelle qu'ait été l' affectation ultérieure de ces aides.

Au demeurant le non respect des dispositions de l'article L7322-2 du code du travail, en termes de 'remises proportionnelles au montant des ventes ', n'aurait, s'il était établi, pas d' incidence sur la requalification du contrat en contrat de travail .

Concernant les relations des époux [T] avec leurs salariés et leur propre remplacement pendant les congés , et indépendamment du terme de 'patrons' employés par ces salariés dans leurs attestation, , les appelants n'établissent pas que, contrairement aux dispositions de l'article 2 de leur contrat de co-gérance, ils n'avaient pas la latitude' d'engager pour leur propre compte et sous leur entière responsabilité le personnel qu'ils estiment utile pour leur exploitation'. Ils ne fournissent à cet égard aucun autre élément que les contrats de travail de trois salariés '[K],[P] , [C]) établis par Monsieur [X] ainsi que le solde de tout compte remis à Monsieur [C] et , dans le cadre légal des transferts des contrats de travail, leur argumentation sur l'absence de décision de leur part sur le sort des contrats de travail en cours lors de la résiliation du contrat de gérance ,est inopérant .

Ils font valoir que la quasi totalité des charges salariales était directement ou indirectement prise en charge par la société CASINO qui contrôlait ainsi le flux de personnel , mais ils ne produisent aucune instruction visant à leur imposer l'embauche de personnel déterminé ou leur remplacement pendant les congés par des personnes dénommées . Ces remplacements réalisés au demeurant par les gérants intérimaires Casino spécialement formés , fonction qu'ils ont eux-mêmes exercée , et qui les dispensaient de rechercher eux mêmes leurs remplaçants, ne sont pas constitutifs d'un lien de subordination dés lors qu'il n'est établi par aucune pièce qu'ils sont obligatoires ou que le planning de prise de congés serait lui-même imposé par la société CASINO .

Les aides à la gestion apportées par la société CASINO en termes de vade-mecum de recrutement de personnels ou de service de gestion des paies par son partenaire FIDUCIAL ne constituent pas la preuve que les époux [X] auraient été dépossédés de leur pouvoir de direction sur leur personnel .

L'attestation de Monsieur [C] démontre d'ailleurs que pendant le remplacement de ses 'patrons', il a été demandé aux remplaçants de modifier ses horaires , mais qu'il a refusé. Quant aux ordres directs dont il fait état de la part de commerciaux , il est le seul à en parler, de manière au demeurant non précise et circonstanciée .

Concernant enfin la relation avec la clientèle , le livret intitulé'exercice sur le thème accueillir et servir les clients'comportant des conseils sur la manière de s'habiller , d'accueillir poliment et de manière personnalisée les clients et d'aller au devant de leurs souhaits , ne peut s'analyser comme une directive dépossédant les gérants du libre exercice de leurs fonctions commerciales et les attestations très générales produites par les appelants émanant d'anciens managers commerciaux ([L] , [I]) ou d'anciens gérants , ne sont pas de nature à établir qu'eux-mêmes étaient soumis à des directives précises , et encore moins à des sanctions , sur leur action en direction de la clientèle, dépassant le cadre contractuel inhérent aux relations entre la maison mère et les gérants de succursales, et mettant à néant le caractère commercial de leur activité personnelle.

Les appelants soutiennent par ailleurs , que la liberté de la qualité de commerçant qui leur est reconnue par le statut, est incompatible avec des pratiques de livraisons imposées ou de mutations de marchandises entre succursales , mais ces pratiques qui ne sont pas spécifiques à Monsieur et Madame [X] et qui ont été dénoncées sur les 'forums de gérants'constituent des difficultés d'exécution du contrat de co-gérance mais ne sont pas de nature à qualifier ce contrat de contrat de travail.

Le jugement qui a débouté Monsieur et Madame [X] de leur demande de requalification , doit être confirmé et nécessairement complété sur les demandes complémentaires ou subsidiaires auxquelles il n'a pas été répondu, relatives à la demande de remboursement de parts sociales versées pour les salariés , au temps de travail et aux conditions de la rupture .

sur les demandes subséquentes en remboursement des charges d'exploitation

En l'absence de requalification du contrat de co-gérance en contrat de travail, la demande de remboursement des salaires et charges d'exploitation qu'ils auraient assumés en qualités de salariés au lieu et place de la société CASINO , doit être rejetée .

Sur la créance salariale réclamée au titre des horaires accomplis

Aux termes de l'article L7322-1 al 2du code du Travail, 'l'entreprise propriétaire de la succursale est responsable de l'application au profit des gérants non salariés des dispositions de l'article 1er de la troisième partie relative à la durée du travail , aux repos et aux congés , ainsi que celles de la 4ème partie relatives à la santé et à la sécurité au travail lorsque les conditions de travail , de santé et de sécurité au travail dans l'établissement ont été fixées par elle ou soumises à son accord .

En l'espèce , les époux [X] établissent par les pièces qu'ils produisent qu'à leur arrivée dans la succursale d'[Localité 5] , ils se sont vus imposés , même s'ils les ont signés, les horaires d'ouverture du magasin , soit 6 jours sur 7 , du lundi au vendredi de 7 h 30 à 20 heures , et le samedi de 8 heures à 20 heures, soit au total 63 heures d'ouverture hebdomadaire , auxquelles ils ajoutent une heure avant l'ouverture et une heure après l'ouverture , pour réception des livraisons , rangements , changements d'étiquettes etc..., soit au total 86h50 de travail hebdomadaire moyen pour chaque co-gérant , les salariés qui ont travaillé à raison de 2x35 heures dans la succursale attestant que les deux-cogérants étaient toujours présents( sauf au temps de l'arrêt de travail de Madame [X]) en raison de l'important chiffre d'affaires du magasin impliquant un travail important en caisse et mise en rayons , et de la configuration particulière de ce magasin , compliquant le travail de surveillance .

De son côté , la société CASINO se contente d'affirmer qu'elle n'a pas imposé les horaires d'ouverture , ce qui est contredit par les attestations de commerciaux qui indiquent avoir été chargés précisément d'en contrôler le respect, ou que les co-gérants pouvaient s'organiser pour n'être pas présents au même moment , mais ne fournit aucun élément objectif de contestation sur les éléments produits par les époux [X] ni sur leur décompte .

Leurs demandes de rappels de salaire calculées sur la base de la rémunération conventionnelle de la période et en tenant compte des taux de majorations , des repos compensatoires mais aussi des commissions et accessoires versés , doivent être accueillies à hauteur de :

- 132 360,24€ pour Monsieur [X],

- 122 436,53€ pour Madame [X].

La fixation d'une rémunération moyenne de référence à hauteur de 6833,99€ pour Monsieur [X] et de 7180,48€ pour Madame [X] doit également être retenue.

Sur la rupture des contrats

Même en l'absence de requalification du contrat, les co-gérants non salariés sont bien fondés, en application des dispositions de l'article L782-7 , recodifié à droit constant sous l'article L7322-1 et suivants , à solliciter à leur égard le bénéfice des règles protectrices de fond et de forme des articles L122-4 et suivants , devenus L12331-1 et suivants, relatifs à la rupture du contrat à durée indéterminée .

En l'espèce, à l'occasion du départ en congé de Monsieur [X] , remplacé par un gérant intérimaire, la société CASINO a fait établir un inventaire le 9 mai 2012 faisant apparaître un manquant de 44 244,46€ et un excédent emballage de 24,37€.

Elle a notifié ces comptes d'inventaire par lettre du 6 juin 2012 , reçue le 12 juin 2012, alors que Monsieur [X] était en congés et son épouse en arrêt accident de travail , ce avec mise à pied conservatoire, et délai de contestation des comptes de 15 jours .

Elle a convoqué les époux [X] à un entretien préalable qui s'est tenu le 2 juillet , en présence de Monsieur [X], en arrêt maladie cette fois pour malaise cardiaque et assisté de Monsieur [H] , gérant élu , et la résiliation du contrat , sans préavis ni indemnité pour un déficit cumulé de 117 157,16€ arrêté au 2 juillet 2012 et pour défaut de justification du manquant et non couverture immédiate de celui-ci , en violation de l'article 8 du contrat de co-gérance.

Le 14 août 2012, ce déficit passe à 119 022€ , sans que les arrêtés de compte des deux derniers inventaires aient été signés par Monsieur et Madame [X] . Une instance est en cours devant le tribunal de commerce de Saint Etienne , sur le remboursement du déficit par les époux [X].

En revanche aucun comportement fautif n'est caractérisé à leur encontre dés lors qu'indépendamment des problèmes de livraisons non commandées de produits à faible durée de péremption ou de variations de prix ne permettant pas une valorisation fiable des stocks qu'ils invoquent , ces deux-co-gérants qui collaborent au sein de la société CASINO depuis plus de 17 ans , n'ont disposé, dans le cadre d'un contrat d'intérêt commun, d'aucun moyen pour contester les chiffres dans le délai fixé par le contrat , l'accès personnel au logiciel GOLD leur étant fermé , pour suivre comme le fait la société CASINO en temps réel, les stocks et les ventes , et cette dernière ayant refusé à leur expert comptable , mandaté à cet effet , d'accéder à sa comptabilité pour en contrôler l'exactitude .

La rupture du contrat de co-gérance revêt donc à l'égard de Monsieur [X] le caractère d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et emporte condamnation de la société DISTRIBUTION CASINO à lui verser:

- 13 667,98€ d'indemnité de préavis

- 1366,80€ de congés payés afférents

- 23 686,61€ d'indemnité légale de licenciement ,

- 69 000€ de dommages et intérêts pour rupture sans cause réelle et sérieuse .

A l'égard de Madame [X] qui était en arrêt de travail ininterrompu depuis le 11 juillet 2011 , pour un accident de travail suite à un braquage à main armée , reconnu comme tel par la caisse primaire , la rupture du contrat sans préavis ni indemnité , a les effets d'un licenciement nul , et , en l'absence de demande de réintégration, justifie la condamnation de la société CASINO à verser à celle-ci :

- 14 360,96€ d'indemnité de préavis,

- 1436,10€ de congés payés afférents ,

- 24 887€ d'indemnité légale le licenciement ;

-72000€ de dommages et intérêts pour rupture nulle.

La société CASINO doit être condamnée à leur verser à chacun 1500€ d'indemnité de procédure .

En l'absence de requalification des contrats , il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de remise de bulletins de salaire ou de certificats de travail.

Les sommes allouées porteront intérêts au taux légal à la date de réception de la lettre de convocation de la société CASINO devant le conseil de prud'hommes , à l'exception des dommages et intérêts alloués qui porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant contradictoirement, en audience publique,

Confirme le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de requalification des contrats de co-gérance,

L'infirme pour le surplus et le complétant ,

Condamne la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE à payer

- à Monsieur [E] [X] :

. 132 360,24€ de rappels au titre d'heures supplémentaires et de congés compensateurs,

. 13 667, 98€ d'indemnité de préavis,

. 1366,80€ de congés payés afférents ,

. 23 686,61€ d'indemnité de licenciement ,

. 69 000€ de dommages et intérêts pour rupture sans cause réelle et sérieuse,

.1500€ d'indemnité de procédure,

- à Madame [W] [V] épouse [X] :

. 122 436,53€ de rappels au titre des heures supplémentaires et des congés compensateurs,

. 143 360,96€ d'indemnité de préavis,

. 1436,10€ de congés payés afférents ,

. 24 887 d'indemnité légale de licenciement ,

. 72 000€ de dommages et intérêts pour licenciement nul,

. 1500€ d'indemnité de procédure,

Dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de la date de réception de la convocation de la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE , hors les sommes allouées à titre de dommages et intérêts , qui porteront intérêt au taux légal , à compter du présent arrêt,

Déboute Monsieur et Madame [X] du surplus de leurs demandes,

Condamne la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

Christine SENTIS Christine DEVALETTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale c
Numéro d'arrêt : 14/05143
Date de la décision : 29/05/2015

Références :

Cour d'appel de Lyon SC, arrêt n°14/05143 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2015-05-29;14.05143 ?
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