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05/05/2015 | FRANCE | N°14/08370

France | France, Cour d'appel de Lyon, Sécurité sociale, 05 mai 2015, 14/08370


AFFAIRE SÉCURITÉ SOCIALE



DOUBLE RAPPORTEUR





R.G : 14/08370





[T]



C/

CPAM DU RHÔNE

CAP INTER RHONE ALPES

SAS VINCI CONSTRUCTION VENANT AUX DROITS DE LA STE SATEC CASSOU BORDAS







APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de LYON

du 08 Février 2012

RG : 20090707



















































COUR D'APPEL DE LYON



Sécurité sociale



ARRÊT DU 05 MAI 2015













APPELANT :



[U] [T]

né le [Date naissance 1] 1956 à [Localité 4]

[Adresse 4]

[Localité 1]



comparant en personne, assisté de Me Marion MINARD, avocat au barreau de LYON





INTIMEES :



CPAM DU RHÔNE...

AFFAIRE SÉCURITÉ SOCIALE

DOUBLE RAPPORTEUR

R.G : 14/08370

[T]

C/

CPAM DU RHÔNE

CAP INTER RHONE ALPES

SAS VINCI CONSTRUCTION VENANT AUX DROITS DE LA STE SATEC CASSOU BORDAS

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de LYON

du 08 Février 2012

RG : 20090707

COUR D'APPEL DE LYON

Sécurité sociale

ARRÊT DU 05 MAI 2015

APPELANT :

[U] [T]

né le [Date naissance 1] 1956 à [Localité 4]

[Adresse 4]

[Localité 1]

comparant en personne, assisté de Me Marion MINARD, avocat au barreau de LYON

INTIMEES :

CPAM DU RHÔNE

Service contentieux

[Localité 3]

Représentée par Madame [J] [Q], munie d'un pouvoir

CAP INTER RHONE ALPES

[Adresse 3]

[Localité 1]

représentée par Me Marie-christine MANTE-SAROLI de la SELARL MANTE SAROLI & COULOMBEAU, avocats au barreau de LYON, à la Cour substituée par Me Emmanuelle BALDUIN, avocat au barreau de LYON

SAS LAMY venant aux droits de la société SATEC CASSOU BORDAS, en lieu et place de la SAS VINCI CONSTRUCTION

[Adresse 2]

[Localité 2]

représentée par Me Frédéric PIRAS de la SELARL PIRAS ET ASSOCIES, avocats au barreau de LYON, substitué par Me FOLLEAS, avocat au même barreau

PARTIES CONVOQUÉES LE : 23 octobre 2014

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 24 Mars 2015

Composée de Christine DEVALETTE, Présidente de Chambre et Chantal THEUREY-PARISOT, Conseiller, toutes deux magistrats rapporteurs, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en ont rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistées pendant les débats de Malika CHINOUNE, Greffier

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Christine DEVALETTE, Président de chambre

Isabelle BORDENAVE, Conseiller

Chantal THEUREY-PARISOT, Conseiller

ARRET : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 05 Mai 2015 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Christine DEVALETTE, Présidente de chambre, et par Malika CHINOUNE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

********************

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

M. [U] [T] à travaillé en qualité de chef d'équipe pour le compte de la SARL CAP INTER RHÔNE ALPES à compter du 3 octobre 2005 ; il a été mis à disposition de la SAS SATEC CASSOU BORDAS, aux droits de laquelle vient la SAS LAMY.

Il a été victime le 30 avril 2007 d'un très grave accident du travail qui s'est déroulé dans les circonstances suivantes : à l'occasion de la manipulation d'une banche par un intérimaire au moyen d'une barre à mine à talon, celle-ci a basculé et la victime a chuté de sa hauteur sur la dalle en béton.

Selon le certificat médical initial établi le 3 mai 2007, M. [U] [T] a présenté ensuite de cet accident « un traumatisme crânien avec embarrure pariétale gauche, hématome sous- dural, hématome extra-dural, pétéchies, hémorragie méningée, contusion pulmonaire, fracture cervicale C6-C7 instable ».

Cet accident a été pris en charge au titre de la législation professionnelle et M. [U] [T] a été déclaré consolidé le 1er novembre 2010 avec un taux d'IPP de 60 %.

Le 21 juillet 2008, M. [U] [T] a saisi la CPAM du Rhône d'une demande tendant à faire reconnaître la faute inexcusable de son employeur.

En l'absence de conciliation, M. [U] [T] a saisi le Tribunal des affaires de sécurité sociale de Lyon selon requête du 29 avril 2009 pour entendre dire que son accident est imputable à la faute inexcusable de la SARL CAP INTER RHÔNE ALPES, et obtenir la majoration de la rente à son taux maximum, la mise en oeuvre d'une expertise médicale ainsi que le versement d'une indemnité provisionnelle de 15'000 €.

Par jugement du 8 février 2012, le Tribunal des affaires de sécurité sociale de Lyon a débouté M. [U] [T] de ses demandes et dit n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

M. [U] [T] a interjeté appel de ce jugement le 07 mars 2012 et la procédure a été radiée le 13 novembre 2012, l'affaire n'étant pas en état d'être plaidée.

Elle a été réinscrite par M. [U] [T] le 16 octobre 2014 ; aux termes de ses dernières écritures reprises oralement lors de l'audience, il demande à la Cour de dire que son accident est imputable à la faute inexcusable de la SARL CAP INTER RHÔNE ALPES, et d'ordonner la majoration de la rente à son taux maximum, la mise en oeuvre d'une expertise médicale ainsi que le versement d'une indemnité provisionnelle de 15'000 € ; il demande également que la décision à intervenir soit déclarée opposable à la CPAM ainsi que le versement d'une somme de 2500 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Il invoque en premier lieu l'existence d'une présomption de faute inexcusable en faisant valoir:

- qu'en vertu des dispositions de l'article L 4154-2 du code du travail, les salariés temporaires affectés à des postes de travail présentant des risques particuliers pour leur santé ou leur sécurité bénéficient d'une formation renforcée à la sécurité ainsi que d'un accueil et d'une formation adaptée à l'entreprise dans laquelle ils sont employés, la faute inexcusable de l'employeur étant présumée en cas d'accident du travail, si ce dernier n'a pas respecté ces dispositions,

-qu'il a été affecté auprès de la SAS SATEC CASSOU BORDAS, pour réaliser des travaux urgents nécessités par des motifs de sécurité, sa mission consistant à gérer des équipes de coffreurs et à réaliser des travaux de coffrage et de manutention ; qu'il occupait manifestement un poste à risque justifiant une formation renforcée à la sécurité qu'il n'a pas reçue, contrairement aux allégations de la SARL CAP INTER RHÔNE ALPES, et qu'il n'a même jamais reçu de livret d'accueil chantier ; que son employeur ne démontre aucunement, de surcroît, avoir dispensé cette formation aux intérimaires amenés à travailler avec lui,

- que l'absence de poursuite pénale à l'encontre de son employeur n'est pas de nature à induire l'inexistence d'une faute inexcusable de sa part.

Il soutient par ailleurs que la SARL CAP INTER RHÔNE ALPES a bien commis la faute inexcusable qui lui est reprochée en rappelant :

- qu'il résulte du rapport de l'Inspection du travail ainsi que des attestations des différents témoins que « la cause de l'accident résulte de la chute d'une banche en raison de son déplacement par un moyen de fortune, avec une barre à mine, alors que sa stabilité ne pouvait être assurée dès lors qu'une béquille de réglage avait été retirée », que les circonstances de cet accident ne sont donc pas indéterminées, contrairement aux allégations de son employeur, peu important à cet égard qu'il ait été heurté à la tête par le panneau de coffrage ou que ses blessures aient été occasionnées par la chute qu'il a faite en voulant l'éviter,

- que les panneaux peuvent être écartés sans la grue pour une petite distance et que dans ce dernier cas il convient de ne pas déposé la béquille de sécurité, contrairement à ce qu'a fait de sa propre initiative M. [P], salarié intérimaire à l'origine de la manoeuvre, ce qui démontre qu'il était soit inexpérimenté, soit incompétent mais surtout qu'il ne possédait pas les réflexes élémentaires de sécurité et n'avait donc pas bénéficié de la formation renforcée qui aurait sans nul doute évité le geste malheureux à l'origine de l'accident,

-qu'aucun document ne démontre qu'il était lui-même investi d'un pouvoir de direction ou d'une mission particulière de sécurité et que s'il a bien demandé que les banches soient désassemblées, c'est de sa propre initiative que cet intérimaire a fait riper l'une d'entre elles en ôtant la sécurité.

La SARL CAP INTER RHÔNE ALPES a repris oralement ses dernières conclusions écrites en précisant toutefois que son appel en garantie était dirigé contre la SAS LAMY et non contre la société VINCI CONSTRUCTION.

Elle demande, à titre principal, la confirmation du jugement déféré et le rejet de toutes les prétentions de M. [U] [T] ; subsidiairement, dans l'hypothèse ou la Cour estimerait devoir retenir l'existence d'une faute inexcusable, elle s'oppose à la mise en oeuvre d'une expertise médicale, selon elle non justifiée en l'état, et rappelle que la mission de l'expert devra, en tout état de cause, être limitée aux postes de préjudice prévus à l'article L 452-3 du code de la sécurité sociale ainsi qu'aux seuls postes de préjudices non couverts par le livre IV ; elle demande également la garantie de la SAS LAMY, tant au titre des sommes qui pourraient être mises à sa charge que de la majoration de la rente et du surcoût des cotisations accident du travail résultant de l'imputation à son compte employeur du capital représentatif de la rente générée par l'accident survenu à M. [U] [T]; elle réclame enfin paiement de la somme de 2500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle fait en premier lieu valoir que M. [U] [T] ne peut bénéficier de la présomption d'imputabilité qu'à condition de justifier qu'au moment de son accident, il était lui-même affecté à un poste présentant des risques particuliers sans avoir reçu d'une formation à la sécurité renforcée ; que ses contrats de mise à disposition précisent que le poste de travail proposé par la société VINCI CONSTRUCTION ne figure pas sur la liste des affectations présentant des risques particuliers pour la santé ou la sécurité, et qu'à supposer même que ce soit le cas, force est de constater qu'il a bien bénéficié d'une formation renforcée ainsi que cela résulte de la fiche d'accueil produite par l'entreprise utilisatrice, qu'il a en outre fait l'objet d'un accueil personnalisé, et qu'un livret d'accueil relatif aux règles de sécurité sur le chantier lui a été remis.

Elle ajoute concernant la faute qui lui reprochée :

-que toutes les mesures avaient été prises pour préserver M. [U] [T] d'un éventuel danger, puisqu'il disposait d'un matériel permettant la manutention des banches en toute sécurité, ainsi que le souligne le rapport de l'inspection du travail, et que situé à quelques mètres de M. [P] au moment de l'accident, il ne pouvait ignorer les conditions dans lesquelles s'effectuait, sous son autorité de chef d'équipe, la manoeuvre à l'origine de son accident,

-qu'il bénéficiait en outre d'une solide expérience de chef d'équipe puisqu'il travaillait en cette qualité au sein de l'entreprise SCB devenue la société VINCI CONSTRUCTION depuis 2005 et que l'accident dont il a été victime était totalement imprévisible tant pour son employeur que pour l'entreprise utilisatrice,

- qu'enfin, M. [P] n'était pas son salarié mais celui de la société ADEQUAT, de sorte qu'aucun reproche ne peut lui être fait concernant la formation de ce dernier.

La SAS LAMY est intervenue volontairement le 20 mars 2015 aux droits de la SAS SATEC CASSOU BORDAS, pour demander la confirmation en toutes ses dispositions du jugement déféré ; elle soutient subsidiairement que M. [U] [T] a commis une faute inexcusable à l'origine de son accident qui l'exonère de toute responsabilité ; elle s'oppose encore plus subsidiairement aux demandes de provision et d'expertise présentées par M. [U] [T] et réclame paiement de la somme de 4000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Elle fait essentiellement valoir :

- que M. [U] [T] ne démontre pas qu'elle avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il était exposé et n'aurait pas pris de mesures propres à l'en préserver et qu'il le peut d'autant moins qu'aucune action pénale n'a été engagée contre son employeur, le rapport de l'Inspection du travail ayant expressément conclu à la faute de la victime,

- qu'il disposait d'une grue dont il n'a pas demandé l'intervention pour maintenir en place la banche ou pour la déplacer et que M. [P] est intervenu sous son autorité pour effectuer une manoeuvre courante sur un chantier, qu'il a omis de sécuriser,

-qu'il avait pourtant bénéficié lors de son arrivée d'un accueil personnalisé, repris dans la fiche d'accueil en date du 5 mars 2007, d'un livret d'accueil du chantier et que, de par son expérience, il disposait en outre de la formation nécessaire pour travailler en qualité de chef d'équipe,

-qu'il a manifestement enfreint les consignes de sécurité puisqu'il savait pertinemment qu'il prenait le risque d'un basculement en faisant riper la passerelle sans qu'elle soit maintenue par une élingue raccordée à la grue et que M. [P] a agi sous son autorité.

Elle s'oppose en dernier lieu aux demandes formées à son encontre par la SARL CAP INTER RHÔNE ALPES au titre du surcoût du travail qui doit rester à la charge de l'employeur par application de l'article R242-6-1 du code de la sécurité sociale, l'entreprise utilisatrice ne pouvant, selon elle, se voir imputer que le seul capital représentatif de la rente accident du travail.

La CPAM du Rhône a indiqué ne pas avoir d'observation à formuler s'agissant d'un litige portant sur l'existence d'une faute inexcusable ; elle a rappelé qu'elle procédera au recouvrement auprès de l'employeur de l'intégralité des préjudices dont elle sera amenée à faire l'avance, si la Cour reconnaît l'existence d'une telle faute.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé, pour un plus ample exposé des moyens des parties, aux conclusions qu'elles ont soutenues lors de l'audience.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1/ Sur l'existence de la faute inexcusable invoquée par M. [U] [T] :

En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers ce dernier d'une obligation de sécurité de résultat.

Tout manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable au sens de l'article L 452-1 du code de la sécurité sociale lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver. Il est indifférent à cet égard que la faute inexcusable de l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident survenu au salarié et il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire pour que sa responsabilité soit engagée alors même que d'autres fautes ont concouru au dommage.

Selon les dispositions de l'article L 4154-2 du code du travail, les salariés titulaires d'un contrat de travail à durée déterminée, les salariés temporaires et les stagiaires en entreprise affectés à des postes de travail présentant des risques particuliers pour leur santé ou leur sécurité bénéficient d'une formation renforcée à la sécurité ainsi que d'un accueil et d'une formation adaptés dans l'entreprise à laquelle ils sont employés ; selon les dispositions de l'article L 4154-3 du même code, la faute inexcusable de l'employeur est présumée établie en cas d'accident du travail, s'il n'a pas respecté les dispositions précitées.

Aux termes du contrat de mission temporaire signée le 14 avril 2007, M. [U] [T] a été embauché pour la période du 14 avril au 27 avril 2007 afin d'exécuter pour le compte de la SAS SATEC CASSOU BORDAS des « travaux urgents nécessités par des mesures de sécurité », son poste consistant à « gérer des équipes de coffreurs et à effectuer des travaux de coffrage/manutention ».

Il ne peut être sérieusement contesté, s'agissant d'opérations de travaux publics sur un important chantier, amenant la manipulation en équipe de pièces lourdes selon des procédures techniques spécifiques, que M. [U] [T] occupait un poste potentiellement dangereux, la mention apparaissant sur le contrat de mise à disposition selon laquelle il ne s'agissait pas d'un poste à risque, et qui ne lie pas le juge, étant à cet égard parfaitement inexacte et donc inopérante. Cette mention apparaît au demeurant totalement contradictoire avec le contenu de la fiche d'accueil émise par la société SATEC CASSOU BORDAS le 5 mars 2007 et signée par M. [U] [T], laquelle évoque la présentation « du poste à risques particuliers nécessitant une formation renforcée (intérimaires et CDD) » et révèle, de manière tout aussi contradictoire, que ce salarié n'a suivi aucune formation, toutes les cases de l'imprimé relatives à cette question ayant été renseignées de manière négative.

Le fait que M. [U] [T] ait effectivement travaillé sur ce chantier depuis environ un an (avec une interruption entre octobre 2006 et février 2007) est sans emport dès lors qu'il n'est pas plus justifié qu'il a reçu une telle formation au mois de mai 2006 lorsqu'il y est intervenu pour la première fois ; l'expérience acquise par l'intéressé ne peut se substituer aux dispositions précitées d'ordre public en matière de formation à la sécurité.

Il convient par ailleurs de noter que M. [U] [T] a été embauché en qualité de chef d'équipe N4P2 de la Convention collective nationale du bâtiment-ouvriers : les critères relatifs à cette qualification sont définis de la manière suivante : « travaux les plus délicats de son métier ou assure de manière permanente la conduite et l'animation d'une équipe composée d'ouvriers de tous niveaux-larges autonomie dans son métier. Dans la limite des attributions définies par le chef d'entreprise, sous l'autorité de sa hiérarchie et dans le cadre de ses fonctions, responsabilité dans la réalisation des travaux et missions de représentation auprès des tiers ».

Ni la SARL CAP INTER RHÔNE ALPES, ni la SAS LAMY, venant aux droits de l'entreprise utilisatrice, qui soutiennent pourtant que M. [U] [T] avait un pouvoir de direction sur les coffreurs membres de son équipe, ne produisent un organigramme propre à justifier de leurs allégations ; or, le chantier dont s'agit était dirigé par un chef de chantier, en l'occurrence M. [K] [V] qui était présent lorsque l'accident s'est produit.

Il résulte par ailleurs du Compte- rendu de la réunion d'analyse de cet accident, qui a eu lieu sur place le 30 avril 2007, ainsi que du rapport d'enquête établi le 2 décembre 2008 par l'Inspecteur du travail en charge du dossier, que si M. [U] [T] est à l'origine de la décision de modifier l'agencement des banches, c'est bien M. [P], salarié intérimaire mis à disposition par la société ADEQUAT, qui a pris seul l'initiative de désamorcer la béquille de sécurité pour faire riper le panneau de coffrage avec une barre à mine à talon, cette manoeuvre hautement dangereuse étant manifestement l'origine de l'accident ; l'entreprise utilisatrice ne justifie aucunement que M. [P], lui même employé à un poste à risque, avait reçu une formation renforcée à la sécurité, laquelle aurait très certainement évité qu'il effectue ce déplacement sans s'être assuré de la stabilité du panneau ; il convient également d'observer que M. [U] [T], placé de l'autre côté et occupé à la mise en place d'une nouvelle banche à l'aide de la grue, ne pouvait s'apercevoir du désamorçage tout à fait inopportun de la béquille de sécurité.

Il résulte de ces circonstances, que l'entreprise de travail temporaire doit bien se voir imputer la faute inexcusable qui lui est reprochée par M. [U] [T], l'absence de poursuite pénale à l'encontre de cette dernière ou de l'entreprise utilisatrice étant à cet égard sans emport.

La décision déférée sera en conséquence réformée.

2/ Sur les conséquences de la faute inexcusable :

Seule la faute inexcusable de la victime qui se définit comme la faute volontaire d'une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience autorise à réduire la majoration de la rente ; M. [U] [T] n'ayant pas commis une telle faute il convient en conséquence d'ordonner la majoration de ladite rente à son taux maximum.

M. [U] [T] démontre avoir été très gravement blessé ensuite de cet accident du travail ; il a subi deux interventions chirurgicales les 30 avril et 24 mai 2007 et présente de graves séquelles, le certificat médical final du 15 novembre 2010 faisant état de « douleurs radiculaires dans le MSD, perte de force dans le MSD, troubles phoniques séquellaires, maux de tête chroniques et vertiges, douleurs dans la colonne cervicale, séquelles neurologiques importantes avec troubles du langage, troubles du comportement et troubles de l'humeur » ; une expertise médicale apparaît en conséquence nécessaire pour évaluer ses préjudices.

Selon les dispositions de l'article L452-3 du code de la sécurité sociale, la victime d'un accident du travail dû à la faute inexcusable de l'employeur a le droit de demander réparation devant la juridiction de sécurité sociale de ses souffrances physiques et morales, de ses préjudices esthétiques et d'agrément, ainsi que du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle.

Le Conseil Constitutionnel, apportant une réserve au texte précité, a reconnu le 18 juin 2010 au salarié victime d'un accident du travail imputable à la faute inexcusable de l'employeur, la possibilité de pouvoir réclamer devant les juridictions de sécurité sociale la réparation de l'ensemble des dommages non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale

L'expert désigné par la Cour recevra donc mission de déterminer l'ensemble de ces préjudices subis par M. [U] [T] sans qu'il ne soit nécessaire, à ce stade de la procédure, de justifier de leur étendue.

En application des articles L. 144-5, R. 144-10 et R. 144-11 du code de la sécurité sociale, la procédure devant les juridictions de sécurité sociale est gratuite et sans frais, même en cas de faute inexcusable de l'employeur ; la Caisse Primaire d'Assurance Maladie devra en conséquence faire l'avance des frais de cette expertise qui lui seront remboursés par la caisse nationale compétente du régime général et ce, sans faculté de recours contre une des parties.

Les lésions présentées par M. [U] [T] ont été reconnues consolidées le 1er novembre 2010, avec attribution d'un taux d'IPP de 60 % ; ces éléments justifient de lui allouer une provision de 8000 € à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices.

La CPAM du Rhône devra également faire l'avance de cette indemnité provisionnelle, par application de dispositions de l'article L. 452-3 § 3 du code de la sécurité sociale mais à charge pour elle d'en recouvrer le montant auprès de l'employeur.

3/ Sur la garantie de la SAS LAMY venant aux droits de la SAS SATEC CASSOU BORDAS:

L'article L241-5-1 du code de la sécurité sociale dispose que pour tenir compte des risques particuliers encourus par les salariés mis à disposition d'utilisateurs par les entreprises de travail temporaire, le coût de l'accident ou de la maladie professionnelle est mis, pour partie à la charge de l'entreprise utilisatrice si celle-ci, au moment de l'accident, est soumise au paiement des cotisations mentionnées à l'article L 241-5 ; l'article L 412-6 du même code précise que pour l'application des articles L 452-1 et L452-4, l'utilisateur, le chef de l'entreprise utilisatrice ou ceux qu'ils se sont substitués sont regardés comme substitués dans la direction, aux sens desdits articles, à l'employeur, mais que ce dernier demeure tenu des obligations afférentes sans préjudice de l'action en remboursement qu'il peut exercer contre l'auteur de la faute inexcusable.

Enfin, selon l'article R242-6-1 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable au cas d'espèce, « le coût de l'accident du travail ou de la maladie professionnelle mis pour partie à la charge de l'entreprise utilisatrice en application de l'article L241-5-1 comprend les capitaux représentatifs des rentes et les capitaux correspondants aux accidents mortels, calculés selon les modalités prises en application de l'article L242-5.... ».

La formation renforcée à la sécurité devait être assurée par l'entreprise utilisatrice qui a failli en l'espèce au respect de ses obligations contractuelles ; sa responsabilité étant pleine et entière dans la survenance de cet accident du travail, elle doit être condamnée à garantir l'employeur de ses conséquences pécuniaires, dans les limites de la loi.

Il ressort en effet des dispositions précitées, aucun texte ne prévoyant la prise en charge par l'entreprise utilisatrice des sommes autres que le capital représentatif de la rente accident du travail, que la garantie de la SAS LAMY doit être limitée au coût de l'accident du travail résultant de l'imputation au compte employeur de la SARL CAP INTER RHÔNE ALPES du capital représentatif de la rente accident du travail généré par l'accident dont a été victime M. [U] [T] le 30 avril 2007 ; le surplus de l'appel en garantie formé par l'entreprise de travail temporaire doit en conséquence être rejeté.

3/ sur les demandes annexes :

A ce stade de la procédure, il sera sursis à statuer sur l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

La procédure étant gratuite et sans frais, la demande relative aux dépens est dénuée d'objet.

PAR CES MOTIFS

La Cour, Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et après en avoir délibéré,

Réforme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 8 février 2012 par le Tribunal des affaires de sécurité sociale de Lyon,

Statuant à nouveau,

Dit que l'accident du travail dont a été victime M. [U] [T] le 30 avril 2007 est imputable à la faute inexcusable de son employeur,

Majore le capital attribué à M. [U] [T] au taux maximum prévu par la loi,

Avant dire droit sur l'indemnisation,

Alloue à M. [U] [T] la somme de 8000 € à titre de provision à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices,

Dit que la Caisse Primaire d'Assurance Maladie du Rhône doit faire l'avance de l'indemnité provisionnelle à charge pour elle recouvrer les sommes auprès de l'employeur,

Ordonne une expertise médicale de M. [U] [T],

Désigne pour y procéder le docteur [Z] [B] - Clinique [1], [Adresse 5] -[XXXXXXXX01]

Lui donne mission, après avoir convoqué les parties :

* de se faire communiquer le dossier médical de M. [U] [T],

* d'examiner M. [U] [T],

* de détailler les blessures provoquées par l'accident du 30 avril 2007,

* de décrire précisément les séquelles consécutives à cet accident et d'indiquer les actes et gestes devenus limités ou impossibles,

* d'indiquer la durée de l'incapacité totale de travail,

* d'indiquer la durée de l'incapacité partielle de travail et d'évaluer le taux de cette incapacité,

* d'indiquer la durée de la période pendant laquelle la victime a été dans l'incapacité totale de poursuivre ses activités personnelles,

* d'indiquer la durée de la période pendant laquelle la victime a été dans l'incapacité partielle de poursuivre ses activités personnelles et évaluer le taux de cette incapacité,

* dire si l'état de la victime a nécessité l'assistance constante ou occasionnelle d'une tierce personne avant la consolidation par la sécurité sociale, et, dans l'affirmative, préciser la nature de l'assistance et sa durée quotidienne,

* de dire si l'état de la victime nécessite ou a nécessité un aménagement de son logement,

* de dire si l'état de la victime nécessite ou a nécessité un aménagement de son véhicule,

* de dire si la victime a perdu une chance de promotion professionnelle,

* d'évaluer les souffrances physique et morale consécutives à l'accident,

* d'évaluer le préjudice esthétique consécutif à l'accident,

* d'évaluer le préjudice d'agrément consécutif à l'accident,

* de dire s'il existe un préjudice sexuel consécutif à l'accident et dans l'affirmative de l'évaluer,

* de dire si la victime subit une perte de chance de réaliser un projet de vie familiale,

* de dire si la victime subit des préjudices exceptionnels et s'en expliquer,

* de dire si l'état de la victime est susceptible de modifications,

Dit que l'expert déposera son rapport au greffe de la Cour d'Appel, chambre sociale, section C, dans les quatre mois de sa saisine, et au plus tard le 10 novembre 2015, et en transmettra une copie à chacune des parties,

Désigne la présidente de la 5ème chambre section C pour suivre les opérations d'expertise,

Dit que la Caisse Primaire d'Assurance Maladie du Rhône doit faire l'avance des frais de l'expertise médicale sans faculté de recours contre une des parties,

Dit que la SAS LAMY doit garantir la SARL CAP INTER RHÔNE ALPES du coût de cet accident du travail dans la limite du seul capital représentatif de la rente accident du travail qui sera servie à M. [U] [T],

Rejette le surplus de l'appel en garantie formé par la SARL CAP INTER RHÔNE ALPES à l'encontre de la SAS LAMY,

Renvoie la cause à l'audience du  12 JANVIER 2016 à 13h30 devant la COUR D'APPEL DE LYON, [Adresse 1]

la notification du présent arrêt valant convocation des parties,

Sursoit à statuer sur l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Déclare la demande relative aux dépens dénuée d'objet.

LA GREFFIÈRELA PRESIDENTE

Malika CHINOUNE Christine DEVALETTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Sécurité sociale
Numéro d'arrêt : 14/08370
Date de la décision : 05/05/2015

Références :

Cour d'appel de Lyon 51, arrêt n°14/08370 : Expertise


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2015-05-05;14.08370 ?
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