AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE
R.G : 13/00787
[F]
C/
SARL [O] TRANSACTIONS
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON
du 21 Janvier 2013
RG : F 10/05013
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE B
ARRÊT DU 30 AVRIL 2015
APPELANTE :
[Z] [F]
née le [Date naissance 1] 1969 à [Localité 4]
[Adresse 1]
[Localité 1]
représentée par Me Audrey RAVIT
de la SELARL AUDREY RAVIT, avocat au barreau de LYON
INTIMÉE :
SARL [O] TRANSACTIONS
[Adresse 2]
[Localité 2]
représentée par Me Bruno METRAL
de la SCP BALAS & METRAL AVOCATS, avocat au barreau de LYON
PARTIES CONVOQUÉES LE : 01 Juillet 2013
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 05 Mars 2015
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Jean-Charles GOUILHERS, Président de chambre
Didier JOLY, Conseiller
Marie-Claude REVOL, Conseiller
Assistés pendant les débats de Evelyne DOUSSOT-FERRIER, Greffier.
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 30 Avril 2015, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Didier JOLY Conseiller, par empêchement du président et Michèle GULLON Greffière en chef à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
[Z] [F] a été engagée par la S.A.R.L. [O] TRANSACTIONS en qualité d'agent de location (coefficient 270) suivant contrat écrit à durée indéterminée du 9 avril 2003 à effet du 19 mai 2003, soumis à la convention collective nationale de l'immobilier. Son salaire mensuel brut a été fixé à 1 350 € sur treize mois pour 35 heures hebdomadaires de travail.
Des avis d'arrêt de travail ont été délivrés à [Z] [F] à compter du 11 mai 2010 pour maladie non professionnelle.
L'employeur a fait procéder à une contre-visite médicale par Mediverif les 24 juin et 29 juillet 2010. Le médecin commis a conclu que l'arrêt de travail de la salariée était justifié.
La S.A.R.L. [O] TRANSACTIONS a engagé [J] [G] en qualité d'agent de location/accueil par contrat à durée déterminée du 30 juillet 2010 pour remplacer [Z] [F] du 2 au 20 août 2010.
A l'occasion de la visite de reprise du 16 novembre 2010, le médecin du travail a émis l'avis suivant :
Inapte définitif à tout poste de l'entreprise. Ne peut reprendre son travail sans encourir un danger grave et imminent pour sa santé. Inaptitude en une seule visite (art R 4624-31 du code du travail).
Par lettres recommandées du 24 novembre 2010, [U] [O], gérant de la S.A.R.L. [O] TRANSACTIONS, a demandé à [R] [O], directrice générale de la Régie [O] et à la Régie immobilière du Val-de-Saône à [Localité 3] si elles disposaient d'un poste adapté à la qualification de [Z] [F] à titre de reclassement.
Il n'a reçu aucune réponse.
Par lettre recommandée du 29 novembre 2010, la S.A.R.L. [O] TRANSACTIONS a convoqué [Z] [F] le 10 décembre en vue d'un entretien préalable à son licenciement.
Par lettre recommandée du 14 décembre 2010, elle a notifié son licenciement à la salarié pour inaptitude et impossibilité de reclassement dans les termes suivants :
[...] Comme vous le savez, notre société emploie deux grandes catégories de personnel :
le personnel administratif
le personnel commercial.
Vous avez été déclarée inapte à ces deux catégories d'emploi, nous sommes en conséquence, dans l'impossibilité de vous proposer un poste à titre de reclassement.
Nous sommes donc contraints de procéder à votre licenciement pour inaptitude. [...]
[Z] [F] a saisi le Conseil de prud'hommes de Lyon le 28 décembre 2010.
LA COUR,
Statuant sur l'appel interjeté le 30 janvier 2013 par [Z] [F] du jugement rendu le 21 janvier 2013 par le Conseil de prud'hommes de LYON (section commerce) qui a :
- dit et jugé que [Z] [F] a fait l'objet d'un licenciement pour inaptitude et que la S.A.R.L. [O] TRANSACTIONS a satisfait à ses obligations au titre du reclassement,
- dit et jugé que [Z] [F] n'apporte pas la preuve de l'existence d'un harcèlement moral,
- en conséquence, débouté [Z] [F] de l'intégralité de ses demandes,
- débouté la S.A.R.L. [O] TRANSACTIONS de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné [Z] [F] aux dépens ;
Vu les conclusions régulièrement communiquées au soutien de ses observations orales du 5 mars 2015 par [Z] [F] qui demande à la Cour de :
- infirmer le jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes de Lyon le 21 Janvier 2013 et jugeant à nouveau :
D'une part :
- constater l'absence de recherche sérieuse et loyale de reclassement,
- dire et juger sans cause réelle et sérieuse le licenciement prononcé par la Société [O] TRANSACTIONS,
- condamner celle-ci à verser à Madame [F] :
La somme de 21.816 € (correspondant à 12 mois de salaire) pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
La somme de 3.600 € au titre de l'indemnité compensatrice de.préavis,
D'autre part :
- constater les agissements constitutifs de harcèlement moral dont se sont rendu coupables Messieurs [O] père et fils et dont la Société [O] TRANSACTIONS doit répondre.
- constater la prise en compte de l'état de santé de la salariée à l'origine des décisions discriminatoires prises par l'employeur,
- condamner la Société [O] TRANSACTIONS à verser à Madame [F] la somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice physique et moral subi,
A titre subsidiaire :
- dire et juger que l'état d'inaptitude de Madame [F] est imputable à l'employeur,
- dire et juger que le licenciement de Madame [F] ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse ;
En conséquence :
- condamner la Société [O] TRANSACTIONS à payer à Madame [F] la somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêts,
- condamner la Société [O] TRANSACTIONS à payer à Madame [F] la somme de 21.816 € (correspondant à 12 mois de salaire) pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- condamner la même à payer à la concluante la somme de 3.600 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
- la condamner encore au paiement de la somme de 3.000 € par application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile, outre les entiers dépens.
Vu les conclusions régulièrement communiquées au soutien de ses observations orales du 5 mars 2015 par la S.A.R.L. [O] TRANSACTIONS qui demande à la Cour de :
vu la validité du licenciement,
vu l'absence de tout harcèlement moral,
- confirmer le jugement du Conseil de prud'hommes de Lyon en toutes ses dispositions,
- rejeter l'intégralité des demandes de [Z] [F],
- condamner [Z] [F] au paiement d'une somme de 1 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Sur le harcèlement moral :
Attendu qu'aux termes des articles L 1152-1 à L 1152-3 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel';'
Attendu qu'aux termes de l'article L 1154-1 du code du travail, en cas de litige relatif à l'application des articles L 1152-1 à L 1152-3, dès lors que le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement, il incombe à la partie défenderesse, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement'; que le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles;
Qu'en l'espèce, [Z] [F] soutient qu'elle a d'abord occupé son poste avec un grand enthousiasme puis que ses conditions de travail se sont dégradées en septembre 2008, lorsque le gérant [U] [O] a fait entrer son fils [X] dans l'agence ; qu'elle dit avoir été exposée alors, de la part de [X] [O], à des critiques continuelles et à des réflexions désagréables ("la naine"), destinées à la faire "craquer", ce qui s'est effectivement produit en mai 2010 ; que les nombreuses attestations que l'appelante communique pour établir ces faits émanent toutes de l'entourage familial et amical de la salariée et de son compagnon [U] [V], voire de ce dernier ; que les personnes qui ont attesté confirment la dégradation importante de l'état de santé de [Z] [F] sans pouvoir relater des faits dont elles n'ont pas été témoins et qu'elles ne connaisssent que par le récit que la salariée leur en a livré ; qu'aucun élément objectif ne corrobore donc les dires de [Z] [F] quant à l'origine de sa maladie ; que la salariée fait encore grief à la S.A.R.L. [O] TRANSACTIONS d'avoir fait procédé à des contre-visites médicales et d'avoir modifié ses dates de congés payés ; qu'en soumettant [Z] [F] à deux contre-visites médicales à un mois d'intervalle, la S.A.R.L. [O] TRANSACTIONS n'a fait cependant qu'exercer un droit qui découle de l'obligation qui lui était faite de maintenir le salaire de l'intéressée ; que, d'ailleurs, selon l'article 90 de la loi n° 2009-1646 du 24 décembre 2009 de financement de la sécurité sociale pour 2010, qui a modifié l'article L. 315-1 du code de la sécurité sociale, lorsqu'un contrôle effectué par un médecin à la demande de l'employeur, en application de l'article L. 1226-1 du code du travail, conclut à l'absence de justification d'un arrêt de travail ou fait état de l'impossibilité de procéder à l'examen de l'assuré, ce médecin transmet son rapport au service du contrôle médical de la caisse en précisant s'il a ou non procédé à un examen médical de l'assuré concerné ; qu'au vu de ce rapport, ce service :
- soit demande à la caisse de suspendre les indemnités journalières,
- soit procède à un nouvel examen de la situation de l'assuré, ce nouvel examen étant de droit si le rapport a fait état de l'impossibilité de procéder à l'examen de l'assuré ;
Que le 2 juin 2010, la S.A.R.L. [O] TRANSACTIONS a fixé les congés payés de [Z] [F] du 31 juillet au 22 août 2010, dans l'hypothèse d'une éventuelle reprise ; que la salariée n'établit pas que cette décision, restée sans suite pratique, contredisait une demande qu'elle avait formée antérieurement pour une autre période et qui avait reçu l'accord de son employeur ;
Que [Z] [F] n'établit aucun fait qui permette de présumer l'existence d'un harcèlement moral ; qu'elle sera donc déboutée de sa demande de dommages-intérêts de ce chef ; qu'elle n'est pas fondée à soutenir que son état d'inaptitude était imputable à la S.A.R.L. [O] TRANSACTIONS ;
Sur l'obligation de reclassement :
Attendu qu'aux termes de l'article L 1226-2 du code du travail, à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à une maladie ou un accident, si le salarié est déclaré par le médecin du travail inapte à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur est tenu de lui proposer un autre emploi approprié à ses capacités, compte tenu des conclusions écrites du médecin du travail et des indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise et aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail';
Qu'en l'espèce, contrairement aux termes de la lettre de licenciement, le médecin du travail n'a pas déclaré [Z] [F] inapte à tout emploi administratif ou commercial ; qu'il a déclaré la salariée inapte à tout poste de l'entreprise, c'est-à-dire à tout poste dans la S.A.R.L. [O] TRANSACTIONS ; qu'il n'a émis aucune opposition de principe au reclassement de [Z] [F] dans une autre société dont [U] [O] est également président, telle la Régie [O] qui avait déjà employé la salariée en 1997 dans le cadre d'un contrat à durée déterminée de remplacement ; qu'il est inconcevable que [U] [O], qui a interrogé [R] [O], directrice générale de la Régie [O], dont il est le président, n'ait pu obtenir aucune réponse quant à l'existence d'un poste de reclassement ; qu'il a, en tout cas, pu obtenir d'[R] [O] la délivrance d'une attestation le 11 mai 2011 ; qu'[R] [O] n'y évoque pas le courrier que [U] [O] lui avait adressé le 24 novembre 2010 ; qu'elle ne se prononce pas sur les éventuels postes de reclassement existant au sein de la Régie [O] ; que dans ces conditions, l'impossibilité de reclasser [Z] [F] dans l'une des sociétés interrogées par l'employeur n'est pas établie ;
Qu'en conséquence, le licenciement de [Z] [F] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ; que le jugement entrepris sera infirmé de ce chef ;
Sur les dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de travail :
Attendu que [Z] [F] qui était employée dans une entreprise occupant habituellement moins de onze salariés peut prétendre, en application de l'article L 1235-5 du code du travail, à une indemnité calculée en fonction du préjudice subi ; qu'elle a été prise en charge par Pôle Emploi jusqu'au 31 octobre 2011 ; qu'elle a ensuite été engagée par la société THIBISA en qualité de secrétaire polyvalente dans le cadre d'un contrat à durée déterminée courant du 5 au 21 décembre 2011 puis par la société COLUMBUS, toujours en qualité de secrétaire polyvalente, dans le cadre d'un contrat initiative emploi conclu pour la période du 2 janvier 2012 au 1er juillet 2012 ; que la Cour dispose d'éléments suffisants pour fixer à la somme de 20 000 € le montant des dommages-intérêts dus à [Z] [F] en réparation de son préjudice ;
Sur le préavis :
Attendu qu'en cas de manquement de l'employeur à son obligation de reclassement, l'inobservation du préavis est imputable à ce dernier et une indemnité compensatrice est due au salarié ; que la S.A.R.L. [O] TRANSACTIONS sera donc condamnée à payer à ce titre à [Z] [F] la somme de 3 600 € ;
PAR CES MOTIFS,
Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a dit que [Z] [F] n'établissait aucun fait qui permette de présumer l'existence d'un harcèlement moral et que son état d'inaptitude n'était pas imputable à la S.A.R.L. [O] TRANSACTIONS,
Infirme le jugement entrepris dans ses autres dispositions,
Statuant à nouveau :
Dit que la S.A.R.L. [O] TRANSACTIONS a manqué à son obligation de reclassement,
Dit que le licenciement de [Z] [F] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
En conséquence, condamne la S.A.R.L. [O] TRANSACTIONS à payer à [Z] [F] la somme de vingt mille euros (20 000 €) à titre de dommages-intérêts avec intérêts au taux légal à compter de la date du présent arrêt,
Condamne la S.A.R.L. [O] TRANSACTIONS à payer à [Z] [F] la somme de trois mille six cents euros (3 600 €) à titre d'indemnité compensatrice de préavis, avec intérêts au taux légal à compter du 14 février 2012, date de la demande,
Condamne la S.A.R.L. [O] TRANSACTIONS à payer à [Z] [F] la somme de trois mille euros (3 000 €) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la S.A.R.L. [O] TRANSACTIONS aux dépens de première instance et d'appel.
Le Greffier en Chef, Pour le Président empêché,
Michèle GULLON Didier JOLY