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02/04/2015 | FRANCE | N°12/04716

France | France, Cour d'appel de Lyon, 1ère chambre civile a, 02 avril 2015, 12/04716


R.G : 12/04716









Décision du tribunal de commerce de Bourg-en- Bresse

Au fond du 04 mai 2012



RG : 2011013505

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE LYON



1ère chambre civile A



ARRET DU 02 Avril 2015







APPELANTE :



SAS FILTRERI

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 1]



représentée par la SCP AGUIRAUD NOUVELLET, avocat au barreau de LYON



assistée de la

SELARL MOULINIER DULATIER ET ASSOCIES, avocat au barreau de LYON







INTIMEES :



[V] [Y]

née le [Date naissance 1] 1972 à [Localité 3] (ILLE-ET-VILAINE)

[Adresse 1]

[Localité 2]



représentée par la SELARL COLBERT LYON, avocat ...

R.G : 12/04716

Décision du tribunal de commerce de Bourg-en- Bresse

Au fond du 04 mai 2012

RG : 2011013505

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE LYON

1ère chambre civile A

ARRET DU 02 Avril 2015

APPELANTE :

SAS FILTRERI

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 1]

représentée par la SCP AGUIRAUD NOUVELLET, avocat au barreau de LYON

assistée de la SELARL MOULINIER DULATIER ET ASSOCIES, avocat au barreau de LYON

INTIMEES :

[V] [Y]

née le [Date naissance 1] 1972 à [Localité 3] (ILLE-ET-VILAINE)

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par la SELARL COLBERT LYON, avocat au barreau de LYON

SARL KFI FRANCE

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par la SELARL COLBERT LYON, avocat au barreau de LYON

******

Date de clôture de l'instruction : 17 Juin 2014

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 22 Janvier 2015

Date de mise à disposition : 02 Avril 2015

Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

- Michel GAGET, président

- François MARTIN, conseiller

- Philippe SEMERIVA, conseiller

assistés pendant les débats de Joëlle POITOUX, greffier

A l'audience, Philippe SEMERIVA a fait le rapport, conformément à l'article 785 du code de procédure civile.

Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Michel GAGET, président, et par Joëlle POITOUX, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

****

EXPOSÉ DU LITIGE

La société Filtreri se consacre à la fabrication et à la vente de matériels de filtration, d'équipements et lavages industriels.

Elle a embauché Mme [Y] en 1997, en tant qu'assistante commerciale ; celle-ci a ensuite assumé les fonctions de chef de produit.

Mme [Y] a quitté cette entreprise le 24 février 2009, et a fondé, au mois de novembre suivant, la société KFI, dont elle est la gérante et qui se livre aux mêmes activités que la société Filtreri.

*

Cette dernière a agi en concurrence déloyale à l'encontre de Mme [Y] et de la société KFI.

Elle est appelante du jugement qui constate l'absence d'acte de concurrence déloyale, la déboute de l'ensemble de ses demandes, déboute Mme [Y] et la société KFI de leur demande reconventionnelle et qui la condamne à leur payer une somme de 2 000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

*

Une expertise a été ordonnée durant la mise en état en cause d'appel, aux fins, en bref, d'examiner l'ordinateur mis à la disposition de Mme [Y] au temps de son salariat et de vérifier si des transferts d'informations avaient été réalisés à partir de ce poste et à destination de tiers.

*

Après dépôt du rapport d'expertise, la société Filtreri fait valoir que Mme [Y] a ouvert en secret une structure concurrente, que l'expertise met en évidence des transferts délictueux d'informations sensibles dans le but de lancer cette activité concurrente ; elle fait grief de démarchage de sa clientèle sur la base de tarifs inférieurs aux siens, et conclut :

- homologuer le rapport d'expertise judiciaire déposé le 4 octobre 2013 par Mme [B],

- dire que Mme [Y] et la société KFI ont commis des actes de concurrence déloyale à son encontre,

- constater qu'elle a subi un préjudice financier direct résultant de ces agissements déloyaux,

- en conséquence, débouter la société KFI et Mme [Y] de l'ensemble de leurs fins, moyens et prétentions,

- réformer le jugement en toutes ses dispositions,

- condamner solidairement. Mme [Y] et la société KFI à lui payer la somme de 280 509 euros en réparation du préjudice résultant du détournement de sa clientèle, outre intérêts de droit à compter de l'assignation et capitalisation s'il y a lieu,

- dire qu'elle pourra faire publier un extrait de l'arrêt dans deux supports d'information de diffusion régionale de son choix, dans la limite de 4 000 euros par insertion, au frais de la société KFI,

- condamner solidairement. Mme [Y] et la société KFI à lui verser une indemnité de 6 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- les condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais d'expertise, dont distraction au profit de la SCP Aguiraud Nouvellet, avocat, sur son affirmation de droit, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

*

La société KFI et Mme [Y] concluent en commun pour soutenir que le départ de Mme [Y] de l'entreprise Filtreri ne s'est accompagné d'aucune manoeuvre, tant en ce qui concerne ses intentions prétendument affichées à l'époque, que pour ce qui est du grief de détournement de fichier ; elles font valoir sur ce dernier point que ce détournement n'est pas prouvé par l'expertise et que le reproche portant sur un démarchage à plus bas prix n'est pas plus établi.

Elles considèrent qu'il n'est d'ailleurs justifié d'aucun préjudice et que l'action est abusive ; elles demandent en conséquence de :

- constatant |'absence de tout acte de concurrence déloyale, I'absence de préjudice subi,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté I'intégraIité des demandes formées par la société Filtreri,

- constatant le caractère abusif de la procédure engagée par la société Filtreri,

- réformer le jugement entrepris sur ce point et condamner la société Filtreri à leur verser la somme de 10 000 euros chacune à titre de dommages et intérêts,

- en tout état de cause,

- condamner la société Filtreri à leur verser la somme de 6 000 euros chacune en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Filtreri aux entiers dépens de première instance et d'appel.

* *

MOTIFS DE LA DÉCISION

' Selon la société Filtreri, l'expertise judiciaire permet d'établir avec certitude que, dans les semaines précédant son départ, Mme [Y] n'a eu de cesse d'organiser la mise en activité de sa future société KFI ; elle observe que cette expertise a :

- mis en évidence une liste de 400 fichiers ayant fait l'objet d'une compression dans 12 répertoires temporaires le 29 janvier 2009,

- identifié des accès et raccourcis vers un support externe entre le 22 janvier et le 6 février 2009,

- constaté 59 accès vers des fichiers sensibles présents sur un support externe.

Elle souligne que, selon l'expert, ces constats mettent évidence des opérations informatiques particulières, au titre de la sensibilité des fichiers adressés, de la concentration sur la période précédant la départ de Mme [Y] et de la concomitance des accès vers disque amovibles sur la même période.

Peu important que l'expert n'ait pas comparé l'activité de cette période avec celle habituellement observée sur le poste auparavant, ces observations montrent des manoeuvres techniques particulières, de compression, de création de raccourcis et d'accès nombreux, qui ont, en elles-mêmes un caractère anormal, dès lors notamment qu'elles concernent, non seulement des données de l'année en cours, mais également celles des années 2006, 2007 et 2008 (expertise page 20), ce qui ne s'explique pas par les nécessités du travail quotidien.

Par ailleurs, l'expert et le sapiteur ont constaté que la recherche, dans le disque dur, du login [S][Y] révélait un répertoire '[S][Y]', supprimé et donc devenu orphelin, positionné dans le MetaCarve à l'index 13714.

Le rapport précise que la dernière opération réalisée sur ce répertoire est datée du 6 février 2009 à 11 heures 55, dernier jour de la présence effective de Mme [Y] dans l'entreprise, et 'affirme avec certitude qu'aucun utilisateur n'est intervenu dans le répertoire après son départ'.

Il indique encore que la localisation des fichiers LNK dans les MetaCarve 395 et 2061, et non dans le 13714, n'a aucune incidence sur l'exactitude des constats et analyses, car ces fichiers sont répartis dans les MetaCarve dès lors qu'ils pointaient vers des fichiers qui ont été supprimés.

Ces diverses conclusions ne sont pas démenties au plan technique, de sorte que les contestations de la société KFI et de Mme [Y] à ce propos ne sont donc pas fondées.

Il est exact, en revanche que l'accès à son ordinateur n'étant pas entièrement sécurisé, d'autres membres de l'entreprise ont pu effectuer certaines opérations.

L'expert judiciaire considère toutefois que, 'compte tenu des horaires d'amplitude importante, en matinée et en après-midi, de façon récurrente', une utilisation aussi importante du poste de Mme [Y] par un autre salarié de l'entreprise n'aurait pas manqué d'attirer l'attention et de l'alerter elle-même, de sorte qu'il 'semble peu plausible qu'un autre salarié ait pu effectuer toutes ces manipulations à son insu, voire sans sa coopération'.

Pour la société Filtreri, il est donc inconcevable que l'ensemble des manipulations constatées sur le poste de Mme [Y] entre le 22 janvier et le 6 février 2009 aient pu être réalisées à son insu par un autre salarié'.

Mais, si les indices sont sérieux, il n'en demeure pas moins que selon le rapport d'expertise : 'il n'est pas possible techniquement d'identifier les destinataires de fichiers copiés ou transférés'.

Il existe donc des présomptions, mais aucune certitude de la copie par Mme [Y] de documents 'sensibles', dont le caractère confidentiel n'est d'ailleurs par démontré.

Il ne résulte d'aucun élément, par ailleurs, que la société KFI, créée plus de six mois après les faits qui viennent d'être rappelés, aurait disposé de ces informations, ni moins encore qu'elle en aurait fait usage.

Mme [Y] a travaillé durant douze années dans l'entreprise Filtreri.

Celle-ci souligne encore qu'elle avait auparavant été employée par une société du même groupe, la société Filtres Monnet, à compter du 1er octobre 1990.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments :

- qu'il n'existe pas de preuve assez certaine d'un acte positif de copie, moins encore de détention, par Mme [Y], puis par la société KFI, des fichiers en question,

- que notamment, aucune investigation n'a été réalisée dans les locaux de la société KFI,

- que, forte d'une expérience de dix-neuf années dans des entreprises se consacrant aux produits de filtration, dont douze, au moins, passées dans une fonction commerciale impliquant des contacts avec la clientèle et les prospects, ainsi qu'une connaissance approfondie des produits et tarifs, Mme [Y] était en mesure de s'adresser à la clientèle potentielle, afin de proposer de tels produits, qu'elle savait adaptés à leurs besoins, et cela sans qu'il lui soit nécessaire d'accéder à tous les détails figurant dans les fichiers concernés,

- qu'il n'est pas prétendu que les prix pratiqués par la société KFI seraient anormalement bas, et tout particulièrement que la marge dégagée serait insuffisante,

- qu'il est d'ailleurs inexact de soutenir que ce démarchage a été systématique, et toujours à prix plus bas,

- qu'en effet, la société Filtreri produisait en première instance des tableaux récapitulatifs de la clientèle 'détournée' ; qu'elle ne les communique pas en appel, mais que l'analyse qu'en font la société KFI et Mme [Y] (septième feuille de leurs conclusions, verso) ne donne lieu à aucune objection et montre que la société KFI a contacté des clients avec lesquels elle n'avait plus de relations depuis longtemps, d'autres, qui ne sont que des prospects, que d'autres encore n'avaient pas été contactés et que d'autres, enfin, avaient reçu des propositions supérieures au tarif de la société Filtreri.

L'ensemble de ces faits montrent, non pas que la société KFI a utilisé des informations privilégiées, voire confidentielles, mais que Mme [Y] a animé, après avoir suivi auprès de la Chambre de commerce et d'industrie une formation à l'entrepreneuriat, une entreprise qui disposait licitement de son savoir-faire et de ses connaissance du secteur, qu'elle a utilisés afin de démarcher, sans faute prouvée, une clientèle que ses fonctions salariées antérieures lui avaient appris à connaître.

Ces circonstances ne révèlent aucune faute.

' Une telle situation ne pouvait cependant se rencontrer de manière légale, du moins aussi rapidement et dans un secteur géographique très proche, que dans la mesure où Mme [Y] était déliée de l'obligation de non-concurrence stipulée à son contrat de travail.

La société Filtreri soutient que, si elle a consenti à reneoncer à cette obligation, c'est uniquement parce qu'elle avait indiqué qu'elle voulait créer une salle de sport.

En effet, plusieurs personnes attestent, de manière suffisamment probante, que Mme [Y] leur a fait part d'un tel projet.

Mais rien n'établit qu'elle avait en réalité l'intention de reprendre une activité dans le domaine de la filtration industrielle, ce qu'elle n'a d'ailleurs fait que plusieurs mois plus tard.

Il ne résulte d'aucun élément de preuve que ce sont précisément ces intentions affichées qui ont déclenché la renonciation de la société Filtreri à la clause de non-concurrence, ni même qu'elles ont pesé de quelque manière sur cette décision.

La rupture conventionnelle ne mentionne rien de tel, pas plus que la lettre confirmant cette renonciation, qui ne donne aucun motif et se borne à en conclure que l'indemnité compensatrice n'est pas due : l'affirmation d'une 'manipulation' à ce propos, telle que formulée dans le courrier de mise en demeure du 6 juin 2011 ne s'autorise ainsi d'aucun fondement propre à démontrer un lien entre les propos de Mme [Y] et la décision de son employeur.

Par ailleurs, hors ce qui vient d'être dit quant au grief, infondé, de copie de fichiers, il n'est pas de preuve d'acte préparatoire à la création, plusieurs mois après, d'une entité telle que la société KFI.

Il en découle qu'aucune dissimulation n'est prouvée.

En toute hypothèse, il n'est pas de lien établi entre cette tromperie prétendue et une renonciation, qui aurait consentie, selon la thèse de la société Filtreri, alors même que Mme [Y] n'aurait souscrit aucun engagement exprès de s'abstenir de reprendre une activité dans le domaine de la filtration industrielle, et qu'une telle reprise exposerait son ancien employeur à un dommage de l'envergure qu'il affirme.

Dans ces conditions, le reproche pris d'une telle dissimulation, comme d'une 'ouverture dans le secret d'une structure concurrente', au temps du salariat, d'ailleurs, n'est pas fondé.

' Le jugement de débouté doit être confirmé.

' Le seul fait d'observer l'activité de son concurrent, puis de l'assigner vainement en concurrence déloyale, ne constitue pas un comportement fautif de la part de la société Filtreri.

Nul acte de dénigrement n'est prouvé, ni même n'est décrit sous une forme autre qu'hypothétique.

Et il n'est pas plus établi que la société Filtreri a 'tenté de faire obstacle au développement de la société KFI et de Mme [Y], au mépris du principe de liberté du commerce et de la concurrence', dès lors qu'elle s'est bornée à faire valoir ses prétentions en justice et qu'il n'est pas prétendu qu'elle a recouru à quelque mesure, telle que blocage ou publicité fautive, qui serait de nature à caractériser son intention de nuire.

La demande reconventionnelle n'est pas fondée.

' La société Filtreri succombe essentiellement ; les frais et dépens sont à sa charge.

Aucune circonstance ne conduit à écarter l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

- Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- Condamne la société Filtreri à payer à Mme [Y] et à la société KFI la somme globale de 2 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamne la société Filtreri aux frais et dépens de l'instance d'appel, en ce compris les frais d'expertise, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile par ceux des mandataires des parties qui en ont fait la demande.

LE GREFFIERLE PRESIDENT

Joëlle POITOUXMichel GAGET


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : 1ère chambre civile a
Numéro d'arrêt : 12/04716
Date de la décision : 02/04/2015

Références :

Cour d'appel de Lyon 01, arrêt n°12/04716 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2015-04-02;12.04716 ?
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