AFFAIRE PRUD'HOMALE
DOUBLE RAPPORTEUR
R.G : 14/02881
[D]
C/
CAISSE REGIONALE D'ASSURANCE MUTUELLES AGRICOLES DE RHONE ALPES AUVERGNE DENOMMEE GROUPAMA
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON
du 10 Mars 2014
RG : F 12/01310
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE C
ARRÊT DU 19 DECEMBRE 2014
APPELANT :
[E] [D]
né le [Date naissance 1] 1984 à [Localité 3])
[Adresse 2]
[Localité 2]
représenté par Me Stéphane TEYSSIER de la SELARL STEPHANE TEYSSIER AVOCAT, avocat au barreau de LYON
INTIMÉE :
CAISSE RÉGIONALE D'ASSURANCE MUTUELLE AGRICOLES DE RHONE ALPES AUVERGNE DENOMMEE GROUPAMA RHONE ALPES AUVERGNE
[Adresse 1]
[Localité 1]
représentée par Mme [P] [V] (Responsable juridique) munie d'un pouvoir et
par Me Michel TALLENT de la SELARL MONOD-TALLENT, avocat au barreau de LYON,
PARTIES CONVOQUÉES LE : 25 Avril 2014
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 21 Novembre 2014
Composée de Marie-Claude REVOL et de Chantal THEUREY-PARISOT, Conseillères, toutes deux magistrats rapporteurs, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en ont rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Christine SENTIS, Greffier
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
- Christine DEVALETTE, président
- Marie-Claude REVOL, conseiller
- Chantal THEUREY-PARISOT, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 19 Décembre 2014 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Christine DEVALETTE, Président et par Christine SENTIS, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Le 20 octobre 2008, [E] [D] a été embauché en qualité de commercial puis de chargé de clientèle par la Caisse Régionale d'Assurance Mutuelle Agricole de Rhône-Alpes et Auvergne dénommée GROUPAMA RHONE-ALPES AUVERGNE qui développe une activité d'assurances. Le 14 février 2012, il a été licencié pour faute après avis du conseil de discipline saisi par l'employeur. L'employeur lui a reproché un détournement frauduleux des règles de parrainage dans le but de faire profiter à ses proches des bons d'achats bénéficiant aux clients apportant un nouveau client.
[E] [D] a saisi le conseil des prud'hommes de LYON ; il a contesté son licenciement et a réclamé des dommages et intérêts pour licenciement sans cause, des dommages et intérêts pour défaut de mise en oeuvre des visites médicales, des dommages et intérêts pour défaut d'information sur le droit individuel à la formation et une indemnité au titre des frais irrépétibles.
Par jugement du 10 mars 2014, le conseil des prud'hommes a débouté [E] [D] de l'ensemble de ses demandes, a débouté l'employeur de sa demande fondée sur les frais irrépétibles et a laissé les dépens à la charge de [E] [D].
Le jugement a été notifié le 12 mars 2014 à [E] [D] qui a interjeté appel par lettre recommandée déposée au greffe le 9 avril 2014.
Par conclusions visées au greffe le 21 novembre 2014 maintenues et soutenues oralement à l'audience, [E] [D] qui limite son appel à la seule question du licenciement :
- au principal, soulève le non respect de la procédure conventionnelle présidant au licenciement disciplinaire et indique que le conseil de discipline n'a pas été composé régulièrement, l'employeur ayant changé un de ses représentants au dernier moment, que le procès-verbal n'a pas été rédigé le jour de la tenue du conseil de discipline, que le procès-verbal n'a pas été notifié et que la lettre de licenciement n'a pas été adressée aux membres du conseil de discipline,
- soutient que ces irrégularités entraîne la nullité de fond de la procédure de licenciement,
- au subsidiaire, invoque la prescription des faits fautifs qui remontent à plus d'une année avant le licenciement et soutient que l'employeur en avait connaissance bien avant les deux mois qui ont précédé l'engagement de la procédure de licenciement,
- très subsidiairement, précise qu'il obtenait de bons résultats, que l'employeur ne démontre pas la réalité des griefs, qu'il ne les a pas reconnus, que la sanction est disproportionnée et que la cause réelle du licenciement se trouve dans un différend avec sa supérieure sur les congés,
- considère que le licenciement est privé de cause et réclame la somme de 65.000 euros à titre de dommages et intérêts,
- sollicite la somme de 2.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et la condamnation de l'employeur aux dépens.
Par conclusions visées au greffe le 21 novembre 2014 maintenues et soutenues oralement à l'audience, GROUPAMA RHONE-ALPES :
- objecte qu'elle a respecté les règles conventionnelles régissant la procédure de licenciement et explique que, la réunion du conseil de discipline ayant été reportée, un des membres, empêché, a été remplacé ce qui ne vicie pas la procédure et qu'il lui fallait attendre les avis des membres du conseil pour dresser le procès-verbal,
- oppose toute acquisition de la prescription dans la mesure où les faits frauduleux ont été découverts moins de deux mois avant la mise en oeuvre de la procédure de licenciement,
- affirme que le licenciement trouve sa cause dans la fraude au parrainage commise par le salarié, que cette fraude est établie et qu'elle justifie le licenciement pour faute,
- est au rejet des prétentions du salarié et à la confirmation du jugement entrepris,
- sollicite la somme de 1.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et la condamnation du salarié aux dépens.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le licenciement :
S'agissant de la procédure conventionnelle de licenciement :
La convention collective nationale des sociétés d'assurance organise en son article 90 la procédure de licenciement pour faute comme suit : le conseil de discipline doit donner son avis ; il est composé de six membres dont trois sont choisis par l'employeur et trois par le salarié ; l'employeur doit convoquer le conseil au moins 48 heures à l'avance ; le conseil dresse un procès-verbal à l'issue de sa réunion ; le procès-verbal est remis au salarié ; l'employeur prend sa décision après avoir eu connaissance de l'avis du conseil et il communique sa décision aux membres du conseil et au salarié.
Le 24 janvier 2012, l'employeur a informé [E] [D] que le conseil de discipline se réunirait le 31 janvier 2012 et qu'il désignait [B] [R], [T] [G] et [J] [Z]. Le 31 janvier 2012, un des membres du conseil de discipline a envoyé un courrier électronique pour prévenir de son impossibilité de participer à la réunion en raison des conditions climatiques. Le jour même, l'employeur a reporté la date de réunion du conseil de discipline au 3 février 2012 et a désigné [B] [R], [T] [G] et [Q] [X]. Les représentants de l'employeur au conseil de discipline étaient bien [B] [R], [T] [G] et [Q] [X]. Le conseil s'est réuni le 3 février 2012. Le procès-verbal de la réunion a été dressé le 7 février 2012 après recueil des avis des membres du conseil qui ont été annexés au procès-verbal. Par lettre du 14 février 2012, l'employeur a communiqué à [E] [D] le procès-verbal de la réunion du conseil de discipline. Par lettre du 14 février 2012, l'employeur a informé les membres du conseil de discipline de sa décision de licencier le salarié.
Il s'évince de ces éléments que l'employeur a respecté la procédure conventionnelle de licenciement.
S'agissant de la prescription :
L'article L. 1332-4 du code du travail dispose : 'Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance'.
L'employeur a initié la procédure de licenciement le 27 décembre 2011 par la convocation à l'entretien préalable.
Le représentant de l'employeur au conseil de discipline a émis un avis défavorable au licenciement, relevant que les faits étaient anciens et ne s'étaient pas reproduits ; il ne peut se déduire de la seule ancienneté des faits que l'employeur en a eu connaissance plus de deux mois avant d'engager la procédure de licenciement.
Le directeur marketing atteste que, le 1er décembre 2011, il a demandé à une de ses collaboratrices de contacter téléphoniquement des clients identifiés comme parrains par [E] [D] pour vérifier s'ils connaissaient les personnes identifiées comme filleuls.
Le 2 novembre 2011, [E] [D] a interrogé la chargée d'études marketing sur la raison pour laquelle ses parrainages n'avaient pas été validés ; elle a répondu le 24 novembre 2011 que c'était à cause du nombre de filleuls par parrain ; la teneur de cette réponse démontre qu'à la date du 24 novembre 2011, l'employeur ignorait le mécanisme de parrainage qu'il a estimé frauduleux.
Dans ces conditions, les faits ne sont pas prescrits.
S'agissant du bien fondé du licenciement :
L'employeur qui se prévaut d'une faute du salarié doit prouver l'exactitude des faits imputés à celui-ci dans la lettre de licenciement ; dans la mesure où l'employeur a procédé à un licenciement pour faute disciplinaire, il appartient au juge d'apprécier, d'une part, si la faute est caractérisée, et, d'autre part, si elle est suffisante pour motiver un licenciement.
La lettre de licenciement qui fixe les limites du litige énonce un seul grief, le détournement frauduleux des règles de parrainage pour favoriser des proches ; l'employeur rappelle que le principe du parrainage veut qu'un client de GROUPAMA dénommé parrain adresse une de ses connaissances non cliente dénommée filleul à GROUPAMA et que si cette personne devient cliente le parrain a droit à un bon d'achat ; il indique qu'un contrôle a permis de constater que sur onze filleuls contactés huit ne connaissaient pas leur parrain ce qui est impossible.
Le procès-verbal de la réunion du conseil de discipline énonce que [E] [D], qui a été entendu, a reconnu que sa façon de faire n'était pas conforme avec les règles du parrainage, a dénié qu'il s'agissait d'un détournement car son objectif était de développer son réseau et a précisé que sa responsable, [S] [Y] l'avait encouragé dans sa démarche en avril 2011 ; cette dernière s'est inscrit en faux contre de telles affirmations.
L'enquête interne diligentée par l'employeur auprès de onze personnes a révélé que huit ont indiqué ne pas connaître la personne désignée comme étant leur parrain.
Les faits reprochés à [E] [D] sont ainsi établis tant par l'enquête de l'employeur que par ses déclarations.
[E] [D] a commis une faute en ne suivant pas les règles du parrainage instaurées par l'entreprise.
[E] [D] a gagné le grand challenge santé organisé du 5 septembre 2011 au 28 octobre 2011 et a été félicité par la chef des ventes, [S] [Y] ; cette dernière lui a envoyé des courriers électroniques pour le féliciter le 16 mars 2011, les 12 et 16 mai 2011, les 1er, 5 et 12 septembre 2011 ; le directeur commercial régional lui a adressé un courrier électronique de félicitations le 4 novembre 2011 ; sur proposition de son supérieur, il a obtenu une augmentation de salaire le 1er avril 2011 ; le 2 novembre 2011, il a été promu chargé de clientèle ; il n'a aucun antécédent disciplinaire et il comptabilisait une ancienneté de trois ans.
Enfin, le conseil de discipline a majoritairement émis un avis défavorable au licenciement.
Au vu de ces éléments, le licenciement constitue une sanction disproportionnée.
En conséquence, le licenciement se trouve dénué de cause réelle et sérieuse.
Le jugement entrepris doit être infirmé.
[E] [D] comptabilisait une ancienneté supérieure à deux ans et la Caisse Régionale d'Assurance Mutuelle Agricole de Rhône-Alpes et Auvergne dénommée GROUPAMA RHONE-ALPES AUVERGNE emploie plus de onze salariés.
En application de l'article L. 1235-3 du code du travail [E] [D] a droit à une indemnité qui ne peut être inférieure à la rémunération des six derniers mois ; il est né le [Date naissance 1] 1984 ; il justifie qu'il a perçu des allocations chômage jusqu'au 31 août 2013 ; il a retrouvé du travail le 1er septembre 2014 sur un emploi similaire ; ces éléments conduisent à chiffrer les dommages et intérêts à la somme de 25.000 euros.
En conséquence, la Caisse Régionale d'Assurance Mutuelle Agricole de Rhône-Alpes et Auvergne dénommée GROUPAMA RHONE-ALPES AUVERGNE doit être condamnée à verser à [E] [D] la somme de 25.000 euros nets devant lui revenir personnellement à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause.
En application de l'article L. 1235-4 du code du travail, la Caisse Régionale d'Assurance Mutuelle Agricole de Rhône-Alpes et Auvergne dénommée GROUPAMA RHONE-ALPES AUVERGNE doit être condamnée d'office à rembourser aux organismes concernés les allocations chômage versées à [E] [D] du jour du licenciement au jour du jugement dans la limite de six mois d'indemnités.
Sur les frais irrépétibles et les dépens :
L'équité commande de confirmer le jugement entrepris en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et de condamner la Caisse Régionale d'Assurance Mutuelle Agricole de Rhône-Alpes et Auvergne dénommée GROUPAMA RHONE-ALPES AUVERGNE à verser à [E] [D] en cause d'appel la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La Caisse Régionale d'Assurance Mutuelle Agricole de Rhône-Alpes et Auvergne dénommée GROUPAMA RHONE-ALPES AUVERGNE qui succombe doit supporter les dépens de première instance et d'appel et le jugement entrepris doit être infirmé.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement et par arrêt contradictoire,
Infirme dans les limites de l'appel le jugement entrepris sauf en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles,
Statuant à nouveau,
Juge le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse,
Condamne la Caisse Régionale d'Assurance Mutuelle Agricole de Rhône-Alpes et Auvergne dénommée GROUPAMA RHONE-ALPES AUVERGNE à verser à [E] [D] la somme de 25.000 euros nets devant lui revenir personnellement à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause,
Condamne d'office la Caisse Régionale d'Assurance Mutuelle Agricole de Rhône-Alpes et Auvergne dénommée GROUPAMA RHONE-ALPES AUVERGNE à rembourser aux organismes concernés les allocations chômage versées à [E] [D] du jour du licenciement au jour du jugement dans la limite de six mois d'indemnités,
Invite le greffe à notifier le présent arrêt à POLE EMPLOI,
Condamne la Caisse Régionale d'Assurance Mutuelle Agricole de Rhône-Alpes et Auvergne dénommée GROUPAMA RHONE-ALPES AUVERGNE aux dépens de première instance,
Ajoutant,
Condamne la Caisse Régionale d'Assurance Mutuelle Agricole de Rhône-Alpes et Auvergne dénommée GROUPAMA RHONE-ALPES AUVERGNE à verser à [E] [D] en cause d'appel la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la Caisse Régionale d'Assurance Mutuelle Agricole de Rhône-Alpes et Auvergne dénommée GROUPAMA RHONE-ALPES AUVERGNE aux dépens d'appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
Christine SENTIS Christine DEVALETTE